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Le constat caricatural du ministre de l'éducation
augure mal du débat promis

École :
gare à la logique binaire !

par Jean-Michel Zakhartchouk
Rédacteur des Cahiers pédagogiques,
auteur d’Enseigner, un métier à réinventer, éd. Yves Michel, 2002
Libération - mardi 22 avril 2003
 

Le ministre de l’Éducation nationale nous promet un débat au Parlement sur l’école.
Étant de ceux qui, dans un Manifeste pour un débat public sur l’école (1) , ont souhaité ce débat, je ne peux que m’en réjouir. L’école est bien l’affaire de tous les citoyens et elle a tout à gagner a priori d’un tel débat.

Le problème est que, dans le même temps, le ministre nous gratifie d’une série de considérations dans sa Lettre à ceux qui aiment l’école (qui sont ceux qui ne l’aiment pas ?) qui ont plutôt tendance à enfermer ce débat dans une logique binaire, en durcissant des oppositions qui n’ont pas vraiment de consistance pour rejeter en bloc un point de vue sur l’école qu’on accuse de manière caricaturale d’être responsable de tout ce qui ne va pas. (2)

Pour ma part, enseignant en collège ZEP depuis plus de vingt ans, je ne me reconnais nullement dans les oppositions qu’énonce notre ministre.
On aurait privilégié, nous dit-il, l’innovation contre la tradition, l’exaltation de l’esprit critique par rapport à l’humble reconnaissance de l’autorité de ceux qui détiennent le savoir, l’expression de soi de préférence au respect des normes, en particulier celles de la langue française, la centration sur l’élève au lieu de la centration sur les savoirs.

Comment peut-on avancer, avec l’autorité que confèrent la fonction de ministre et la qualité de « philosophe », une vision historique aussi unilatérale ? Ce tableau ne correspond en rien à ce qu’on connaît de la réalité de l’école française. Le cours magistral continue à dominer, notamment au lycée, et l’écriture personnelle est beaucoup moins pratiquée qu’on ne le dit. Les « droits » des élèves sont le plus souvent des leurres (voir le fonctionnement ordinaire des conseils de classe) et l’innovation reste marginale, même si elle est encouragée par les textes (qui demandent en même temps de finir d’abord le programme).

Mais le plus grave est que ces oppositions énoncées par le plus haut niveau de la hiérarchie mènent à l’impasse parce qu’elles reviennent à prendre le parti d’une faction crispée sur ses représentations passéistes. La tâche historique de l’école française, dans une société qui a effectivement du mal à construire des repères nouveaux serait au contraire de permettre un dépassement de ces oppositions.

Dans ma pratique quotidienne de professeur de français, si je veux transmettre une tradition, celle de ces textes que j’aime profondément, qui font partie de notre trésor historique à tous, j’ai besoin d’innover, d’inventer, de trouver des ponts entre ce passé et le présent de mes élèves. Il me faut faire travailler vraiment sur un texte de Voltaire, le faire résonner avec l’actualité, faire écrire, faire débattre les élèves ; alors, j’ai une petite chance qu’ils s’approprient un peu ce qui est « leur » bien à eux aussi. Si je veux que mes élèves respectent la langue française, il faut que je les aide à s’approprier sa richesse, en les faisant jouer avec les mots, en les faisant inventer afin de mieux faire percevoir les contraintes et la nécessité de se référer à un code commun sans lequel la communication n’est pas possible.

J’ai des élèves de quatrième qui n’ont jamais écrit de leur carrière scolaire le moindre poème, alors qu’ils ont appris par cœur - en vain, car ils ont tout oublié - les mille et une règles de grammaire, les mille et une conjugaisons qui sont réputées former les « bases » de l’enseignement du français. Or, je fais le pari que c’est en faisant écrire, en permettant, à travers une démarche pas du tout spontanéiste, mais rigoureuse et organisée, de manipuler tous les outils de la langue qu’on obtient une amélioration des capacités d’expression des élèves aussi bien que de leurs compétences de lecteurs.(3)

Dernier point : esprit critique contre autorité ? Mais cette fameuse «autorité» ne doit-elle pas se mériter ? En quoi ces deux notions sont-elles contradictoires ? Il est bien étrange pour un philosophe de faire mine de confondre la capacité à interroger et l’esprit de contestation systématique qui en est la caricature. Cultiver chez les élèves une méfiance de principe envers les préjugés, les idées toutes faites, est le meilleur hommage qu’on puisse rendre aux savants et aux artistes qui sont étudiés à l’école, la meilleure façon de faire prendre conscience que la vérité ne tombe pas du ciel mais se conquiert à travers une démarche active, à l’opposé d’un dogmatisme qui reste un obstacle par exemple à un enseignement des sciences adapté aux exigences de notre temps.

Et si certains jours, comme beaucoup de mes collègues, je peux sentir mon impuissance, l’écart parfois gigantesque entre ce que je voudrais pour mes élèves et la réalité, je sais aussi que les solutions ne résident pas dans les coups de menton ou dans la nostalgie du « bon vieux temps ».
Aujourd’hui, l’autorité du professeur doit se bâtir davantage à travers l’image d’un homme passionné, motivé, cherchant avec ses élèves, organisant au mieux la classe pour une appropriation collective des savoirs, garant des règles qui permettent à cette classe de fonctionner, que dans les représentations archaïques du maître d’autrefois, de celui qui « sait », qu’on ne doit jamais contester et que d’ailleurs on idéalise de façon bien vaine.

Se centrer sur l’élève, qu’est-ce que cela veut dire ? Rien d’autre que se préoccuper de ce qui est vraiment efficace, de ce qui a des chances d’avoir un effet sur les élèves tels qu’ils sont, tels que l’école essaie de les changer avec son pouvoir limité, au milieu d’une société loin d’être favorable à ce changement. Ceci implique de former des enseignants avant tout préoccupés par cette efficacité-là, qui est une exigence démocratique, soucieux d’organiser la classe pour que tout le monde apprenne vraiment.

Le débat sur l’école permettra-t-il de dépasser les fausses oppositions pour trouver de nouveaux équilibres, ou sera-t-il, à travers des querelles stériles, une nouvelle occasion manquée ?



1. Editions Syros, 2002.
2. Au banc des accusés, bien sûr, Mai 68. Relire Les Animaux malades de la peste…
3. L’expérience des ateliers d’écriture hors du monde de l’école en témoigne.


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