13/03/05 -  "C'est vous le peuple de demain", lance Ariane Mnouchkine aux lycéens, tantôt "éblouis", tantôt "bouleversés" par le dernier spectacle du Théâtre du Soleil, qui retrace les destins chaotiques de plusieurs réfugiés.

Plus de 2.500 lycéens, issus d'une trentaine d'établissements de la région Rhône-Alpes, ont pu voir à Lyon "Le dernier Caravansérail (Odyssées)", monté par cette troupe renommée, politiquement engagée, habituellement installée à la Cartoucherie de Vincennes, près de Paris.

"Cette immersion dans le Théâtre du Soleil est une grande découverte pour eux, un grand moment", explique Brigitte Ferrari, enseignante au lycée Chabrières à Oullins (Rhône). La troupe du théâtre du Soleil a été invitée par le Théâtre des Célestins, de Lyon, et sa venue a été financée par le conseil régional de Rhône-Alpes, à hauteur de 238.000 euros, afin notamment que le spectacle puisse être vu par les lycéens.

"Je voudrais que vous sachiez que le Théâtre du Soleil donne rarement des représentations pour une seule génération", annonce Ariane Mnouchkine, avant le début du spectacle, devant un parterre cette fois essentiellement composé de jeunes.

"Chaque fois que je vous vois, avec vos visages si pleins de promesses et d'attentes, je suis très émue", confie-t-elle aux 600 lycéens rassemblés devant elle. "Il y a dans le monde plein d'endroits où être là, assis côte à côte, au théâtre, ne serait pas possible, sans crainte des bombes, de la vraie misère ou tout simplement parce que le théâtre est interdit", ajoute-t-elle.

Parcelles de vies de clandestins

D'emblée, les jeunes spectateurs sont plongés dans l'univers du "Fleuve cruel", frontière où des hommes, des femmes et des enfants luttent contre les flots tumultueux pour passer sur l'autre rive. Au gré du spectacle de six heures, ils découvrent des parcelles de vie, des fragments d'histoires, des témoignages contés et confiés à Ariane Mnouchkine par des clandestins afghans, kurdes, tchétchènes ou iraniens, rencontrés à Sangatte, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Afghanistan.

"L'intensité est très forte, dès le début. On a la chair de poule", explique Sébastien Depommier, élève de seconde au lycée Baudelaire de Cran-Gevrier (Haute-Savoie). "C'est magnifique, c'est un grand spectacle qui en jette plein les yeux", dit Emmanuel Marchal, élève de première littéraire option théâtre au lycée Charlie-Chaplin de Décines (Rhône).

"Il y a une violence qui montre dans quel univers on se trouve", explique Marianne Mongier, en terminale scientifique à Oyonnax (Ain). "Cela montre la chance qu'on a de vivre en France, dans les autres pays, c'est hard", renchérit Guillaume Bois, de Décines.

"Qu'est-ce qu'on peut faire?", demande une lycéenne d'Oullins.

"Vous allez faire votre travail de spectateurs", répondait récemment Ariane Mnouchkine, lors du débat qui suit la représentation, "vous allez penser et parler et ne plus laisser dire ce que vous laissiez dire avant-hier".

"Ce spectacle ne prétend pas que tous les réfugiés sont formidables", poursuit-elle, mais "aujourd'hui il n'y a plus de droit d'asile, plus un regard, bientôt des camps... De qui sommes-nous complices? Ils fuient bien quelque chose? Avec qui nous traitons pour le pétrole? (...) C'est vous le peuple de demain, c'est vous qui allez décider (...) Vous avez un pouvoir. C'est d'ailleurs un des enjeux du spectacle, car l'art est un pouvoir", dit-elle.