Le jugement du procès
des lycées d'Ile-de-France
Marchés
publics IDF: prison avec sursis et amendes pour Roussin et Giraud
«Un
préjudice considérable»
Le RPR, le PS,
le PR et le PC ont tous perçu des «dons» des
entreprises.
Cinquante ans
de sursis
Politiques
et entrepreneurs, la plupart des 47 prévenus ont été
condamnés.
Construction
des lycées d'Ile-de-France :
![]() Entre 2 et 3 % du montant
des marchés de construction et de rénovation passés
par la région entre 1989 et 1996 ont alimenté les caisses
du RPR, du PR, du PS et du PCF. L'enquête menée par deux juges
parisiens depuis plus de deux ans vise les grandes entreprises du BTP
Jacques Follorou - Le Monde - mardi 25 janvier 2000
DEPUIS BIENTÔT DEUX ANS, l'affaire des lycées de la région Ile-de-France a connu un sort peu médiatique au regard de la publicité réservée à d'autres dossiers judiciaires. Pourtant, cette enquête, dirigée depuis le 3 juin 1997 par les juges d'instruction parisiens Armand Riberolles et Marc Brisset-Foucault, qualifiée, de source judiciaire, de « casse du siècle », a mis en évidence un vaste système d'ententes entre les principaux groupes de bâtiment et travaux publics (BTP) français. Selon les éléments de l'enquête, le conseil régional d'Ile-de-France, alors dirigé par Michel Giraud, qui fut ministre (RPR) du travail entre 1993 et 1995, aurait organisé ce système de favoritisme par le biais d'un bureau d'études qui centralisait l'essentiel des offres METP (marchés d'entreprises de travaux publics qui permettent de grouper les appels d'offres). Le non-respect de la concurrence aurait également été constaté sur les marchés classiques et ceux dits de conception-réalisation. Tous marchés confondus, entre 1989 et 1996, près de 28 milliards de francs de contrats auraient ainsi été attribués, dans des conditions irrégulières, par la région Ile-de-France aux entreprises, architectes et bureaux d'études engagés dans le programme de rénovation des lycées. Depuis le mois d'octobre 1999, une quinzaine de responsables des neuf majors de BTP français, tous mis en examen, ont reconnu l'existence de cette entente et détaillé son fonctionnement. Par ailleurs, les magistrats ont recueilli des éléments permettant de croire que cette entente aurait, entre 1988 et 1996, permis de financer illégalement les principales formations politiques. Selon l'enquête, 2 % à 3 % du montant de chaque marché - soit plus de 560 millions de francs (76,2 millions d'euros) - auraient alimenté les caisses du PS, du RPR, du Parti républicain (PR devenu Démocratie libérale), voire du PCF. Dans certains cas, ce soutien financier aurait pris la forme d'emplois fictifs. Si les représentants des entreprises ont admis devant les juges avoir été sollicités par des représentants des partis, certains affirment, néanmoins, avoir refusé de payer, et d'autres reconnaissent l'existence de versements au profit de ces formations politiques, mais ils ont précisé avoir agi dans un cadre légal. LE GOTHA DU BTP FRANÇAIS
La liste des entreprises visées par la justice rassemble le gotha du BTP français. Dans un premier temps, fin 1998, des responsables des sociétés Sicra (filiale de Vivendi, ex-Compagnie générale des eaux) et GTM (filiale de la Lyonnaise des eaux) avaient affirmé que Christine Lor, conseillère aux affaires scolaires et collaboratrice de M. Giraud, jouait le rôle d'arbitre dans la répartition des marchés. Elle était épaulée dans cette tâche, à en croire leurs déclarations, par le dirigeant du bureau d'étude Patrimoine ingénierie, Gilbert Sananès, dont la société assurait l'assistance à la maîtrise d'ouvrage (AMO) de plus de 80 % des marchés de lycées METP. Les entreprises se seraient réparti les marchés en fonction du lieu d'implantation de l'ouvrage, de leur spécialité et du montant des travaux. Il revenait ensuite selon les cadres interrogés, à M. Sananès et Mme Lor de donner à la répartition l'aspect d'une mise en concurrence. En contrepartie de ce favoritisme, affirme Jacques Durand, ancien directeur commercial de GTM, les entreprises devaient verser 2 % du montant de chaque marché à des fins politiques. Au cours de leur enquête, les policiers ont découvert la trace de ce système dans les comptabilités de GTM et Sicra. Face à chaque marché de lycée remporté par les entreprises, figurent les rubriques « royalties et aléas économiques » et « honoraires, commissions et redevances » illustrant, d'après la justice, le mode de prélèvement utilisé par les groupes du BTP. Au mois d'octobre 1999, dans un deuxième temps, les juges mettaient en examen pour « pratiques anticoncurrentielles » une dizaine d'autres cadres des sociétés Dumez, Bouygues, Fougerolles, SGE, CBC, Nord France et SAEP, également présentes parmi les bénéficiaires des marchés de lycées. Si, l'ensemble de ces personnes niaient toute contribution illégale au financement des partis, elles permettaient cependant d'étayer la démonstration de l'existence d'une entente de très grande ampleur dans le cadre de la campagne de rénovation des lycées franciliens. M. Sananès et Mme Lor étaient alors à nouveau désignés par les personnes interpellées comme les pivots du système. Le lien entre les protagonistes de cette entente et les partis politiques a, par ailleurs, été détaillé par Jean-Philippe Huchard, mis en examen dans ce dossier par les juges Riberolles et Brisset-Foucault pour « recel d'abus de biens sociaux et recel d'abus de confiance ». Militant RPR et ancien agent commercial de l'entreprise Fougerolles, M. Huchard affirme avoir été mis en contact, en 1986, avec la région Ile-de-France, par l'entremise de Michel Roussin, futur ministre (RPR) de la coopération, alors chef de cabinet du premier ministre Jacques Chirac, Se décrivant lui-même comme un collecteur de fonds pour le compte du RPR, au service « d'un ancien colonel Jacques Rollet » puis de Louise-Yvonne Casetta, future directrice administrative du RPR, M. Huchard a indiqué que son rôle consistait à prévenir les entreprises retenues. « Il y avait un système de tourniquet, a-t-il indiqué aux juges, le 10 juillet 1998, qui faisait que chaque entreprise avait son tour. C'est ce que m'a expliqué Mme Lor et M. Sananès. » « D'une part, je devais
toucher ma propre rémunération, qui était constituée
par un forfait entre 30 000 francs et 100 000 francs selon l'importance
du marché, et, d'autre part, l'entreprise devait verser une commission
de 2% à 3 % sur chaque opération aux principaux partis
politiques représentés au conseil régional. Il s'agissait
du RPR, du PS et du PCF. (...) Christine Lor m'a indiqué que c'était
elle qui se chargeait de la répartition et que celle-ci dépendait
de la couleur politique du maire de la commune où était implanté
le lycée. » Selon ses dires, M. Huchard aurait exercé
cette activité jusqu'en 1992. Fin 1989, Jean-Claude Méry,
promoteur et ancien membre du comité central du RPR, décédé
en 1999, aurait, selon lui, repris peu à peu ses fonctions. Afin
d'identifier les circuits financiers empruntés par les fonds soustraits
aux marchés des lycées, les enquêteurs s'intéressent
à certains bureaux d'études qui apparaissent dans les déclarations
fiscales des entreprises. Certaines de ces structures, comme des filiales
de la Sagès, proche du Parti socialiste, ou le Gifco, lié
au Parti communiste, sont déjà apparues dans des affaires
de financement
CORRUPTION DE FONCTIONNAIRES
Contacté par Le Monde,
M. Sananès, qui n'a pas été interrogé par la
justice, a vivement contesté les accusations portées contre
lui. Selon lui, toute entente était irréalisable au regard
de la complexité du programme de réhabilitation des lycées.
« Il y a dans cette affaire, nous a-t-il déclaré, un
certain nombre de règlements de compte. Je n'avais pas de pouvoir,
j'étais sous les ordres de la région. Je n'ai jamais rencontré
de partis politiques ni réparti les marchés. » Mme
Lor et M. Giraud n'ont pas été entendus par les
Jacques Follorou
Guy Drut mis en examen
Les juges Armand Riberolles et Marc Brisset Foucault, chargés de l'affaire des lycées de la région Ile-de-France, ont mis en examen, le 11 octobre 1999, l'ancien ministre (RPR) de la jeunesse et des sports Guy Drut du chef de « recel d'abus de confiance » pour avoir perçu indûment, estiment-ils, entre 600 000 et 800 000 francs de rémunérations, entre 1990 et 1992, de l'entreprise Sicra. Les magistrats soupçonnent M. Drut, actuel député de Seine-et-Marne et maire de Coulommiers, d'avoir bénéficié d'un emploi fictif dans le cadre d'un échange entre la région Ile-de-France, contrôlée par le RPR, et la Sicra, qui a remporté 1,8 milliard de francs de contrats entre 1991 et 1995. « Mon client estime avoir prêté son nom, son image quand on lui demandait et réfute l'idée qu'il ait pu bénéficier d'un emploi fictif », a estimé son avocat, Me Jean-Yves Le Borgne. Le 17 mai 1998, une proche collaboratrice de Michel Giraud au conseil régional puis au ministère du travail, avait été mise en examen pour les mêmes faits, ayant été également salariée par Sicra pour un emploi dont les juges contestent la réalité. Le Monde daté
du mercredi 26 janvier 2000
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