alternative éducative : une école différente
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Polémique

Le credo de Philippe Meirieu
contre l’école libérale

Pour la première fois, l’un des meilleurs spécialistes de la pédagogie a accepté pour
«le Nouvel Observateur» de réfuter les thèses développées par Xavier Darcos, ministre délégué à l’Enseignement scolaire, dans un livre de dialogues dont Matignon a empêché la publication.

Entretien
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L’affaire ne pouvait tomber plus mal. Au moment où Jean-Pierre Raffarin invite la nation à débattre de l’avenir de l’école, le gouvernement musèle Xavier Darcos, le ministre délégué à l’Enseignement scolaire, en lui interdisant de publier les entretiens sur l’éducation qu’il a menés avec le pédagogue Philippe Meirieu. Motifs? Selon Dominique Ambiel, le conseiller en communication de Matignon, la prise de position d’un ministre est «inopportune» et risque de perturber le bon déroulement de la consultation. Pourtant, il y a quelques mois, Luc Ferry, le ministre de l’Education, avait publié sa «Lettre à tous ceux qui aiment l’école», où il exprimait son credo. Alors, deux poids, deux mesures?
Le livre devait sortir à la mi-octobre chez Desclée de Brouwer. Matignon, informé du projet, n’avait rien trouvé à y redire. Mais le ministre de l’Education n’avait pas été averti. Xavier Darcos ne l’a prévenu que début septembre. Fort d’une rentrée réussie, Luc Ferry est allé exprimer son courroux au Premier ministre, qui a tranché en sa faveur. Matignon n’en est pas à un changement d’avis près.
Il y a sans doute plus qu’une simple affaire de susceptibilité. Xavier Darcos, qui, de source proche, s’attendait à un remaniement ministériel à la rentrée, et se donnait comme partant, pensait ne plus être lié par la solidarité gouvernementale lorsque son livre sortirait. Il a sans doute eu la parole encore plus libre qu’à l’ordinaire. Philippe Meirieu est déçu: sa contribution est enterrée. Dans l’entretien qu’il accorde au «Nouvel Observateur», et sans jamais citer nommément Xavier Darcos – «Je ne peux pas disposer des propos du ministre», explique-t-il, Philippe Meirieu conteste un modèle d’école libérale dont on saura reconnaître la paternité. C. B.

Le Nouvel Observateur. – Qu’attendiez-vous du débat avec Xavier Darcos?
Philippe Meirieu. – D’aller au fond des choses. Les discussions sur l’école se développent aujourd’hui dans trois domaines. D’une part, l’héritage de 68: le discours du «redressement moral» contre la mixité, pour le port de la blouse et la distribution des prix s’affronte là à un discours pédagogique assez général prônant le primat du sens contre l’autorité arbitraire. D’autre part, le combat porte sur les moyens: on met en avant les restrictions du budget de l’Education nationale, la diminution du nombre d’adultes dans les établissements et l’on stigmatise les baisses de l’impôt sur le revenu ou les crédits affectés à l’armée. Enfin, se développe tout un discours sur la mondialisation libérale qui situe d’emblée le débat sur l’école au niveau de l’OMC. Ces trois types de débat sont, bien évidemment, essentiels et il ne faut pas les escamoter. Mais, aucun des trois ne touche au quotidien. Que peut faire un parent qui constate que son fils ne veut plus aller à l’école et qui n’a pas les moyens de l’inscrire dans un établissement privé? Que peut-on attendre d’un professeur principal? Comment faire pour que les bacheliers professionnels ne soient pas en échec quand ils entrent dans l’enseignement supérieur?

N. O. – Mais il s’agit là de questions techniques. Ne risquiez-vous pas d’esquiver le débat de fond?
Ph. Meirieu. – C’est exactement le contraire. Il y a une manière d’en rester à des généralités ou à des polémiques tellement éloignées des préoccupations réelles des Français qu’elle discrédite le débat lui-même. En revanche, partir des questions concrètes des personnes et montrer qu’on peut y apporter des réponses différentes qui renvoient, chacune, à des choix de société contribue vraiment au débat démocratique. Il faut faire ressortir les vraies lignes de fracture dans la manière de traiter les problèmes scolaires.

N. O. – Des exemples?
Ph. Meirieu. – Comment faire redémarrer l’ascenseur social? Comment faire émerger des élites dans les zones «sensibles»? Comment faire pour que les élèves et les familles qui se croient assignés à l’échec scolaire puissent reprendre confiance en l’école et ne plus penser qu’il n’y a que la «Star Academy» qui leur offre une chance de s’en sortir? C’est un vrai problème. Et l’on voit bien la réponse «libérale» qu’on peut lui apporter: «Créons dans les banlieues des établissements privés qui sélectionneront les meilleurs élèves et leur offriront un havre de paix où ils pourront, enfin, travailler et réussir.» Cette réponse aboutirait à la création de ghettos terribles, elle ferait éclater le creuset social de l’école républicaine. Pour ma part, je crois à une alternative progressiste, qui consiste à faire un effort particulier pour développer l’environnement culturel et les pratiques artistiques dans les établissements sensibles. C’est indispensable pour réconcilier les enfants avec les savoirs. Et c’est ce sur quoi, justement, le gouvernement actuel recule. On devrait aussi inverser radicalement la logique qui consiste à donner toujours aux plus riches. Je suis partisan d’une politique de la ville volontariste avec des gestes forts: il faudrait installer les prépas des lycées du 5e arrondissement de Paris dans le 93 et mettre des BEP de mécanique auto au lycée Henri-IV. Certes, les élèves ne feraient d’abord que passer dans un quartier étranger, mais, au moins, nous ne redoublerions pas la ségrégation urbaine par une ségrégation scolaire. C’est dans l’écart, la non-superposition entre les différents découpages sociaux que peut apparaître l’espoir de les subvertir.

N. O. – Cela dit, vous ne supprimez pas la difficulté des enseignants à gérer l’hétérogénéité des classes, en particulier au collège...
Ph. Meirieu. – Là encore, on peut développer une option libérale. On la connaît: elle consiste à écarter les plus en difficulté, à les envoyer vers des formations en alternance ou en lycées professionnels le plus tôt possible. Or les études internationales montrent l’inefficacité d’un tel système: dans l’enquête Pisa où nous sommes au 13e rang, tous les pays qui arrivent en tête ont repoussé la sélection le plus tard possible et ont des professeurs qui enseignent plusieurs matières au collège. Ils y ont massivement développé les pratiques artistiques: exactement le contraire de ce que veut le ministre de l’Education Luc Ferry, qui a annoncé récemment, sur France 2, le développement des classes en alternance et le caractère facultatif des «itinéraires de découverte», jusque-là obligatoires et qui pouvaient justement apporter cette ouverture culturelle.

N. O. – Mais vous ne pouvez pas imaginer que l’introduction d’une dimension culturelle va résoudre tous les problèmes du collège!
Ph. Meirieu. – Bien sûr que non! Il faut, là aussi, faire des choix progressistes. Créer des groupes d’aide aux élèves, ciblés sur des difficultés spécifiques mais provisoires, et qui permettraient de répondre aux besoins de chacun sans supprimer l’hétérogénéité.

N. O. – N’est-ce pas ce que le ministère veut faire en développant «les classes-relais» où sont scolarisés les enfants en rupture?
Ph. Meirieu. – Ce sont les militants pédagogiques de gauche qui ont inventé les classes-relais, mais avec une différence qui change tout: l’enfant pris en charge momentanément par une de ces classes reste inscrit dans son collège d’origine et en contact avec les professeurs de ce collège. On lui garantit «le droit au retour». C’est dans ce «droit au retour», cette possibilité de s’amender, ce choix de l’éducabilité possible que réside la spécificité de la gauche. Tout le contraire de l’idéologie de Nicolas Sarkozy, qui déclare: «Un jeune qui brûle une voiture la nuit, c’est qu’il ne fait rien le jour. Et un jeune qui ne fait rien le jour ne fera jamais rien de sa vie.» Etre à gauche, c’est refuser de désespérer de quiconque.

N. O. – Mais comment peut-on faire pour réussir un tel pari? Il faudrait que les enseignants les plus chevronnés soient dans les établissements les plus difficiles. Or c’est souvent l’inverse: le système du barème fait que des jeunes profs inexpérimentés se retrouvent devant les classes les plus difficiles...
Ph. Meirieu. – L’option libérale, c’est «la rémunération au mérite». Je préférerais qu’on cherche à stabiliser des enseignants dans les établissements difficiles par des allègements de service et un réel accompagnement en formation. Il faudrait faire de ces établissements de véritables «laboratoires de l’excellence». Comme on met les meilleurs chirurgiens pour opérer les malades les plus critiques, y mettre les enseignants qui veulent vraiment inventer, chercher des solutions, et leur donner des moyens significatifs pour cela. Qu’ils n’aient plus envie de fuir mais soient fiers de ce qu’ils arrivent à faire ensemble. Cela est possible. Mais nous avons besoin d’une volonté politique très forte pour que ce ne soit plus limité à quelques îlots. Or cette volonté fait défaut. Les événements du printemps ont bien montré le sentiment d’abandon de ces enseignants.

N. O. – Il n’y a pas que les professeurs qui fuient ces établissements, il y a aussi les parents.
Ph. Meirieu. – Ou, du moins, ceux qui le peuvent. Et personne ne peut en vouloir à quiconque de rechercher les meilleures conditions de scolarisation pour ses propres enfants. Le problème n’est pas d’empêcher les parents d’aller vers les écoles privées, c’est de rendre les écoles publiques assez attractives pour qu’ils ne veuillent plus les fuir...

N. O. – Que dites-vous aux parents qui voudraient qu’on sélectionne à l’entrée en sixième pour que les bons élèves puissent enfin travailler?
Ph. Meirieu. – Que, si l’on s’engage dans cette voie, on sélectionnera demain à l’entrée au CP en excluant les enfants mal latéralisés! Il vaudrait mieux appliquer vraiment la loi de 1989 qui, avec les cycles en primaire, permettait d’organiser l’école en petits groupes pour aider chacun à maîtriser vraiment les savoirs fondamentaux.

N. O. – Vos propositions ne supposent-elles pas de repenser la mission des enseignants?
Ph. Meirieu. – Sans aucun doute. Tous les observateurs – de droite ou de gauche – sont d’accord pour dire qu’il est important que les enseignants soient plus présents dans les établissements. Je voudrais, pour ma part, qu’ils disposent de bureaux, puissent recevoir les élèves en petits groupes, travailler au centre de documentation. Cela passe, évidemment, par un changement fort dans les concours de recrutement qui, aujourd’hui, ne font pas une part assez grande aux compétences proprement professionnelles. Cela passe aussi par la suppression de cette hiérarchie absurde qui place l’agrégation au sommet de la pyramide: ceux qui sont censés être les meilleurs ont moins d’heures de cours et ne sont pas confrontés à des élèves difficiles. Or enseigner à des élèves qui veulent apprendre n’a jamais posé problème. C’est enseigner aux autres qui demande du métier. Et ce serait à l’honneur de notre pays de mettre ici l’essentiel de ses forces.
Philippe Meirieu est un des pédagogues français les plus connus. Il est actuellement directeur de l’Institut universitaire de Formation des Maîtres (IUFM), à Lyon, après avoir notamment été conseiller de l’ex-ministre socialiste de l’Education Claude Allègre. Il est spécialiste de l’apprentissage et défenseur de la pédagogie différenciée, cette pratique qui prend en compte les spécificités de l’élève, souvent contestée par les tenants d’une école plus autoritaire.

Caroline Brizard - «le Nouvel Observateur» N° 2029 - 25 09 2003


 
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