Il est grand temps de
changer l'école
Claire BRISSET - 22.12.05 - Le Monde
Notre système scolaire s'est transformé en machine à
exclure. Comment s'en étonner quand les programmes destinés
aux collégiens sont élaborés dans un jargon incompréhensible,
quand les enseignants sont mal préparés et les outils inadaptés
?
La chose est déjà formidable. Tout aussi formidable est la rédaction du programme élaboré par l'éducation nationale pour cette même classe de troisième ; il est en effet de la même eau, précisant que « l'accent est mis en classe de troisième sur la dimension axiologique du lexique », et les auteurs des manuels reprennent ces programmes à la lettre, sans l'ombre d'une modification. Nous avons donc des adolescents de 15 ans soumis à ces consignes incompréhensibles, alors même que l'on se désole de voir plus de 100 000 enfants quitter le système scolaire sans aucune qualification. Quelle formidable machine à exclure que ces programmes totalement coupés de la langue, de la vraie langue, celle qui sert à communiquer ! Quel extraordinaire aveuglement sur la vie réelle des enfants, des adolescents et sur leurs enseignants, que de leur imposer le maniement de concepts dérivés de la linguistique la plus savante, directement importés de l'Université au collège ! Il est temps, vraiment temps, de dire et de redire que l'école s'adresse aux enfants, aux adolescents, qu'elle doit leur parler une langue qu'ils comprennent ; grand temps de soutenir les efforts des enseignants à qui la société confie ce qu'elle a de plus précieux. Notre société continue de s'interroger constamment sur
le rôle de l'école : est-elle avant tout un outil de transmission
du savoir ? Ou bien un lieu d'éducation, au sens large du terme
?
ELÈVES ET PROFESSEURS SOUFFRENT Est-ce le cas ? Est-ce le cas dans un pays, le nôtre, qui continue à penser que pédagogie et psychologie de l'enfant et de l'adolescent ne doivent occuper qu'une place marginale dans la formation des futurs enseignants, sous prétexte que la pédagogie serait un don inné ? De tous les pays industrialisés, la France est le seul à maintenir cette position dont on mesure à quel point elle peut placer les enseignants, notamment les plus jeunes, en très grande difficulté. Cela me semble être un point essentiel : la psychopédagogie doit trouver une place centrale dans la formation de tout enseignant, et un véritable tutorat des jeunes professionnels par les plus anciens doit être restauré. Ce tutorat s'est délité au fil du temps, et de très jeunes professeurs se voient confier des classes qui les angoissent, sans y être suffisamment préparés. Ils s'en plaignent d'ailleurs amèrement. Le ministre de l'éducation, Gilles de Robien, s'est engagé dans un travail absolument essentiel pour l'avenir de l'école, donc des enfants et adolescents de notre pays : revoir les programmes de formation des futurs enseignants - à savoir leur donner réellement les outils dont ils ont besoin. Sans cet effort, sans ce travail de fond, notre système scolaire continuera, sur sa lancée, d'exclure, année après année, des dizaines de milliers d'enfants dont il a pourtant la responsabilité éminente de préparer l'avenir. Ce travail courageux doit être soutenu et salué, comme le sera, je l'espère, le chantier - qui reste entièrement à mener - sur l'adaptation des programmes et des manuels. En d'autres termes, changer l'école, ce n'est pas seulement ouvrir
le dossier de l'éducation prioritaire. Certes, ce point est, lui
aussi, essentiel, et les mesures annoncées, qui parent au plus pressé,
auraient dû être prises depuis longtemps.
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