Où est le problème
?
Le pluralisme scolaire
existe en France.
On y trouve en effet des écoles publiques
et des écoles privées.
Et parmi celles-ci des écoles laïques,
religieuses, associatives ou commerciales.
Des écoles peuplées presque
uniquement de têtes brunes, où l’on parle arabe, sénégalais,
malien, chinois ou verlan ... à l’entrée, la sortie et la
récré. D’autres, parfois à quelques centaines de mètres
seulement, souvent privées mais aussi publiques, où l’on
ne voit que des têtes blondes, et brunes mais pas trop, qui ne parlent
que français ou anglais.
Des écoles avec un ordinateur, modèle
Thomson-Fabius, enfermé dans un placard d’une salle dont personne
n’a la clé, pour une initiation épisodique et hasardeuse
à l’unformatique avec des enseignants qui ne savent pas et n’ont
pas trop envie de savoir s’en servir. D’autres avec quasiment un appareil
récent et connecté à internet par élève
et un encadrement formé et passionné par ce nouvel outil,
devenu aussi banal et indispensable qu’un stylo-bille.
Des écoles de 50 à 250 élèves,
et d’autres de 1000 à plus de 2000. Des écoles où
on peut prendre calmement un repas sain et équilibré, d’autres
où la conquête d’un carré de poisson pané-purée-yaourt-compote
ailleurs que dans les cheveux relève du parcours du combattant,
avec comme l’ont relevé des experts, un taux de décibels
égal ou supérieur à celui d’une menuiserie industrielle.
Des écoles militaires et des écoles
religieuses, des écoles rurales et des écoles urbaines, des
internats et des externats, des écoles pratiquement sans sports
et d’autres où l’on ne fait que préparer les prochains J.O.,
des écoles en brique et d’autres en béton.
Vive le pluralisme !
Quant à « l’éducation
alternative »,
je ne vois pas bien de quoi il s’agit.
Des questions ?
ET SI MA TANTE ...
Non? Alors je recommence.
Lorsqu’on m’a invité à intervenir
à ce « 1° Forum sur l’éducation alternative
», j’ai accepté bien volontiers d’autant qu’au cours
de ces dernières décennies j’ai déjà dû
participer à, ou organiser, une bonne trentaine de « 1°
Forum sur l’éducation alternative » ou autres titres similaires.
Quant aux sous-titres de cette journée
(« Et si on révolutionnait l’école ? Et si on essayait
? Et si on y croyait ? »), ils m’ont immédiatement inspiré
le titre réel de mon intervention, que j’ai soumis aux organisateurs
et amis connaissant de longue date ma grande délicatesse : «
Et si ma tante ... »
Car enfin, sérieusement, entre nous,
et puisqu’à cette heure nous sommes encore tous à jeun, QUI,
ici ou dans ce pays, a sérieusement envie de « révolutionner
l’école, d’essayer, d’y croire » ?
Envie, oui, certainement. De quoi n’a-t-on
pas envie ? Et même plus souvent d’envie d’avoir envie ... De n’importe
quoi et du contraire de n’importe quoi, du beurre et de l’argent du beurre,
avec la vache, la fermière, la ferme, le pré et la clôture.
De l’épanouissement des - de ses - enfants et de bac + 7
garanti sur facture, mais sans facture, d’un service public gratuit, égalitaire
mais sélectif; d'"autogestion" mais avec salaire, promotion et retraites
garantis - s'il te plaît dessine-moi un fonctionnaire libertaire
autogéré - ; d’écoles privées mais prises en
charge sans conditions par la collectivité, avec cocktail survitaminé
dès le jardin d’enfants : bilinguisme, informatique, yoga et cantine
bio. Q.I. et RIB à présenter au casting.
Mais qui veut - du verbe vouloir
- réellement, et plus d’une heure,
« révolutionner l’école
», et donc, nécessairement en collaboration avec d’autres,
créer et faire vivre de réelles « écoles alternatives
» ou des «alternatives à l’école» ?
Peut-on trouver deux personnes, dans ce
pays, dans cette salle, donnant le même sens, plus d’une heure, à
ces expressions, aux valeurs, repères et références
s’y rattachant, et surtout à leur mise en pratique, non plus dans
les livres ou les débats, mais dans la vie, concrètement,
chaque jour, pour de vrai ?
Et qui, dans ce pays et dans cette salle,
veut réellement du pluralisme scolaire, pour de vrai ... y compris
pour « les autres » ?
Sur de nombreux sujets, et ceux concernant
l'éducation en particulier, il conviendrait, en préalable
à tout débat, de se mettre d'accord sur un lexique commun
!
Epouvantail pour les uns, sirop-typhon
pour les autres, le « pluralisme scolaire » cache en
effet nombre de malentendus c’est-à-dire de mal-dits et de non-dits.
Les textes fondateurs de notre Constitution,
et donc du contrat social qui nous relie, le mentionnent expressément,
ainsi que plus d’une dizaine de Traités, Déclarations et
Conventions au niveau européen ou mondial. Outre le droit à
l’éducation et l’instruction pour chaque enfant de cette planète,
tous garantissent aux parents la liberté de choix.
Ne nous attardons pas ici sur le sort de
quelques milliards d’individus ignorant tout de ces droits, ou s’ils les
connaissent, devant chaque matin consacrer toute leur énergie à
tenter de survivre jusqu’au lendemain. La plupart sont d’anciens colonisés,
bons ou méchants sauvages auxquels nous avons pourtant généreusement
tout donné : notre culture, notre technique et même notre
religion.
Et, après pillages (*), massacres,
"formation" et soumission d’une « élite » aux ordres,
l’indépendance.
Très « tendance » aussi
: notre compassion, et pourquoi pas un de ces jours : notre repentance.
Mais dans ce pays, patrie des Droits de
l’Homme et fille aînée de l’Eglise (voir également
les rubriques « 1789 », « 1905 », « réforme
de la justice », « droit au logement », etc), le droit
de choisir a un coût : celui d’une scolarité variant de 500
à 5000 francs par mois, dès lors qu’on ne se satisfait ni
du service public ni du service diocésain.
En fait de pluralisme, on ne peut parler
en France que d’un dualisme, apparent, car il ne s’agit finalement que
d’un système monolithique bicéphale : une grosse tête
(environ 80%) appartenant au public, et une petite tête, celle du
privé très majoritairement confessionnel sous contrat d’association.
Reste une part minuscule pour le privé laïc (commercial ou
associatif), dont une tête d’épingle pouvant peut-être
entrer dans la rubrique de « l’éducation alternative ».
Si elle le veut bien, ce qui n’est pas sûr du tout.
Pour refroidir les ardeurs anticléricales,
rappelons aussi que si l’enseignement catholique dépend toujours
d’une direction diocésaine, le clergé ne représente
plus que 1% des effectifs enseignants, et que des statistiques récentes
viennent de révéler ce que tout le monde a pu observer :
la banalisation de cette « alternative » (au sens générique
du terme) à l’enseignement public. Plus d’une famille sur deux y
a désormais recours pour des raisons tout autres que religieuses.
On y recherche notamment une présence plus attentive de l’encadrement,
encore souvent réelle du fait d’une tradition de quasi-bénévolat,
mais qui va se raréfier sous l’effet conjugué du recrutement
d’une nouvelle vague de personnel certainement moins disponible, et d’un
afflux massif d’enfants et adolescents rejetés du service public.
Avec beaucoup de variantes d’un pays à
l’autre, la question du pluralisme, du droit réel au choix de l’école
- y compris celui de s’en passer - est d’actualité. Pas vraiment
par soif de diversité et de liberté, mais surtout du fait
des nouveaux besoins du marché du travail et du rapport qualité-prix
du service public. Les critiques, statistiques à l’appui,
se multiplient : trop cher et pas assez performant ... comme tous les services
publics, nous dit la rengaine de la mondialisation. Il faut donc introduire
la compétitivité dans ce qui doit devenir un marché
comme les autres : le marché éducatif.
Cette argumentation purement économique
n’est pas très convaincante pour l’opinion publique, ni d’ailleurs
pour des responsables politiques, de droite comme de gauche, ayant encore
le sens du bien public - de la république ! - et le souci d’un minimum
de cohésion sociale. Les lobbies pressés de conquérir
ce marché avancent donc derrière une multitude de faux-nez
: pamphlets bâclés contre l’école publique et son niveau-qui-baisse,
statistiques incomplètes ou manipulées, odes à la
liberté et défense de la Famille, associations-relais et
même o.n.g. sponsorisées.
La solution-miracle, garante de liberté,
de justice et d’efficacité est connue dans les pays anglo-saxons
sous le nom de «voucher». En France, on parle de chèque-éducation
ou de bon scolaire. Les familles l’utiliseraient, comme elles le font pour
les bons-vacances, en le remettant à l’école de leur choix.
Ainsi, nous dit-on, même une famille nécessiteuse pourrait
avoir accès aux meilleures écoles, et tous les établissements
scolaires, publics comme privés, ainsi mis en concurrence n’auraient
de cesse que d’offrir le meilleur service. Désertées, celles
qui ne donneraient pas satisfaction, n’auraient plus qu’à fermer
leurs portes. Et les enseignants sans élèves qu’à
chercher du travail ailleurs.
Cela peut paraître simple et efficace,
mais on voit mal comment les écoles réputées les meilleures
(selon quels critères ?) pourraient résister à la
tentation de maintenir ou rétablir une sélection plus ou
moins avouable et refuser l’accès à certaines familles même
munies du fameux chèque-éducation, puisque cet apartheid
se pratique déjà dans de nombreuses écoles privées
sous contrat d'association... comme dans de nombreux établissements
publics.
Dans les quelques pays où ce système
est très partiellement appliqué, on est peu bavard sur les
effets secondaires. Au terme d’une étude-bilan menée à
travers le monde, l’OCDE elle-même livre des conclusions très
réservées. En France, les seuls partis à promouvoir
sans beaucoup d’explications le fameux bon ou chèque scolaire sont,
c’est le moins qu’on puisse dire, extrêmement conservateurs.
Quant au colloque
organisé au Sénat par l’OIDEL sur ce thème, il
n’a rassemblé que quelques dizaines de fidèles nostalgiques
d’un « ordre » ancien.
CHOISIR SON ÉCOLE
?
QUELLE DRÔLE D’IDÉE
!
Comment donc faire évoluer ce système
monolithique vers plus de diversité, et plus d’efficacité,
et permettre à des écoles affirmant clairement leurs choix
pédagogiques d’avoir les moyens de fonctionner dans le public comme
dans le privé, et d’être - réellement - accessibles
à tous ?
L’association « Créateurs
d’écoles » s’était donné comme objectif
dès 1992 d’imaginer un statut permettant plus d’autonomie à
des établissements publics ou privés désirant
mettre en oeuvre une pédagogie originale avec des enseignants volontaires.
Il aura fallu attendre que son animateur (Guy Bourgeois) devienne directeur
de cabinet du ministre de l’éducation en 1993 pour que l’on commence,
notamment dans le secteur privé, à s’intéresser à
ses propositions pourtant appuyées d'un solide argumentaire. Pas
longtemps, puisque tout semblait plus facile et plus rapide avec l’abrogation
à la hussarde de la loi Falloux !
Echec, et dispersion générale
car l’animateur n’étant plus en poste, il aurait fallu remplacer
les slogans par un véritable travail en profondeur.
Une commission « écoles différentes
» survécut quelque temps au naufrage, passant près
d’un an à rédiger une « plate-forme », chacun
veillant à ce que rien ne puisse sembler favoriser un tant soit
peu le collègue-concurrent, que rien ne puisse déplaire un
tant soit peu ni aux autorités, ni aux notables de son conseil d’administration,
ni à sa clientèle. Aussitôt terminé, le texte
pourtant incolore, inodore et sans saveur fut enterré très
soigneusement. Les mêmes et quelques autres ne mirent que quelques
jours à se mobiliser massivement et efficacement contre un projet
de nouvelle convention collective un peu plus favorable au personnel des
écoles privées.
Etonnant, non ?
Au printemps 96, à l’occasion de
violences scolaires médiatisées parce que s’étant
produites à intervalles rapprochés, ce fut au tour de Gabriel
Cohn-Bendit (1) de faire une proposition au même ministre, toujours
en place. « Laissez-nous constituer des équipes de volontaires
pour aller enseigner autrement avec les jeunes de ces collèges ou
lycées » disait la lettre ouverte parue dans Libération.
Deux réunions se tinrent à l’école Vitruve pour constituer
l’association. Dont une après-midi pour lui trouver un nom : «
Initiatives éducatives ».
François Bayrou reçut une
délégation : «Votre idée est intéressante,
mais je ne suis que ministre. Tenez-moi au courant». Encore
heureux qu’il ne lui soit pas venu l’idée machiavélique de
dire « chiche ! », car passées les vacances,
il fallut bien se rendre à l’évidence : les « volontaires
» se comptaient sur les doigts des deux mains.
Dispersion.
Le pluralisme scolaire, c’est-à-dire
la possibilité de prendre des initiatives pédagogiques, de
les assumer, et de proposer un véritable choix aux parents et enfants
ou adolescents, ne semble donc pas intéresser beaucoup d’enseignants,
qu’ils appartiennent au service public ou au secteur privé.
Intéresse-t-il beaucoup de parents
? On peut se le demander tant sont rares les écoles prises en charge
totalement ou partiellement par un groupe de parents ayant opté,
en collaboration avec des enseignants, pour un type de pédagogie.
La raison de cette situation tient peut-être
au fait que dans l’inconscient collectif de notre pays, l’école
est un service public, au même titre que d’autres. On y a droit,
sans avoir à s’y investir. A sa naissance, un enfant est pratiquement
pré-inscrit dans la crèche ou la maternelle de son quartier.
Le passage aux cycles suivants se faisant quasi automatiquement par transfert
du dossier. « Choisir son école ? » Quelle drôle
d’idée ! Choisit-on sa poste, son commissariat, sa paroisse, son
service de ramassage des poubelles ?
Cette passivité vient de loin. L’école
initialement affaire d’Eglise, n’est passée que progressivement,
et partiellement, aux mains de l’Etat. Les lois de 1882, dite Jules Ferry,
qui généralisèrent l’obligation et l’organisation
du service public, gratuit-laïque-obligatoire, s’inspiraient point
par point de celles promulguées outre-Rhin plusieurs décennies
auparavant sous l’impulsion des théories de Fichte. Des deux côtés,
il s’agissait de préparer la prochaine guerre, et donc de disposer
de soldats disciplinés, suffisamment instruits, mais pas plus, pour
comprendre et exécuter les ordres. L’industrie naissante avait à
peu près les mêmes besoins.
Il fallut l’effroyable boucherie de 14-18
pour que dans toute l’Europe, on en vienne enfin à soupçonner
l’école de n’être qu’un camp d’entraînement à
la soumission. Ainsi naquirent presque simultanément les pédagogies
dites « nouvelles » : Freinet, Montessori, Cousinet, Steiner,
Decroly, Neill, et autres courants tous attachés à considérer
chaque enfant comme un individu ayant des besoins, des rythmes, des capacités
propres à chacun. Ce qui est, encore aujourd’hui, d’une belle
audace.
De là établir une corrélation
entre un projet pédagogique et un projet de société,
il n’y a qu’un pas. Que certains mouvements franchirent sans réserve
et en affirmant clairement qu’il s’agissait aussi de promouvoir un autre
type de société. Tandis que d’autres semblaient - et semblent
toujours - s’accommoder de la société «telle qu’elle
est»... voire même telle qu’elle était.
Ce qui est à peu de choses près
la définition du conservatisme. Cette frilosité, ce
manque d’imagination d’un côté, et les impitoyables luttes
de clans de l’autre expliquent sans doute pourquoi ces courants n’ont,
pas plus aujourd’hui qu’hier, l’intention ni la possibilité de s’accorder
plus d’une heure sur plus de deux mots. Entre courants, mais aussi souvent
à l’intérieur de chacun de ces courants !
Quant à l’opinion, dont la principale
caractéristique est de ne pas en avoir, ou d’en changer à
chaque nouvelle édition du « 20 heures », elle ne s’intéresse
à ces questions que de façon très épisodique
et volatile : lorsqu’il s’avère qu’un - son - enfant
ne peut décidément pas s’adapter à l’école
du quartier telle qu’elle est,
étant bien évident qu’il
est hors de question que celle-ci fasse l’effort de s’adapter : ça
passe ou ça casse. Et ça casse de plus en plus souvent.
Dans la plupart des cas c’est à
ce moment, et à ce moment-là seulement qu’on se pose la question
de savoir s’il n’existerait pas d’autres écoles susceptibles de
convenir à « son » cas. Qu’on s’étonne
et s’indigne qu’il n’y en ait pas davantage.
Et c’est ainsi que selon le moment et le
milieu d’origine de la demande, ces écoles sont de plus en plus
contraintes - mais aussi quelquefois «à l’insu de leur plein
gré» - à devoir choisir entre le gotha et le ghetto
: spécialisées dans l’élevage-sélection de
«surdoués» ou dans le sauvetage-dressage des «
inadaptés ».
Pour la reproduction par cooptation d’une
« élite » très hiérarchisée, par
les titres et les salaires, chargée de faire avancer le troupeau
après neutralisation-élimination des « sauvageons ».
Les poètes, artistes, prêcheurs
et philosophes étant priés de mettre en scène, en
musique et en couleurs la comédie humaine par un simulacre de débats
voire d’agitation - raisonnable - le temps d’une pause - d'une diversion
- avant de reprendre la longue marche.
Vers Quoi ?
Pour éviter que le mammifère
en voie d’évolution - lente, très lente - connu sous le nom
d’ " être humain " ne soit tenté de se servir de ses neurones
et d’abuser de leurs connexions, il est une recette vieille comme nos grands
parents primates : la peur. De la mort, toujours. De l’inconnu, de l’autre,
du différent, encore aujourd’hui.
Si possible, hors des frontières,
pour en justifier l’existence et donc celle d’une armée, et du respect
lui étant dû, et des sacrifices financiers, et de la préparation
à des sacrifices humains ... par une nécessaire « éducation
» à la soumission.
Pendant un demi-siècle, ce fut
l’armée rouge qui remplit à merveille ce rôle d’épouvantail.
Au point qu’une très éphémère ministre de M.
Juppé confessa qu’elle avait adhéré au RPR le jour
de l’arrivée de M. Mitterrand au pouvoir, persuadée que les
chars russes allaient entrer par la Porte de Neuilly.
Je ne suis même pas sûr que
cette anecdote véridique fasse rire Neuilly encore aujourd’hui.
A intervalles réguliers, ce sont
les « terroristes » qu’il faut terroriser, en mettant nos villes
et nos écoles en état de siège. Ceux-ci se faisant
aussi rares que les chars russes, il a fallu se rabattre depuis sur les
pédophiles et les sectes, sans oublier les « drogués
» qui utilisent des produits non soumis à la TVA. Avec la
sécurité dans les transports et l’hygiène dans les
fromages, voilà de quoi alimenter les J.T., les talk-shows, les
magazines féminins, les colloques, les réunions de parents
d’élèves, et le cordon ombilical de son téléphone
portable. A défaut d’ennemi aux frontières, il fallait bien
en trouver à l’intérieur.
De quoi justifier aussi non seulement
le maintien en temps de paix, mais l’incessante augmentation des forces
et matériels de sécurité et de surveillance sous toutes
couleurs d’uniformes, mais aussi de plus en plus « banalisés
», au ras du sol comme dans la stratosphère.
Depuis la nuit des temps, surtout à
la nuit tombante, l’enfant d’homme adore qu’on lui fasse peur avec
des histoires de méchants loups, d’ogres et de sorcières.
Et que papa-maman le rassure juste avant qu’il ne pleure. Pour qu’il puisse
s’endormir en suçant son pouce.
De plus en plus infantilisé, irresponsabilisé,
stressé, crétinisé par les chauds et froids de la
journée, terrifié par les nouvelles du « 20 heures
», contrarié par les « débats » de société
jusqu’à 22 heures, mais un peu rassuré par les conclusions
du spécialiste et la ferme volonté du ministre à 22h30,
l’homme-enfant
peut s’endormir en suçant son portable. Après avoir appelé
un numéro vert pour une dernière délation.
Et on voudrait que nos enfants soient
« citoyens » ?!
L’école, comme la société,
n’ont en dépit des apparences, toujours pas été décléricalisées
: le clergé laïc et le religieux se partagent-disputent les
ouailles, toujours passivement soumises aux dogmes, catéchismes
de questions-réponses, épreuves d’intronisation, rites
d’excommunication, exorcismes, chasses aux sorcières, lapidations,
séminaires et rassemblements.
Ni démilitarisées : les
réformes suite à la consultation coordonnée par Philippe
Meirieu ne visaient qu’à, légèrement, démilitariser
le lycée. Les enseignants-adjudants n’en veulent pas. Les multinationales
avec leurs uniformes, badges, méthodes et langages stratégiques,
non plus.
Plus étonnant : tandis que le service
militaire disparaissait, le look des ados, et des plus jeunes, devenait
de plus en plus spartiate : cheveux courts ou crânes rasés,
vêtements uniformément sombres, le regard de même, et
... godillots de combat alternant avec les baskets de compétition.
C’est la guerre. Contre quoi, contre qui
?
Une école alternative ?
Pour une société alternative
?!
Qui n’en veut ?
ET AILLEURS ?
Il existe aux U.S.A. une multitude d’écoles
«
alternatives ». Mais ce terme recouvre là-bas tellement
de pratiques, et donc de projets, différents qu’il ne veut absolument
plus rien dire, et ne peut être à lui seul garant d’un
" mieux " ni pour les enfants ou adolescents, ni pour la société.
Il n’est plus qu’un terme générique désignant tout
ce qui est, ou peut paraître, différent de ce que les autorités
académiques de chaque Etat proposent en matière de scolarité.
Beaucoup d’états ont d’ailleurs
eux-mêmes organisé un secteur
« alternatif » : il s’agit
généralement d’écoles ou de lieux pour enfants ou
adolescents ne pouvant et/ou ne voulant pas ou plus entrer pas dans le
cadre « normal » (minorités ethniques, petits délinquants,
ou ce que nous appelons ici lycéens «
décrocheurs » ... c'est-à-dire parfois de simples
chahuteurs ou doux rêveurs qui s'ennuient. Mais aussi, et de plus
en plus souvent, des jeunes de milieux "défavorisés" ayant
tellement d'autres problèmes quotidiens à résoudre
!).
Le cahier des charges de ces structures,
moyennant quelques subventions, est clair : au mieux les remettre dans
les plus brefs délais en état de réintégrer
le circuit traditionnel, à défaut leur inculquer quelques
règles de comportement leur permettant de trouver un petit boulot,
et de rejoindre ainsi les millions de « working poors »,
et a minima les garder quelque temps encore à l’abri des circuits
de délinquance menant aux condamnations à répétition
et au couloir de la mort.
On y trouve aussi quelques réseaux
d’écoles alternatives au sens qui nous intéresse,
j’espère, aujourd’hui :
é m a n c i p a t r i c e s,
affirmant clairement leur refus d’une société de brutes épaisses
- mais néanmoins bigotes - dominée par l’argent-roi justifiant
toutes les croisades à l’intérieur comme à l’extérieur
de l’empire, derrière la bannière de la sécurité
ou de l'ordre moral.
Les parents y tiennent une place prépondérante,
participant dès la création au financement et à la
définition du projet, puis à sa mise en oeuvre. Certaines,
notamment celles du réseau de la N.C.A.C.S.
fonctionnent depuis plusieurs décennies, ce qui signifie que de
nouvelles familles prennent régulièrement le relais; et qu'il
s’en crée constamment de nouvelles.
Il peut s’agir d’écoles
au sens où les enfants sont regroupés dans des bâtiments
et espaces avec la présence permanente d’adultes, parents comme
enseignants; mais aussi d’écoles sans murs : les enfants
ou adolescents étant reliés par internet, avec des rencontres
ponctuelles, ce qui constitue une formule intéressante du «
home schooling ».
Au Québec, une législation
plus favorable permet également à un réseau d’écoles
publiques et alternatives de fonctionner. L’association Goeland
qui les fédère organise régulièrement des rencontres
et colloques donnant lieu à des publications soutenues par des Universités.
Des réseaux plus ou moins similaires,
purement associatifs et donc "privés" (= privés de subventions)
fonctionnent chez des peuplades étranges voisines de notre grand
pays.
En Grande-Bretagne, il s’agit essentiellement
des
"Small
Schools" reliées par l’association «
Human Scale Education ».
En Allemagne, et malgré l’hostilité
déclarée des autorités académiques de certains
«Länder», les "Freie
Alternative Schule" n’ont cessé de se développer
ces dernières années, tout comme aux Pays-Bas, les écoles
Iederwijs,
grâce à une étroite collaboration parents-enseignants
qu'on a beaucoup de mal à concevoir et pratiquer en francophonie
...
sauf en Suisse, comme par exemple à
l'Ecole
de la Grande Ourse.
Mais c’est au royaume du Danemark que la
situation est, depuis longtemps, la plus ... révolutionnaire pour
les jacobins pétrifiés que nous sommes : des centaines de
«petites
écoles» reliées à différents
courants pédagogiques fonctionnent selon le principe qu’à
partir du moment où un groupe de parents dépose un projet
d’ouverture, son financement est assuré à hauteur de 85 %
par les fonds publics.
N’allons surtout pas voir si « ça
marche » ! Ne profitons surtout pas du prochain colloque du Forum
Européen pour la Liberté en Education, qui a lieu dans
ce pays début juin. Le plus simple est de se dire que ça
n’a rien à voir, que c’est loin, que ce sont des gens tellement
différents de nous, d’ailleurs ils parlent danois, que c’est la
porte ouverte à toutes les dérives, que mon dieu, les sectes,
et les diplômes ?
Depuis qu’à propos d’écoles,
sont apparus les termes magiques de «parallèles»,
«sauvages», «alternatives» et ... «différentes»,
je pose inlassablement les questions : «de quoi ? pour quoi ?
pourquoi ? avec qui ? pour qui ? comment ?
et ... jusqu’où ?».
C’est l’armature du questionnaire
soumis - depuis 20 ans ! - aux écoles publiques et privées
figurant dans ce guide-annuaire.
A voir d’année en année
les contorsions auxquelles se livrent tant d’écoles pour ne pas
y répondre ou répondre à côté - c’est
plus facile de s’offrir de coûteux encarts publicitaires dans un
catalogue -,
à constater les mêmes esquives
de la part de tant de parents,
je me permets de douter haut et fort de
l’appêtit de mes concitoyens en matière de pluralisme scolaire,
d’éducation alternative - se réfèrant aux grands
courants pédagogiques de "l'éducation nouvelle" (pas à
"sos-éducation"
!), c’est-à-dire de véritable démocratie.
Le plus surprenant est que d’année
en année, les textes officiels se sont enrichis d’innombrables recommandations
allant dans le sens d’une plus grande diversité dans le système
public. De la loi d’orientation de 1989 aux textes concernant la réforme
des collèges du printemps dernier, tout permet désormais
le pluralisme à l’intérieur même du système
public.
Plutôt que de se lamenter sur le
niveau-qui-baisse, le danger des « lycées-light », ou
la concurrence du privé, il y aurait de véritables opportunités
à saisir. Mais, dogmes obligent, le Manifeste
pour une école créatrice d'humanité lancé
début février par Marie-Danièle Pierrelée,
est superbement ignoré, pour ne pas dire plus, par les mouvements
pédagogiques présents dans le système public. Etonnant,
Non ?
Bien sûr, l’administration, certains
syndicats et autres corporatismes traînent les pieds, font de la
résistance passive et active.
Mais les parents-citoyens ? Un sondage
paru le 15 août dernier (1999) révèle une forte progression
de leur demande de discipline et de travail plutôt que d’un éveil
au sens critique.
Bienvenue à toutes les sectes,
religieuses, marchandes ou militaires, dans le meilleur des mondes !
AU BOULOOOOOT !
J’avais pris l’habitude qu’on me demande
dans une émission de radio ou de télé, de faire court
(les phrases de plus de trois mots et les arguments de plus de trois phrases
endorment la ménagère de moins de 150 ans), et surtout de
po-si-ti-ver,
car l’énoncé des faits lui donne la migraine. Plus surprenante
est la même demande venant parfois d’enseignants, jeunes ou chevronnés,
dans un amphithéâtre d’université.
Je ne suis pas un publicitaire de chez
« Carrefour ».
Mais je ne suis pas là non plus
pour organiser un suicide collectif.
Je vais donc tout de même, enfin,
po-si-ti-ver :
Puisqu’en matière
de pluralisme scolaire comme d’éducation alternative,
nous en sommes pratiquement au point zéro ... tout, ou presque,
est à faire, et nous avons, c’est formidable, les outils pour le
faire.
C’est quand même plus po-si-tif que
de s’entendre dire que « Tout est bien, circulez y a rien à
voir ! ».
Non ?
A mon avis, et a posteriori, il est clair
que rien ne sortira jamais,
pas plus aujourd’hui qu’hier,
des stériles débats consanguins
franco-français.
Il serait grand temps que d’éventuels
amateurs de liberté
(pluralisme scolaire, éducation
alternative),
aillent s’aérer les méninges
(**) et fassent l’effort, prennent le risque,
de bousculer leurs dogmes
Et se mettent réellement au travail,
ici et maintenant.
Pas pour trouver le nom d’une 256°
association ou fédération,
élire son/sa président-e,
et susciter illico les vocations de calife-à-la-place-du-calife
!
Nos bavardages et querelles sont dérisoires
et suicidaires au regard des réalités et des enjeux d’aujourd’hui
et de demain.
-------
Note à propos du
titre de "président" qui m'a été donné
au début de ce forum :
je ne suis ni n'aspire à
être président de quoi que ce soit ...
sauf, et à vie,
et je signe :
R.A.
Président de la
commission douche froide-bain de siège.
mars 2000
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(1) Gabriel Cohn-Bendit vient de récidiver
(le 28 mars 2000) en expédiant ... une nouvelle "lettre
ouverte" au nouveau ministre de l'éducation.
(*) Le pillage se poursuit : Comment
prendrions-nous que des bandes d'Africains passent dans nos églises
et nos cimetières rafler objets d'art et reliquaires? "La
France amie des pillards"
(**) Depuis cette suggestion,
et avec tarifs low-costs ou pas, c'est fait :

Et
des hordes
de chercheurs et autres experts - en benchmarking ... "éducatif"
- font, refont, vont faire, et refaire, à grands frais, le tour
du monde, de la Finlande au Népal en passant par le Poitou, pour
en rapporter "les recettes qui marchent ailleurs" : un truc, une
ficelle, un tuyau, un gadget, bref un "concept innovant" avec son packaging,
qui sorti de son contexte culturel, social, politique, économique,
n'a aucun sens, aucune cohérence, aucune autre utilité que
celle d'un bricolage, d'une diversion, supplémentaire...
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allègrement
..." (...) Savez-vous que dans les pays scandinaves, vous n'avez
pas le droit d'ouvrir une école privée? Ici, non seulement
vous pouvez, mais vous obtenez automatiquement des subventions de l'Etat
si votre école correspond aux normes. Par conséquent, énormément
de gens s'inscrivent dans le privé. Il y a des listes d'attente.
(...)"
Claude
Allegre - Libération (11 04 2000)
Étonnant, non
?
- A moins que le Danemark ne fasse plus partie des pays scandinaves, non
seulement on y a le droit d'ouvrir une école privée, mais
l'Etat finance à hauteur de 75 à 85% d"innombrables "petites
écoles" crées par des groupes de parents et enseignants.
A constater sur place début juin à l'occasion du Forum
Européen pour la Liberté en Education ...
- Quant à "ici", si on a le droit d'ouvrir une école privée
, cela ne peut se faire au départ que "hors contrat", c'est-à-dire
non seulement sans subventions mais avec tous les contrôles prévus
par la nouvelle
loi. Et ce n'est qu'après 5 ans de fonctionnement, qu'une
école a "le droit" de demander un statut d'association (simple ou
complet) avec l'Etat. Qui ne lui est pas forcément accordé,
même si aucun reproche n'est formulé.
La raison donnée
pour le refus est souvent celle de la "carte scolaire" : l'administration
estimant que l'offre - en termes de places offertes, pas de pédagogies
- est suffisante sur le secteur ...