Point de vue
D’autres méthodes que le b.a.-ba. Par 10 enseignants Le Monde - mardi 14 mars 2006.
Nous n’enseignons donc pas le "b.a.-ba" au début du CP. Nous ne pratiquons pas non plus ce que l’on dénomme "méthode globale". Dès le début de l’année, en revanche, nous mettons à la disposition de nos élèves les outils qui les rendent progressivement autonomes dans l’écriture de textes dont ils sont les auteurs. En rectifiant les programmes pour y énoncer l’obligation de pratiquer le "b.a.-ba" dès le début du CP, le ministre nous empêcherait d’emprunter cette voie originale et féconde qui vise à ce que les enfants s’approprient parallèlement la maîtrise des codes : le code grapho-phonologique certes, mais aussi le code orthographique, grâce auquel le lecteur repère plus directement le sens des mots (sept, cette, Sète, set) et leur rôle dans la phrase (Quand elles lui content des histoires, il est content). L’usage précoce du "b.a.-ba" conduit en effet de nombreux élèves à produire d’emblée l’écriture des mots "comme on les entend" (par ex. : jé fé un cado a ma seur) plutôt que d’utiliser les outils qui les aident à développer leurs connaissances orthographiques, indispensables à une lecture aisée et à la compréhension des textes. Si le ministre maintient son projet, nous serons contraints à la désobéissance pour pouvoir continuer à faire écrire les enfants, pratique pédagogique sur laquelle se fonde l’essentiel de leurs acquisitions en lecture. C’est pourquoi, en notre nom personnel et, nous sommes fondés à le penser, au nom de nombreux maîtres qui travaillent la lecture et le décodage dès le début du CP sans enseigner le "b.a.-ba", nous demandons à M. de Robien de suspendre la réécriture des programmes qu’il a prévu d’officialiser ces prochains jours. Nous l’invitons à venir constater fin juin dans nos classes comment lisent nos élèves. Il pourra ainsi observer ce que donne un cheminement pédagogique sans manuel, différent de celui qui lui paraît le seul efficace - et pourtant plus ambitieux dans ses objectifs. Nous voulons croire qu’il aura alors à coeur de laisser les professionnels
suivre des cheminements divers au bénéfice de leurs élèves,
dans le cadre d’objectifs clairs, affichés par les programmes. Et
nous voulons croire aussi qu’après cette visite il traitera, avec
plus de pragmatisme et toute la circonspection nécessaire, cette
question cruciale mais complexe qu’est l’apprentissage de la lecture et
de l’écriture.
Luc Bentz (école Pauline-Kergomard, 95 Sarcelles), Martine Castier (62 Helfaut), Annie Cobes (Ecole ouverte des Bourseaux, 95 St-Ouen-L’Aumône), Michel Colas (école Célestin-Freinet, 49 Saint-Lambert-du-Lattay), Sylvain Connac (Ecole coopérative, 34 Balard), Christian Deligne (école Pierre-Curie, 95 Pierrelaye), Catherine Foucher (école des Charruaud, 33 Libourne), Isabelle Lescouarch (école de Mont-Cauvaire, 76), Florence Suire (école des Boulingrins, 95 Vauréal), Danielle Thorel (école Hélène- Boucher, 59 Mons-en-Baroeul). |