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Les «agoras» doivent sortir du politique et s'élargir à toutes les forces vives concernées par l'enseignement.
Quel grand débat pour l'école ?
Par André GIORDAN, Claire HEBER-SUFFRIN, Georges HERVE, Albert JACQUARD, Bruno MATTEI et Michel PORTAL
Libération - 03 décembre 2003

André Giordan, professeur à l'université de Genève, Claire Héber-Suffrin, membre des Réseaux d'échanges réciproques des savoirs, Georges Hervé, de l'association Réveil, Albert Jacquard, généticien, Bruno Mattéi, professeur à l'IUFM de Lille, et Michel Portal, de l'association AERE.

Que quinze mille débats fleurissent sur les «agoras» de la République ! Après une première phase réservée à la commission Thélot, chargée d'établir un diagnostic sur l'état de l'école et une feuille de route, le «grand débat public» sur l'avenir de l'école démarre. Le danger demeure qu'il soit «retenu» dans les limites de la raison politique, qui, elle, a déjà son idée sur la prochaine loi d'orientation qui doit être présentée au Parlement et votée, à l'issue du débat, à l'automne 2004 ou au début 2005. On peut repérer quatre questions majeures dont nous pensons qu'elles devraient être, d'une façon ou d'une autre, au centre des «agoras».

1. La première urgence est sans doute de redéfinir la (ou les) mission (s) de l'école. Car celle (s)-ci se décline(nt) aujourd'hui sous de multiples objectifs (en particulier instruire, développer la personnalité, former le citoyen, insérer socialement et professionnellement), lesquels sont souvent susceptibles d'interprétations diverses, voire contradictoires, faute d'un fil de cohérence déterminant un projet qui fasse sens pour les élèves et les enseignants. Et qui donne à penser à ces derniers qu'ils participent à une entreprise tant soit peu commune, et non qu'ils bricolent à la carte et à leur façon, le plus souvent chacun dans leur coin. Cette cohérence d'une mission doit elle-même reposer sur les finalités clairement identifiées qu'une société démocratique assigne à son éducation. Ce qui est d'autant moins le cas aujourd'hui que la déferlante d'un libéralisme extrême déporte l'école vers une privatisation rampante qui fera bientôt du service public et d'un «bien commun» éducatif une aimable fiction.

2. Le deuxième objet devrait prendre en charge les impasses engendrées par l'échec de la démocratisation qui se font sentir par toutes sortes d'effets dévastateurs : violences, incivilités, désertion du sens d'apprendre ou d'aller à l'école pour de plus en plus d'élèves. Quarante années de réformes, dites démocratiques, qui aboutissent à maintenir et même à aggraver les inégalités socio-scolaires et l'exclusion des plus démunis devraient donner à penser qu'il y a urgence à refonder l'école sur ses valeurs de référence abandonnées dans les faits (en particulier, l'égalité des droits et pas seulement des chances, la solidarité et la fraternité). A cet égard, il est inquiétant de constater qu'aujourd'hui la majorité des enseignants ne croient plus, selon des sondages et des études récentes, que l'école puisse contribuer à réduire les inégalités. C'est d'ailleurs sur le fond de cette déroute que le gouvernement vient d'annoncer de son côté la fin du collège unique, qui ne l'a d'ailleurs jamais été.

3. De façon conséquente, le troisième objet doit impliquer une réflexion de fond sur les savoirs dont les élèves doivent disposer pour comprendre et agir dans un monde en mutation. Des savoirs qui ne doivent pas se limiter à des contenus et à des disciplines issues du XIXe siècle pour aborder le XXIe siècle !, mais qui doivent ouvrir sur une authentique culture commune valorisant la mixité sociale et non pas considérer cette dernière comme un pis-aller ou un fardeau. Apprendre sans exclure, apprendre à réussir ensemble dans un cadre de coopération, de solidarité active, et non de compétition exacerbée devrait devenir enfin le souci majeur d'une école où la démocratie ne serait pas simplement un mot ou un décor.

4. Mais si l'on veut vraiment être capable de répondre à ces défis, alors comment ne pas voir que les changements doivent porter non pas d'abord ou uniquement sur les moyens, l'organisation, la gestion ou la pédagogie, mais tout autant sur la transformation des mentalités qui génèrent des pratiques d'exclusion et des jugements invalidants et arbitraires sur les élèves, leurs potentiels et leur orientation. Ce travail de transformation personnelle et collective qui doit accompagner les transformations de l'institution n'a rien d'évident, car il n'est pas à l'ordre du jour des formations et nécessite pourtant de faire lever des compétences ou des dispositions nouvelles d'ordre transversal, relationnel et éthique. Raison de plus pour que ces questions soient posées dès maintenant.
On comprend qu'un débat de cette ampleur suppose une dynamique de réflexion citoyenne, au-delà du cadrage gouvernemental, qui ne peut s'initier qu'à la base au sein des communautés éducatives, élargies à toutes les forces vives concernées par l'école, se développant progressivement au niveau local et régional pour conduire, si le souffle en est suffisant, à des états généraux de l'école qui contribueront à orienter la décision politique.
Il est des rendez-vous qu'il vaut mieux ne pas manquer. Les échanges qui vont avoir lieu doivent être l'occasion d'animer ou de provoquer les dialogues, les réflexions et les propositions. Il s'agit de refonder l'école sur une «politique de civilisation» (Edgar Morin), et à travers elle, d'éveiller à un monde commun, désirable et sensé, sans lequel, nous le savons bien, de plus graves périls nous attendent encore.


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