Télé prise
qui croyait pendre
Par deux fois la même semaine, la chaîne publique France
2 s'est rendue coupable d'un traitement médiatique partisan et mensonger
sur la question des apprentissages à l'école.
Tout a commencé au journal de 20h du mardi 15 novembre 2005 avec
la diffusion du dossier de la rédaction consacré au prétendu
retour aux « bonnes vieilles méthodes » dans
l'enseignement.
Pour illustrer cette thèse infondée, la journaliste a
présenté le cas d'une jeune enseignante en Zone d'Éducation
Prioritaire «empêchée» par sa hiérarchie
d'utiliser des méthodes et des manuels des années 50.
Tous les témoins choisis dans ce reportage furent unanimes pour
confirmer leur efficacité (collègues de l'école, mère
d'élève et même inspecteur retraité !).
Et c'est ainsi que pendant 4 minutes il fut expliqué, sans la
moindre contradiction ou nuance, que ces procédés, en l'occurrence
une méthode syllabique de lecture, permettaient d'avoir toute une
classe de CP qui sache lire dès le mois de mars pendant que l'Éducation
Nationale imposait une méthode globale qui menait 30 % des collégiens
à l'analphabétisme !
Plus grave encore, à aucun moment il ne fut fait état
de la véritable personnalité de cette enseignante.
Pourtant celle-ci est déjà bien connue des médias
(télévision, radio, journaux, Internet) puisqu'elle est l'auteur
du controversé «journal d'une institutrice clandestine»,
compilation au mieux de lieux communs, au pire d'inepties et de mensonges.
Suite à ce reportage, beaucoup de téléspectateurs
ont réagi vigoureusement en s'adressant au médiateur de la
chaîne.
Ainsi, ce dernier a décidé de consacrer une partie de
son émission du samedi 19 novembre 2005 à ce thème.
Malheureusement, il s'agissait plus d'un coup médiatique que d'une
médiation.
En effet, à elle seule, la composition du plateau était
effarante puisque s'y trouvaient la journaliste venue défendre son
travail, le médiateur et un téléspectateur dont on
ne sut rien sinon qu'il était un défenseur acharné
de la méthode syllabique, remède à tous les problèmes
d'apprentissage de la lecture selon lui.
La seule contradiction modérée allait venir d'un instituteur
à la retraite joint par téléphone (comme si aucun
enseignant en activité n'était libre) !
Rapidement, on comprit qu'en lieu et place d'une médiation il
allait s'agir d'un combat inégal à 3 contre 1!
Bien entendu, à aucun moment des questions pertinentes ne furent
posées à la journaliste : pourquoi ce sujet maintenant (deux
mois après son tournage) ?
Comment a été choisie l'enseignante ?
Quelles preuves d'un retour aux vieilles méthodes ?
Quelles preuves de leur efficacité ?
Pourquoi n'avoir fait appel à aucun spécialiste de la
question ?
Pourquoi n'avoir pas fait part de la notoriété de cette
enseignante (Rachel Boutonnet) ?
D'où viennent ses sources (« méthode globale
imposée par la hiérarchie», « tous ses élèves
de CP savent lire en mars », « 30 % d'illettrés en 6ème
».) ?
Pourquoi n'avoir donné la parole a aucun contradicteur ?
Comment ont été choisis les témoins ?
Quelles preuves des menaces que ferait peser sur elle l'Éducation
Nationale ?
S'ajoutent désormais à ces questions des interrogations
quant à la véritable mission du médiateur : pourquoi
ne pas avoir posé ces questions à sa collègue journaliste
?
D'où sort l'invité sur le plateau venu encenser la journaliste
(qui est-il ? Comment a-t-il été choisi ? Quelle est sa compétence
pour juger ?) ?
Pourquoi n'avoir trouvé aucun autre contradicteur qu'un retraité
au téléphone ?
Pourquoi ne lui avoir laissé la parole que 2 minutes sur toute
l'émission (et encore, en lui coupant trois fois la parole !) ?
N'est-ce pas plutôt à la télévision qu'a
lieu le retour des « bonnes vieilles méthodes »
d'information d'autrefois ?
Du coup, un fort soupçon pèse à l'heure actuelle
sur l'honnêteté apportée au traitement de la question
scolaire par cette chaîne.
A-t-on voulu nous montrer comment discipliner la jeunesse en ZEP ?
De quel passé fantasmé veut-on nous rendre nostalgiques
?
En donnant la libre parole à des défenseurs du dressage
et de l'ennui, enfermés dans une pratique unique, rigide et archaïque
prétendument remède à tous les problèmes d'apprentissage,
France 2 porte une lourde responsabilité.
Chaque enseignant qui dans sa classe fait preuve au jour le jour d'innovation,
de souplesse et de volonté ne peut que se sentir insulté
par une telle manoeuvre.
Chacun est appelé à réagir par les moyens qui
lui sembleront appropriés pour que cette manipulation de l'opinion
soit rendue aussi inefficace que les méthodes qu'elle prétendait
promouvoir.
Sylvain Grandserre
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