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École: le vrai débat se fait attendre
Libération - Emmanuel DAVIDENKOFF - 16 juin 2003

Des tabous sautent, mais reste le principal : la remise en cause des connaissances et de ses modes de transmission.

L'Education nationale ne sortira de la crise ni à court ni à moyen terme. Et le "débat national" que Luc Ferry doit relancer cette semaine risque de n'y rien changer. Trois indices montrent en effet que ce qui s'est brisé cette année dépasse de loin les facteurs conjoncturels du conflit dans l'éducation ­ fussent-ils fondés, par ailleurs.

Le premier fut perceptible dès l'orée de l'hiver. Les uns après les autres, les personnels de dizaines d'établissements ont exercé leur "droit de retrait" pour protester contre des conditions de travail jugées impossibles. Ce droit permet à tout salarié de cesser de travailler s'il s'estime exposé à un danger grave et imminent. En l'espèce, le danger venait des élèves ­ du moins, d'une partie des élèves ­ dans des établissements confrontés à des actes de violence graves et répétés. Cela revenait à affirmer en droit que les élèves étaient source de danger pour les enseignants. Etait-ce acceptable ? Légi time ? L'affaire fut réglée en catimini, et l'on évita de s'interroger sur le tabou qui venait de tomber : pour certains enseignants confrontés à des situations paroxystiques, l'élève pouvait devenir un ennemi. Les éditeurs avaient d'ailleurs préparé le terrain, multipliant depuis quatre ans les témoignages au bazooka signés par certains enseignants pour qui "l'élève" oscille entre le petit animal et le sauvageon.

Deux autres tabous sont tombés par la suite. Ils ont été longuement commentés : l'of fense faite à ce que représente un livre, avec le sort réservé par quelques professeurs à l'ouvrage de Luc Ferry ; puis les incidents lors des épreuves du BTS ou du baccalauréat. Il était aisé de rebondir sur ces événements pour diviser le pays. Le gouvernement ne s'en est pas privé ; les députés UMP non plus. Il faudra pourtant en comprendre la signification profonde, pour la simple raison que notre école devra bien continuer à vivre avec ceux qui en furent les auteurs.

Pour cela, il convient effectivement de débattre des missions de l'école, et par là même de ceux qui la font vivre. Or les conditions d'un tel débat sont loin d'être réunies. Cela ne tient pas au caractère hystérique des anathèmes échangés ces dernières semaines, mais bien plus au formidable mensonge sur lequel (sur)vit notre système éducatif depuis les années 60 : structurellement, l'école ne veut pas de tous les élèves, contrairement à la légende ânonnée depuis quarante ans.

Alors que la France s'engage dans un vaste mouvement de démocratisation de l'accès aux études, elle se prive à cette époque de tous les leviers qui auraient permis d'accueillir dans des conditions correctes les nouveaux venus ­ au collège, au lycée, puis à l'université. Si le mode de recrutement et les méthodes d'enseignement des professeurs de ce qui allait devenir le "collège unique" n'avaient pas été calqués sur ceux du lycée, la suite de l'histoire eût été différente. Le Snes prit alors la responsabilité historique de défendre un collège pour tous calé sur le modèle du lycée ; tout ramène à cette erreur originelle. Pa ra che vant un mouvement engagé depuis le XIXe siècle, l'Etat exonère alors les enseignants du second degré de tout un pan de leurs missions, pour ne garder que l'essence du métier : l'enseignement, stricto sensu. Plus de tutorat (même si on y revient doucement), plus d'études surveillées (idem)... Statutairement, le professeur du secondaire est là pour enseigner, pas pour éduquer ­ ce qui ne signifie pas que des dizaines de milliers d'entre eux ne fassent pas "plus" ; il s'agit ici de désigner un aspect structurel du système, qui ne nie aucunement la formidable bonne volonté dont les personnels peuvent faire preuve, laquelle se heurte d'ailleurs bien souvent aux inerties de la structure.

Autrement dit : au moment même où il aurait fallu enrichir la ressource publique, l'Etat renvoie à la sphère privée toute une série de responsabilités... que seuls les mieux nantis, culturellement plus qu'économiquement, savent assumer. De fait, la privatisation de l'école est depuis belle lurette derrière nous et elle n'aura pas eu besoin du renfort des ultralibéraux pour prospérer. Pire : quoi qu'en pensent ceux qui estiment que le combat est à venir, cette privatisation a été pensée au nom et au sein du service public depuis quarante ans.

Résultat : au nom d'un égalitarisme purement formel, certains enseignants, ainsi que leurs organisations représentatives, défendent aujourd'hui l'intégrité d'un système qui n'a peut-être jamais été aussi inégalitaire, notamment en termes d'accès aux savoirs. Ici, l'hypocrisie ajoute au scan dale : chacun sait que l'enseignement privé ne prospère pas sur un quelconque retour du religieux mais sur les lacunes du public. Que cela n'ait pas suffi à susciter une vaste remise en question des modalités de fonctionnement de l'école laisse pantois. Mais ce tabou-là n'est pas encore tombé : aucun gouvernement ne semble prêt à s'attaquer à la question névralgique de la nature des connaissances que l'on transmet et à ses modes de transmission ; en clair, à ce qui se passe là où se joue l'essentiel : dans la salle de classe.

Ce débat, qui ferait voler en éclats les lignes de partage habituelles (qu'elles soient politiques ou syndicales), n'aura donc probablement pas lieu, précisément pour cette raison. Et l'école continuera de jouer le rôle ambivalent qui est le sien depuis la fin du XIXe siècle. A la fois produit et matrice de la société, elle en reflète le meilleur comme le pire ­ ici, son caractère inégalitaire et son incapacité à produire plus de justice sociale. Elle sera pourtant défendue par des forces réputées sensibles aux notions d'égalité et de progrès ­ pour dire vite : des forces "de gauche". En ce sens, Ferry aura peut-être rempli son contrat de ministre philosophe en contribuant, fût-ce involontairement, à faire imploser les systèmes de représentation vérolés qui offraient jusque-là un semblant de cohérence à notre école.

Reste à savoir comment reconstruire sur ce qui a été déconstruit. La défiance des personnels de l'éducation à l'endroit de toutes les instances qui sont censées représenter le collectif ­ partis, gouvernement, syndicats, médias, etc. ­ est telle qu'il conviendrait peut-être de saisir directement les Français. Nombre de politiques et de cadres de l'institution scolaire y sont opposés, de peur de réveiller de vieilles fractures. Elles sont désormais béantes et exposées à tous. Est-on toujours certain, aujourd'hui, que le remède serait pire que le mal ?
 


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