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Une autre école est-elle possible?

BIBLIOGRAPHIE INTERNATIONALE SUR LA PEDAGOGIE FREINET
INTERNATIONAL BIBLIOGRAPHY OF FREINET PEDAGOGY

I Colloque Freinet à ... Londres I
I Freinet dans (?) le système "éducatif" (?) français ? I
 
 
 
Le mouvement Freinet : passé et présent
Gerald SCHLEMMINGER - History of Freinet Pedagogy
Liliane MAURY – Freinet and Wallon : on the Part Played by Psychology in School

La coopération à l’école : des questions pratiques…donc théoriques
Marine BARO – A l’école choisissons le plaisir d’apprendre avec les autres, de vivre ensemble et de se construire, dans la classe coopérative
Samia CHARMI – L’Auto-ECOLE de Saint-Denis
John SIVELL – Freinet on Practical Classrom Organization

Éducation, civilité, citoyenneté
Hugh STARKEY – Freinet and Citizenship Education
Jacques PAIN -  Des initiatives dans la classe pour réduire la violence à l’école : la pédagogie institutionnelle

La dimension internationale : présence et absence de Freinet
Nicholas BEATTIE – Freinet and the Anglo-Saxons
William B. LEE – The Ecole Moderne, an International Movement. What are the Ingredients for Successful Export ?
Tsunéo FURUSAWA – Pourquoi les enseignants du Japon ont-ils accueilli la pédagogie Freinet ?

De l’école primaire à l’université
Roger AUFFRAND – Freinet dans (?) le système « éducatif » ( ?) français
David CLANFIELD – Using Freinet Pedagogy in a University Environment : Challenges, Frustrations and Happy Outcomes

Persécutés dès le préau au Japon...

Etranges Etrangers : SUMMERHILL SCHOOL

JAPON : Les écoles de la liberté
 

LE MOUVEMENT FREINET
AU JAPON

Comment les enseignants japonais
ont-ils accueilli la pédagogie Freinet ?

FURUSAWA Tsuneo
Université Hosei, Japon
 
 
 
 

 
Le texte suivant expose les étapes de l’introduction et de l’essor de la pédagogie Freinet au Japon. Il propose un bilan de la situation actuelle du mouvement ainsi que de la pratique des méthodes Freinet dans ce pays.

I.   Premier contact des Japonais avec (la pédagogie) Freinet.

En 1922, dans le climat pacifiste et démocratique de l’Europe qui suivit la première guerre mondiale, des syndicats d’enseignants fondèrent  l’Internationale des travailleurs de l’enseignement (I.T.E. ; Edukintern en espéranto). Ils espéraient améliorer leurs conditions de travail de formateurs d’enfants, et se donner un statut de travailleurs conscients de leur rôle social et historique.

Au printemps 1928, à Leipzig, l’I.T.E. organisa la Journée internationale de la pédagogie, qui coïncidait avec la réunion de son Assemblée générale et avec la publication à cette occasion de La pédagogie prolétarienne.
Dans ce livre, on pouvait lire un article intitulé « La discipline chez les enfants » (1) dont l’auteur était Célestin Freinet. Cet ouvrage fut traduit en japonais en 1929 par un sociologue démocrate et progressiste. Il avait pour titre Sinkou Kyouikugaku (« L’éducation nouvelle », ou « La pédagogie nouvelle »). A cette époque, on interdisait aux Japonais d’utiliser des mots comme « ouvrier », « travail », « prolétaire », « syndicat », et même « société ». Le pouvoir d’Etat redoutait en effet les mouvements sociaux démocratiques et pacifistes des ouvriers  et, surtout, l’influence de la révolution russe. Mais ceux qui avaient une conscience de classe ainsi que  les intellectuels japonais comprirent sans difficulté que le mot « nouvelle » avait la même signification que « prolétarienne ».

Qui importa La pédagogie prolétarienne au Japon ? Il s’agit du Dr Oki, pseudonyme de Hirano Yoshitaro, qui était devenu professeur de droit à l’Université de Tokyo après des études en Allemagne. Il fut le seul Japonais à avoir assisté au congrès de l’I.T.E. Nous ne savons pas si le Dr Hirano, qui malheureusement ne parlait pas le français, rencontra personnellement C. Freinet.

Le parti communiste japonais (PCJ) fut créé en 1922, et le Dr Hirano y adhéra deux ans plus tard. En 1925, sous la direction du PCJ, le Syndicat japonais des travailleurs de l’éducation fut organisé clandestinement, et ce syndicat créa légalement l’Institut de pédagogie nouvelle, autrement dit l’Institut de pédagogie prolétarienne, qui adhéra à l’I.U.T.
Parce qu’il était militant de cette organisation, le Dr Hirano fut obligé de démissionner de sa chaire à l’Université.

Quelles furent les réactions à cet ouvrage traduit du français et à l’article de Freinet?  La pédagogie prolétarienne (un livre de 397 pages)  fut bien accueilli dans le milieu syndical japonais désireux de démocratiser la société, de changer l’enseignement et l’éducation au Japon, et de protéger les droits de l’enfant - surtout les enfants d’ouvriers défavorisés qui vivaient dans de mauvaises conditions et connaissaient la pauvreté. En revanche, en ce qui concerne l’article de Freinet, nous n’avons pu déceler qu’une seule réaction : une citation dans un livre intitulé Grands courants des idées modernes sur la discipline (1936) d’Umene Satoru (1903-1980) (2). Dans cet ouvrage, Freinet est présenté comme « un militant du mouvement de rénovation de l’enseignement, convaincu par le socialisme marxiste ». En même temps, on le rattache au courant qui exprimait une vision libérale de la discipline. Celui de L.Tolstoï (romancier russe, 1828-1910), de R.Tagore (poète indien, 1861-1941, lauréat du prix Nobel en 1913) et de W.H.Kilpatrick (professeur américain en sciences de l’éducation à la Columbia University et fondateur de project method, 1871-1965).
 
 

II. Deuxième contact des Japonais avec (la pédagogie) Freinet.

Après les deux premiers bombardements atomiques de l’histoire de l’humanité sur Hiroshima, le 6 août 1945, et sur Nagasaki, le 9 août, qui firent plus de 450 000 victimes en un instant, le gouvernement japonais accepta la Déclaration de Postdam qui décréta la défaite totale du Japon. Sous l’occupation des Alliés – en réalité, des Etats-Unis - le Japon promulgua une nouvelle Constitution en 1946 qui instituait :
 -     la souveraineté populaire (abolissant celle de l’Empereur),
-     les droits fondamentaux de l’homme,
-     le désarmement (c’est l’idée de pacifisme),
-    et enfin, la « Loi fondamentale sur l’éducation » en mars 1947 (elle
a  donc eu 50 ans en 1997).

Cette dernière loi se substituait au régime d’éducation impériale instauré en 1890 (un an après le premier centenaire de la Révolution française), lequel avait eu pour but de plier les sujets à ses impératifs. Autrement dit de former des sujets prêts à vouloir mourir pour la famille impériale en cas de guerre.

Aussitôt après la deuxième guerre mondiale (la guerre du Pacifique qui brisa la paix dans les pays d’Asie orientale), plusieurs enseignants japonais comprirent tristement qu’ils avaient envoyé leurs élèves sur les champs de bataille, et ils s’en repentirent. Ils commencèrent à pratiquer une éducation pacifiste et démocratique sous l’influence de la théorie de l’éducation nouvelle de l’américain John Dewey (1859-1952).

Pourtant, après la première guerre mondiale, dans l’atmosphère libérale et pacifiste des années 1920-1930, les enseignants japonais avaient déjà expérimenté les méthodes d’éducation nouvelle (self-government des élèves ; respect des intérêts, des activités et de la spontanéité des enfants ; introduction des travaux manuels, etc.), et ils avaient appliqué une nouvelle méthode appelée seikatsu-tsuzurikata (« composition/rédaction sur la vie », en anglais :  free and realistic composition of life ). Ils n’étaient cependant qu’une minorité d’instituteurs. Cette méthode n’avait posé aucun problème aux enfants, qui avaient écrit avec beaucoup de plaisir parce qu’ils avaient pu libérer leurs cœurs et s’émanciper, grâce à l’écriture, de la vie intérieure très pesante générée par les réalités de la vie au Japon. Malheureusement, cette méthode fut interdite par l’état de l’Empereur, parce qu’elle démasquait des contradictions de la société japonaise contemporaine. C’est cette tradition qui ressuscite après la seconde guerre mondiale.

Les enseignants japonais se remirent donc à pratiquer la méthode  seikatsu-tsuzurikata qui devint à la mode dans le monde de l’éducation. En novembre 1948, la revue Akarui kyouiku (« L’éducation éclairée ») (3) publia un texte de deux pages intitulé « L’Education nouvelle en France » : c’était la traduction japonaise d’un article écrit en espéranto par Lentaigne, espérantiste et enseignant Freinet qui habitait à Balaruc-les-Bains (Hérault). Ce texte soulignait que C. Freinet, son mouvement pédagogique et ses techniques (l’imprimerie à l’école, le texte libre, la correspondance scolaire, etc.), jouaient un rôle important et avaient une grande valeur éducative. Les enseignants qui utilisaient la méthode seikatsu-tsuzurikata se sentirent encouragés quand ils découvrirent que la même méthode et les mêmes idées pédagogiques étaient appliquées en France. Ce fut le deuxième contact des Japonais avec la pédagogie Freinet, grâce aux espérantistes. On avait à présent l’image d’un instituteur partisan de la méthode nouvelle et non d’un démocrate, pacifiste, socialiste ou communiste. On ignorait l’orientation idéologique de sa pédagogie.

Le 25 octobre 1950, un film en noir et blanc intitulé L’Ecole Buissonnière (réalisé par Jean-Paul Le Chanois) fut projeté au Japon. Les enseignants comme le public japonais ne purent lire le nom de C. Freinet au générique. Le personnage de l’instituteur et sa pratique pédagogique reçurent un bon accueil (4). (On pourra trouver quelques commentaires favorables dans des revues mensuelles pour enseignants.) On sait aujourd’hui que Freinet  a servi de modèle au personnage principal.

En 1955, l’éditeur Heibonsha (5) publia un livre pour enfants intitulé  La France dans la collection « Enfants dans le monde » ; au dos de la couverture on pouvait lire la dédicace suivante : « Ce livre est né grâce à la collaboration d’enfants français et de leurs instituteurs. Puisse-t-il créer l’amitié et la paix entre eux et nos enfants ». Cet ouvrage  était un recueil de compositions/rédactions où des enfants français décrivaient leur vie à la montagne, au village et à la ville. Tous ces textes avaient été écrits par des élèves dont les enseignants pratiquaient la pédagogie Freinet. Ils furent envoyés au Japon avec l’aide des espérantistes français. Les noms de ceux qui avaient recueilli ces rédactions figurent au début du livre : Norbert Bartelmes, A. Bois, P. Brun, J. Brun, J. Delor, Marcel Erbetta, C. Freinet, Henri Brossard, Léon Lentaigne, Paul Mary, D. Pascal, Marcelle Robineau,  R. Serant, ainsi que les revues et organisations L’Ecole Emancipée, L’Ecole Moderne et Internacia Ligo de Esperantistaj Instuistoj. On a pu remarquer le nom de C. Freinet.

A la fin des années 1940, après avoir obtenu la liberté d’enseigner, des pédagogues japonais créèrent plus de vingt associations de recherche en éducation, réparties en diverses disciplines et tendances idéologiques (6). Mais c’est seulement à partir de 1955 que l’Association japonaise de rédaction/composition fit paraître des articles de H. Frossard sur le mouvement Freinet en France. En fait, au Japon, on ne disposait pas alors d’une présentation claire et précise de la pensée de Freinet. Par ailleurs, les relations entre cette association et Frossard cessèrent en 1958. Pour quelles raisons ? C’est un de nos thèmes de recherche (7).
 
 

III. Troisième contact d’un Japonais avec la pédagogie Freinet.

En décembre 1965, un Japonais se rendit à Paris afin d’assister, à l’UNESCO, à la réunion d’un comité qui avait pour but de promouvoir la formation des adultes. Ce Japonais était le grand psychologue Hatano Kanji (8). Il rencontra par hasard M. Bertelot (décédé en 1994) (9),  responsable de la Coopérative de l’enseignement laïc (C.E.L.),  qui s’intéressait par ailleurs à l’enseignement programmé. Bertelot lui proposa d’aller voir C. Freinet au bureau de la C.E.L. à Cannes. Ce fut la première et la dernière fois qu’un Japonais rencontra Freinet en tête à tête. Ce dernier lui fit visiter l’école expérimentale de Vence. Pour Hatano, Freinet était le « Freinet de L’ Education nouvelle » , le « fondateur de l’éducation nouvelle en France »,  le « représentant de la pédagogie socialiste en France » (10)
 
 

IV   Traductions japonaises des ouvrages de Célestin et Elise Freinet.
Recherches sur la pédagogie Freinet et pratiques de cette pédagogie

 1)   Traductions japonaises des ouvrages de Célestin et Elise Freinet

 De la fin des années 1970 au début des années 1980 ont paru les traductions des principaux ouvrages de Célestin et Elise Freinet, sous la direction de Wakasa (11) :

 1) ISHIKAWA Keiko (12) et WAKASA Kuranosuke, Les Techniques Freinet de l’école moderne d’Elise Freinet, Meijitosho, 1979, 240 p.
 2) MIYAGAYA Tokuzo (13), L’Ecole moderne française de Célestin Freinet, Reimeishobo, 1980, 205 p. Avec une traduction de l’article « J-J. Rousseau et Célestin Freinet » de Michel Launey (14)
 3) MIYAGAYA Tokuzo,  L’Education du travail de Célestin Freinet, Meijitosho, 1986, 271 p. Au sommaire : cinq articles de la revue Clarté, une anthologie de L’Education du travail, et Moderniser l’école.
 4) NAWA Michiko (15),  Naissance d’une pédagogie populaire d’Elise Freinet, Gendaishokan, 1985, 222 p. Traduit  jusqu’au chapitre 6 : « Saint-Paul (1933-1934) », page 196 de l’édition Maspéro (1981).

2) Recherches sur la pédagogie et sur la pensée éducative de Freinet

Grâce à l’introduction de l’« imprimerie à l’école » et du  « texte libre » dans les années 1950, puis au développement des recherches sur l’histoire de l’éducation en France au cours des années 1960-1970 (16), le nom de Freinet et de son mouvement sont désormais mieux connus des enseignants japonais.
J’ai moi-même écrit les articles suivants :

a) FURUSAWA Tsuneo,  « Le mouvement d’éducation nouvelle en France et le mouvement d’éducation à la vie au Japon ». Dans la revue Seikatsu-kyouiku (« Education à la vie »), novembre 1978.
b) FURUSAWA Tsuneo, « Itinéraire pour l’éducation à la vie ». Chapitre 5 : « La pensée éducative de Freinet ». Dans la rue Seikatsu-kyouiku, mars 1983.
c) FURUSAWA Tsuneo, « La place de la pédagogie Freinet dans l’histoire de l’éducation ». Dans l’organe de l’Association japonaise de pédagogie Freinet Multilettre - Pédagogie Freinet au Japon, N° 2, février 1984.
d) FURUSAWA Tsuneo, « Le mouvement belge d’éducation nouvelle (la  méthode Decroly) en France, et le mouvement français d’éducation nouvelle (la pédagogie Freinet) en Belgique ». Dans la revue Seikatsu-kyouiku, juin 1985.
 
 

3) Publications sur les pratiques de la pédagogie Freinet au Japon.

Avant son départ en France, Wakasa avait étudié et déjà appliqué la pédagogie Freinet.  Il était alors le seul instituteur à la pratiquer dans tout le Japon. Après la publication de son ouvrage  Départ pour apprendre (17), des enseignants qui étaient en contact avec lui commencèrent à comprendre ce que signifiait cette pédagogie. Cependant beaucoup d’entre eux ne pouvaient l’appliquer parce qu’il y avait de nombreux obstacles à franchir : l’emploi du temps, le programme national, l’obligation d’utiliser le manuel scolaire ; mais surtout  l’incompréhension du directeur de l’école, des collègues et des parents d’élèves, qui faisaient davantage confiance à la méthode traditionnelle qu'à cette nouvelle méthode.

Après son retour au Japon, Wakasa écrivit des ouvrages consacrés à sa pratique d’enseignement et à la pédagogie Freinet (18). Ils exercèrent une profonde influence sur les enseignants qui avaient des difficultés et des soucis nommés « retard scolaire », « échec scolaire », « curiosité des élèves en baisse », « manque d’initiative des élèves », « manque d’intérêt pour la classe », « aversion pour l’école », « refus d’aller à l’école », etc.

V. Fondation de l’Association japonaise de pédagogie Freinet.

L’Association japonaise de pédagogie Freinet (19) a été créée les 5 et 6 août 1983 à l’initiative de Wakasa, au lendemain de la réunion d’été de la Fédération japonaise d’éducation à la vie (une organisation dédiée à l’éducation nouvelle). L’assemblée générale s’est réunie à l’hôtel Okadaya de Yumoto, Hakone - très connu pour la qualité de son thermalisme –, avec une cinquantaine d’enseignants des écoles et des universités. Parmi les participants on comptait de nombreux adhérents de la Fédération. La philosophie éducative de cette Fédération et celle de Freinet étant très proches, Wakasa et moi-même faisons partie des deux organisations.

L’organe de l’Association a ensuite été publié sous le nom de Multilettre. La Pédagogie Freinet au Japon (20) . 11 numéros ont paru jusqu’en août 1990, à raison de 2 numéros par an. Parallèlement, à partir de septembre 1987, est né le Bulletin de l’Association japonaise de pédagogie Freinet qui paraît 4 fois par an. Le numéro 41 est sorti en février 1997.

Depuis la deuxième réunion, en février 1984, la réunion d’étude et l’Assemblée Générale ont lieu deux fois par an. En février 1997, nous avons tenu la 28e réunion de l’Association. Chaque réunion  rassemblait entre 100 et 150 enseignants et étudiants.

Au printemps 1984 nous avons élaboré et mis en œuvre un programme de voyages d’études à l’école de Vence qui ont réuni une vingtaine d’enseignants, d’étudiants et de parents d’élèves accompagnés de leurs enfants. (Le prix du voyage a été calculé sur la base du prix coûtant.) Ces visites leur donnent l’espoir et le courage de pratiquer la pédagogie Freinet et d’améliorer les conditions de l’éducation au Japon, qui sont difficiles. A partir de 1996, nous avons mis en place deux groupes de voyage, le premier destiné aux étudiants et le second aux enseignants. Un 16e voyage a été organisé en mars 1997.

Un professeur de français japonais a également eu la chance d’aller étudier en France pendant deux ans, avec sa femme et ses deux filles. Ils choisirent d’envoyer leurs enfants à l’école Freinet. De retour au Japon, ils ont raconté leurs souvenirs et leurs expériences à l’école de Vence dans deux ouvrages qui ont contribué à la renommée de cette pédagogie (21).

VI. Et maintenant ?

En août 1996, l’Association japonaise de pédagogie Freinet a tenu sa 27e réunion à Izu, Sizuoka, au centre du Japon, et elle a célébré le centenaire de la naissance de Célestin Freinet. Elle avait invité trois enseignants de l’école de Vence : Carmen Montès, Brigitte Konecny et Mireille Renard.

En 1996, l’Association comptait 220 adhérents. Sur plus d’un million d’enseignants japonais, universitaires inclus, ce nombre est donc relativement faible, mais il augmente peu à peu.

Pourquoi ont-il adhéré, pourquoi participent-ils à l’association ? Autrement dit, pourquoi ont-ils choisi cette pédagogie ? Pour répondre à ces questions, nous devons brièvement exposer la situation actuelle de l’éducation au Japon.

En 1960, le Japon a conclu un nouveau pacte de sécurité nippo-américain, puis, au début des années 1960, le gouvernement conservateur a adopté une politique de croissance économique accélérée. Pour qu’elle réussisse il fallait produire des articles normalisés, et des ouvriers normalisés. Le gouvernement a mobilisé l’éducation, et il a mis en place une politique éducative fondée sur la sélection d’une élite restreinte mais compétente, et sur la formation d’ouvriers obéissant aux demandes de leurs employeurs. Cette politique s’organisait autour des axes suivants:
1) Renforcement du nationalisme dans le programme national–endoctrinement.
2) Principe de sélection des bons et des mauvais élèves – élitisme-, et ...  introduction du principe de compétition entre les apprenants.
3) Renforcement du contrôle exercé sur les enseignants et les élèves.

C’est cette politique éducative qui a créé la classe normalisée et standardisée, le gavage de connaissances, la classe asphyxiante, l’ennui au travail, la vision désespérée du futur, etc. Les enseignants en souffrent mais aussi les élèves. Le suicide des enfants, la violence des élèves, les mauvais traitements que des enfants font subir à un autre enfant qu’ils poussent au suicide, sont des phénomènes aujourd’hui courants au Japon. On lit souvent ces tristes nouvelles dans les journaux.

Afin d’améliorer la situation actuelle de l’école et de l’éducation, les enseignants se rapprochent de la pédagogie Freinet qui libère les enfants et permet à leurs facultés, à leurs capacités et à leurs énergies de s’épanouir. Ils s’efforcent de changer l’éducation.
 - En juin 1993, Tanaka Zin’ichuto, instituteur de l’école publique, a publié un ouvrage sur la pédagogie Freinet qu’il pratique dans sa classe : La pédagogie Freinet. Changer la classe (chez l’éditeur Aoki Shoten, 189 p.). Il poursuit actuellement une recherche sur l’enseignement par ordinateur.
 - En mars 1995, Sato Hirokazu (22) a publié un ouvrage de 174 pages, conclusion de ses recherches où la pédagogie Freinet est comparée au seikatu-tuzurikata japonais (chez l’éditeur Aoki shoten).
 - En septembre 1996, deux volumes sur la pratique de la pédagogie Freinet ont paru :  La classe Freinet 1 : La communication scolaire (217 p.) et La classe Freinet 2 : De la vie à l’étude spontanée (188 p.).

En 1996, nous avons remarqué trois mémoires de maîtrise portant sur la pédagogie Freinet que nous avons publiés. Les recherches vont se développer.

Pour finir j’ajouterai qu’aujourd’hui au Japon deux groupes font partie du mouvement  Freinet : l’un est présidé par Wakasa et l’autre par Murata Eiichi (23). Ce dernier a préparé les Rencontres internationales des éducateurs Freinet en 1998 mais nous ne sommes pas en contact avec lui.
 

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Note de l’éditeur.
Nous avons choisi de conserver le style direct de la communication de Tsuneo Furusawa.
Contact de l'auteur : fax 03 3264 9840 (faculté)
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NOTES
 

(1) C’est la traduction du titre japonais. Nous ne pouvons restituer le titre exact parce que l’édition originale de cet ouvrage est aujourd’hui introuvable au Japon. Il a sans doute, avec d’autres livres démocratiques et/ou marxistes, été confisqué par la police qui a arrêté le traducteur, professeur de sociologie française, pour trahison à l’état impérial.

(2) UMENE Satoru, est spécialiste de l’histoire de l’éducation en Europe, principalement en Allemagne, et il a écrit des études sur Comenius et Pestalozzi. Il a été président de la Japan Society for the Historical Studies of Education et également président, de 1973 à 1980, de la Japan Society for the Study of Education. Son livre n’a pas vieilli, bien qu’il ait été écrit à l’époque du régime impérial absolutiste, et il a été réimprimé en 1950, cinq années après la deuxième guerre mondiale.

(3) Revue éditée par les enseignants qui, avant la guerre, pratiquèrent une éducation démocratique et qui participèrent directement ou indirectement aux mouvements syndicaux. Pour cette raison ils furent arrêtés par la police et chassés des classes comme « antipatriotes ». Après la guerre, ces enseignants s’efforcèrent de démocratiser le système éducatif de classe d’avant-guerre et ils  approfondirent la pratique et la théorie de l’éducation démocratique et pacifiste.

(4) Au Japon, à la même époque, on projeta un film soviétique intitulé Un billet pour la vie, qui fut bien accueilli. Il montrait les méthodes de rééducation des jeunes délinquants mises en œuvre par Anton Makarenko (1888-1939) après la Révolution russe. Ce film et l’Ecole buissonnière ont fortement influencé et encouragé les enseignants qui tâtonnaient dans leur recherche d’une pratique démocratique de l’éducation.

(5) Fondée en 1914 par un professeur d’école normale, cette maison d’édition jouit aujourd’hui d’une grande réputation grâce à la publication d’un dictionnaire encyclopédique et de nombreux ouvrages académiques de grande qualité. On peut la comparer à Hachette et Larousse en France.

(6) Citons parmi ces associations :
- la Fédération japonaise pour l’éducation à la vie
- l’Association de recherches en sciences de l’éducation
- l’Association japonaise de rédaction / composition
- la Fédération japonaise d’éducation littéraire
- l’Association de recherche sur l’enseignement de la géographie
- le Conseil des enseignants d’histoire
- le Conseil d’enseignement des mathématiques
- le Conseil de recherche sur l’enseignement des sciences.

(7) A cette époque, on connaissait très peu de choses sur la situation du mouvement éducatif en France, en dehors de quelques informations sur l’activité du Groupe français d’éducation nouvelle (G.F.E.N.) ou sur le plan Langevin-Wallon pour la réforme de l’enseignement. Cependant, par le biais de revues comme La Pensée et La Nouvelle Critique, certains spécialistes japonais de l’éducation à l’étranger eurent connaissance des conflits pédagogiques et éducatifs entre Freinet, le G.F.E.N. et le P.C.F. Ceux qui, parmi eux, avaient écrit des articles sur le mouvement Freinet cessèrent de le faire. Pour quelle raison ? C’est encore un de nos thèmes de recherche.

(8) HATANO Kanji (né en 1905), également président de l’université d’état Ochanomizu, (l’Ecole normale supérieure de jeunes filles avant la guerre du Pacifique), était un ami de Maurice Debesse. Il avait contribué à l’essor de la science psychologique et traduit de nombreux ouvrages de Jean Piaget et Henri Wallon. Il a eu 92 ans en 97.

(9) Voir l’article de M. Berteloot « Les deux Freinet », dans le  Bulletin des amis de Freinet et de son mouvement  (1994, n° 62, p 3).

(10) D’après un article de Hatano Kanji « Célestin Freinet et son école » dans  la revue Hiraku (« Ouvriers »), n° 5, novembre 1976.

(11) A cette époque Wakasa (né en 1929) était instituteur dans une école publique de Tokyo. Ses qualités d’enseignant auraient dû lui permettre de devenir directeur de son établissement. Mais comme il était syndicaliste il fut mis à l’écart par les autorités administratives de l’éducation. De 1981 à 1982 il est allé étudier à l’école Freinet, sans aide financière de l’institution publique, afin de diffuser la pratique de cette pédagogie au Japon. En 1985, il a été nommé professeur en sciences de l’éducation à l’université de Tottori.

(12) Mme Ishikawa est une artiste qui a étudié en France. C’était une collègue de Wakasa.

(13) Miyagaya est professeur de français et spécialiste de J-J. Rousseau.

(14) Michel Launay était professeur à l’université de Nice. C’est un spécialiste de Rousseau.

(15) Madame Nawa est professeur de japonais dans un lycée. C’était une collègue de Wakasa.

(16) Sous la direction d’Umene Satory (voir note 2) ont paru les 40 volumes de la collection « L’histoire mondiale de l’éducation ». Deux tomes sont  consacrés à l’histoire de l’éducation en France (359 et 350 p., 1975). L’imprimerie Freinet est analysée en rapport avec le travail de groupe de Cousinet et la coopérative scolaire de Profit. Le nom de Freinet apparaît dans d’autres livres sur l’histoire de l’éducation en Europe et la formation initiale des enseignants. Dans les années 1980, on a traduit et publié les 33 tomes de la collection « Les mouvements mondiaux de l’éducation nouvelle » ; on peut y lire, accompagnées de commentaires, les traductions de textes de C. Reddie (1858-1932), J.H. Bradley (1865-1967), S. Isaacs (1885-1948), E. Claparède (1873-1940), A. Ferrière (1879-1960) et de C. Freinet.

(17) Wakasa Kuranosuke, Départ pour apprendre. A partir de la libre expression de l’enfant. Minshuusha, 1980, 214 p.

(18) a. Wakasa Kuranosuke, Classe libre pour l’épanouissement de l’enfant. Vers l’éducation nouvelle. Koudansha – Gendaishinsho, 1983, 199 p.
b. Wakasa Kuranosuke, L’enfant et la classe. Epanouir la faculté de vivre. Tokyo University Press, 1986, 192 p.
c. Wakasa Kuranosuke , La Pédagogie Freinet. Le travail des enfants. Aoki-shoten, 1988.

(19) La dénomination française de notre association n’est pas encore officiellement fixée.

(20) Dans Multilettre on peut lire des articles de Roger Ueberschlag (inspecteur de l’éducation nationale et président de la Fédération internationale des mouvements de l’Ecole Moderne de 1972 à 1982). Michel Launey, Jacques Perno (professeur à l’Institut franco-japonais de Kansai, poète et peintre).

(21) a. HARA Syoji et Mistue, L’Ecole Freinet et les enfants. Notre expérience à l’école libre du Midi.  Seikyuusha, 1990.
b. HARA Soyji et Mistue,  Les nouvelles de l’Ecole libre de Freinet. Ayumishuppan, 1990.

(22) SATO Hirokazu a assisté au Colloque international sur la pédagogie Freinet, à l’université de Bordeaux en octobre 1990, où il a présenté une communication (cf. P. Clanché, E. Debarbieux, et J. Testanière (dir.), La pédagogie Freinet (mises à jour et perspectives), PU Bordeaux, 1994, p 389-394).

(23) MURATA Eiichi est l’auteur de Libérer la classe scolastique. Une expérience du mouvement pédagogique Freinet. Kirara-shobo, 1994, 257 + 20 p. A part Murata, ce groupe n’a pas encore publié d’ouvrage de pratique ou de recherche pédagogiques sur Freinet.
 
 
 

LE GUIDE ANNUAIRE DES ECOLES DIFFERENTES