Paris,
capitale du contournement de la "carte scolaire"
"Il faudra bien un jour
poser clairement la question de savoir
pourquoi la sectorisation
est à ce point insupportable à certaines familles" ,
insistaient les inspections
générales de l'éducation nationale dans un rapport
sur Paris réalisé en 2004
Depuis, aucune réflexion
précise n'a été lancée ni même évoquée.
ÉDUCATION
Médiocres résultats de la maternelle au lycée et aggravation des inégalités analysés par l'inspection générale Paris, mauvais élève pour l'Éducation nationale D'après le rapport, «quel que soit le diplôme observé, les résultats académiques sont plus faibles que la moyenne nationale.» Pour expliquer les mauvais résultats de l'académie de Paris qu'ils viennent de mettre en lumière, les rapporteurs de l'inspection générale de l'Éducation pointent du doigt chaque niveau de scolarité. Les dérives commenceraient dès l'école maternelle avec des ouvertures parfois tardives le matin et surtout une absence des élèves le samedi matin qui ne serait pas que du fait des familles. «C'est l'intérêt des élèves qui est ici gravement négligé», expliquent-ils. A l'école élémentaire, ils dénoncent plusieurs dysfonctionnements : la mauvaise répartition des enseignants entre les classes, avec des CP parfois surchargés au contraire des autres classes ; une «culture balbutiante de l'évaluation» ou encore, une médiocre coordination des instituteurs avec les enseignants financés par la Ville de Paris qui interviennent en musique, dessin et éducation physique. Les professeurs des écoles ne sont pas épargnés : «Les maîtres parisiens ne sont pas moins compétents, ils sont plutôt moins innovants et moins impliqués – aussi bien dans la vie de l'école que dans le suivi des élèves – que dans d'autres académies», relèvent les inspecteurs. Ils regrettent également un inégal suivi des élèves en difficulté et, surtout, demandent que le temps dont disposent les enseignants pendant que les enfants sont pris en charge par les professeurs de la Ville de Paris soit bien consacré au suivi des élèves et non à d'autres activités. «Tout cela a pour conséquence l'installation de retards scolaires qui ne cesseront de s'aggraver et la séparation quasi définitive entre les «bons» élèves qui deviendront toujours meilleurs et les autres que l'école ne sait pas faire réussir», peut-on lire dans le rapport. Ces écarts se creusent au collège avec une sectorisation partiellement défaillante. La fuite de près de 30% des élèves vers le privé et un système de contournement de la carte scolaire par le biais des options conduit à favoriser l'apparition d'établissements qui accueillent une majorité d'élèves en difficulté (arrondissements de l'est et du nord de la capitale) et ceux qui reçoivent les plus favorisés (centre de la ville et ouest). «Il n'existe par exemple qu'une minorité d'établissements où figurent à la fois une Segpa et une section européenne», notent les inspecteurs. Au sommet, le lycée achève la ségrégation : «Il se passe à Paris au plan de l'académie entière ce qui se passe dans les établissements qui constituent des classes homogènes : les «bons» établissements comme les «bonnes» classes deviennent toujours meilleurs», commentent les inspecteurs et ils ajoutent : «C'est ce système même qui interdit la réussite des autres lycéens parce qu'à ne mettre ensemble que des élèves «faibles», on se donne peu de chance d'en faire, malgré tous les efforts, d'excellents élèves.» Au-delà des établissements et des enseignants, le rapport épingle également le personnel encadrant, qu'il s'agisse des inspecteurs ou des chefs d'établissements. Ces derniers «savent qu'ils ne jouent pas aussi souvent que nécessaire leur rôle d'animateur de la pédagogie dans leur établissement et ont conscience que la marge de progression est très importante dans ce domaine», écrivent les inspecteurs. «Il conviendrait de définir et appliquer une politique
ferme (...) permettant de résorber la fracture et l'absence de mixité
sociale qui caractérise cette académie», conclut
le rapport. La balle est dans le camp du rectorat.
L'école à Paris : une machine à creuser les inégalités Virginie Malingre - Le Monde, 29.10.2004
Un rapport de l'inspection générale de l'éducation
nationale indique que les résultats des élèves parisiens
sont moins bons que la moyenne française.
A toutes les étapes de la scolarité, les meilleurs bénéficient de toutes les attentions. A priori, Paris a tout pour afficher de bons résultats scolaires. Et pourtant, la capitale fait moins bien que la moyenne nationale. Que se passe-t-il donc qui empêche les élèves parisiens de réussir aussi bien qu'on pourrait l'attendre ? L'inspection générale de l'éducation nationale s'est penchée sur cette question dans un rapport remis au ministre sur "l'évaluation de l'enseignement dans l'académie de Paris". Révélé par Libération, lundi 25 octobre, ce travail décortique une à une les raisons qui, de l'école maternelle au lycée, expliquent la médiocrité de ces résultats. A chaque étape, il apparaît que tout est fait pour que les "bons élèves deviennent meilleurs", commentent les auteurs, qui ajoutent que "l'école ne sait pas faire réussir les autres". Et pour cause : leur réussite n'est que rarement un objectif. "Dès l'école maternelle, se met en place l'approche élitiste qui mène à ces résultats", estiment les auteurs. Ainsi, 8,2 % des enfants de 2 ans sont scolarisés à Paris, contre 32 % sur le plan national. Et, contrairement à la règle, très peu d'écoles maternelles accueillent les élèves le samedi matin. "C'est l'intérêt scolaire des élèves qui est ici gravement négligé, celui des élèves défavorisés en particulier", commente l'inspection, qui rappelle que"les maîtres sont rémunérés pour accueillir des élèves". DES MAÎTRES MOINS OUVERTS A l'école élémentaire, la machine à fabriquer des élites et à exclure les plus fragiles poursuit son labeur. Les classes de CP y sont souvent très chargées, là où les CE1, CE2 et CM1 le sont nettement moins. Mais les maîtres refusent de constituer des classes à double niveau, qui permettraient d'alléger les CP. Qui plus est, au lieu d'être, comme ailleurs, confrontés presque exclusivement à leur maître, les petits Parisiens vivent la multiplication des activités et des intervenants. C'est une spécificité de la capitale : la Ville met à leur disposition des professeurs en EPS, en musique ou encore en informatique, en complément de l'instituteur. "Autant cette organisation donne aux meilleurs encore plus de chances, plus de variété, un entraînement précoce à l'enseignement du second degré, autant ces interventions multiples, ces enseignements éclatés, ces emplois du temps en dentelle peuvent avoir des conséquences négatives sur la scolarité des élèves fragiles et peu sûrs d'eux", écrit l'inspection. Et ce, d'autant plus que l'intervention des professeurs de la Ville réduit le temps de travail des maîtres. Dans un tiers des cas, ils utilisent les créneaux horaires ainsi libérés pour un usage personnel. L'inspection a calculé qu'ils passent 22 h 20 par semaine seuls avec leurs élèves, pour une obligation de service de 27 heures. Moins présents, les maîtres parisiens sont, souvent, moins ouverts à toutes sortes de pédagogie. Leurs méthodes restent "fortement marquées par les modèles magistraux, le plus souvent frontales et collectives, fondées sur la seule parole du maître : celui-ci parle, les élèves écoutent", décrit le rapport. "L'enseignement dispensé est encore trop souvent conçu en fonction des meilleurs élèves, en particulier dans les quartiers aisés. C'est alors, pour des élèves qui passeraient pour de bons élèves dans d'autres quartiers, la spirale de l'échec scolaire qui se met en place." Le passage au second degré accélère encore cette ségrégation entre les bons élèves, qui deviennent meilleurs, et les autres. Plusieurs décennies après la décision de séparer les lycées des collèges, Paris compte encore 30 cités scolaires où ces deux types d'établissement coexistent. Pour l'essentiel, elles sont situées dans les quartiers cossus du centre et de l'ouest parisiens. Pour peu que le lycée soit convoité, le collège vit alors au rythme d'un "petit lycée", note l'inspection, d'où des"exigences parfois excessives en matière d'approfondissement des programmes" et une "sévérité souvent exagérée au niveau de la correction des copies". Stimulant pour les bons élèves. Pour les autres... Au lycée, il y a, de la même manière, un effet classes préparatoires aux grandes écoles. Si près des trois quarts des lycées généraux parisiens en sont dotés, 46 % des élèves qui suivent ces formations se trouvent dans les très favorisés 5e et 6e arrondissements. Cette cohabitation n'est pas sans effet : "L'esprit de concours" souffle dès la seconde et peut prendre diverses formes d'élitisme (dépassement des programmes, notations très sévères). L'implantation géographique des séries technologiques dans la capitale est également très inégale. Ainsi, les 5e, 6e, 7e et 11e arrondissement n'offrent pas de classe STT (Sciences et technologies tertiaires). On voit donc bien ce qui se dessine : les meilleurs établissements sont dans les quartiers les plus favorisés et offrent un enseignement élitiste, adapté aux meilleurs. Que les autres se débrouillent. DES OPTIONS "VALORISANTES" Les modalités d'affectation des collèges et des lycées participent également de cette "fracture sociale qui traverse l'institution scolaire de part en part et redouble les clivages sociaux eux-mêmes", estime l'inspection. En théorie, l'affectation du collège se fait en fonction de l'arrondissement. Dans la pratique, en 2003, sur 14 300 élèves entrés en sixième dans le public, 1 300 ont obtenu une dérogation. Et 5 000 se trouvent dans un autre collège que celui auquel ils sont rattachés, en raison du choix d'une option qui a été satisfait ailleurs. Il se trouve que les options dites "valorisantes" ne sont pas réparties de manière équitable, ce qui accroît encore la ségrégation sociale. Près de la moitié des collèges n'en offrent aucune. Le russe en première langue vivante n'est proposé que dans le 5e, les sections internationales surtout dans les 7e et 17e. Les sections sportives, elles, ont été reléguées dans les arrondissements extérieurs. L'entrée au lycée achève ce processus. Paris est divisé en quatre districts, qui regroupent plusieurs arrondissements. Chaque élève peut exprimer un vœu pour cinq établissements, dont quatre doivent appartenir à son district. Henri-IV et Louis-le-Grand sont les plus demandés. Libre à eux, ensuite, de faire leur marché. A l'inverse, les lycées les moins demandés récupèrent
ceux dont personne ne veut. Voilà pourquoi Henri-IV affiche un taux
de réussite au bac de 100 %, avec 81 % d'élèves issus
d'un milieu très favorisé. A François-Rabelais dans
le 18e, ces chiffres tombent respectivement à 65 % et 10 %. Tout
un monde.
Un travail engagé depuis plusieurs mois pour élaborer un plan d'amélioration des performances L'académie décidée à réagir «Aucunement surpris». Dans les bureaux de l'académie de Paris, Pierre Polivka, le directeur, se montre plutôt satisfait de la publication du rapport de l'Inspection générale de l'Éducation nationale portant sur l'évaluation de l'enseignement dans la capitale (lire ci-dessus). «Ce rapport confirme les analyses que nous avons conduites quand nous sommes arrivés», explique-t-il. A savoir : des résultats bien en deçà de ce qu'ils devraient être au regard de la population de la capitale et des avantages culturels qu'elle offre, et un écart qui se creuse entre les élèves des milieux favorisés et les autres au fur et à mesure qu'ils avancent dans leur scolarité. «Les ciseaux ne cessent de s'ouvrir de la maternelle au post-bac», précise Pierre Polivka. Le constat ne surprend guère plus les associations de parents
d'élèves de la ville. Ni certains syndicats d'enseignants,
même si ces derniers trouvent la charge lourde à l'encontre
de leurs pairs. «Il ne faudrait pas que les professeurs servent
de boucs émissaires, alors que ce rapport traduit surtout un malaise
de l'autorité académique», estime de son côté
Éric Ferrand en charge du dossier scolaire à la mairie de
Paris.
Reste que les autorités académiques ont déjà
bien avancé. Maurice Quénet, le recteur de l'académie,
a en effet demandé il y a plusieurs mois que soit élaboré
un plan académique d'amélioration des performances de la
Ville de Paris. Le projet répond en partie aux critiques émises
par le rapport de l'Inspection.
Un message va par ailleurs être très largement diffusé pour rappeler que l'école est obligatoire dès lors qu'un élève est inscrit, y compris en maternelle. Dans le cas où des enseignants de maternelle continueraient d'avoir des classes vides le samedi matin, peut-on imaginer qu'ils soient sollicités pour intervenir dans l'école élémentaire voisine ? «Nous souhaitons que tout le personnel soit utilisé au maximum», assure Pierre Polivka, qui rappelle également que, durant les heures de prise en charge des élèves par les professeurs de la ville de Paris, les enseignants devront mettre à profit ce temps libre pour aider des élèves en difficulté. Tout cela doit s'accompagner d'une forte mobilisation du corps d'inspection et d'actions de formation très ciblées. Formation et mobilisation qui vont également concerner les enseignants du second degré et du collège en particulier. A ce niveau, il s'agit notamment de développer une culture d'évaluation et surtout d'apprendre à se servir de ces outils. De façon plus générale, l'académie entend améliorer les liens entre le primaire et le collège. La carte des langues va être entièrement revue afin que tous les élèves qui en commencent une en primaire puissent la poursuivre au collège. De même, une nouvelle carte des langues et des options (langues rares, classes européennes...) va-t-elle être organisée de façon à ce qu'elles soient proposées dans chaque bassin (huit à Paris). En clair, il s'agit d'éviter la concentration des classes européennes dans les arrondissements du centre et de l'ouest de la capitale et des segpa pour élèves en difficulté dans ceux de l'est. Enfin, au lycée, l'académie vise deux objectifs : comme
pour le collège, faire en sorte que les lycées d'un district
(quatre à Paris) offrent la totalité des options et surtout
rendre plus transparentes les affectations des enfants. Pour l'heure, si
les élèves de 3e émettent des voeux pour des lycées,
ce sont les proviseurs qui font «leur marché».
Pour autant, s'il s'agit d'apporter un meilleur équilibre, il
n'est pas question d'élaguer les quelques lycées prestigieux
de la capitale qui seront même encouragés à accueillir
les meilleurs élèves des collèges périphériques,
dont beaucoup n'ont même pas l'idée de postuler dans ces établissements.
Marielle Court - Le Figaro -15
novembre 2004
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