NON,
les écoles différentes ne sont pas les écoles parallèles
(à
quoi ?), souvent mortes-nées, dont tout le
monde parle depuis 30 ans sans jamais (vouloir) savoir de quoi il s’agit/s’agissait
: alternativement synonymes de "dernière chance", de "pas
mal, ... pour les
autres",
le terme étant souvent affublé de "post-soixanthuitardes"
par tous ceux parvenus,
et qui en sont revenus sans y être jamais allés; précédé
de «ça marginalise un peu,
quelque part, au niveau de la socialisation, quand même, non ?»
ou suivi de «qu’est-ce
que ça serait bien si qu'on en ferait une».
Archives (1978)

S’il
existe encore en France des écoles "parallèles",
il
s’agit des deux "rails" de
l’enseignement traditionnel : celui de l’école publique d’une part,
et celui de l’école
privée très majoritairement confessionnelle ou commerciale,
d’autre part.
Partant
du même point, elle suivent le même chemin et vont dans la
même direction.
Leur
raison d’être n’a pas changé depuis leur institution : garderie
pour éviter le vagabondage d’une jeunesse trop exubérante
voire insurrectionnelle, pour s’en protéger, et la protéger
de tous les dangers qui la guettent (le « sanctuaire »), instruction
minima pour le plus grand nombre, et sélection par éliminations
successives d'une "élite".
Dite
républicaine.
L'affrontement
entre empires (expansionnisme industriel et militaire, dans et hors l'Occident)
"justifiait" partout la mise en place et le renforcement de ce système
fondé sur une hiérarchisation stricte, une définition
arbitraire du Savoir et son découpage
maniaque en tranches d'horaires, de niveaux et de diplômes.
L’essentiel
étant d’inculquer, au besoin par la force, les rudiments d’une langue
commune et des habitudes-réflexes d’obéissance et de soumission
à une population
destinée alors à passer sa vie dans les champs, les ateliers,
mines ou manufactures,
les bureaux et les casernes, de métropole ou d'outre-mer.
Des
lieux devenus aujourd'hui pauvres en emplois !
Quant
aux objectifs à peine voilés derrière de belles formules,
qu’en pensent les citoyens d’aujourd’hui ?
NON,
les écoles différentes d’aujourd’hui, comme d’hier,
ne sont pas, non plus, réservées aux
dyslexiques, artistes, fugueurs, mal-entendants, surdoués, caractériels,
jongleurs-trapézistes, redoublants, autistes, drogués, naturistes
ou amateurs d’aventures exotiques et autres
originaux « en retard » ou « en avance », qu’on
ne sait où caser pendant qu’on s’occupe
de ses petites affaires professionnelles, immobilières, conjugales,
et carriéristes.
Et
pour (?!) lesquels fleurissent au printemps des listes fourre-tout, guides
ou catalogues bric-à brac, tant le malaise (= le marché)
est grand, et petite l'imagination de mal-comprenants et autres coucous
opportunistes et parasitaires plagiant ou contre-façonnant goujatement
l’expression
"écoles différentes".
Confusion
et diversion font bon ménage.
Bien
sûr, l’adjectif "différentes" ne porte pas à
lui seul tout ce que ce
guide-annuaire - et
les écoles qui jouent le jeu - s’attachent à lui proposer
comme sens depuis bientôt vingt ans.
Pas
plus que "libre", "alternative", ou "nouvelle".
Ni,
au point où nous en sommes, que les
patronymes des créateurs des grands courants pédagogiques.
C’est
normal : une pratique pédagogique n’est pas un objet fabriqué
en série, identique en
tous lieux et en tous temps, même avec options, puisqu’en séries
elles aussi. Les sciences
humaines ne sont pas des sciences exactes, les conditions d’expérimentation
n’étant jamais exactement les mêmes.
Ce
qui l’est moins, c’est que d’inévitables bricoleurs, margoulins,
assoiffés de pouvoir, lobotomisés
diplômés MBA et autres agités, ne prennent que la marque
- avec ou sans franchise
- parce qu’il leur semble que c’est furieusement tendance comme concept,
et que
ça peut servir à faire passer la soupe réchauffée,
et à vendre plus cher la garderie avec ou
sans le diplôme grigri en option.
En
saupoudrant d’une pincée de spiritualisme-spiritisme-écolo-développement-personnel-new-age,
d’une cuillerée de sports extrêmes et/ou orientaux, et d’une
louche d’oecuménisme tout-le-monde-il-est-beau-il-est-gentil, méditation
et concert de gongs en option.
Avec
un nuage d’échanges internationaux, sans oublier quelques grumeaux
d’internet.
C’est
aussi décoratif qu'un frigo couvert de magnets et autres pin’s,
et aussi digeste qu’une frite aux dix sauces vendue sur une kermesse bruxelloise.
Aussi fédérateur qu’une marche
blanche et un téléphone vert. Aussi porteur d’espérance
qu'un vol de corbeaux noirs.
Mais
c’est tendance. Comme on dit chez les Dupont-Lajoie-Bobos entre
Hermès et Monoprix.
Tendance,
comme les vestes bi-face patchwork en peau de caméléon.
Ni
réserves pédagogiques pour privilégiés,
ni
ghettos thérapeutiques pour défavorisés,
les
écoles différentes sont, et peuvent - pourraient -
être, bien autre chose.
Il
ne s’agit - surtout pas - de transformer les initiateurs des grands courants
pédagogiques en messagers porteurs exclusifs de La Vérité
Éducative, dont les dogmes seraient gravés dans le marbre
une fois pour toutes, et dont les descendants naturels ou auto-proclamés
seraient les seuls habilités à en délivrer la licence.
Le
gourou aussi, c’est tendance, sur le marché de l’offre et
de la demande !
Mais
de constater, plus que jamais, la pertinence, la vivacité et la
solidité de leurs concepts
fondateurs, et de leurs pratiques, face à la fossilisation du mammouth
institutionnel autant qu’à la frivolité volatile des modes.
Statiques
fonctionnaires ou camelots
très agités ont en commun, depuis deux bonnes décennies
radoteuses sur l’échec scolaire,
l’art et la pratique du piratage et de son exploitation en produits dérivés
et contre-faits.
À
les entendre ou les lire, tous s’inspirent de l’éducation nouvelle.
Mais
le souffle originel n’est plus qu’un râle : conseils travestis en
cercles de qualité, assemblées générales en
chambres d’enregistrement, textes libres en dictées, travail d’équipe
en management, associations de parents en clientèle captive et/ou
exploitation de main d’oeuvre gratuite, cahier de râlage en recueil
de délations ... et pédagogie « nouvelle »
en trucs
et ficelles.
Et
«
ça ne marche pas ! - on a pourtant essayé ! - vous voyez
bien que vous n’êtes pas dignes
qu’on vous fasse confiance - et puis, c’est bien connu, les adolescents
ne peuvent ni
ne veulent participer : c’est l’âge bête - cap sur le bac et
retour aux bonnes vieilles méthodes
:
séduction
et répression ».
Qui
nous ont conduit là où nous en sommes. Et nous conduisent
vers là où ça penche.
Il
est assez ahurissant d’entendre encore aujourd'hui, la même «question»
(qui est en fait une
idée fixe) : «Ces écoles différentes, tout
de même, ne fabriquent-elles pas des marginaux
?
Et
la socialisation ? Et après ?»
Ce
pays compte trois millions et demi de chômeurs recensés et
reconnus comme
tels, et largement autant de "non-chômeurs" dont les rémunérations
ne suffisent pas
à couvrir les frais de simple subsistance.
Ces
millions
d’individus sont "en marge".
Sont-ce
les mêmes, ou d’autres, qui se droguent (légalement ou illégalement),
qui se suicident,
qui remplissent les prisons ou les hôpitaux psychiatriques ?
Selon
les critères de "normalité", ce pays compte donc entre trois
et dix millions de marginaux
: mal dans leur peau, et/ou qui dérangent "la société".
On
peut sans craindre, affirmer que les écoles différentes,
publiques et privées, seraient bien
en peine de fournir de tels effectifs !
Ces
millions de marginaux ont dans leur immense
majorité suivi une scolarité bien traditionnelle, dans des
écoles pas marginales, du
tout.
S'il
existe, et depuis longtemps, des écoles "différentes"
- du système traditionnel bicéphale (public-privé),
et
entre elles - c'est qu'à chaque étape de cette mise aux normes,
des esprits éclairés (philosophes, médecins, éducateurs...)
s'en sont indignés, en proposant d'autres pratiques, d'autres chemins,
parce qu'ayant d'autres buts : une autre conception de l'enfant, de l'adulte,
de la société, de l'humanité.
Précurseurs,
les théoriciens et praticiens des courants pédagogiques,
plus ou moins
regroupés sous le terme d'éducation nouvelle, l'étaient
au début de ce siècle.
Et
à contre-courant, puisque se méfiant d'une certaine "socialisation"
qui ne
visait qu'à rendre conformes et aptes à l'uniforme plusieurs
générations à sacrifier.
Précurseurs,
ceux qui s'en réclament aujourd'hui, le sont encore. Et ces pédagogies
plus que jamais pertinentes. Toujours nouvelles.
L'Année-Européenne-de-l'Éducation-et-de-la-Formation-tout-au-long-de-la-vie
s'est achevée dans une floraison de publications opportunistes et
de colloques, souvent hors sujet, toujours coûteux parce que subventionnés,
rarement en prise directe avec le triste quotidien du monde scolaire. Elle
coïncidait d'ailleurs avec le centenaire de Freinet.
Du
même âge, Fourvière, les J.O. et un train corse ont
eu les honneurs d'un timbre-poste, mais pas Célestin. Ignoré
aussi par MM. Chirac et Charpak, ceux-ci après avoir découvert
que certaines écoles américaines partaient d'expériences
concrètes pour amener leurs élèves à des acquisitions
intellectuelles, ayant décidé de mettre "la main à
la pâte" pour importer (en franchise
?) ce concept révolutionnaire dans notre pays.
Mais
cela fait six ou sept décennies que Freinet
parle de "tâtonnement expérimental" !
Des
centaines d'enseignants l'appliquent quotidiennement, pas seulement pour
accéder aux sciences et autres matières du programme, mais
aussi pour ajuster au jour le jour la vie d'un groupe-classe, reposant
sur des règles ressenties comme justes parce que élaborées
ensemble pour réguler les tensions, régler les différends
autrement que par la loi du plus fort ou le recours systématique
à l'autorité du "maître".
Au
jour le jour : dans chaque instant du quotidien,
et pas une fois par an à l’occasion d’une «semaine citoyenne»
ou d’un simulacre
folklorique et sans lendemain (parodie de tribunal, de conseil municipal
ou d’assemblée nationale...)
Cousinet,
Decroly, Oury insistent eux aussi à leur manière
sur les centres d'intérêts des enfants, leur vie de groupe,
la nécessité d’y élaborer, d’y institutionnaliser,
ensemble, des règles du jeu. Montessori
repère les périodes"sensibles" pendant lesquelles un enfant
est totalement disponible à l'acquisition de certaines notions abstraites.
Steiner
prône une éducation globale, comparant l'enseignant-éducateur
à un jardinier.
Respectueuses
de ce qui est pour elles une évidence - l'unicité et l'unité
de chaque
enfant - ces pédagogies n'ont rien à voir avec de simples
méthodes ou techniques
plus ou moins "comportementalistes" pour manipulateurs pressés ou
commanditaires monomaniaques. Lointains fondateurs et praticiens contemporains
ont depuis des décennies enrichi un corps de doctrine (des repères),
une bibliographie (une mémoire) et un savoir-faire (des outils)
précieux.
Ils
ont surtout, dans leur diversité, l'appui irremplaçable d'un
réseau solidaire et parlant
le même langage. Et donc la possibilité, voire l’obligation
d’une vraie formation
initiale et continue. Qui n’existe ni dans les IUFM, ni dans les multitudes
de stages, ou formations souvent onéreuses proposées par
les importateurs-revendeurs du dernier gadget «pédagogique».
Condition
essentielle pour que l’école cesse de n’être qu’une garderie
occupationnelle pour les plus « faibles », et un camp d’entraînement
avec gavage de
connaissances pour les plus « forts » : le projet pédagogique.
L’existence
d’une
véritable équipe en est une autre : aussi bien
pour rédiger un projet digne de ce nom que pour le mettre en oeuvre.
S’y
ajoute la nécessité d’un réel partenariat avec
les parents, et le tissu associatif, culturel et économique de l'environnement,
parties prenantes du projet.
Ces critères
- référence à une pédagogie ambitieuse et émancipatrice,
équipe volontairement réunie
autour d’un projet - constituent l'essentiel de la d i f f é
r e n c e des écoles, publiques et privées, figurant
dans ce guide-annuaire.
Au-delà
d’un fond commun de valeurs, de repères ... et de pratiques, qui
dépassent - du moins à l'origine (l'après 14-18) -
les vrais, et faux clivages public-privé, il est évident
que chacune de ces pédagogies, de ces écoles, en fonction
de son origine, de son histoire, de celles des femmes et des hommes qui
l’animent, a aujourd'hui des critères, des modes de fonctionnement,
de formation et d’évaluation, qui lui sont propres.
Elles
sont, aussi, différentes entre elles.
Partant
de la nature et des besoins de chaque enfant - et de tous les enfants -
en respectant l’unité et l’unicité de chacun, former des
individus libres, responsables, aimant comprendre, apprendre et entreprendre,
c’est bien beau, mais ... ça nous mène où ?
Migraine.
Jusqu’à
mettre en pratique, à vivre quotidiennement, dans sa vie privée,
professionnelle et sociale, les valeurs gravées au fronton des écoles
et bâtiments de la République depuis deux siècles ?
Et/ou
celles promues depuis vingt siècles par la religion majoritaire
dans notre pays ?
(les
mêmes, non ?!)
Vertige.
Le
questionnaire
proposé aux écoles - et aux parents - égrène
les pourquoi, depuis quand, pour quoi, pour qui, avec qui, comment,
à quel prix...
Il
sous-entend une autre interrogation, essentielle : jusqu’où
?
Les
réponses, des écoles, comme des parents, se lisent en filigrane
:
différentes,
oui, mais ... pas trop.
Le
fond de l’air est tiède.