alternatives éducatives : des écoles, collèges et lycées différents
| LE GUIDE-ANNUAIRE | Présentation | SOMMAIRE |
I Obligation scolaire et liberté I Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop ! Appel pour des éts innovants et coopératifs |
 
 
 
La droite et la gauche jouent à criminaliser une grande partie de la jeunesse
parce qu'elles ne se sentent pas capables d'agir sur les causes de la délinquance.
Effrayante campagne
 Par François DUBET
François Dubet est sociologue.
Libération - Le mercredi 20 février 2002

Bien des élus et des candidats répètent bêtement le slogan de la tolérance zéro. Ils pensent que le problème de la délinquance juvénile est une simple affaire de police.  'accord, la sécurité est un problème. D'accord, le sentiment d'insécurité n'est pas un simple fantasme, une peur irrationnelle des individus et des groupes les plus fragiles, les plus faciles à effrayer. Pour imparfaites qu'elles soient, les statistiques des délits ne doivent pas être prises à la légère. Certains quartiers sont devenus invivables et bien des écoles ont du mal à contrôler les conduites des adolescents. Il ne s'agit pas de nier l'existence d'un problème de délinquance juvénile et de sécurité.

Mais cela justifie-t-il que la campagne électorale qui s'engage en fasse le seul problème, le coeur de tous les débats, de tous les affrontements et de toutes les démagogies?

1) De toutes les démagogies d'abord, parce que l'insécurité apparaît moins comme un problème que comme un fait. Et pour transformer la myriade des délits et des peurs en enjeu politique, il faut un certain travail. Il faut que la presse et la télévision martèlent les faits divers afin que chacun finisse par croire que ça s'est passé près de chez lui. Il faut construire des stéréotypes: toutes les grandes cités de banlieue sont dangereuses, tous les jeunes qui y habitent sont délinquants, tous les trains sont des coupe-gorge, tous les adultes sont des pédophiles potentiels, toutes les insultes entre les jeunes sont des menaces de mort... Il y a suffisamment de faits divers pour alimenter la peur et convaincre les gens que là est leur véritable problème. Plus la police et la justice seront efficaces, plus les individus porteront plainte, et plus les statistiques démontreront que l'on a raison d'avoir peur. Dire que le sentiment d'insécurité est manipulé ne veut pas dire que la délinquance n'existe pas, mais si l'on compte le vol de trousse à l'école pour un délit grave, il n'y a pas de raison pour que les peurs se calment.

2) Démagogie et manipulation de la peur parce que la mise en scène de l'insécurité appelle toujours la seule solution qui paraît raisonnable: la répression, le renforcement des pouvoirs de police, la prison pour les mineurs, la mise en accusation des parents et, pourquoi pas, la peine de mort. Si je résiste à cette politique, ce n'est pas parce que la répression serait moralement condamnable, mais plus simplement parce qu'elle est largement inefficace. Chacun sait que la prison enferme la plupart des jeunes détenus dans des carrières criminelles, on sait que les régimes les plus répressifs n'ont pas rétabli la sécurité, ils ont simplement criminalisé une partie de la population. On oublie aussi volontiers que les jeunes coupables sont très largement des victimes et que, en les transformant en figures du mal, on les enfoncera dans les conduites que l'on veut combattre. Mais les temps électoraux ne sont pas faits pour les idées trop compliquées...

3) Quitte à faire vieux jeu, quitte à paraître vaguement gauchiste et sentimental, il faut rappeler que la sociologie nous apprend de manière imperturbable que les jeunes délinquants sont issus des milieux les plus mal traités de notre société. Ces coupables sont aussi nos enfants, c'est nous qui les avons logés dans des cités invivables; c'est nous qui leur offrons une télévision débilitante, celle qui les condamne d'ailleurs; c'est nous qui les mettons dans une école qui leur interdit de croire qu'ils ont un avenir, c'est nous qui laissons se développer des ghettos et qui admettons, de fait, la ségrégation à l'emploi... Bref, c'est nous qui fabriquons les conditions de la délinquance et de la rage des jeunes et qui fédérons nos solidarités sur la haine de ceux qui sont tout autant des victimes que des coupables. D'une certaine manière, avec l'obsession de la sécurité, nous nous laissons aller à la haine de soi puisque c'est nous qui fabriquons les classes dangereuses qui nous effraient tant.

4) Avec la peur, la droite a trouvé un thème de campagne aussi traditionnel que nécessaire puisqu'elle semble muette sur tous les autres points, sinon pour affirmer sans rougir qu'elle peut augmenter sensiblement le prix de la consultation médicale tout en diminuant, tout aussi nettement, les charges sociales. Quant à la gauche, elle semble tétanisée, elle laisse accroire que les peines de prison se sont allégées, ce qui est faux, elle n'a pas plus d'idées que la droite et se lance sans conviction sur un terrain où elle apparaîtra toujours moins crédible. Parfois même, quand elle se veut républicaine, elle fait plus. Au fond, tous jouent à criminaliser une grande partie de la population et de la jeunesse parce que ni les uns ni les autres ne se sentent capables d'agir sur les causes de la délinquance. Tout se passe comme si le seul enjeu était de fédérer la peur des «autres», de ceux qui paraissent définitivement chassés des murs de la cité.

5) En général, la France craint de devenir les Etats-Unis. Elle a parfois tort, souvent raison. Actuellement, on se met à imiter, sans même le savoir, ce que les Etats-Unis ont de pire. Bien des élus et des candidats répètent bêtement le slogan de la tolérance zéro, ils pensent que le problème de la délinquance juvénile est une simple affaire de police, ils croient que l'on peut, sans être une société d'apartheid, réserver le couvre-feu aux enfants de certains quartiers et pas des autres. Et puis, nous n'avons plus de mémoire: la délinquance a diminué en France dans les années 50 et 60, après les ordonnances de 1945 sur la délinquance des mineurs, quand il y a eu du plein-emploi, quand l'école s'est ouverte, quand on a fermé les maisons de redressement, quand elle a fait le contraire de ce qui nous est proposé.

6) Ainsi s'engage cette campagne électorale. A moins de deux mois de l'élection, personne n'y parle clairement de la politique de la ville et des politiques d'immigration. Personne ne s'aventure à dire ce qu'il fera de l'école et de la formation. Personne n'ose parler de l'avenir des systèmes de retraite et du système de santé... Personne ne parle de ce qui pourrait fâcher, c'est-à-dire de ce qui pourrait froisser des électorats qui se sentent unis tant qu'ils n'ont pour point commun que la peur des délinquants et des gosses de banlieue. La démocratie mérite plus que cela, y compris dans le traitement des problèmes de délinquance et de sécurité.


LE GUIDE ANNUAIRE DES ECOLES DIFFERENTES
| LE GUIDE-ANNUAIRE | Présentation | SOMMAIRE |
| Le nouveau sirop-typhon : déplacements de populations ? chèque-éducation ? ou non-scolarisation ? |
| Pluralisme scolaire et "éducation alternative" | Jaune devant, marron derrière : du PQ pour le Q.I. |
| Le lycée "expérimental" de Saint-Nazaire | Le collège-lycée "expérimental" de Caen-Hérouville|
| L'heure de la... It's time for ... Re-creation | Freinet dans (?) le système "éducatif" (?) |
| Changer l'école | Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop !| L'école Vitruve |
| Colloque Freinet à ... Londres | Des écoles publiques "expérimentales" |
| 68 - 98 : les 30 P-l-eureuses | Et l'horreur éducative ? |