"Le
rôle des enfants a été essentiel,
de telle sorte qu'ils
ont été largement associés à la création
de l'oeuvre"
"Etre
et avoir" : le contentieux parents/producteurs devant la justice
Les bénévoles
sont-ils des poires ?
Le Monde - 14.03.05
C'est un beau mot, "bénévole". Un mot qui sent l'innocence, le frais, le pur. Les deux premières syllabes lui offrent un socle. "Béné", c'est du solide qui vient du latin bene ("bien"). Après, c'est du velours, de la gaze. Ce "vole", de volo ("je veux"), c'est du sublime, de l'impalpable, de l'inappréciable. Deux syllabes d'azur, des bulles d'air. Etre bénévole, c'est admirable. On songe aussitôt aux secouristes de la Croix-Rouge, aux Petits Frères des pauvres acheminant emplettes et colis aux oubliés, à tous les bénévoles anonymes, ou encore à ces choristes dévoués dont les chants en canons viennent réchauffer les longues soirées d'hiver. Bénévolat tout cela, bénévolat pur et dur, bénévolat ordinaire et pourtant extraordinaire. Prenons les Petits Chanteurs de Saint-Marc, à Lyon. Oui, les "voix" des Choristes, le film de Christophe Barratier. Des bénévoles, bien sûr. Des bénévoles bienheureux. Des bénévoles sublimes. Des bénévoles qui planent. Des bénévoles enchantés. Voilà plus d'un an que nous vibrons au son de leurs voix cristallines. La France entière est devenue un chœur, chaque Français fait partie de la chorale. Qui n'a pas vu Les Choristes ou n'a pas l'impression de l'avoir vu ? Le succès est immense : plus de neuf millions d'entrées en France. Un bingo gargantuesque, sans compter la vente annoncée d'un million de DVD et d'un million et demi de CD. Et cela continue. On imagine les recettes d'une telle réussite. La société de production a versé à la chorale la somme forfaitaire de 20 000 euros destinés à dédommager l'association pour trois jours d'enregistrement. L'attachée de presse du film précise que 1 % des royalties du CD sera octroyé, ce qui représentera une somme d'environ 150 000 à 200 000 euros. Fermez le ban ! Les Petits Chanteurs de Saint-Marc sont contents. Leurs familles sont contentes. Le chef de coeur est content. Les responsables sont contents. Tout le monde est content jusqu'à la semaine dernière, lorsque le père d'une choriste rompt le bel unanimisme. Contrairement aux autres familles, il proteste contre les cadences infernales que l'on a imposées aux enfants depuis la sortie du film (concerts, enregistrements, émissions de radio et de télévision, déplacements) et menace de déposer plainte si sa fille ne reçoit pas une "part légitime" des bénéfices. Aussitôt, les attaché(e)s de presse entrent en action, les producteurs s'offusquent, les avocats virevoltent. Tous se révèlent de redoutables juristes capables de vous expliquer, textes à l'appui, que chaque convention signée a été et sera scrupuleusement respectée. Les voilà déployant habilement leurs arguments et leurs arguties, experts en explications de textes et de lois, en démonstrations juridiques et contractuelles. Ils rejettent la requête du père de famille comme une incongruité, une grossièreté proférée dans un salon. Cela rappelle bien sûr la mésaventure de Georges Lopez, l'instituteur du documentaire Etre et avoir, qui s'était vu refuser toute gratification exceptionnelle après sa tournée de promotion et le succès du film en salles. L'affaire s'envenima. Il y eut procès et débâcle judiciaire pour l'instituteur, mal armé pour combattre sur le terrain du droit. Un geste aurait sans doute, certainement, suffi pour éviter ce pugilat judiciaire. Que demandait l'instituteur sinon une forme d'élégance, la juste appréciation d'un apport, la reconnaissance d'une prestation exceptionnelle ? Entre gentlemen. Mais la maison de production et le réalisateur avaient parié sur le droit, tandis que le malheureux se croyait sûr de son bon droit. La lutte était trop inégale. Idem avec les choristes. Un père peut bien demander une "part légitime", réclamer, exiger, tempêter. On préfère l'ignorer. Comme si la géographie sociale devait rester immuable, avec classes et frontières étanches : d'un côté, les professionnels de la profession, les bénéficiaires béats ; de l'autre, les amateurs, les candides et les modestes. Comme si le monde du divertissement et celui du patronage ne s'étaient pas rencontrés. Comme si l'un n'avait pas nourri l'autre. On croyait ce fossé-là aboli. On le pensait comblé depuis le large effondrement du mur entre amateurs et professionnels chez les sportifs. C'est une erreur : les pros se satisfont parfaitement de l'existence de bénévoles retranchés de tous les avantages et profits de la vie matérielle. Ils ne voient aucun inconvénient à engranger tous les bénéfices et à laisser aux âmes simples les miettes d'une menue notoriété. Que les humbles qui apprécient l'apostolat soient sanctifiés... Le plus paradoxal, dans cette histoire, reste le renversement des positions. Alors que les producteurs s'inquiètent légitimement de l'érosion de leurs royalties en raison des multiples piratages dont les œuvres (CD, DVD) font l'objet, certains n'hésitent pas à pomper tout ce qu'ils peuvent du travail de bénévoles réunis par le seul plaisir de partager ensemble leur passion. Confrontés au choc de la revendication tous azimuts du gratuit (sur le livre, la presse, les films, la musique), ils ne perçoivent aucune contradiction à piocher largement dans le travail offert généreusement par d'autres. C'est un beau mot, bénévole. Encore ne faudrait-il pas le piétiner. Laurent Greilsamer
"LES CHORISTES"
Les parents d'un enfant menacent d'une plainte
Les jeunes chanteurs de la bande son du film "les Choristes"
de Christophe Barratier "n'ont pas touché un sou", malgré
un "immense succès et d'importantes retombées financières",
a dénoncé mardi 8 mars le père d'un des enfants, Francis
Hartmann.
Seule l'association des Petits chanteurs est liée par contrat à la société de production, mais les jeunes choristes n'ont individuellement aucun contrat, a précisé Francis Hartmann, qui demande "un peu de transparence" sur les sommes versées à l'association. Exploitation "Il y a eu une exploitation éhontée des enfants",
a-t-il encore dénoncé, expliquant que ces derniers étaient
"soumis
à un rythme complètement fou", en multipliant les concerts,
les plateaux TV et les séances de dédicaces dans les grandes
surfaces "dans une totale opacité, notamment financière".
Le Nouvel Observateur - mars 2005
JUSTICE «Les Choristes» : les familles demandent réparation Delphine Chayet - 31 mai 2005 - Le Figaro
Les parents de deux jeunes chanteuses du film Les Choristes sont passés à l'action. Hier, leur avocate a fait délivrer une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris. Objectif : obtenir de la société de production Galatee Films une réparation financière, «en contrepartie de la rémunération dont Lucile Hartmann et Claire Valette ont été privées». Une offensive à laquelle devraient bientôt se rallier d'autres parents. Comme les trente autres interprètes de la bande-son des Choristes, les adolescentes lyonnaises ne sont pas apparues à l'écran mais leurs voix, couronnées aux Victoires de la musique 2004, ont «largement contribué au succès du film», selon l'assignation. Quelque 8,5 millions de spectateurs se sont pressés en 2004 dans les salles françaises. Et le disque de la bande originale du film, enregistré par la chorale des Petits Chanteurs de Saint-Marc, figure toujours en tête des ventes un an après sa sortie. Indignés qu'aucune rémunération ne vienne récompenser le travail de la jeune Lucile, les époux Hartmann avaient publiquement exprimé leur indignation en mars dernier (nos éditions des 9 et 18 mars 2005). Depuis, le couple a été rejoint par les époux Valette. «La jurisprudence est très stricte sur la nécessité d'obtenir l'autorisation personnelle de l'artiste interprète, souligne Me Sabine Tisserand, avocate des familles. Or la société Galatee Films a signé une convention avec l'association lyonnaise, sans demander le consentement des parents.» La chorale a ainsi reçu pour son compte 21 000 euros pour les trois jours consacrés à l'enregistrement du disque. Puis, 1% des royalties issues des ventes. Concernant le calcul du préjudice subi par les deux choristes, les familles s'en remettent à l'expert prochainement désigné par le tribunal. «Il est communément admis que la rémunération de l'artiste interprète est comprise entre 8 à 10% des bénéfices encaissés par le producteur», souligne cependant l'assignation. L'expert aura à déterminer les sommes à prendre en considération. Au total, selon ce document, le film aurait généré plus de 100 millions d'euros de recettes (dont 50 millions d'euros d'entrées en salles, 35 millions de ventes de DVD et 20 millions de ventes de CD). En attendant, les parents demandent au tribunal de condamner Galatee à verser une somme provisionnelle de 50 000 euros pour chaque enfant. «La non-rémunération des choristes est un principe fondateur, avait souligné la présidente de la chorale lyonnaise, Astrid Heckert. Les parents ont toujours accepté que les cachets tirés des prestations de leurs enfants soient reversés à l'association pour la réalisation de ses futurs projets artistiques.» Pour Eva Simonet, attachée de presse du film Les Choristes, «les contrats sont parfaitement clairs». La fronde judiciaire rassemble désormais au-delà des couples Hartmann et Valette. «Quatre autres familles se joindront à nous à la fin de l'année scolaire, indique ainsi Francis Hartmann. Et deux couples ont entamé une procédure identique avec un autre avocat.»L'audience devrait se tenir d'ici à un an. |