Un
seul ministre avait bien perçu cette dynamique négative :
Edgar Faure.
«
En décrétant le changement, disait-il, l’immobilisme s’est
mis en marche et je ne sais plus comment l’arrêter. »
C’était
lors de la mise en place de sa réforme de l’Education nationale...
en 1968 !
Depuis,
tout n’a jamais fait que se répéter.
Ecole, pour la réforme
informelle
Par André Giordan, professeur à l’université de Genève, directeur du Laboratoire de didactique et épistémologie des sciences. 16 février
2005 - Libération
Mieux vaudrait utiliser les ressources des enseignants
qu’imposer sans cesse de nouvelles lois.
Cette difficulté de mutation n’est pas l’apanage de l’école : toute organisation réagit de la sorte. Dans tout système humain (individu, service, entreprise, institution), le fait de légiférer ou de décréter un changement immédiat et brutal est ressenti par ses éléments ou ses membres comme un diktat. Tous le vivent comme une agression et réagissent immédiatement en opposant toute l’énergie de leurs résistances. Sur un plan européen, nous constatons que les institutions qui ont le plus fait l’objet et les frais de tentatives de réformes maladroitement engagées s’avèrent précisément celles qui ont le plus de mal à évoluer. Il en résulte à chaque fois un peu plus d’immobilisme. Dramatique en période de mutation. Tout supposé changement est perçu par les personnes comme un déni, l’école mobilise ses freins pour se maintenir en l’état. Et pour les quelques téméraires ou les plus obéissants, ou encore, pour ceux qui se laissent tenter par quelques sirènes rénovatrices, le retour sur terre est toujours brutal. Par exemple, que sont devenus les enseignants qui se sont investis dans l’Ecole du XXIe siècle de Claude Allègre ? Ce sont aujourd’hui les plus conservateurs. Ils ont été lâchés en rase campagne six mois après, sans un mot de remerciement. Et ceux qui ont cru au développement de l’éducation artistique lancée par Jack Lang ? Comment les remotiver ensuite pour une nouvelle épopée ? Un seul ministre avait bien perçu cette dynamique négative : Edgar Faure. « En décrétant le changement, disait-il, l’immobilisme s’est mis en marche et je ne sais plus comment l’arrêter. » C’était lors de la mise en place de sa
réforme de l’Education nationale... en 1968 !
Ce sont les conditions de base pour obtenir la coopération des membres et des parties d’une organisation dans sa dynamique d’évolution. Et cette approche requiert toute la vigilance du promoteur de changement. Si celui-ci met l’accent sur les défauts et cherche en premier lieu à les éliminer, il a toutes les chances d’activer les blocages et par effet rétroactif de renforcer les dysfonctionnements repérés. Par contre, le respect et la valorisation des systèmes humains et des personnes dynamisent leurs possibilités d’évolution et les autonomisent. Paradoxalement, c’est au moment où l’on
s’accepte dans ses propres manques et où l’on se sent reconnu que
l’on peut entrer le plus facilement dans un processus de changement.
C’est cette culture du changement qu’il s’agit d’injecter dans nos organisations, et pour commencer à l’école. Nombre d’enseignants sont déjà prêts à s’y lancer si on leur lâche les baskets, si on les reconnaît dans leurs efforts et leurs compétences, et surtout si on les accompagne dans leurs faux pas. Pour les autres, tout est une affaire de recrutement, de formation et de reconnaissance... Sur ce dernier plan, un ministre a alors peut-être sa place... Dernier ouvrage paru : Apprendre ! BELIN EDITIONS, nouvelle édition 2004. |