Une «zone morte»
géante dérive dans le golfe du Mexique
OCÉAN
Une immense «zone morte» dérive actuellement dans le golfe du Mexique. 15 000 kilomètres carrés d'océan rendus inhabitables pour les espèces vivantes à cause d'un taux d'oxygène beaucoup trop bas. En cause : les engrais déversés par le Mississippi. La menace est prise de plus en plus au sérieux : la «zone morte» qui revient tous les étés hanter les eaux du golfe du Mexique a gagné 2 000 km2 depuis l'année dernière, atteignant l'équivalent de trois petits départements français. Le phénomène est récurrent depuis trente ans : des masses de substances nutritives, nitrates et phosphates, sont rejetées dans le Mississippi à travers les engrais des exploitations agricoles et les résidus d'élevage. Le fleuve va se jeter dans le golfe, où ces substances favorisent le développement de certaines algues. Celles-ci consomment alors l'oxygène dissout dans l'eau. Ce phénomène, appelé eutrophisation, la rend impropre à la vie animale. «Les poissons et les crabes s'enfuient. (...) Tout le reste meurt», explique Nancy Rabalais, océanographe travaillant sur l'hypoxie (le manque d'oxygène) à l'université de Louisiane. Si rien n'est fait pour limiter le taux de nitrates rejetés, il n'y a pas de raison que le phénomène s'arrête. Pour l'heure, il semble surtout empirer : en plus de s'étendre, l'aire nocive tend à se rapprocher des côtes à cause des vents et des courants. Cette partie du golfe du Mexique n'est pas un cas isolé : 150 zones mortes ont été recensées de par le monde dans le dernier rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Une menace très inquiétante selon les experts, puisqu'elle a des retombées sur les stocks de poissons et donc sur les populations dépendant de la pêche pour leur survie alimentaire et économique. Si certaines de ces zones sont limitées (moins d'un kilomètre carré), d'autres sont proprement gigantesques. L'une d'elles occupe ainsi quelque 70 000 km2 de la mer Baltique, quasiment la surface de l'Irlande. Et contrairement à celle du golfe du Mexique celle-là ne disparaît pas en hiver. Pour contrer un phénomène qui n'a encore rien d'irréversible, les experts du PNUE proposent de nombreuses solutions, fondées sur la limitation du rejet d'azote (contenu dans les nitrates) vers la mer : la plantation de forêts et prairies, qui captent et retiennent l'azote pendant son trajet vers les rivières, la filtration des émissions automobiles, un traitement plus efficace des eaux usées et évidemment une diminution du gaspillage au niveau des engrais fertilisants. Le problème est d'autant plus navrant que de nombreuses régions du monde (en Afrique notamment) manquent cruellement de cet azote pour leurs cultures. En attendant que ces mesures soient prises, cette pollution a des conséquences inattendues. Le nombre d'attaques de requins sur la côte texane semble avoir augmenté ces derniers temps : déjà trois cette année, alors que seulement 18 morsures avaient été enregistrées dans cet État en 24 ans ! Pour Terry Stelly, écologue au département des parcs et de la faune sauvage du Texas, les deux événements sont liés. Selon lui, «il est très probable que les requins cherchaient des eaux plus oxygénées». Pour Nancy Rabalais non plus, il n'y a guère de doute : «L'augmentation
du nombre de requins dans les eaux peu profondes pourrait très bien
être due à la baisse du taux d'oxygène près
du littoral au moment des attaques. L'habitat dont ils disposent est nettement
moins étendu dans ces conditions.»
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