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Médiatiques
Le voile sous la loupe
Par Daniel SCHNEIDERMANN -  23 janvier 2004 - Libération

Deux manifestations, samedi dernier, partent de la même place parisienne, place de la République. Une manif «provoile», opposée à la prochaine loi sur la laïcité, et un cortège antinucléaire. Toutes deux rassemblent un effectif comparable. Pourtant, à lire la presse du lundi, toutes tendances confondues, on a le sentiment qu'une de ces deux manifestations ­ celle des «provoile» ­ est beaucoup plus intéressante, plus importante que l'autre.

Ainsi, Libération consacre (outre sa manchette de une) trois pages d'ouverture à la manifestation provoile, contre seulement une page et une colonne (reléguées en pages 12-13) à la manifestation antinucléaire. La disproportion s'accroît dans le Monde : une page entière aux provoile (cinq articles) contre douze lignes aux antinucléaires. Quant au Figaro et au Parisien, s'ils traitent généreusement la manif provoile (respectivement une et deux pages), ils ne soufflent mot de sa concurrente antinucléaire.

L'explication de cette disproportion est-elle à chercher dans la différence des effectifs des manifestations ? Apparemment non, encore qu'il soit difficile à la lecture de la presse de s'en faire une idée exacte. D'abord, (c'est usuel) les estimations divergent. La préfecture a compté «5 800» antinucléaires, tandis que les organisateurs en revendiquent «entre dix et quinze mille». S'agissant du comptage des «provoile», les choses se compliquent encore. D'abord (c'est tout aussi usuel), les journaux ne sont pas d'accord entre eux. Si le Figaro, qui a compté «entre cinq mille et dix mille personnes», considère dans son titre que la manif «n'a pas fait le plein», Libération choisit délibérément l'estimation haute, en donnant 11 000 manifestants à Paris, «mieux que les 3 000 du défilé organisé le 21 décembre». Manchette, photos, gros titre («Une procession de voiles contre la loi») : tout concourt à donner l'impression d'un certain succès. Il faut plonger dans le compte rendu pour lire les mots «succès relatif». Contradiction comparable à celle de la page du Monde. Le surtitre et le chapeau arrondissent hardiment à «une dizaine de milliers» de manifestant (e) s, tandis que l'article en avance plus prudemment «7 000, et peut-être davantage à la fin de l'après-midi».

Le Parisien donne une des clés de ces contradictions : la préfecture, de manière inhabituelle, a revu son estimation à la hausse pendant la manifestation, grimpant de 3 500 à 10 000 têtes. Ayant soulevé ce lièvre, le Parisien cite un fonctionnaire (de police ?) anonyme : «Il y a une volonté évidente de dramatisation. C'est un état d'esprit qui permet de faire monter la pression.» «Au bénéfice de qui ?» se demande le journaliste Christophe Dubois, livrant deux hypothèses :
«Certains y voient la main des plus hostiles à la loi sur la laïcité, qui chercheraient à la torpiller en exagérant le poids des provoile. D'autres soulignent que ces manifestations démontrent l'incapacité du CFCM, mis en place par Nicolas Sarkozy, de tenir ses troupes.» Autrement dit, si l'on comprend bien, la dramatisation servirait à la fois Sarkozy et ses adversaires. Ouf !

Peut-on se poser, à propos de la presse, les mêmes questions qu'à propos de la préfecture de police ? Faut-il chercher, dans ses raisons de «dramatiser» cette manifestation provoile au détriment de la manif antinucléaire, des arrière-pensées politiques ou idéologiques ? Peut-être, mais pas seulement. Risquons aussi quelques hypothèses plus professionnelles. La première raison de privilégier la manif des «provoile» c'est sans doute... que les journaux avaient prévu de le faire. Les équipes ont été mobilisées, les articles commandés, les interviews sollicitées : il faut bien, ensuite, publier tout cela. Pourquoi cette mobilisation ? Le voile est un feuilleton plus «porteur» que le nucléaire. Imprévisibilité de l'intrigue (les camps fourbissent leurs armes avant le vote de la loi), gaffes en direct (Ferry à propos de la barbe et du bandana, quelques jours plus tard), apparition d'un repoussoir d'une redoutable efficacité (Mohammed Latrêche, en passe de remplacer Tariq Ramadan dans le rôle du méchant) : tous les ingrédients du feuilleton «à risques», aux imprévisibles dérapages, sont réunis.

Toutes ces raisons ne sont pas illégitimes. La presse est fondée à se pencher sur le minoritaire d'aujourd'hui, qui peut être le majoritaire de demain (d'autant que les manifestations provoile, le même jour, en province et en Europe, amplifient le phénomène). Elle est dans son rôle de s'interroger sur la composition, les limites, les contradictions d'un mouvement social naissant. C'est sa liberté de choisir les tensions nouvelles plutôt que les problématiques plus anciennes. Une manifestation peut être un échec (relatif), et justifier pourtant une importante couverture. Encore faut-il alors dire clairement qu'elle est un échec, et en analyser les raisons. Encore faut-il aussi ne pas jeter inconsciemment aux oubliettes les sujets présumés périmés. Le débat a beau s'être assoupi, le casse-tête du stockage des déchets nucléaires demeure. Et il pose «en soi», pour l'avenir de la planète, des questions au moins aussi préoccupantes que la montée des intégrismes.

Oui, les médias sont (aussi) une loupe. C'est une fonction légitime, à condition qu'ils n'oublient pas (et leur public non plus) qu'ils sont une loupe. Et ne perdent pas de vue les espaces infinis que leur... voile leur propre loupe.


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