alternatives éducatives : des écoles, collèges et lycées différents
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Si le collège unique tel qu'il existe n'est pas sans défauts,
sa suppression mettrait un terme à l'idéal d'une école républicaine ouverte à tous.
Collège :
le temps de la contre-réforme
Par François DUBET  - Libération - jeudi 21 novembre 2002
François Dubet est sociologue. Dernier ouvrage paru, «le Déclin de l'institution», Paris, Seuil, 2002.

Pourquoi ne pas faire des classes fortes et faibles à l'école élémentaire et en grande section maternelle ?
Beaucoup en rêvent, encore silencieusement, mais pas pour longtemps.
 

Luc Ferry et Xavier Darcos ne croient plus au collège unique, la droite la plus dure veut sa peau depuis longtemps et les professeurs consultés par sondages n'en veulent plus depuis des années. Les jours du collège unique sont donc comptés et pour la première fois depuis trente ans on va réinstaller une sélection précoce avant même le terme de la scolarité obligatoire. Non seulement dans les faits, mais aussi dans le droit, nous allons revenir au temps supposé heureux où l'école séparait rapidement le bon grain de l'ivraie, au temps où les bons et les moins bons élèves  c'est-à-dire souvent les classes moyennes et les autres  ne se fréquentaient pas longtemps sur les bancs de l'école. Sans espoir aucun, mais par simple conviction, je crois cependant qu'il faut discuter les arguments et les logiques d'une contre-réforme qui est moins un projet d'école qu'un renoncement.

1) Les classes de collège sont trop hétérogènes, et bien des élèves y perdent leur temps. Sans doute. Mais cette hétérogénéité, inévitable au collège ouvert à tous, est formidablement accentuée par le fait que le collège unique créé par René Haby n'a jamais été conçu autrement que comme le premier cycle du lycée d'enseignement général. Il n'a jamais été véritablement construit par le projet d'une culture commune, et tous les élèves, qui n'en pouvaient mais, n'y ont pas trouvé leur place. De ce point de vue, la France n'a jamais choisi pédagogiquement le collège unique, elle a créé l'assemblage monstrueux du lycée de l'élite et de l'école de tous. Attachés à l'image de l'excellence académique définie par les concours de recrutement, les professeurs ont souffert le martyre, et plutôt que de réformer le collège pour en faire une école pour tous, on choisit d'en sortir par le bas, au plus simple, en sortant les plus faibles. Prenons garde cependant : pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas faire des classes fortes et faibles à l'école élémentaire et en grande section maternelle ? Beaucoup en rêvent, encore silencieusement, mais pas pour longtemps. A quand l'examen d'entrée en sixième ?

2) On nous dit que le collège avait mis en oeuvre une sélection négative, une sélection par l'échec vers l'enseignement professionnel. Là encore, le constat est vrai, mais au lieu de combattre cette logique, on l'entérine. Pour sortir de cette situation scandaleuse et injuste, il fallait renforcer l'enseignement professionnel. Au lieu de cela, on accroît cette forme de sélection en ouvrant des filières préprofessionnelles dès la classe de quatrième. On admet donc que les ouvriers et les employés de demain seront d'abord définis par leur échec scolaire et par l'humiliation qu'il implique, puisqu'il n'est pas question de changer l'école obligatoire afin qu'elle accueille ensemble tous les élèves, la sélection ne s'opérant pas après que l'école républicaine a fait son travail. Et comme on estimera toujours qu'un tiers environ des élèves sont trop faibles, les filières spéciales ne cesseront de se remplir.

3) Le collège est envahi par les problèmes sociaux, la violence et l'incivilité. C'est souvent vrai. Mais l'école n'est-elle pas elle-même violente, et elle le sera plus encore en se débarrassant de ceux qui en dérangent l'ordre. Au lieu d'affirmer que le collège doit renforcer son rôle éducatif, on en appelle à un retour sur les savoirs, ce que personne ne contesterait si cela ne signifiait pas aussi que l'éducation ne saurait être l'affaire de l'école. Or, si ce n'est pas l'affaire de l'école, c'est l'affaire de qui ? L'absentéisme scolaire ne découle pas seulement de la «démission des familles», mais aussi du fait que bien des élèves ne pensent plus que l'école les aide à s'instruire, à préparer leur avenir, à se former. La violence scolaire n'est pas qu'une affaire de petits voyous, elle est aussi la conduite d'élèves perdus et qui ont le sentiment que l'école les traite mal, qu'elle se «ghettoïse» et qu'elle ne sélectionne que par l'échec et la sanction des incapacités. On continuera d'accuser les familles les moins favorisées et l'on confondra les problèmes de sécurité avec ceux de l'éducation. En fait, cette politique développera la violence, et d'abord la violence sociale puisqu'il ne faut pas être bien savant en sociologie pour savoir comment se répartiront les catégories sociales de chaque côté de la barrière : école des pauvres et des enfants de migrants d'un côté, école des classes moyennes et des Français de souche de l'autre.
Vive la République !

4) Qui s'occupera des mauvais élèves ? On imagine sans mal que tous les professeurs qui souhaitent se défaire des mauvais élèves, pour leur bien naturellement, imaginent que ceux-ci ne leur seront pas confiés puisqu'ils réclament le fait de n'avoir que les élèves auxquels ils ont droit. Pourtant, il faudra bien que quelques-uns accompagnent ces cancres et ces cas sociaux. Une motion syndicale avait d'ailleurs trouvé la solution : ce sera l'affaire des «professeurs volontaires», car ce ne peut être une tâche normale que de s'occuper de ces élèves, pas plus que ce ne pourrait être une tâche normale des médecins que de prendre en charge les «sales maladies», la vieillesse et toutes ces choses qui n'appellent aucun exploit scientifique, mais seulement un peu d'humanité.

5) Rien en face. Cette contre-réforme n'est pas un événement mineur, car elle revient sur plusieurs décennies d'histoire scolaire, et les idéologues de la droite ont raison de se féliciter de cette «révolution copernicienne» et de l'abandon de quelques chimères comme l'égalité. Que la droite pense et fasse ainsi, c'est son travail. Mais que la gauche se taise et que les syndicats d'enseignants, si prompts à défendre l'universalité républicaine quand elle colle à leurs intérêts, soient aussi silencieux et gênés parce que c'est leur propre base qui parle ainsi en dit long sur leur décomposition. Après tout, nos deux ministres ne font que mettre leurs pas dans ceux de Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr, disent les sondages, les parents et les élèves restent majoritairement favorables au collège unique. Mais qui s'en soucie puisqu'il semble définitivement acquis que l'école appartient à ceux qui en vivent ?

6) La France d'en bas contre la France d'en dessous. Du point de vue social, l'abandon du collège unique, le matraquage obstiné sur la violence scolaire aux dépens de thèmes tout aussi importants comme le désintérêt scolaire ne sont qu'une manière de stigmatiser et d'exclure tous ceux qui n'ont pas le bon goût et les moyens de participer au monde si lisse et si vertueux de la France d'en bas : les jeunes des banlieues, les habitants des quartiers difficiles, les étrangers venus du Sud et de l'Est, les gens du voyage, les chômeurs obstinés et... les mauvais élèves. D'ailleurs, on sait tous que les enfants, surtout ceux des autres, sont dangereux et violents.

Au moment où le collège unique va disparaître, il ne faut pas lui attribuer les vertus qu'il n'a jamais eues. Mais il s'est enfoncé dans cette crise parce que jamais les gouvernements successifs n'ont eu le courage et la capacité de le choisir vraiment et de reformer notre école. Pour ne déplaire à personne, ils se sont obstinés à croire que l'on pouvait, à la fois, ouvrir le collège à tous, en à garder les formes, le style et les objectifs du temps où ce collège n'était réservé qu'aux meilleurs. Tout se paie ou, plus exactement, tout se fait payer aux plus faibles. Pourtant, il n'y avait pas de fatalité, y compris à droite. A plus d'un siècle d'intervalle, Victor Duruy et René Haby n'avaient pas été des ministres de l'Enseignement réactionnaires. Il est vrai, si l'on en croit les sondages, que nos ministres du jour ne le sont pas plus que la majorité des troupes dont ils sont responsables.



Aujourd’hui, dans ce collège, des élèves de niveaux scolaires extrêmement éclatés travaillent ensemble.
Eric, prof au collège Anne Frank du Mans

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