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 Militants anti-biométrie en correctionnelle : délibéré au 17 février.
 

 école autrement, école alternative, école différente, collège lycée innovant, expérimental ...
2018 ?              2118 ?
Une autre école est-elle possible ?
 
  

 Déclaration des inculpé-e-s au tribunal d’Evry

Il nous revient, pour notre défense, d’éclaircir en quelques mots les raisons de notre présence dans ce lycée.

Si les outils biométriques ont été introduits dans les écoles, ce ne sont pas au fond, les écoliers qui sont visés par ces contrôles. Car même le proviseur le plus bureaucrate ne pourrait justifier un instant qu’ils sont nécessaires. Si la biométrie est entrée à l’école, c’est parce que les écoliers d’aujourd’hui seront demain des adultes.

Or l’industrie de pointe, omniprésente dans ce département de l’Essonne, considère avec l’appui actif de tous les décideurs politiques que les citoyens doivent être, dès l’enfance, conditionnés au high-tech, afin qu’ils ne remettent jamais en question les transformations que le déferlement technologique exerce sur leurs modes de vie. L’arsenal publicitaire façonné à leur intention, les mutations successives de l’Ecole, dressent les plus jeunes à accepter ou à désirer la technicisation croissante des activités humaines, que l’on appelle, contre toute sensibilité et contre toute raison, le “ progrès ”.

La manière dont on impose la biométrie par le conditionnement des plus jeunes, entre autres, est d’inspiration tout aussi totalitaire que le contrôle biométrique lui-même. Ce fleuron de la barbarie électronique signifie littéralement que l’individu se situe à mi-chemin entre le produit étiqueté du supermarché et le détenu tatoué du camp. Nous nous demandons alors quelle part de dignité il reste à celui qui doit transformer une partie de son corps en code-barre pour être identifié. Nous nous demandons à quelle marge d’autonomie morale il peut prétendre une fois que son anatomie est devenue le support direct du fonctionnement social. Jusqu’où ira-t-on pour achever de rendre les comportements prévisibles, et les personnes étrangères à elles-mêmes ?

Tantôt au nom de la menace terroriste, tantôt simplement parce que " c’est plus pratique comme ça ”, les bureaucraties petites et grandes, étatiques ou marchandes, ne cessent de soumettre les espaces de la vie commune à leurs propres critères : rien ne doit entraver le flux de l’économie ; rien ne doit obscurcir la transparence du contrôle. Le langage et le rapport sensible, trop lents, trop ambigus, sont évacués au profit de la surveillance électronique.

Nous estimons donc que la biométrie est un pas de plus vers la déshumanisation de la société : la gestion des populations s’automatise et devient à elle-même sa propre fin. Conformément aux pires anticipations cybernétiques, il semble de plus en plus admis que l’existence n’est qu’un prétexte à la production et à la circulation de l’information. C’est ce que rend possible la biométrie, en faisant de la vie elle-même la matière première de sa version artificielle et programmable.

Nous avons voulu, le 17 novembre, interrompre symboliquement une expérimentation désastreuse sur des adolescents, dont le déploiement n’est pas en l’état contrôlable par la législation. Nous ne dénonçons pas les dérives de l’outil biométrique, mais la biométrie en tant que telle. Nous considérons qu’accepter les contrôles biométriques signifie livrer la société à une logique de ghetto, c’est pourquoi nous engageons le plus grand nombre à refuser de s’y soumettre.
 
 

Les inculpé-e-s.

Evry, le 20 janvier 2006


Intervention de Michel Tibon-Cornillot 
au procès anti biometrie du 20 janvier 2006

La numérisation générale et son avatar biométrique

Michel Tibon-Cornillot, EHESS
 

Je désire présenter devant vous les motifs qui m’ont amené à témoigner en faveur des trois étudiantes et étudiants poursuivis. Cette démarche s’inscrit aussi dans le contexte actuel marqué par le développement rapide des machines et techniques biométriques, la faiblesse des débats publics liée à un vide juridique important et surtout par l’afflux massif d’investissements financiers et industriels.

La biométrie peut être définie, provisoirement, par « l’ensemble des processus qui consistent à transformer les caractéristiques physiques d'une personne (iris ou rétine, voix, empreintes digitales, forme de la main ou du visage) en une empreinte numérique. La finalité d'un système biométrique est l'authentification et l'identification des individus. A la différence d'autres techniques ayant les mêmes finalités, mais permettant de mesurer ou vérifier ce que l'on possède (carte, badge...) ou ce que l'on sait (mot de passe...), les techniques biométriques permettent la mesure et la reconnaissance de ce que l'on est. »[1]. La biométrie repose sur deux types de contrôles : le contrôle physique et le contrôle comportemental de la personne[2].

Le terme le plus important de cette définition est celui d’empreinte numérique ; il permet de distinguer l’ancienne anthropométrie de la biométrie contemporaine dont l’existence s’appuie sur sa matrice fondamentale, la cohorte immense des 850 millions d’ordinateurs[3] ; la biométrie rejoint alors les systèmes parents numérisés, ceux des systèmes de télésurveillance, de télécommunication, de santé, etc., c’est-à-dire, tous les maillages et/ou réseaux pouvant être numérisés et mis en interconnexions avec d’autres dossiers et fichiers au sein des ordinateurs et des systèmes d’ordinateurs. Dans deux ans à peine, il y aura un milliard d’ordinateurs, chiffre impressionnant si l’on considère que la mise en place de ce maillage s’est faite en une trentaine d’années. 

Les réticences, l’inquiétude puis les oppositions soulevées par la biométrie ont plusieurs dimensions ; nous n’en retiendront que trois.
 

1. En route vers la numérisation du monde et des hommes

La première des réticences concerne la mise en place du nouveau prisme que certains membres des groupes sociaux les plus actifs des sociétés industrielles ont mis au point et diffusé en quatre décennies, celui que forment les ordinateurs et les réseaux d’ordinateurs. A l’aide de ces nouvelles prothèses qui sont des sortes de prolongation de l’entendement quantificateur, numérisant, il devient possible de substituer à des approches intuitives fondées sur des expériences sensibles, poétiques, émotionnelles, marquées par leur caractère intimes et qualitatifs, des représentations « objectives » et quantifiées des phénomènes. Ceux-ci peuvent appartenir à des domaines très divers, depuis les domaines des sciences et des différentes techniques jusqu’à de multiples tâches aussi différentes que celles de la gestion des entreprises, la gestion des comptabilités publiques et privées, des traitements de textes, d’images, des numérisations d’investigations intra-organiques en matière de santé. C’est donc dans des domaines aussi divers que ceux de la santé, des finances, de la démographie, et bien sûr, de la sécurité (la biométrie) que se mettent en place des procédures quantifiées.

Malgré la généralisation des interfaces iconiques dont l’ergonomie a permis la diffusion des ordinateurs, les opérateurs  initiés à l’informatique savent que les structures les plus primitives de ces machines sont fondées sur des principes logicomathématiques, ceux qu’introduisirent des hommes comme John von Neumann formé dans l’un des hauts lieux de l’intellection contemporaine, l’école mathématique de Göttingen. Les ordinateurs actuels sont encore construits selon les principes de ce qu’on appelle « l’architecture von Neumann ».

L’insertion massive et très rapide des ordinateurs dans les sociétés industrielles contemporaines a permis la réalisation/concrétisation de quelques « prophéties » des fondateurs des sciences modernes (Galilée, Marin Mersenne, Descartes et Spinoza)  l’assurance que la « Nature » est formée de nombres, de lettres et de figures géométriques et le caractère divin (ou quasi-divin) des mathématiques.
 

2. Des machines de confiance : délégation et servitude volontaire.

Sans doute faut-il lire dans cette généalogie métaphysique, voire même, quasi théologique du projet de fabrication des ordinateurs, l’origine de la confiance qui a présidé et préside encore à leur diffusion dans des secteurs de plus en plus variés des sociétés industrielles ? Il s’agit là d’un fait nouveau car la création de machines capables de numériser des phénomènes n’implique pas qu’on leur accorde la confiance et surtout, qu’on considère les résultats obtenus comme indépassables, en un mot, comme vérités. Mais si ces deux aspects peuvent être abstraitement distingués, il semble qu’ils soient profondément liés au sein de la culture occidentale qui octroie une place éminente à la cohorte des machines qu’elle invente en leur déléguant une confiance totale et qui les fait progresser sans cesse vers l’intégration des nombres.

Ces deux aspects intimement liés aux caractéristiques des ordinateurs, la numérisation du monde et le rôle éminent accordé aux machines qui en ont la charge, interfèrent dans toutes les entreprises menées par ces machines. On les retrouvera donc dans le contexte de la biométrie. En entrant dans l’espace de la numérisation, les mesures du corps, une fois digitalisées, sont intégrées dans des capacités de collationnement et de traitement d’informations dont la puissance est sans commune mesure avec ce qui fut entrepris par les pires tyrannies du passé. Il devient possible de rassembler, d’individualiser des fichiers concernant à la fois chaque citoyen et un grand nombre de ses activités et opinions et de les diffuser par le biais des réseaux reliant des millions d’ordinateurs. A travers la mise en place de logiciels de plus en plus efficaces, ces machines logico-numériques, permettent de traiter ces accumulations quantitatives, de les réorganiser selon des vecteurs « sémantiques » pertinents, et, surtout, de mettre l’ensemble des dossiers et fichiers en contact avec d’autres dossiers et fichiers parents concernant les mêmes individus, formant alors des sous-ensembles alimentés par des données sanitaires, policières, fiscales, identitaires, etc. Ces activités permettent de créer des fichiers généraux sur l’ensemble de la population française, performance qui paraissait inconcevable, il y a seulement 40 ans.

L’autonomie et la confiance accordée aux machines biométriques empruntent leur force de conviction au statut d’autonomie déléguée à la cohorte des ordinateurs. Elles en suivent le même chemin déjà bien balisé. En effet, l’introduction des ordinateurs a été vécue sur le mode de la nécessité du progrès scientifique dont ils étaient en quelque sorte l’une des incarnations privilégiées, permettant ainsi la rapidité de leur diffusion. Il en est de même pour les machines biométriques qui ne concernent pas d’abord la sécurité ou l’identité des citoyens mais leur participation implicite, voire volontaire, à la constitution des fichiers, les leurs et ceux des voisins, et à l’acceptation passive, voire active à l’introduction des machines biométriques. Il y a là une envie de machine de contrôle, un désir de machine qui rappelle des points essentiels de l’œuvre d’Etienne de la Boétie, le Discours de la Servitude Volontaire[4]
 

3. De la numérisation à la « scanérisation générale » : le cœur de la critique des machines biométriques

Le troisième point évoqué à propos de la biométrie est celui de la « scanérisation ». Par delà la puissance des ordinateurs et leur traitement actuel des informations, se cache une tendance encore plus dynamique qui consiste à faire entrer des domaines non numérisés, des pans entiers de phénomènes et d’expériences « profanes » dans les processus de numérisation. C’est cela que l’on appellera la « scanérisation » du monde (qui, dans d’autres contextes, est appelé « saisie » ou « digitalisation »). A la manière des scanners classiques chargés de digitaliser les images, se sont mises en place des méthodes de plus en plus sophistiquées pour faire entrer des réalités qui étaient considérées jusque là comme irréductibles aux tentatives chargées de les introduire dans les domaines « sacrés » de la digitalisation informatique. 

Parmi les multiples possibilités de « scanérisation » d’expériences individuelles ou collectives, certaines peuvent avoir des dimensions « culturelles », la saisie de livres ou de gravures rares, d’autres concernent des domaines spécialisés où des problèmes spécifiques nouveaux peuvent du reste se poser, en matière de santé par exemple, avec les appareils d’investigation des organes. De nombreuses possibilités de digitalisation sont offertes qui, dans chaque cas, supposent pour être réalisées des financements techniques, des études économiques de rentabilité, des engagements des pouvoirs publics. C’est alors que se pose en amont la question des choix qui amènent et ont amené au développement de tel ou tel domaine.

C’est précisément à partir des interrogations sur ces choix et sur les développements qui en ont été les conséquences que peut commencer une critique éthique et juridique spécifique de la biométrie : pourquoi avoir privilégié et développé l’entrée dans la numérisation des caractéristiques physiques, historiques, comportementales de tous les citoyens ? Le développement considérable de la biométrie est très révélateur en ce qu’il retient des possibilités offertes par la numérisation informatisée, la mémorisation, le traitement et la mise en réseau de données concernant des populations de plus en plus considérables. C’est alors qu’apparaissent en amont les acteurs qui furent à l’origine de cette demande, les institutions des états modernes mais aussi les demandes d’acteurs privés, les laboratoires chargés de  mettre au point des procédures de scanérisation adaptées aux phénomènes visés, les fabricants chargés de fabriquer en grand nombre les machines performantes, etc. Pour des raisons sociales multiples, publiques ou privées, l’un des domaines de pointe de la digitalisation a été celui des corps humains, des visages humains, des parties du corps humain. La biométrie est à l’intersection de nombreuses pressions, dont la plus importante fut et reste celle exercée par les Etats modernes, grands Léviathans et gardiens en charge de la sécurité, de l’identité des citoyens, chargés de partir en guerre contre les terroristes, les anarchistes, les déviants de toutes sortes.

Les multiples tentatives pour faire entrer dans les « espaces numériques des ordinateurs et des combinatoires qui leurs sont liés » des zones jusque là rétives à la quantification réalisent une volonté collective de faire aboutir une numérisation générale du monde. En ce sens, personne n’est innocent dans la mise en place des maillages de plus en plus serrés des réseaux informatisés à part quelques auteurs d’exception qui ont pressenti les dangers de la quantification, numérisation générale (Georges Bernanos par exemple). Dans ce contexte, la volonté de scanériser et numériser les principaux paramètres des corps humains individuels représente une étape supplémentaire dans les espaces sociaux, pour rendre accessible à tous les principaux paramètres spécifiant chaque individu, (à la manière des insectes piqués sur les planches des entomologistes), chaque histoire individuelle aussi, et ce, grâce à la puissance des combinatoires numérisantes et à la diffusion générale au sein du grand réseau interconnecté des ordinateurs. Mais n’est-ce pas là le cœur des questions qu’ont voulu poser ces étudiants ? N’est-ce pas le refus de la volonté « obscène » de digitaliser les mesures des corps, et de paramétrer des signes individuels jusque là, privés, irréductibles, en les étalant dans l’universel des nombres ?

Ce qui est sans doute « répugnant » dans cette entreprise biométrique, c’est l’effondrement des derniers restes de l’ancienne « privacy » (intimité, solitude) afin que s’accomplisse la prophétie du philosophe Leibniz concernant cet état quasi divin dans lequel chacun sera diaphane, transparent et transpercé par les regards de tous et de chacun.
 
 

Michel TIBON-CORNILLOT, le 20/01/2006
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[1] Cyrille Louis, La France entre dans l’ère biométrique, Le Figaro, 12/06/03.

[2] Frédéric Mascre, La biométrie comme méthode d'authentification : enjeux et risques, Echanges, 01/05/2003). Les caractéristiques collectées "doivent être universelles (exister chez tous les individus), uniques (permettre de différencier un individu par rapport à un autre), permanentes (autoriser l'évolution dans le temps), enregistrables (collecter les caractéristiques d'un individu avec l'accord de celui-ci) et mesurables (autoriser une comparaison future)"

[3] C'est le nombre d'ordinateurs utilisés dans le monde en 2004 selon Computer Industry Almanac (CIA), un cabinet américain d'études de marché sur le domaine de l'informatique. Un chiffre qui devrait dépasser le cap symbolique du milliard à l'horizon 2007.

[4] Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire, Editions Flammarion, 1993. Ecrivain français, ami de Montaigne, Étienne de La Boétie (Sarlat, 1er novembre 1530 - Germignan, 18 août 1563) est surtout connu pour être l’auteur, à l’âge de 18 ans, du Discours de la servitude volontaire (rédigé en 1549, première publication en 1576).

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