alternatives éducatives : des écoles, collèges et lycées différents
| LE GUIDE-ANNUAIRE | Présentation | SOMMAIRE |
I Obligation scolaire et liberté I Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop ! Appel pour des éts innovants et coopératifs |
 
 
 
 
 
 
Débat scolaire,
la marche en arrière
Libération - jeudi 22 janvier 2004

Mixité, port de l'uniforme... Les discussions sur l'avenir de l'école cachent un appel à des réformes réactionnaires.

Jean-Michel Barreau, professeur à l'institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Nancy
 

Dans le «grand débat national sur l'avenir de l'école», Luc Ferry, le ministre de l'Education nationale, de la Jeunesse et de la Recherche, et son ministre délégué à l'Enseignement scolaire, Xavier Darcos, posent à l'ensemble de la communauté française de très nombreuses questions sur la chose éducative. Nous proposons d'en rajouter deux : qu'est-ce qu'un «réformateur» ? Et qu'est-ce qu'un «réactionnaire» ?

Pourquoi cette question du «réactionnaire» et du «réformateur» ? Parce que bon nombre des débats scolaires les plus récents sont des appels à des «réformes» qui demandent de «revenir en arrière» tout en se parant des vertus du changement et de «l'avancée» la plus moderne.

Parmi les polémiques du retour en arrière, il y a eu celle sur la mixité. En septembre 2003, le sociologue Michel Fize affirmait avec beaucoup d'éclat dans un livre les Pièges de la mixité scolaire (1) qu'il y avait un «dysfonctionnement», et même une «crise de la mixité scolaire» contemporaine. Réussite inégale des filles par rapport aux garçons, violences sexistes, agressions sexuelles, incivilités et autres indélicatesses étaient le lourd tribut que les jeunes filles payaient actuellement à cette école de la
mixité. Au nom même des grands principes d'égalité républicaine, l'auteur affirmait que la gestion réunie des «différences» entre garçons et filles était préjudiciable à la réussite de chacun et chacune. Sur la base de constat, le sociologue s'interrogeait :
«Mixité à l'école, un principe à revoir ?»

Et puis il y a eu la sulfureuse polémique sur le «port de l'uniforme à l'école». Sur la base de la triple revendication de la restauration de l'autorité pédagogique, du respect de la laïcité et d'un refus très militant et contestataire des «modes consuméristes» et autres «disparités socioéconomiques» dont les élèves seraient les victimes, le député UMP François Baroin réclamait «d'ouvrir le débat», et Xavier Darcos acquiesçait en déclarant solennellement que le sujet, en effet, «méritait d'être débattu». Sur ce même registre des retours en arrière, il y a également la question de «l'autorité» que pose Luc Ferry dans sa Lettre ouverte à ceux qui aiment l'école (2). Il faudrait revenir à cette autorité très «école de la Troisième République», dont chacun serait nostalgique et qui aurait été laminée par un laxisme soixante-huitard et post-soixante-huitard dont les dégâts ne seraient plus à démontrer. Enfin, il y a toutes ces incursions sur le «jeunisme» et autre «pédagogisme» qui ne feraient de nos actuels professeurs que de pâles copies de leurs fiers aïeuls pédagogues, hussards noirs de la République, qui , eux, ne s'embarrassaient pas de placer «l'élève au centre du système éducatif» et n'avaient pas besoin de «didactique» pour être de vrais maîtres d'école «sévères mais justes»...

Les pétulants «réformateurs» d'aujourd'hui oublient un peu vite les pétulants réactionnaires d'hier. Ceux qui haïssaient la mixité scolaire que proposaient alors les républicains à la fin du XIXe siècle. Ils ont tout dit et ils ont tout prédit contre la loi du 21 décembre 1880 de Camille Sée sur l'enseignement secondaire féminin. Pourtant, les réformes étaient timides, puisque ces nouveaux lycées de jeunes filles n'avaient pas les mêmes programmes que les garçons et ne préparaient pas au baccalauréat.
Mais rien n'y faisait. La scolarisation féminine rendrait les filles irrémédiablement folles, affirmaient-ils avec la foi du charbonnier. Suicides, prostitution, hystérie seraient immanquablement le lot de ce prétendu «progrès» scolaire de la République. Un peu plus tard, au moment de la création du baccalauréat féminin en 1924, les réactionnaires de l'entre-deux-guerres remonteront au créneau avec la même assurance et la même virulence. Les filles bachelières ? Vous n'y pensez pas ! Tout disparaîtra sous l'arrivisme de ces hystériques du diplôme : foyers, enfants, maris. Et quand il s'est agi, dans les années 1960-70, que les filles n'apprennent pas seulement comme les garçons, mais que filles et garçons apprennent ensemble, dans les mêmes établissements et les mêmes salles de classes, ce fut l'apothéose. La peur, la haine et les prophéties furent à nouveau au rendez-vous. La mixité scolaire ne produirait rien d'autre que l'orgie sexuelle. A grands renforts de proclamations scandalisées et courroucées, on annonçait doctement la grande «valse des pucelages» et la «transformation des lycées en bordels».

Le réactionnaire est un conservateur qui a toujours sanctifié le passé, glorifié le présent et diabolisé le futur pour mieux sacrifier le partage et l'égalité sociale à venir. Pour le port de l'uniforme à l'école, on comprend bien toute la nostalgie qui habite ceux qui
le défendent actuellement. La Troisième République était censée loger à la même enseigne égalitaire de la modeste «blouse grise» les enfants de toutes les catégories socioprofessionnelles, sans exception. Il faudrait alors revenir aux pratiques
vestimentaires de l'école d'antan pour renouer avec l'âge d'or de cette égalité de jadis, disent nos «réformateurs» modernes.

On peut entendre avec intérêt, et même avec compassion, ces appels à la justice scolaire. Toutefois, il ne faut pas s'y tromper : si l'école de Jules Ferry incarnait la République, elle n'incarnait absolument pas l'égalité. Pas plus que l'habit ne fait le moine, la blouse grise de l'école communale ne faisait l'égalité républicaine. Car il y avait deux écoles, «l'école du peuple» et «l'école des notables», qui étaient deux ordres scolaires totalement parallèles, foncièrement cloisonnés et étrangers l'un à l'autre.
L'ordre primaire était gratuit, populaire et professionnel, avec un certificat d'études comme viatique pour l'accession aux métiers. L'ordre secondaire était payant, bourgeois et intellectuel avec le baccalauréat comme viatique pour les carrières à
venir. Seules, les fameuses «bourses» faisaient office de passerelle entre ces deux mondes scolaires séparés. Les «blouses» égalitaires n'étaient en réalité que des masques vestimentaires posés sur une école structurellement inégalitaire.

Les vrais symboles de cette égalité, ce sont les républicains eux-mêmes qui l'ont mise en oeuvre en changeant progressivement cette école qu'ils avaient contribué à édifier. Ferdinand Buisson, par exemple, fut le premier à réclamer le rapprochement de
ces deux ordres scolaires au nom de la justice sociale. Un peu plus tard, dans l'entre-deux-guerres, le radical Edouard Herriot installera la gratuité du secondaire que réclamaient avec passion les plus novateurs, et Jean Zay prolongera l'obligation scolaire jusqu'à 14 ans au nom des mêmes principes. Enfin, sous l'égide tutélaire du plan Langevin-Wallon, la Cinquième République prolongera la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans, et le collège unique de René Haby rassemblera sous le même toit des publics scolaires différents pour des cursus scolaires identiques. Il faut dire que les sociologues «bourdieusiens» avaient oeuvré pour jeter une lumière crue sur les contradictions d'une école qui se satisfaisait trop rapidement de sa fière devise «liberté, égalité, fraternité» sans s'inquiéter de savoir quelle était la réalité sociologique de cette devise inscrite à ses nobles frontons. A chacun de ces grands changements des structures de l'école, ceux que les historiens appellent les «conservateurs» crieront à la trahison. Les enfants les plus humbles devaient être déracinés et déclassés par tous ces savoirs et cette scolarité qu'on leur imposait. A l'inverse, l'élite devait être cruellement nivelée et le niveau dramatiquement abaissé par une démocratisation et une massification irrévocablement synonymes de médiocratisation et de vulgarisation.

Quant à la question de l'autorité «qui serait devenue taboue entre toutes», Luc Ferry et Xavier Darcos ont sans doute raison de voir dans «l'interdit d'interdire» soixante-huitard qui l'a sous-tendu les «racines du mal». Pourtant, à l'inverse, on peut
s'interroger sur ce que les discours antiautoritaires ont apporté à l'époque dans une école où oreilles tirées, gifles bien senties et autres coups de pieds aux fesses étaient monnaie relativement courante, «pour le plus grand bien de l'intéressé», bien entendu.
Les plus anciens se rappellent, sans nostalgie aucune, les incartades peu glorieuses de certains de leurs fameux maîtres d'école.

Par ailleurs, la question du réactionnaire travaille très fortement nos actuels réformateurs et autres philosophes. François Baroin, dans sa proposition sur le port de l'uniforme à l'école, se défend de n'être «ni ringard ni communiste», et Luc Ferry dans son chapitre sur l'autorité déclare vouloir se garder de lancer un «débat rituel entre réactionnaires et libertaires».

Il est normal que la notion de réactionnaire travaille les réformateurs car cette notion n'est pas du tout une «catégorie totalement fictive», comme l'affirme trop rapidement Alain Finkielkraut.
Etre «réactionnaire», au contraire, cela veut dire quelque chose de très précis. Quelques ouvrages en sciences sociales et quelques dictionnaires et encyclopédies nous renseignent assez bien sur son sens : «Tendance politique qui s'oppose aux
évolutions sociales et s'efforce de rétablir un état de choses ancien ; ensemble de personnes, des partis qui s'en réclament». Les réformateurs actuels ont d'autant plus de raisons de s'en inquiéter que le réactionnaire est tout à la fois un conservateur et un réformateur. Il refuse les évolutions à venir et, quand celles-ci sont installées, il les «réforme» pour revenir à ce qu'il voulait conserver.

C'est bien la question du «réactionnaire» et du «réformateur» qui se pose en France, car on réforme beaucoup en ce moment en revenant en arrière. Ce ne sont donc pas les seuls Luc Ferry et Xavier Darcos qui sont concernés par la question du
réactionnaire, c'est également Jean-Pierre Raffarin et son équipe qui, certes, «réforment» beaucoup, mais «suppriment» également avec entrain...

(1) Presses de la Renaissance, 2003.

(2) Odile Jacob, 2003.



LE GUIDE ANNUAIRE DES ECOLES DIFFERENTES
| LE GUIDE-ANNUAIRE | Présentation | SOMMAIRE |
| Le nouveau sirop-typhon : déplacements de populations ? chèque-éducation ? ou non-scolarisation ? |
| Pluralisme scolaire et "éducation alternative" | Jaune devant, marron derrière : du PQ pour le Q.I. |
| Le lycée "expérimental" de Saint-Nazaire | Le collège-lycée "expérimental" de Caen-Hérouville|
| L'heure de la... It's time for ... Re-creation | Freinet dans (?) le système "éducatif" (?) |
| Changer l'école | Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop !| L'école Vitruve |
| Colloque Freinet à ... Londres | Des écoles publiques "expérimentales" |

| 68 - 98 : les 30 P-l-eureuses | Et l'horreur éducative ? |