alternatives éducatives : des écoles différentes
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2018 ?                                       ... 2118 ?
Une autre école est-elle possible?

 

Conférence Européenne
sur les initiatives
pour lutter contre la violence
dans les écoles

       Jacques Pain (France)

 Initiatives mises en œuvre
dans les classes pour réduire
la violence à l'école :
la pédagogie institutionnelle

       Qu'est ce qu'une "situation violente" ?
C'est une épreuve impliquant des enjeux élevés où l'anxiété est prédominante. C'est cette relation entre anxiété et enjeux personnels qui rend les réponses violentes si fortes dans des situations fermées.
La violence est alors une porte de sortie rapide ou un court circuit.

          Par conséquent, on comprend facilement que, dans le système social,  l'anxiété soit partagée par les parents, les enseignants et les élèves. Le fait
 que l'anxiété soit l'émotion la plus généralisée à l'heure actuelle signifie que nous devons considérer la violence comme la réponse la plus commune à cette anxiété, comme un mécanisme de défense. Au départ, il s'agit de l'instinct de conservation.

L'anxiété déclenche et met en place des comportements que je qualifierais "d'orientés vers la sécurité".
Nous avons tous ressenti de tels comportements. Lorsque nous nous sentons menacés d'une manière physique et immédiate, ou lorsque nous nous imaginons seulement être ainsi menacés, ce que nous appelons des réactions imprévisibles se produisent. Lorsque les réactions sont prévisibles, lorsqu'elles sont gérées, c'est grâce à un apprentissage. Ces situations ont été répétées et maîtrisées. Mais lorsque nous sommes pris au dépourvu, nous nous comportons comme n'importe qui d'autre.
Nous avons des réactions étho-défensives, dans le sens éthologique de défense du territoire.

          Aucun d'entre nous n'est à l'abri de telles réactions. Par conséquent, il n'est pas surprenant que, lorsque ces réactions sont répétées, elles finissent par créer un comportement. Si la réaction initiale de surprise est remplacée par une réaction de menace diffuse, nous ne pouvons échapper à la violence que par la fuite, ou en répondant à la violence par la violence et en faisant de la violence une réponse structurée et structurante.

          Je ne suis pas le seul à penser que la violence est un élément constitutif de la culture humaine : l'espèce humaine est la seule à avoir créé une culture
par la violence, tant et si bien que les moyens de détruire l'opposition deviennent de plus en plus sophistiqués. La violence est la chose la plus facile au monde à apprendre, d'autant plus qu'elle est valorisée et présentée sous un jour flatteur par les média.

          Par exemple, il est fascinant de constater que la publicité lie le sexe, la force et le pouvoir avec les voitures, avec ce qui fait de l'homme d'aujourd'hui  ce qu'il est dans la société d'aujourd'hui. Les biens de consommations dominent la vie elle-même. Dans certaines circonstances, la violence est le chemin le plus court entre deux points. Si l'on évite de porter un jugement de valeur sur ce sujet, on pourrait penser que la violence est mode de comportement social structuré, un comportement orienté vers la sécurité.
          Tout comportement orienté vers la sécurité peut devenir une attitude sociale, un type de comportement social valorisé par la télévision et les média.

          Mon approche est colorée par deux perspectives. D'une part, mon travail en tant qu'enseignant et chercheur, qui consiste à examiner la "pédagogie institutionnelle" prise dans le sens de "comment faire face aux institutions ?" dans une société en crise. Cela consiste à réfléchir à une pédagogie active au sein de certaines institutions-clés de la société. D'autre part, les problèmes de violence, le problème de la violence au sein des institution et    de la violence des institutions.

          La relation est évidente : comme j'agis au sein d'institutions et de situations  critiques, j'en suis tout naturellement venu à mettre en question le rapport    intime entre la pédagogie et la violence.
 

       Deux definitions de la violence

          La première définition est issue des résultats d'une recherche publiée il y a  quelques mois, où j'ai pu comparer la violence scolaire dans douze    établissements situés en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France. Elle tente de résumer le concept de "violence" dans ces trois pays :

               "Par violence, on entend des actions ou des attitudes violentes, ou qui sont perçues comme telles. Par actions ou attitudes violentes, on entend qu'elles utilisent, directement ou indirectement, la force ou la contrainte, ou qu'elles les tolèrent. Cette définition englobe les actions ou les attitudes, insignifiantes ou vagues, de violence institutionnelle." (Jacques Pain, 1996).

          La seconde définition nous vient des spécialistes anglo-saxons du "bullying", que je traduirais en français par le terme "malmenance". Je cite ici le Suédois Dan Olweus et le Britannique Peter Smith :   "Abus de position de force, dans la rue, au sein des institutions, à l'école,  au sein de la famille. Pour résumer : tous les mauvais traitements." (Peter  Smith, 1996).

          Par conséquent, quand nous parlons de violence à l'école, de violence dans l'environnement éducatif, de quoi s'agit-il exactement ? Je vais examiner deux modes de violence.
 

       Le conseil

        Chaque semaine, ou deux fois par semaine, à la même heure, dans la même salle, les jeunes et les adultes se réunissent. Le but est de rétablir le  processus de symbolisation sociale. Chacun doit nécessairement "s'expliquer différemment". Il est impossible d'imposer ou d'exercer un ascendant par la force ou par le chantage. Partager le pouvoir et les  responsabilités, rencontrer les autres, les confronter, travailler avec les mots. Chacun peut avoir une place, sa place, reconnue par le groupe.

          Ce système pédagogique prend garde de ne pas se dissocier de la structure totale, car c'est le lien qui permet de négocier, de modeler le groupe et la    classe. Par conséquent, le conseil est le centre où les échanges sont effectués, où les règles sont élaborées. La vitalité est très importante car elle rend le lien stable, et permet de résoudre les problèmes sociaux et la tension émotionnelle qui, s'ils ne sont pas résorbés, entraînent la "mort symbolique" du groupe.
 

       Les ceintures de comportement

          Le système des ceintures est emprunté au judo, comme pratiqué par Fernand Oury. Les ceintures signalent l'indépendance et la socialisation de chaque individu à l'intérieur du groupe. Elles visent à la responsabilisation de l'individu et du groupe et à l'acquisition de comportements "escomptés" au sein du groupe. Chaque enfant sait où il en est et voit clairement ce qu'il doit apprendre pour progresser, et dans quels domaines (indépendance, bonnes manières, respect, effort, etc.). Des tests mesurent les progrès accomplis dans différents domaines, selon la même hiérarchie de couleurs que dans les arts martiaux : auto- et inter-évaluation.

          Il s'agit là d'une forme claire de socialisation : socialisation qui se traduit par la coopération, le jugement intellectuel, la discrétion, ainsi qu'une     individualisation comparative et corrélative. C'est pour cela qu'il est important d'encourager les efforts faits par les enfants "pour grandir".

          C'est à travers le travail impliquant les jeunes et les adultes que se met en place le système de référence essentiel pour la vie et la collectivité.
 

          Les responsabilités : les "métiers"

         La vie sociale du groupe, qui est déjà rerprésentée par le conseil, les réunions, auxquelles peuvent assister des intervenants extérieurs, et par les ceintures (aussi appelées couleurs) de comportement, s'appuie sur des responsabilités, la pédagogie institutionnelle que Célestin Freinet appelle les "métiers". Il faut beaucoup de métiers pour faire une société : décorateurs, trésoriers, caissiers, jardiniers de talent pour les plantes. Souvent, il y a plus de métiers que d'élèves pour les remplir.
 

       De la loi au règlement

          Des lois fondamentales sont édictées, qui deviennent le principe même d'une éthique du respect : ne pas faire de mal, ne pas se moquer, ma liberté    s'arrête là où commence celle des autres : c'est le contrat social de Jean-Jacques Rousseau. Quelques lois ; beaucoup de règlements, simples et que l'on peut changer ; des institutions. La vie en société est possible !
          La classe négocie par elle-même.

          Donc, après avoir compris la nécessité d'une pédagogie, je dirais même d'une éducation de la violence, qui est centrale au monde d'aujourd'hui, nous pouvons repenser l'école et la classe qui sont, avec la famille et le quartier, les formes sociales élémentaires de l'humanité.

          D'une part la violence délinquante, qui est clairement reconnue dans le code pénal
          En France, nous agissons de plus en plus dans le cadre du code pénal, non seulement dans les collèges, mais également dans les écoles, depuis que
          l'académie de Seine-Saint-Denis a étendu aux écoles primaires la mesure de "traitement judiciaire direct" en 1995-96. J'en conviens, il peut sembler   paradoxal de se servir du code pénal pour contrôler les groupes scolaires les plus difficiles. Mais cette idée est là depuis dix ans et elle a prouvé son       efficacité : c'est le partenariat, aujourd'hui célèbre, entre la justice, la police et le ministère de l'éducation nationale. Leur but est de pousser l'école sous la tutelle d'une société de Droit. En Allemagne et au Royaume-Uni, il y a des interventions, dont certaines sont préventives, mais je ne pense pas qu'il y ait de véritable partenariat. Et ça se sent.

          Les violences dont nous parlons ici sont mentionnées dans le Droit civil, en particulier les atteintes à autrui. Le fait est que, dans le cadre de la pédagogie institutionnelle, nous ne pouvons pas ignorer les atteintes à la personne, et pas seulement celles dirigées contre les enseignants, les adultes. Toutes les atteintes à autrui, quelles qu'elles soient, sont immédiatement rapportées, au détriment des activités scolaires. La procédure dont je parle est simple et elle est mise en pratique dans de nombreux cas. Il y a eu une bagarre ? Si quelqu'un a été blessé, bien évidemment une plainte est déposée. Rien ne doit être excusé. De cette manière, nous avons rapporté la paix dans les endroits dé-socialisés où la  violence ordinaire prévalait.

          Je pencherais plutôt pour une seconde approche, une approche s'appuyant sur la violence "morale", et qui est, il me semble, d'un type préventif.

          Les violences morales sont toutes des troubles de l'attitude, des maux relationnels. C'est ce que les anglo-saxons appellent le "bullying", qui comprend à la fois des actes de violence physique et des troubles de l'attitude. C'est ce qui arrive, par exemple, lorsque plusieurs élèves critiquent toujours le même enfant, parfois même avec l'appui du professeur, qui est de mèche ou complote avec eux. C'est de la persécution pure et simple.
          Considérez ces élèves qui deviennent les objets de la risée générale parce qu'ils sont obèses, timides, ou les chouchous du professeur ! Je me souviens d'un débat entre des adolescents qui se moquaient d'une de leurs camarades qui, en plus d'être grosse, avait un défaut de prononciation : ses  mots étaient indistincts, ce qui lui valait de nombreuses moqueries.
 

       Le respect est à la base de l'éthique

          La pédagogie institutionnelle apprend aux enfants "ne te moques pas". Et ce à partir de trois ans. Si l'on décide de réunir des individus, et qu'on   n'applique cette règle, la réunion devient inutile. Nous devons prendre cet aspect en considération, puisque de plus en plus d'écoles se réfugient derrière les conseils scolaires, parfois derrière les tribunaux pour mineurs, sans prendre en compte une véritable "démocratie du comportement".
 

  La pédagogie institutionnelle jour après jour

          Issue des techniques mises au point par Freinet dans les années soixante, la pédagogie institutionnelle s'est propagée de la classe et de l'école aux  institutions éducatives, plus particulièrement aux écoles privées (internats,  pensions) et à l'enseignement professionnel. Elle est constituée d'instruments pédagogiques précis.

          Ce que je voudrais décrire ici est une pratique éducative qui s'est dégagée de certaines des nouvelles méthodes de pédagogie active. Depuis sa   création (par Fernand Oury, de 1967 à 1986) la pédagogie institutionnelle s'est fortement développée dans les classes les plus difficiles du système éducatif français. Elle est basée sur la responsabilité individuelle, les relations sociales, le droit objectif et le dialogue. Elle règle l'activité de la classe dans une dimension éthique où le débat libre et le respect convergent. Elle est valide aujourd'hui plus que jamais : lorsque les écoles et les classes ont besoin de réapprendre, en un sens, ce que c'est que d'être humain, de réapprendre tout simplement ce que c'est que la société.
          C'est pour cela qu'elle apparaît à de nombreux praticiens et observateurs comme une "pédagogie de la violence". Se comprendre mutuellement, écouter, exprimer les problèmes par les mots, prendre des décisions collectives, retarder l'action, respecter la loi : ce sont là les attitudes fondamentales de la pédagogie institutionnelle envers la violence. Dans ces conditions, peut-on dire que la pédagogie institutionnelle est une pédagogie de la violence ?

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          F. Oury, & A. Vasquez, Vers une pédagogie institutionnelle, 1967.
          C. Pochet, F. Oury & J. Oury, L'année dernière j'étais mort, 1986.
 
 

European Conference

http://www.gold.ac.uk/euconf/french/index.html

Cette conférence a été patronnée par la Commission Européenne (DG XXII) sous son initiative sur la Violence dans les Écoles, et le Département de l'Éducation et de l'Emploi, Londres, Royaume-Uni. Elle a été organisée à partir de l'Université de Londres, Royaume-Uni avec les coordinateurs du PMVO (Projet Écoles sans Dangers), La Haye, les Pays-Bas et le Centre Anti-Violence, Dublin, Irlande.

Le rapport de cette conférence est disponible en anglais, français, allemand et espagnol. Il se compose du Programme original, du Sommaire des Allocutions des Discours-Programmes, des Affiches et des Résumés des Ateliers.

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LE GUIDE ANNUAIRE DES ECOLES DIFFERENTES
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