alternatives éducatives : des écoles, collèges et lycées différents
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« Sortir de l'idéologie du pédagogisme »
(Gilles de Robien, ministre de l'Education nationale)

 Ainsi le ministre de l'Éducation nationale vient-il de déclarer, en ouverture de la convention de l'UMP pour l'éducation, le 22 février, qu'il fallait « sortir de l'idéologie du pédagogisme » qui a « déconsidéré les apprentissages élémentaires » et a été « imposée aux enseignants ». 
Ces derniers auraient bien tenté, jusqu'ici, de s'en débarrasser, mais en vain ! 
« Il suffit, d'ailleurs, ajoute-t-il, de prendre un peu l'avis des jeunes enseignants qui sortent de l'IUFM pour savoir ce qu'ils pensent de ces doctrines. »

Mais de quoi s'agit-il exactement ? Qu'est-ce que « le pédagogisme » ? 
J'avais tenté de m'expliquer sur cette « notion », il y a environ un an, dans Le Figaro [1]. Mais les explications comptent peu : nous ne sommes pas ici dans la rationalité, mais dans une logique du bouc émissaire, dans une sorte de grand récit mythique où de méchants dragons pédagogistes auraient anéanti les savoirs et confié la jeunesse française à des esprits malins et pervers chargés de les occuper avec quelques jeux démagogiques. Livrés à eux-mêmes, sans outils intellectuels pour se construire, les jeunes se seraient alors laissé aller à la consommation frénétique du crétinisme audiovisuel, auraient définitivement perdu toute compétence en lecture et, même, pour les plus « méchants » d'entre eux, auraient fomenté des « émeutes urbaines »... Et voilà qu'arrive le Chevalier blanc qui va mettre un terme à cette gabegie, rassurer les bonnes gens terrés dans les caves, leurs classiques sous le bras, pour « sauver les Lettres » !

On ne répond pas à une telle présentation par des arguments... D'autant plus que le Chevalier blanc est spécialiste des retournements de situation : « Si les pédagogistes se défendent d'avoir fait tout le mal qu'on leur reproche, c'est justement qu'ils sont coupables ! » Que rétorquer à cela ? Pour autant et, si tant est qu'il existe quelques personnes, au sein de l'Éducation nationale, capables d'entrer encore dans un débat, il faut bien fourbir quelques armes... Alors, faisons simplement quelques remarques sans préjuger de leur utilité.

•  Le pédagogisme est une idéologie, dit le ministre. Une idéologie qui met « l'élève au centre » et « affirme qu'il doit construire ses propres savoirs grâce aux situations organisées par le maître ». Et l'anti-pédagogisme, lui, qu'est-il ? Une science ? Qui s'appuie sur quelles théories ? Qui promeut quelles pratiques ? En réalité, ceux qui font profession d'anti-pédagogisme ne savent guère que stigmatiser les pédagogues et sont bien ennuyés pour proposer des alternatives : la méthode syllabique, le « retour » de l'autorité, les policiers dans les établissements scolaires, les bons élèves des collèges de ZEP dans les « bons » lycées... voilà à peu près leur programme. Avec, bien sûr, la suppression des TPE, des PPCP et des IDD... mais tout en se gardant bien de nous dire ce qu'ils feront à la place ! Des « cours » sans doute ! Oui, mais comment ? Avec quelles méthodes qui permettent à tous les élèves de s'y intéresser ? Avec quelles activités qui leur permettent de s'y impliquer ? Et en s'assurant comment qu'ils sont bien assimilés ? Mais, surtout, il ne faut pas poser ces questions : elles sont le signe indiscutable que l'on est pédagogiste ! Les anti-pédagogistes ont la victoire facile : il leur suffit de délégitimer à l'avance toute question qui serait susceptible de les remettre en question...

•  Le pédagogisme triomphe dans les classes, continue le ministre. Les professeurs auraient donc abandonné toute volonté de transmettre les savoirs - en particulier, fondamentaux - pour obéir aux ordres du clan des pédagogues. Il faudrait quand même regarder les choses de plus près : quels professeurs et combien ont renoncé à transmettre ? Ce soupçon n'est-il pas insultant pour eux qui, justement, s'ingénient, au quotidien et face à des difficultés parfois considérables, à transmettre ? En réalité, les professeurs du premier comme du second degré ne demandent qu'à enseigner ; ils ont, d'ailleurs, choisi ce métier pour cela. Et les soupçonner d'y avoir renoncé, quand ils demandent, justement, qu'on les aide à le faire, est une forme de mépris. Quant à la férule des pédagogistes, elle s'exprime comment ? À travers les corps d'inspection qui sont entièrement dévoués à l'animation socioculturelle et talonnent les enseignants au quotidien pour qu'ils renoncent à toute exigence ? À travers les multiples formations obligatoires qui, tout au long de la carrière et pendant de longues semaines, embrigadent les professeurs ? À travers les médias où - chacun le voit bien - les pédagogistes règnent en maîtres et exhortent leurs collègues à abandonner l'étude de Maupassant et Molière pour la remplacer par celle de Dragon Ball Z  ? Citez donc vos sources ! On ne demande qu'à voir !

•  Le pédagogisme est récusé massivement par les jeunes enseignants, poursuit le ministre. Là encore, il faut y regarder de près. Qu'est-ce qui est refusé par les jeunes enseignants, en réalité ? L'infantilisation imposée par un système de formation professionnelle qui doit, en six mois, répondre à toutes les sollicitations... du ministre précisément ! La formation à la prévention routière, à la lutte contre les toxicomanies, à la Défense nationale, à la prévention des accidents du travail, à la multiplicité des « mentions » et « certifications » complémentaires de toutes sortes, a fait crouler les IUFM sous des contraintes ingérables. Face à cette avalanche de demandes et au temps dont elle dispose, la formation ne peut guère faire autre chose que de juxtaposer des cours sur le modèle de l'enseignement secondaire. Et puis, regardons d'encore plus près : que demandent les jeunes enseignants ? Une formation plus poussée dans le domaine de la gestion des classes hétérogènes et des publics difficiles, sur la question des sanctions ou des relations avec les parents ! Toutes questions qui relèvent précisément de... la pédagogie ! De celle dont se revendiquent les pédagogues exactement. Ce qui est récusé, c'est plutôt le « didactisme » que le « pédagogisme » : le didactisme qui assèche les savoirs et ne donne aucun outil pour les transmettre. Mais accuser ce didactisme imposerait, sans doute, au ministre de changer un peu de stratégie et de s'interroger sur ses propres alliances.

•  À moins qu'en réalité, le ministre ne veuille, tout simplement, éradiquer la pédagogie ? Je le crains. Je crois, en effet, que derrière le pédagogisme, ce qui est attaqué, c'est la tradition pédagogique elle-même, celle qui ne se résigne jamais à traiter l'échec par l'exclusion, celle qui, héritée de Pestalozzi et d'Hugo, de Jean Zay et de Langevin-Wallon parie sur l'éducabilité des hommes et associe, dans un même mouvement, apprentissage et émancipation. C'est cela dont on ne veut plus. Mais il faudrait le dire franchement...

Je me permets de conseiller au ministre (et à chacune et chacun) de (re)lire quelques textes de Gustave Monod dont le dévouement à la Nation n'est pas en cause et qui, en 1945, publia une série de circulaires et de documents dont on ferait bien de se souvenir et de s'inspirer. 
 

Philippe Meirieu


[1]  Pour en finir une bonne fois pour toutes 
avec le « pédagogisme »…
Philippe Meirieu
Professeur des universités, actuellement directeur de l’IUFM de l’Académie de Lyon.

 

 Ainsi donc, serait-on en train, enfin, de liquider le pédagogisme pour restaurer la véritable pédagogie : « l’art d’exposer systématiquement, progressivement et logiquement, à partir de leurs éléments, des connaissances » (*)
Grâce à la loi Fillon, on va pouvoir bouter hors de l’école les agitateurs pervers qui, en lieu et place de la transmission des savoirs pour laquelle ils sont mandatés, s’adonnent à l’écoute démagogique des élèves, abandonnent toute exigence culturelle, mélangent allègrement Bach et le rap, Charlie-Hebdo et Albert Camus, le théorème de Pythagore et les résultats du PMU, etc. Affaire de salubrité publique donc. De retour à la civilisation contre la barbarie. Il ne reste plus qu’à clouer les pédagogistes au pilori des médias… et l’École française va, du jour au lendemain, résoudre tout à la fois, la question de l’échec scolaire, de la violence, de la formation des citoyens, de la résistance nécessaire au crétinisme télévisuel, des relations entre les enseignants et les familles, etc.

Et si les choses étaient, quand même, un tout petit peu plus compliquées ?

Résumons brièvement ce que l’on reproche à ce qu’on nomme le pédagogisme :

1) Il affirme que l’élève doit « construire son propre savoir » et abolit, par là, la dénivellation essentielle entre celui qui sait et celui qui ignore. 

2) Il ne fait pas la différence entre les oeuvres de culture et la médiocrité médiatique. 

3) Il participe d’une idéologie égalitariste qui cherche à détruire les élites et à niveler notre société par le bas, mettant en péril l’avenir de la civilisation. 

4) Enfin, il s’inscrit dans le prolongement de l’utopie libertaire soixante-huitarde en s’agenouillant 
devant « l’enfant-roi ». Cette perspective, d’ailleurs, serait devenue la doctrine officielle de l’Éducation nationale depuis 1981, formalisée par la loi de 1989 qui place « l’élève au centre du système scolaire ».
Qu’on me permette, en tant que représentant de ce si détestable pédagogisme, de reprendre ces quatre éléments de ce qui censé être notre « doctrine » et de montrer qu’il y a, tout à la fois, dans cette dénonciation, une ignorance complète de l’histoire, un danger immense pour notre démocratie, un aveuglement sur nos véritables propositions et un malentendu qu’il faut absolument lever.

Une ignorance complète de notre histoire, d’abord. C’est, en effet, Jules Ferry lui-même, dans un discours prononcé le 2 avril 1880 qui affirme :
« Les méthodes nouvelles qui ont pris tant de développement, tendent à se répandre et à triompher : ces méthodes consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à la lui faire trouver. Elles se proposent avant tout d’exciter et d’éveiller la spontanéité de l’enfant, pour en surveiller et diriger le
développement normal, au lieu de l’emprisonner dans des règles toutes faites auxquelles il ne comprend rien. » Voilà donc un dangereux soixante-huitard qui destitue le professeur pour lui substituer un « animateur » socioculturel ! Il fait d’ailleurs, contre toute attente, des émules parmi le corps des très sérieux inspecteurs généraux : ces derniers signent en effet, le 13 septembre 1890, dans le Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, un circulaire dans laquelle ils affirment que l’objectif de l’enseignement au lycée est d’« habituer les élèves à trouver eux-mêmes les informations dans les documents » : dangereux précurseurs des Travaux personnels encadrés ! En octobre 1952, Charles Brunold, physicien, directeur de l’enseignement du second degré, affirme lui aussi : « Il ne s’agit plus d’offrir aux élèves un bilan de connaissances, mais de montrer par quelles voies l’esprit est parvenu à de telles acquisitions. » Voilà de quoi inquiéter, déjà, les partisans de ce que Brunold dénonce comme « une pensée dogmatique et déductive ». Plus encore, et l’inimaginable presque : C’est Jean Zay – auquel François Fillon vient de rendre un légitime hommage - qui signe un texte dans le Journal officiel du 9 octobre 1938 qui se termine par l’interrogation suivante : « Vers l’enfant, centre commun, tous les efforts ne doivent-ils pas converger ? » Abominable puérocentrisme ! Comment un tel barbare a-t-il pu être assassiné par la milice quelques années plus tard ?

En réalité, les contempteurs du pédagogisme défendent la culture en faisant preuve, en matière pédagogique, d’une sidérante inculture ! Ils croient que ce qu’ils dénoncent a émergé avec Mai 68, alors qu’il s’agit d’un mouvement porté par l’Éducation populaire depuis l’affaire Dreyfus et formalisé par les Compagnons de l’Université nouvelle dès 1918. Un mouvement qui, effectivement, ne se résigne pas à ce que les « héritiers » accèdent seuls aux savoirs et que les autres en soient écartés, un mouvement qui tente de lier dans le même acte, transmission et émancipation.

Or, en ignorant cette question, les critiques du soi-disant pédagogisme font peser sur notre démocratie un terrible danger. Ils stigmatisent, en effet, l’égalitarisme et n’hésitent pas à s’attaquer à l’un des trois principes fondateurs de notre République : l’égalité. Pour eux, l’égalité en éducation serait synonyme de médiocrité. On rougit d’avoir à rappeler que l’égalité n’est pas l’uniformité, que l’égalité devant l’instruction et l’accès de tous aux fondamentaux de la citoyenneté sont consubstantielles au projet démocratique. Que, dès lors que « le peuple fait la loi », chaque individu doit pouvoir comprendre le monde et ses enjeux. Que l’égalité d’accès à ce que « nul ne doit ignorer » n’interdit nullement, bien au contraire, l’accès de chacun à l’excellence dans un domaine qu’on lui aura fait découvrir et qu’il aura choisi. On s’inquiète aussi, en ces temps d’emprise des tribus de toutes sortes, qu’on écarte si vite l’interrogation fondamentale de la véritable réflexion pédagogique : comment un processus de transmission peut-il être simultanément un processus d’émancipation ?
Comment accéder à la pensée critique, s’autoriser à s’exhausser au-dessus des prêts-à-porter idéologiques ? Ce qu’on dénonce comme le pédagogisme n’est rien d’autre que l’effort pour penser, en même temps, transmission et émancipation. Mais il faudrait, sans doute que nos accusateurs prennent un peu de temps pour nous lire afin de s’en apercevoir.
Du temps pour nous lire, mais aussi du temps pour regarder de plus près ce que nous faisons… Qu’a produit le pédagogisme, en effet ?
L’effondrement du niveau en orthographe ? Et si ce phénomène était dû, plutôt, au statut de l’écrit dans nos sociétés de « communication » ? Et si la tradition pédagogiste du journal et de la correspondance scolaires, les tentatives des pédagogistes pour faire écrire des romans à leurs élèves ou leur faire rédiger des dossiers dans le cadre des Travaux personnels encadrés, étaient des formes de résistance salutaires à l’impérialisme de la « com » ? Et si les classes à projet artistique et culturel avaient pu donner lieu à une floraison de travaux par lesquels une multitude d’enfants défavorisés avait, enfin, rencontré les grandes oeuvres de notre patrimoine ? Si les vilains pédagogistes comme moi avaient combattu, depuis bien longtemps, pour que la culture trouve dans l’École une place centrale ? Pour qu’on enseigne aussi, à côté des théorèmes mathématiques et des lois physiques, la manière dont les hommes les avaient élaborés, s’étaient battus, grâce à eux, contre l’ignorance et l’assujettissement ? Si, même, nous avions travaillé, avec d’autres, pour que l’histoire de l’émancipation de l’humanité et les terribles marches arrière vers la barbarie soient présentées clairement et fortement dans les programmes scolaires ? Alors, il faudrait, sans doute, revoir, par honnêteté intellectuelle, les accusations qui sont portées contre nous.

Reste, enfin, le malentendu sans cesse à élucider : ce n’est pas parce que nous prétendons que « l’élève construit son savoir » que nous abolissons l’autorité de l’enseignant. Bien au contraire : pour mettre en place une situation où l’élève va, grâce aux consignes et aux ressources qu’on lui fournit, travailler vraiment « dans sa tête » à élaborer des connaissances, il faut que le professeur maîtrise parfaitement ces dernières. Plus encore : il faut qu’il prospecte, parmi tous les documents et toutes les méthodes à sa disposition, ceux et celles qui vont pouvoir être les plus efficaces. Aucune abdication de l’autorité, pas le moindre soupçon de non-directivité. C’est l’enseignant qui se contente de « faire cours » sans s’assurer vraiment de l’activité intellectuelle de chacun de ses élèves, qui est non-directif : il parle et ceux qui veulent suivre suivent ; les autres rêvent ou font autre chose malgré les rappels réguliers et pathétiques à l’attention : « Écoutez-moi donc… C’est important… »

Ainsi ce qui est aujourd’hui dénoncé sous le nom de « pédagogisme » est précisément la pédagogie dont notre École a besoin. Qu’elle s’en éloigne et les résultats ne se feront pas attendre : enrégimentés dans une École qui « expose systématiquement des connaissances » sans se soucier de ce qu’ils apprennent vraiment, les élèves ne tarderont pas à s’en désintéresser complètement. Et leurs parents, inquiets de l’absence de véritable suivi individuel, se tourneront vers les officines privés qui spéculent honteusement sur leur légitime angoisse.

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Derniers ouvrages parus : Faire l’école, faire la classe (Paris, ESF, 2004), Le monde n’est pas
un jouet (Paris, Desclée de Brouwer, 2004) et Nous mettrons nos enfants à l’école publique
(Paris, Mille et une nuits, 2005).

(*) Robert Redeker, Le Figaro, samedi 8 et dimanche 9 janvier 2005, « La pédagogie contre le
pédagogisme ».

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