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 ÉLÈVES INTELLECTUELLEMENT PRÉCOCES
Parcours scolaire des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières à l’école et au collège
CIRCULAIRE N°2007-158 DU 17-10-2007
- amélioration de la détection, de l’information des enseignants et des parents
- organisation de systèmes d’information (départemental ou académique)
 
  

Surdoués : mode d'emploi 

Dossier réalisé par Martine Betti-Cusso, Cyril Hofstein, Patrice de Méritens et Dominique Rizet
[Figaro Magazine - 18 juin 2005]


 Qu'est-ce qui distingue les enfants précoces des surdoués, ou des génies ? Est-il indispensable de les éduquer différemment ? Et comment doit-on le faire ? Les dernières réponses de la psychologie moderne. ...

    Un fonctionnement «hors normes» de la mémoire
    La galère des parents
    L'intelligence un concept hors mesure
    Le parcours d'une (jeune) combattante
    Dix années de retard
    Impliquer les entreprises
    Un terrain fertile, laissé en friche
    Un «petit génie», repéré au service militaire
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Surdoués : mode d'emploi

La beauté est une demi-faveur des dieux, l'intelligence en est une entière. En mettant ce proverbe peul en épigraphe de leur ouvrage l'Enfant doué (1), la psychologue Arielle Adda (2) et la psychopédagogue Hélène Catroux (3) se placent d'emblée sous le signe du poétique. N'ont-elles pas raison ? La question du «surdouement» demeure politiquement trop délicate, avec ses querelles sur l'inné et l'acquis, pour ne pas commencer, dans ce monde de brutes, par un brin de douceur.

Parlons chiffres, d'abord : 5% des enfants sont intellectuellement précoces, soit un à deux par classe. On estime par conséquent que la France en abrite sept cent mille, dont les performances sont ou pourraient être mises en évidence par une batterie de tests initialisés par Binet au début du siècle dernier et déclinés aujourd'hui, après adjonctions et variantes, sous les formes mises au point aux Etats-Unis par Wechsler. L'évaluation du quotient intellectuel moyen (QI) est de 100, dans une progression qui va de 46 à 160. On commence à parler de «surdouement» à 125 (norme française) et plus encore à 130 (norme internationale). La moitié de la population se situe entre 90 et 110. Un quart en deçà, un quart au-delà. Mais 5% seulement atteignent le chiffre de 125, 2% celui de 130 et 1% celui de 145. Une seule personne sur cent mille étant par ailleurs dotée d'un QI égal ou supérieur à 160.

La terminologie, ensuite. Ne serait-ce que pour éviter de confondre «surdoué» et «génie».

«On utilise souvent le terme de génie pour des personnes ayant acquis une réputation planétaire dans des matières spécifiques, comme, par exemple, la physique, les mathématiques, ou qui ont développé une particulière créativité en art, rappelle Hélène Catroux. On peut être doué sans être forcément génial. Etre doué, c'est posséder un large substratum intellectuel à partir duquel se développera peut-être le génie. Mais si les tests décèlent à l'évidence les enfants doués, les tests d'un génie pourront se révéler disharmonieux...»

«Nous avons choisi le terme d'enfant "doué",enchaîne Arielle Adda,parce qu'il semble à la fois plus juste et moins ostentatoire que d'autres, moins clinique également. L'adjectif "précoce" comporte une équivoque, qui peut devenir dramatique : il laisse en effet entendre que ces enfants sont simplement en avance sur les autres, lesquels ne tarderont pas à les rattraper ; il suffirait alors d'attendre pour que tout rentre dans l'ordre, et que ces enfants ne se distinguent plus des camarades de leur âge. Le drame survient lorsque l'adolescent doué se retrouve brutalement en échec scolaire : il pense que ses dons intellectuels l'ont déserté et que la médiocrité l'a rattrapé. On sait qu'une floraison précoce, plus fragile que les autres, disparaît en cas de gelée inattendue...»

«Le terme de "surdoué" définit sans aucune équivoque ces enfants, mais on pourrait penser qu'ils se situent complètement à part, et même, plus précisément, "au-dessus", ce qui ne facilite pas leur intégration sociale. Eux-mêmes, se pensant "au-dessus", n'ont parfois qu'un seul désir, celui de descendre de ces hauteurs inconfortables, source inépuisable d'ennuis.»

On utilisera donc «doué» plutôt que «surdoué», même si, entre eux, les spécialistes utilisent un tout autre terme, «HP» (pour «haut potentiel»), qui présente toutefois l'inconvénient de signifier plus couramment «hôpital psychiatrique», ce qui interdit d'en user hors du cadre professionnel...

«L'enfant "doué" se définit comme particulièrement bien pourvu en qualités intellectuelles, bénéficiant d'un potentiel qui doit être exploité, poursuit Arielle Adda. Or on sait qu'un don non travaillé peut s'éteindre, alors que "surdoué" suggère faussement que ce potentiel est définitivement acquis. Il nous revient à nous, parents, enseignants et thérapeutes, d'aider l'ange à déployer ses ailes.»

Sont-ils plus nombreux de nos jours que par le passé, ces anges un brin mazoutés ? Impossible de répondre de façon absolue et scientifique, mais l'homme n'ayant pas changé depuis des millénaires, tout porte à croire que les siècles de Périclès ou de Louis XIV comp-tèrent, eux aussi, leurs 2% de surdoués au sein de la population.

«Dans les écoles, on discourait couramment en grec, on improvisait en vers latins, on parlait le sanskrit. Les gens d'Eglise savaient parfaitement repérer les enfants doués pour faire leur éducation. Les Lumières qui suivirent furent une période d'intelligence universelle oubliée par notre monde moderne, observe Arielle Adda. Notre langue, par ailleurs, a perdu de sa limpidité, de sa rigueur, depuis l'époque classique, or elle était vecteur d'une pensée rapide et claire. Ainsi, voyez-vous, tout est relatif...»

Prendre en considération leurs différences

Paradoxalement, c'est la rigidité de notre système pédagogique qui a permis de repérer les surdoués, expliquent aussi nos deux spécialistes. Le nombre croissant d'enfants reconnus «en souffrance» a induit le travail d'enquête... Car on estime à environ deux tiers la proportion des enfants doués qui rencontrent des difficultés dans leur vie familiale, sociale ou scolaire. Echecs répétés en classe (on ne parle pas ici des sympathiques et classiques cancres), troubles du comportement, effets psychosomatiques ou dépressions... La première aide apportée à ces enfants consiste désormais à les identifier et à prendre en considération leurs différences.

«Entendons-nous sur les mots, précise Hélène Catroux. Il n'est pas question d'établir des échelles de valeur, mais de ressentir certaines facultés intellectuelles, comme de sensibilité, qui induiront des pédagogies adaptées. Notre combat, pour employer un mot guerrier, vise à la prise en compte de cette hétérogénéité dans le système scolaire, les diverses formes d'intelligence étant reconnues dans les propositions pédagogiques.

Un travail indispensable ; trop de parents inquiets de voir chuter les notes de leur enfant ayant été abusivement rassurés par cette simple phrase : « Un enfant intelligent s'en sort toujours !»

«Eh bien, non, justement, s'insurge Arielle Adda, il ne "s'en sort" pas toujours. Au contraire, sa méconnaissance de toute technique de travail lui rend un rétablissement très difficile, presque impossible, et l'adolescent en péril risque de sombrer pendant que ses parents attendront qu'il rattrape seul son retard, puisqu'on leur a affirmé qu'il s'agissait d'une loi indiscutable, foi de pédagogue !»

A celui qui, par exemple, n'aime pas apprendre un texte par coeur «parce que ce sont les mots des autres» - son intelligence se refusant à cette démarche anti-identitaire -, on appliquera donc une pédagogie de l'entendement pour lui permettre d'entrer dans le sujet, puis d'accepter de «parler comme»... N'est-ce pas la même chose pour tout le monde ? demandera le candide. Certes, a priori, mais le travail du pédagogue sera précisément d'intervenir dans le principe d'apprentissage «à d'autres endroits». La personne ne sera pas mise en cause. On agira sur la stratégie de l'esprit.

«La spécificité de ces enfants a trop longtemps été ignorée, voire niée, on s'en tenait à une représentation fantasmatique du surdouement comme hors norme, explique en substance Arielle Adda. Non seulement on ne concevait pas qu'ils puissent tarder à comprendre une explication, mais encore on leur contestait toute sensibilité particulière. Ils devaient être capables d'encaisser les remarques les plus rudes, considérées comme destinées à les aider. On estimait que le don intellectuel formait une carapace et que de tels enfants devaient faire leurs preuves ; à défaut, ils seraient soupçonnés d'imposture. Cette caricature perdure aujourd'hui, même si elle n'est plus aussi affirmée.»

Plus sensibles et moins aidés

L'image de l'enfant doué oscille ainsi entre deux pôles : un génie dont rien ne peut entamer la puissance ni l'astuce, et un pauvre éclopé, handicapé par un cerveau trop gros aux circuits trop complexes.

«Il est bien difficile, de fait, de se retrouver dans un de ces modèles. La nature humaine est ainsi faite qu'elle a du mal à accepter une supériorité : un atout doit obligatoirement être pondéré par un "mais" annonciateur de défauts qui en atténueront largement le bénéfice ; ainsi la justice et l'équité peuvent-elles continuer à régner...»

Pour Hélène Catroux, la manifestation la plus spectaculaire de ce que l'on peut nommer «le paradoxe des enfants doués» est sans doute, dans le cadre scolaire, que l'élève soit confronté à des commentaires du genre : «Vous n'avez rien compris» ou «Ce n'est pas approfondi.» Quand on sait combien un élève doué met constamment en doute son intelligence, on imagine en effet la dynamique destructive qui s'enclenche lorsqu'il est confronté à de mauvaises notes ou à ce type de commentaires.

«Il est donc indispensable de rassurer l'élève doué quant à la réalité de son intelligence, tout en lui suggérant que seul le mode d'emploi est sans doute à revoir. De même faut-il fournir aux enseignants et aux parents une grille de lecture du comportement de l'enfant permettant de le reconnaître tel qu'il est, avec ses ressources, ses besoins et ses différences. Une grille capable d'éclairer le décalage entre son potentiel intellectuel et ses connaissances, ainsi, le cas échéant, que ses résultats scolaires.»

«Suffit-il pour autant de rassurer ces enfants sur leur intelligence pour qu'ils retrouvent l'estime de soi ?» se demande encore la psychopédagogue au cours de l'exposé de ses expériences : il semblerait que non. Plusieurs étapes sont ensuite à franchir. L'enfant doit d'abord se reconnaître pour ce qu'il est. Puis comprendre ses éventuels dysfonctionnements. Se sentir riche de ses différences. Et enfin, parvenir à orienter son travail par une meilleure gestion de son capital intellectuel et affectif. Car le QI (quotient intellectuel), si élevé soit-il, peut ne servir à rien sans une bonne maîtrise du QE (quotient émotionnel). Tels sont les principaux enseignements de ce nouveau Discours de la méthode...
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Un fonctionnement «hors normes» de la mémoire
Le cerveau des génies est-il physiologiquement différent de celui du commun des mortels ? Certains exploits de Mozart incitent en tout cas à le penser.

Patrice de Méritens
[18 juin 2005]
Que se passe-t-il le 11 avril 1770 dans les hémisphères cérébraux de ce diable de gamin qu'était Wolfgang Amadeus Mozart lorsque, âgé de 14 ans, il se rend à la chapelle Sixtine en compagnie de son père pour entendre le Miserere d'Allegri ? Ce jour-là, vers midi, le ventre maigrement lesté d'oeufs et de brocolis, car il s'agit d'un mercredi saint, Léopold et Wolfgang s'introduisent sous les voûtes peintes par Michel-Ange. Trois jours plus tard, Léopold écrit à sa femme : «Tu as peut-être déjà entendu parler du célèbre Miserere de Rome tellement estimé que les musiciens de la chapelle ont l'interdiction, sous peine d'excommunication, de sortir la moindre partie de ce morceau, de le copier ou de le communiquer à quiconque ? Eh bien, nous l'avons déjà ! Wolfgang l'a écrit de tête...»

Une opération qui s'est déroulée en deux temps : mercredi, le petit prodige rédige. Le surlendemain (vendredi saint), il vérifie sur place qu'il n'a pas fait d'erreurs. Le Misere n'est donné que ces deux jours-là dans l'année, et «l'exécution fait autant que la composition», note Léopold. Résultat en termes modernes ? Le cerveau de Wolfgang a enregistré d'un trait près du tiers d'un disque compact.

«Qu'est-ce que ce morceau célèbre a de si redoutable pour la mémoire ? analyse aujourd'hui le professeur de neurologie Bernard Lechevalier *. D'abord, sa longueur (quinze minutes) ; ensuite, une certaine monotonie due au style funèbre imposé par le texte du psaume 51, psaume de repentance : "Pitié pour moi, Dieu en ta bonté, ta grande tendresse efface mon péché", mais surtout son écriture à neuf voix disposées en deux choeurs faisant alterner des versets qui sont séparés par une psalmodie en plain-chant chantée par les basses et les ténors. Certains disent aujourd'hui que se rappeler ce Miserere n'est pas difficile parce que... c'est toujours pareil. Mais s'ils ont le courage de prendre connaissance de l'histoire de cette oeuvre, de lire humblement la partition et d'écouter ses enregistrements, ils s'apercevront que les choses ne sont pas aussi simples !»

L'exploit du Miserere est difficilement explicable en termes de neuropsychologie classique, conclut en substance Bernard Lechevalier. Trois opérations mentales se sont succédé : un encodage «hors normes» des informations musicales, qui dépasse de beaucoup la simple perception ; le stockage de ces informations sous forme d'une représentation pendant quelques heures ; enfin, leur restitution, pourrait-on dire : ad integrum, temps préalable à leur exécution. Ces trois opérations seraient les mêmes chez n'importe qui désireux de retenir une simple chansonnette et de la retransmettre «de tête», la complexité et la difficulté en moins... Mais on ne peut que rester stupéfait de l'importance du matériel stocké en mémoire, de la durée prolongée de ce stockage, de la fidélité sans erreur de la mémorisation, et l'on ne voit pas comment classer un tel exploit dans la modélisation de la mémoire humaine qui a cours actuellement. Wolfgang, premier pirate musical de l'époque moderne ? Clément XIV n'en tira cependant nul ombrage, puisqu'il le nomma par la suite chevalier de l'Eperon d'or.
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La galère des parents
Etre surdoué, pour un enfant, c'est avant tout être différent. Donc, souvent très mal dans sa peau ; chez soi comme à l'école. Un enfer pour certains parents.

Par Dominique Rizet
[18 juin 2005]


Tous ont vécu la même histoire. D'abord fiers, puis soulagés, tant le terme «surdoué» évoquait pour eux la certitude d'une réussite aussi évidente que facile. Le temps des questions n'est venu qu'ensuite, mais très vite, face à l'ampleur des problèmes que ce diagnostic ne résout pas, ou pire, amplifie. Bien sûr, il en existe qui se contentent de collectionner les carnets de notes élogieux, mais la grande majorité des parents d'enfants précoces ont plutôt le sentiment de piétiner dans un marécage en portant un fardeau. Et de le porter bien seuls.

Contrairement au cliché qui voudrait que tout lui réussisse, l'enfant surdoué se comporte en effet très souvent comme une ancre, tirant l'ensemble du navire familial vers le fond. Et c'est bien de naufrage, ou de galère, dont on peut parler pour certaines familles où l'enfant précoce accapare à lui seul 80% de l'attention et du temps de ses parents, au détriment de ses frères et soeurs.

Dans les Hauts-de-Seine, Colette et son mari ont longtemps cherché avant de trouver ce qui semble être aujourd'hui une solution. Après avoir avancé à tâtons dans les écoles privées et publiques du sud du département, ils ont scolarisé leurs quatre enfants à Gerson, un établissement privé parisien qui propose une «méthode» pour les enfants précoces.

«Mais c'est au prix de quatre heures de trajet par jour minimum, observe Colette, qui a abandonné son métier pour se rendre disponible. Je me transforme quotidiennement en chauffeur de taxi, et je me dois d'être hyperorganisée : lever à 6 h 30, bon petit déjeuner, départ à 7 h 15, arrivée devant l'école vers 8 heures. Un quart d'heure de battement pour les câlins des plus petits. Cantine obligatoire, retour de bonne heure dans l'après-midi car l'école est dans une rue où il faut une demi-heure pour trouver une place de stationnement. Récupération des enfants avec des horaires différents entre le primaire et le collège : la voiture se transforme alors en maison secondaire. Il y a toujours des boissons, à manger, des livres parce qu'il faut que ce soit à la fois un endroit où ils puissent se reposer et se distraire. Durant le trajet retour, les plus motivés apprennent leurs leçons. C'est important car on arrive à la maison à 18 heures et il reste alors peu de temps pour les devoirs. Bain à 19 heures, dîner et extinction des feux à 20 h 30. Nous avons été obligés de nous imposer tous une discipline quasi militaire... Un enfer.»

Neuf fois sur dix, l'école est inadaptée

Colette et son mari ont ainsi tout changé pour s'adapter à la loi d'un seul de leurs quatre enfants : Charles, 12 ans, enfant précoce.

«Charles, c'est un cas plutôt complexe, explique sa mère. Il est toujours tombé sur des enseignants qui ne l'ont jamais compris. En primaire, il a eu trois ans de suite de graves problèmes : le premier de ses instituteurs le frappait, le deuxième l'avait relégué au fond de la salle, la troisième l'humiliait sur l'estrade. Il a enduré de vraies souffrances morales. Nous avons d'abord essayé le privé puis le public, où il avait deux enseignants qui faisaient chacun un mi-temps. L'un hyper rigide, l'autre hyperlaxiste et l'association des deux a été un désastre encore plus grand pour lui. Alors nous l'avons déscolarisé à mi-temps et une psychologue nous a parlé de l'école Gerson. Charles a terminé là son année scolaire. Mon mari faisait les trajets jusqu'à Paris matin et soir pendant que j'allais chercher nos trois autres enfants dans deux écoles des Hauts-de-Seine avec des horaires de sorties décalés. A la rentrée 2002, nous avons décidé d'inscrire tous les enfants avec Charles, à Gerson.»

Aujourd'hui, Charles va mieux.

«Cette école fonctionne comme une famille, résume Colette. Quand Charles est arrivé, toute la classe l'a accueilli. Les élèves sont allés avec lui chercher sa table et sa chaise et, tous ensemble, ils ont discuté pour savoir où on l'installerait. Sa soeur de 6 ans et demi est dans une classe double, un CE1-CE2, où elle a un an d'avance. L'enseignante a suivi une pédagogie pour gérer deux niveaux. Elle a 24 enfants dans sa classe, 12 CE1 et 12 CE2, et part du principe qu'elle n'a pas deux niveaux à gérer mais un niveau par enfant... Ça veut dire qu'elle s'adapte à chaque enfant. Elle sait celui qui pèche, celui qui a besoin de plus d'attention pour démarrer, celui qu'il faut pousser. Cette école sait simplement accueillir et écouter les enfants. J'ai vu mon fils dans la détresse et je l'observe aujourd'hui s'épanouir. Alors, je me fiche des kilomètres. Je ne me pose plus de questions. Je monte dans ma voiture et je pars.»

Autre famille, mêmes problèmes, même casse-tête : Antoine, 11 ans, rend quotidiennement ses parents fous.

«Un calvaire depuis l'école maternelle, raconte sa mère. A tel point que nous aurions pu penser qu'il était bête et ne comprenait rien à ce qu'on lui disait, si nous n'avions pas eu la certitude, nous, ses parents, que c'était faux : il passait son temps à faire des puzzles et nous récitait des poésies par coeur à 3 ans. Il ne posait aucune question existentielle mais avait une mémoire impressionnante. A 5 ans, il nous a demandé à apprendre à lire et il a fait tout le programme du CP en lecture et en maths. C'était une Formule 1 à la maison, mais il tombait en panne en passant la porte de l'école. On lui a fait sauter une classe pendant... trois jours mais il n'avait pas le sens de la discipline, se levait en cours, posait ses pieds sur le bureau et recommençait à sucer son pouce. Alors il est retourné dans sa classe. Au bout de quelques mois, une enseignante a émis l'hypothèse de la précocité. Nous avons d'abord refusé le test et la psychologue, car nous avions une vision erronée de la précocité mais n'ayant pas d'autre issue, on s'est finalement résignés à cet examen. A la sortie, on nous a dit qu'il avait 150 de QI, et puis aussi : «Bon courage».

Il leur en a fallu. A 7 ans, Antoine lisait Croc- Blanc en un week-end. Avant ses 9 ans, il avait lu tous les Harry Potter en quinze jours. Il se cachait sous sa couette, une lampe frontale sur la tête, pour lire pendant la nuit. Il a ensuite avalé les Contes et légendes inachevés et tout Tolkien. Aujourd'hui, il lit en moyenne deux à trois romans par semaine. Mais ses notes à l'école sont toujours aussi catastrophiques...

«Surtout en français, poursuit sa mère. Les mêmes fautes d'orthographe depuis cinq ans, il lui est arrivé d'en faire jusque dans son nom de famille, des phrases de dix lignes sans majuscule ni ponctuation, une incapacité à restituer de façon cohérente... Une année d'avance toujours, mais au prix d'une scolarité qui ne progresse finalement qu'à la maison puisqu'il ne fait rien en classe, sinon jouer avec des bouts de ficelle, rêver, démonter ses stylos, oublier ses affaires et rapporter le pire des cahiers de correspondance. Il est mignon, charmant, répond «oui» à tout mais n'en fait qu'à sa tête et finit par agacer tout le monde. La nuit, à la maison, quand il se lève pour boire un verre d'eau, on le retrouve un bâton à la main qu'il est allé chercher en pyjama au fond du jardin. Le verre d'eau est devenu une bouteille qu'il a remplie et à laquelle il a attaché une ficelle en racontant une histoire incroyable. On retrouve dans sa chambre des morceaux d'ail qu'il fait macérer dans de l'eau avec une odeur épouvantable. Ce qui le sauve de l'échec scolaire, à mes yeux, c'est qu'il n'est pas hermétique à l'enseignement et l'apprentissage dans l'absolu mais véritablement au système scolaire.»

Pour Marc Lefeuvre, président d'Info Actions Surdoués, la première urgence pour de tels parents consiste à s'informer :

«Quand les difficultés scolaires ou comportementales d'un enfant sont expliquées par son haut potentiel, c'est souvent "l'immeuble qui tombe sur la tête". Il faut alors se renseigner et ce sont les associations, actives sur le terrain, qui apportent le plus d'informations aux parents. Sur le plan scolaire, quelques établissements publics, des collèges principalement, ont mis en place un accueil spécifique pour ces enfants (en région lyonnaise et parisienne) mais j'observe que ce sont principalement les écoles privées catholiques sous contrat avec l'Education nationale qui s'ouvrent actuellement en organisant des journées pédagogiques ou en mettant en place des programmes d'accueil spécifiques pour ces enfants qui sont à chaque fois un cas particulier.»

D'autres actions commencent en outre à porter leurs fruits. Notamment au niveau de la formation et de la sensibilisation des enseignants à ce problème, trop longtemps méprisé. A Paris, la Mafpen (Missions académiques à la formation des personnels de l'Education nationale) a ainsi mis en place des modules spécifiques dans le cadre de la formation continue des enseignants, de même que l'IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) de Toulouse et l'Unapec (formation des enseignants des établissements catholiques).

De la détresse à la dépression

Des informations ponctuelles sont régulièrement faites dans des universités et des instituts universitaires sous forme de conférences-débats et des associations comme l'Anpeip (Association nationale pour les enfants intellectuellement précoces), IAS (Infos Action Surdoués) ou l'Afep (Association française pour les enfants précoces) participent à l'information et à la formation des enseignants du public et du privé à l'approche des enfants intellectuellement précoces (EIP). La démarche menée auprès de l'Education nationale, principalement par l'Anpeip et l'Afep ont généré, en 2001, la mise en place d'un groupe de travail sur la scolarisation des élèves intellectuellement précoces au sein du ministère. Le rapport de ce groupe de travail a lui-même été rendu public par le ministre peu de temps avant la dernière élection présidentielle de mars 2002.

Autant d'associations et de travaux auxquels les parents en difficulté ne doivent pas hésiter à s'adresser, ou à se référer, au moindre doute. A Lille, Maria Paoletti, membre de l'association Fractales (France actions talents et surdouements) se souvient en effet de l'arrivée de Benjamin, 8 ans, dans son bureau :

«Sa mère, totalement désemparée, nous a amené, sur les conseils d'une psychologue, son fils qui venait de faire une tentative de suicide. Il ne supportait plus son instituteur, se bagarrait et se faisait battre dans la cour de l'école. Un père ingénieur, une mère chef d'entreprise... un couple et une famille solide. A la maison, Benjamin était un enfant aimant, désireux de toujours rendre service et proche des adultes. Il a été testé et le résultat indiquait un enfant très inégalement développé, surdoué et dysharmonieux. Sur le plan psychomoteur, c'était pratiquement un sous-doué, dysgraphique avec des problèmes de repères spatiaux et temporels et une mauvaise latéralité. Aujourd'hui, nous avons mis en place, avec ses parents, une véritable stratégie réparatrice pour l'aider à trouver un équilibre.»

Et ce point d'équilibre est bien la clé du bonheur pour l'enfant précoce. De même que pour ses parents, et l'ensemble de sa famille.
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L'intelligence un concept hors mesure
Mesurer l'intelligence demeure un défi non résolu ; les tests de QI ont bien tenté d'y parvenir mais sans appréhender l'intelligence dans toute sa complexité. Aujourd'hui, les techniques d'imagerie cérébrale essaient de relever le challenge.

MARTINE BETTI-CUSSO
[18 juin 2005]


Inutile de tenter de mesurer vos aptitudes intellectuelles en jaugeant le volume de votre cerveau, en calculant le nombre de vos neurones ou même en effectuant les tests d'évaluation du quotient intellectuel : l'intelligence ne se mesure pas à l'aune d'un quelconque calcul métrique. Certes, les tests de QI, mis au point par Alfred Binet en 1904, mais améliorés depuis cette époque, restent l'outil le plus pratique et le plus usité pour situer la performance intellectuelle d'un individu par rapport à la moyenne de ses contemporains. Mais la science des tests, dite psychométrie, a une simple valeur indicative. Scientifiques et psychologues s'accordent pour considérer que ces tests évaluent la dimension logique et mathématique de l'intelligence mais ne mesurent pas l'intelligence dans sa globalité. Or celle-ci est complexe et multiple. «L'intelligence, ce n'est pas ce que mesurent les tests, c'est aussi ce qui leur échappe», souligne Edgar Morin, dans son ouvrage la Connaissance de la connaissance. Elle revêt d'ailleurs plus d'une centaine de définitions. C'est dire que l'on ne peut la cerner, ni la décerner, en dix exercices.

Impossible à localiser dans le cerveau

Aujourd'hui, nombre de chercheurs estiment qu'il n'y aurait pas une, mais plusieurs intelligences mobilisées par chaque personne à des degrés divers. Ainsi Howard Gardner, professeur en science de l'éducation à Harvard, en compte neuf formes : musicale (Mozart), gestuelle (le mime Marceau), logico-mathématique (Albert Einstein), linguistique (Thomas Stearns Eliot), spatiale (Pablo Picasso), interpersonnelle (Gandhi) qui permet de comprendre les autres, intrapersonnelle (Sigmund Freud) qui est la faculté de se connaître soi-même, naturaliste (Charles Darwin) et «existentielle» (Churchill), qu'il définit comme «la capacité à penser nos origines et notre destinée».

«Avec une certitude, affirme t-il, nous ne sommes pas intelligents en tout mais nous pouvons l'être dans de nombreux domaines.» Nous voilà rassurés.

Les recherches faisant appel aux techniques d'imagerie cérébrale n'apportent pas davantage de réponse sur la possibilité de quantifier l'intelligence, mais elles aident à comprendre le fonctionnement cérébral en localisant les zones du cerveau qui entrent en activité lors d'une tâche donnée. Michel Duyme, directeur de recherche à l'Inserm, a observé les cerveaux de deux groupes d'individus, l'un à fort potentiel intellectuel, l'autre à moindre potentiel, lors d'un exercice de fluidité verbale. Il était demandé aux sujets de générer un maximum de mots à partir d'une lettre. Conclusion : les personnes à QI élevé activent de manière plus importante certaines zones de leur cerveau et consomment plus d'énergie et d'oxygène que les autres. Une autre étude, exploitant la technique de l'électroencéphalogramme et effectuée sur deux groupes d'enfants, l'un à QI élevé, l'autre à QI moyen, révèle que le premier groupe d'enfants se sert d'une partie plus localisée de son cerveau que le second groupe testé.

Des chercheurs des universités de Cambridge et de Düsseldorf affirment, de leur côté, avoir situé ce qu'ils nomment le facteur «g», qui pourrait être le centre de l'intelligence, dans une région à l'avant du cerveau dans le cortex préfrontal. Mais ces observations sont nuancées par d'autres recherches, comme celles réalisées par le Groupe d'imagerie neurofonctionnelle de Caen, qui montrent que l'intelligence se distribue dans différentes régions du cerveau, correspondant à des réseaux spécifiques de neurones.

«Nous avons même découvert que la logique et les mathématiques, regroupées en une seule forme d'intelligence par Howard Gardner, recrutent en fait des régions cérébrales différentes. De même, la logique est fortement connectée à l'intelligence linguistique, alors que les mathématiques le sont à l'intelligence visuo-spatiale, commente le Pr Olivier Houdé, professeur de psychologie cognitive à l'université de Paris V. En fait, on observe une dynamique générale dans la distribution des différentes formes d'intelligence dans le cerveau, qui coopèrent entre elles ou entrent en compétition.»

L'objectif du Pr Houdé est de comprendre les combinaisons du potentiel intellectuel humain en étudiant les mécanismes qui permettent de «zapper» d'une intelligence à l'autre, c'est-à-dire d'en inhiber une pour en activer une autre selon les circonstances et les enjeux. Une méthode qui devrait permettre d'apprécier toute la mesure de l'intelligence.
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Le parcours d'une (jeune) combattante

[18 juin 2005]


Elénie Godzaridis n'a que 13 ans mais cela ne devrait pas l'empêcher de faire partie, d'ici à quelques jours, des lauréats du baccalauréat 2005. Son parcours scolaire fut en effet fulgurant (trois ans pour l'ensemble du primaire, s'achevant sur un passage direct du CM1 à la classe de 5e)... et caractéristique des difficultés que rencontrent les enfants intellectuellement très en avance sur les autres.

Dès l'âge de 1 an, Elénie reconnaissait toutes les lettres de l'alphabet. A 3 ans, elle lisait paraît-il n'importe quel texte, avec une aisance égale à celle d'un adulte. Mais le gros problème, c'est qu'au même âge, elle commença aussi à souffrir terriblement de sa différence. «Au point de vouloir en mourir», affirme même sa maman, Catherine Bertrand, dont la voix tremble encore en évoquant cette époque où sa fille fut, dit-elle, «en danger d'anorexie mentale et de dépression morbide». Mais, contrairement à ce que certains journaux lui ont fait dire, cette commerçante énergique tient à souligner que l'Education nationale n'a alors pas ménagé ses efforts pour l'aider, en prenant même des libertés certaines avec ce qu'autorisent ses règlements.

«J'ai déménagé pour une ZEP, à Chelles, parce que je savais pouvoir y trouver des classes à effectifs réduits et à enseignement personnalisé, adapté en principe pour des enfants non-francophones, explique-t-elle, et je suis tombée sur une directrice très ouverte, qui a compris tout de suite que le cas de ma fille justifiait qu'on s'en préoccupe aussi, sans tenir compte de son année de naissance.»

Et c'est ainsi qu'Elénie a pu «trouver sa place dans ces classes où personne ne se bat pour aller» et «s'y épanouir». En tout cas jusqu'à la fin du primaire. Parce qu'après, quelle que soit la bonne volonté de l'Education nationale, ce sont les structures individualisées qui ont fait défaut. Aucun collège public ne pouvait légalement accueillir une enfant aussi jeune, dont les capacités d'assimilation demeuraient en outre très supérieures à celles d'élèves six ou sept ans plus vieux qu'elle.

Catherine Bertrand s'est donc résignée à faire un énorme sacrifice financier («entre 3 000 et 4 000 francs par mois, alors que je suis loin d'avoir un salaire de cadre») pour scolariser sa fille dans un établissement privé, hors contrat, dont les classes ne comptaient qu'une douzaine d'élèves. Dès lors, tout se passe au mieux pour la petite, qui s'entend très bien avec ses camarades, et qui ne souffre d'aucun trouble du comportement annexe.

«En fait, elle n'a qu'un problème, raconte sa maman. Elle voudrait grandir plus vite, ne plus ressembler à cette enfant qu'elle est encore physiquement, mais qui ne correspond pas du tout à la façon dont elle se voit.»

En guise de solution, c'est donc toute la famille recomposée d'Elénie qui a décidé de l'aider en prenant une décision vraiment radicale : émigrer vers un pays où ce type de différence est depuis longtemps pris en charge, et de façon bien plus respectueuse des individus qu'en France.

«Si Elénie a son bac, nous partirons tous cet été pour le Québec», explique sa mère avec enthousiasme. Pourquoi le Québec ? «Parce que c'est un pays francophone, qui n'impose pas d'âge minimum pour entrer à l'université. Mais aussi parce que la seule question que l'on m'y ait posée lors de son inscription en première année de biologie génétique, alors même que le plus jeune étudiant a trois ans de plus qu'Elénie, c'est : "Est-ce qu'elle le vit bien ?" J'y ai vu la preuve indubitable que là-bas, on s'intéresserait enfin davantage à son bien-être qu'à sa différence. Pour elle comme pour nous, ce départ est une nouvelle vie, une nouvelle chance.»
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Dix années de retard
Trouver un établissement public qui accueille les enfants précoces est pratiquement impossible. Alors que plus de 100 000 élèves en ont besoin.

CYRIL HOFSTEIN ET DOMINIQUE RIZET
[18 juin 2005]
C'est un paradoxe. Alors que le ministère de l'Education nationale commence à s'intéresser à la prise en charge des enfants intellectuellement précoces, seuls quatre établissements publics, à ce jour, ont ouvert leurs portes : le collège Le Cèdre au Vésinet (Yvelines), le collège Joliot-Curie au Havre, le collège de la Hève à Sainte-Adresse (Seine-maritime) et le collège Joliot-Curie à Bron (Rhône).

Un nombre encore beaucoup trop faible pour répondre aux besoins actuels. Et surtout, un vrai casse-tête pour les parents puisqu'il est théoriquement impossible de scolariser un élève loin de son lieu de résidence, conformément à la carte scolaire qui n'accorde pas de dérogation territoriale.

En clair, si des parents d'enfants précoces veulent trouver une école adaptée, ils n'ont que deux solutions : opter pour l'un des quelque 66 établissements privés sous contrat qui acceptent ces élèves pas comme les autres ou... déménager s'ils tiennent impérativement à l'enseignement public. Une vraie pénurie qui s'inscrit pourtant dans un contexte de réflexion, de colloques et de communication sur ces «élèves à besoins éducatifs particuliers», selon la terminologie.

Des enseignants mieux formés

Le bulletin officiel de l'Education nationale, par exemple, a même publié, l'année dernière, un article intitulé «Prendre mieux en charge les élèves intellectuellement précoces.» «A l'école primaire comme au collège, peut-on lire dans le bulletin, la réglementation offre la possibilité d'adapter le parcours scolaire de ces élèves. C'est ainsi que la réduction du temps passé dans un cycle, dès l'école maternelle, doit être envisagée avec plus de facilité qu'actuellement (...). Des projets individualisés proposant, par exemple, des temps d'approfondissement et de recherche pourront être élaborés en associant les parents.»

Depuis, la question de l'adaptation de l'enseignement au cas des enfants surdoués a été largement évoquée par le rapport Thélot, dans le cadre du débat national sur l'avenir de l'école. Une activité débordante un peu tardive quand on sait que, dès 1994, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une recommandation relative à l'éducation de ceux que l'on osait encore appeler «surdoués» : «Ces enfants, selon l'Assemblée, devraient pouvoir bénéficier de conditions d'enseignement adaptées leur permettant de mettre pleinement en valeur leurs possibilités dans leur propre intérêt et dans celui de la société.» En France, il faudra attendre près de dix ans pour évoquer officiellement la même question.

«Après des années d'ignorance, la prise de conscience du problème avance désormais à grands pas», assure Sophie Côte, à l'origine notamment de la création, en septembre 1993, de l'Association française pour les enfants précoces, agréée par l'Education nationale. «Aujourd'hui, nombreux sont les enseignants qui nous contactent pour connaître nos activités et mieux comprendre la situation des enfants et de leurs parents. Nous avons également créé une équipe pédagogique pour proposer des formations à tous ceux qui le demandent. Et un grand nombre de stages ont été mis en place par les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), les rectorats et les inspections académiques. C'est un véritable bond en avant car avant l'ouverture de la classe du Vésinet, il n'y avait rien. C'est dire si les mentalités ont considérablement changé, même si les progrès accomplis demeurent insuffisants et souvent trop lents.»
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Monique de Kermadec
Impliquer les entreprises

DOMINIQUE RIZET
[18 juin 2005]
     Psychologue et psychanalyste (doctorat américain, DESS et DEA de psychologie clinique de l'université de Paris VII), Monique de Kermadec est l'une des plus éminentes spécialistes françaises de la précocité. Elle a reçu plus de 6 000 enfants précoces en consultation à Paris. «Mais je vois, concède-t-elle, de plus en plus d'adultes qui sont souvent des enfants précoces qui n'ont jamais été décelés. Les Américains disent "gifted" pour désigner ces adultes qui sont dans la plupart des cas des autodidactes, très doués dans ce qu'ils ont choisi de faire et dans des domaines aussi inattendus que le sport, les arts, les affaires ou la création d'entreprise...»

Monique de Kermadec interviendra cet été au World Council for Gifted Children, le Congrès mondial des enfants précoces, qui se tiendra au mois d'août à La Nouvelle-Orléans.

«J'y défendrai, dit-elle, un thème majeur à mes yeux : il n'y a pas de recette universelle de l'accompagnement de l'enfant précoce et il est essentiel de tenir compte des différences culturelles. Prendre conscience et s'occuper de la précocité, c'est aussi préparer l'avenir de l'adulte en lui permettant d'exploiter positivement ses talents et sans attendre forcément de lui qu'il décroche des diplômes prestigieux. Trop de parents pensent à développer l'intelligence scolaire de leur enfant au détriment de l'intelligence relationnelle ou émotionnelle qui est tout aussi importante car elle déterminera son aisance à parler, à aborder les autres.»

D'où l'idée récente de créer d'abord un site internet, parents-as-allies.com (voir encadré p.51), qui évoluera vers une association ou une fondation dont le but sera d'aider les parents d'enfants précoces en les conseillant.

Monique de Kermadec organisera à la rentrée à Paris une rencontre entre parents, experts de la précocité et décideurs pour mettre en place une réflexion et développer des outils de recherche et d'accompagnement de la précocité. «Jusqu'ici jamais les entreprises n'ont été incitées en France, poursuit Mme de Kermadec, à s'impliquer dans cette démarche essentielle de l'accompagnement de la précocité. Pourtant, les enfants précoces sont les leaders de demain. Ne perdons pas une telle richesse...»
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Bernard Boisgard
Un terrain fertile, laissé en friche

MARTINE BETTI-CUSSO
[18 juin 2005]
  Pour moi, être un surdoué a été un handicap. Lorsque je l'ai appris, à l'occasion d'un bilan de compétence, j'avais 52 ans. J'ai eu le sentiment d'un énorme gâchis, et la conviction d'avoir raté ma vie.

Bernard Boisgard vit à Ablon, un petit village en Normandie. Il s'occupe aujourd'hui de l'entretien de deux églises. Le énième petit boulot d'une longue suite. Tour à tour comptable, ouvrier agricole, employé dans une compagnie de théâtre, puis manutentionnaire dans une usine de panneaux de signalisation, vendeur dans une entreprise de vidéosurveillance, ouvrier dans une fabrique de stores et de bâches, etc., il n'a jamais conservé ses emplois bien longtemps et les quittait souvent dans des circonstances plus ou moins conflictuelles. Et sa scolarité, qu'il qualifie de normale, est plutôt médiocre compte tenu de ses potentialités. Il apprenait vite mais il a changé plusieurs fois d'école, sa famille déménageant régulièrement pour suivre les affectations d'un père militaire. Il a redoublé sa sixième, échoué au BEPC et obtenu finalement un diplôme de comptabilité.

«Si j'ai pu comprendre pourquoi j'étais capable de m'adapter aussi facilement à mes différents métiers, j'ai également compris les motifs de cette instabilité. En fait, je m'ennuyais parce que chaque fois je faisais très vite le tour de la question, quand ce n'était pas la jalousie de mes collègues ou de mes chefs qui posait problème, » poursuit-il.

Trop d'intelligence ou pas suffisamment pour s'adapter et s'intégrer durablement ? L'expérience malheureuse de Bernard Boisgard montre qu'une intelligence au-delà de la moyenne ne se suffit pas à elle seule. Elle doit être alimentée, entraînée, maîtrisée, employée et valorisée. Faute de quoi c'est une sorte de terrain fertile que son propriétaire laisse en friche. Le cas de Bernard Boisgard est malheureusement courant. Selon Sophie Côte, présidente de l'Association française pour les enfants précoces, un tiers des enfants surdoués est en échec à la fin de la troisième, tandis qu'un autre tiers fait des études médiocres mais retombe sur ses pieds. Seul le dernier tiers réussit sa vie professionnelle.

«Souvent, ils sont en échec parce qu'on les a freinés, ils s'ennuient et ils n'ont plus envie d'apprendre. Ils décrochent à l'adolescence, qu'ils vivent plus tôt que les autres, sans être capables de faire face à la liberté qu'ils demandent,» explique-t-elle.

Plus fragilisés que les autres, ayant souvent souffert de difficultés relationnelles, leurs qualités intellectuelles peuvent aussi nuire à leur vie professionnelle. Plus individualistes aussi, ils ont, en effet, du mal à travailler en équipe.

Bernard Boisgard a cinq enfants. Les trois derniers, issus de son second mariage, sont intellectuellement précoces. L'aîné poursuit sa scolarité dans une école d'ingénieurs, la cadette prépare son bac section musique, mais le benjamin souffre de dyslexie. Lorsque ce dernier a passé des tests, il a volontairement coché les réponses au hasard. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi, il a simplement répondu :

«Je n'ai pas envie d'être précoce.»
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Jean Frêne
Un «petit génie», repéré au service militaire

MARTINE BETTI-CUSSO
[18 juin 2005]
  L'histoire de Jean Frêne a fait, en son temps, les gros titres des journaux. Il faut dire que sa réussite est peu banale. Tout a commencé en 1961, alors qu'âgé de 20 ans, il est appelé pour les tests préalables au service militaire. Jean Frêne obtient alors des résultats à tel point spectaculaires que, convaincu de se trouver en présence d'un cas de tricherie, l'état-major le convoque pour de nouveaux examens. Ceux-ci, effectués sous la haute surveillance d'une sentinelle, se révèlent encore plus excellents. Mais qui est ce petit génie ? Neuvième d'une famille de onze enfants, Jean Frêne a quitté l'école à 14 ans pour aider ses parents au travail de leur petite ferme de 11 hectares à Longes. Tout s'enchaîne alors. Le commandant du centre de recrutement n'entend pas laisser perdre pareil talent. Il contacte l'Education nationale pour que le jeune homme puisse reprendre ses études. Jean Frêne obtient un sursis de l'armée, intègre l'Ecole normale d'instituteurs comme auditeur libre. Sa famille ne pouvant l'aider financièrement, il reçoit de l'Education nationale un petit salaire pour vivre. Puis, à l'armée, des militaires enseignants lui servent bénévolement de précepteurs. L'année suivante, il est admis à l'INSA (Institut national des sciences appliquées) de Lyon, et sort trois ans après cinquième d'une promotion qui compte plus de sept cents élèves. Il rejoint le laboratoire mécanique des contacts, passe sa thèse d'Etat, enseigne à l'université de Poitiers, devient le vice-président de cette même université et spécialiste reconnu de la tribologie (science du frottement, de la lubrification et de l'usure), reçoit plusieurs médailles scientifiques et un prix de l'Académie des sciences.

Un parcours mené avec calme, modestie et réserve. Il reconnaît sa chance d'avoir été «découvert» à 20 ans.

«J'étais un adulte, et je n'ai laissé personne m'enfermer sous une quelconque étiquette de surdoué. Les travaux à la ferme et les difficultés que notre famille a traversées m'ont toujours maintenu les pieds sur terre», commente-t-il.

Armé de cette expérience, il est convaincu qu'il ne faut pas faire un cas d'un enfant précoce, car tout intelligent qu'il est, il doit acquérir les valeurs et l'équilibre indispensables à son intégration sociale. A tel point, d'ailleurs, qu'il estime bien plus crucial que l'Education nationale s'occupe du problème des enfants en difficulté que de celui des surdoués.

«La valeur d'une personne ne se mesure pas à son intelligence», conclut-il.

Il est père de trois enfants, tous ont effectué de brillantes études supérieures. Sont-ils aussi des sujets intellectuellement précoces ? Il l'ignore, pour n'avoir seulement jamais songé à leur faire passer un test.



Fédération agréée par l'E.N., et avec des antennes régionales : 
L'Association Nationale Pour les Enfants Intellectuellement Précoces
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