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École : grand débat, petits résultats
Par Véronique Grousset - Le Figaro - 17 janvier 2004

Les 15 000 réunions publiques du «grand débat sur l'école» se sont achevées cette semaine. L'une de nos journalistes en a animé une. Pour voir.

C'était un samedi matin pluvieux de la mi-décembre. Un temps à faire la grasse matinée. Un jour à faire ses courses de Noël. Les parents d'élèves n'étaient donc pas nombreux, à peine une dizaine en début de réunion, moins d'une quinzaine à la fin. Mais les autres, les 60 millions de Français théoriquement invités par la commission Thélot à donner leur avis dans le cadre du grand débat sur l'école étaient, eux, totalement absents.
Ce qui se comprend... étant donné qu'à l'exception des 300 familles d'élèves, prévenues par le carnet de correspondance, aucun des 25 000 autres habitants du quartier n'était au courant. Pas une affiche, pas une annonce dans les rues ou dans les boîtes aux lettres pour signaler la date de cette unique réunion. Pas même un simple avertissement, fût-il griffonné sur une feuille blanche, derrière le grillage du panneau suspendu à la façade de ce petit collège parisien, situé dans un arrondissement sans problème, aussi bourgeois-bohème qu'à «forte mixité sociale ».

Nous étions donc en petit comité ; comme partout à Paris, et comme souvent ailleurs en France, où les 15 000 réunions ne semblent pas avoir déplacé plus d'un million de participants au total, enseignants (qui sont pourtant 885 000) et parents d'élèves (plus de 13 millions) compris. Pas assez nombreux pour constituer plusieurs ateliers, nous nous asseyons tous spontanément autour de la même table.

Côté parents : un jeune couple venu là «en curieux, pour s'informer », un père de cinq enfants taraudé par les problèmes de discipline et de violence, quatre déléguées d'une même association de parents d'élèves, armées d'une pile de notes, deux autres mamans nettement plus zen, bien que très préoccupées par «le bien-être et l'épanouissement » de leurs enfants, et une animatrice, par ailleurs auteur de cet article, mais néanmoins décidée à écouter les autres en oubliant tout ce qu'elle croit savoir du sujet. Côté Education nationale : la principale du collège, escortée d'une jeune enseignante tout juste émoulue de son école de formation, option «éducation physique ».

Chacun s'étant plus ou moins présenté, nous commençons par rappeler en quoi consiste le grand débat. Ses modalités, ses objectifs et sa finalité. Les 22 questions dont les 15 000 réunions publiques doivent permettre de discuter. La synthèse générale qui en sortira en mars. Le rôle de la commission Thélot. Et le nouveau «projet de loi d'orientation scolaire » sur lequel tout cela doit déboucher, avant la fin 2004. Mais il faut souvent s'interrompre, expliquer davantage, faire circuler des documents, car tous les participants (à l'exception de la principale et de l'enseignante) ignorent en fait l'objet de cette réunion ! A commencer par les quatre représentantes de la fédération de parents d'élèves, à qui nous devrons plusieurs fois rappeler que nous ne sommes pas ici pour discuter des problèmes de ce collège en particulier mais de ceux de l'Education nationale en général... et qu'il n'est pas question d'en profiter pour interpeller la principale.

L'accessoire prime sur l'essentiel

Mais bon, au bout d'une demi-heure, la discussion finit quand même par s'engager. Autour de six questions, dont trois sélectionnées à l'avance par le conseil d'administration du collège dans la liste des 22 proposées par la commission Thélot («Comment motiver et faire travailler efficacement les élèves », «Comment lutter efficacement contre la violence et les incivilités », «Quelles sont les valeurs de l'école républicaine ») et trois suggérées par les parents présents («les moyens humains, matériels et financiers sont-ils suffisants», «comment l'école doit-elle s'adapter à la diversité des élèves» et «la place du corps à l'école»).

Oui... la place du corps à l'école. Car ce qui apparaît très vite, quel que soit le sujet soumis à la discussion, c'est que les parents qui ont fait l'effort de se déplacer ne s'intéressent guère aux thèmes proposés par la commission Thélot. Ou, plus exactement, ils ne s'estiment pas compétents pour en discuter. Ce qui les obsède, surtout s'ils sont militants d'une association, c'est de savoir si leur enfant, leur propre enfant, est heureux ou non à l'école ; et comment l'école pourrait s'y prendre pour qu'il le soit davantage. La question de l'instruction proprement dite, celle des programmes, du niveau, des exigences, de la notation, de l'orientation ou des diplômes n'est pas abordée. Ou difficilement ; au forceps, à contrecoeur. Un peu comme si l'on n'était pas ici pour parler de l'école et de l'avenir des élèves, mais d'une garderie, ou d'un camp de vacances. Les parents (ceux qui sont présents, en tout cas) se plaignent que la pression « est trop forte sur les résultats scolaires», que leurs enfants sont « angoissés», que l'école ne « les valorise pas assez», ou ne « les socialise pas assez». Ils réclament davantage d'expression corporelle, d'heures de vie, de parcours de découverte, de travail en groupe ou de conseils des enfants ; tout ce qui pourrait concourir, d'après eux, « à ce qu'ils retrouvent l'envie d'aller à l'école». Tout ce qui a contribué à ce qu'ils s'y ennuient, à travers l'appauvrissement de ce qu'ils y apprennent.

Vingt fois nous tentons de remettre les questions officielles sur le tapis. Cent fois, ils s'en écartent. Toujours pour les mêmes motifs : ils ne s'estiment pas assez informés pour en discuter, ou cela ne leur paraît pas concerner suffisamment leur propre enfant. La seule fois où ils s'animeront vraiment, c'est lorsqu'une poignée d'enseignants venus d'un autre établissement, entrés là « pour dire bonjour» en fin de matinée, lancera la discussion sur le sujet des relations entre parents d'élèves et enseignants. On nagera alors pendant dix bonnes minutes entre angélisme et autisme intégral : tous les parents se considérant comme parfaits, et tous les enseignants leur expliquant en quoi ils ne le sont pas.

Un bon exemple de ce que furent les autres réunions ? Difficile à dire. Les 15 000 synthèses sont certes consultables en ligne, département par département, sur le site internet de la commission Thélot (www.debatnational.education.fr), mais il ne s'agit justement que de synthèses, rédigées pour rendre compte de ce que les différents animateurs ont réussi à extirper de vaguement utile, ou d'à peu près intelligible, de plusieurs heures de débat. Elles ne restituent évidemment pas l'éventuelle confusion des interventions, ni l'inanité de certaines discussions. Mais qu'importe puisque l'objectif n'en est pas moins atteint : le futur « diagnostic sur l'école» pourra être qualifié de «partagé».

Sans que nul ne s'interroge sur la compétence du million de médecins que l'on a invités à se prononcer. Ni sur le sort du malade.


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