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"rubriques", parmi beaucoup d'autres, toujours d'actualité
:
la maternelle
à 2 ans, l'ennui
à l'école, les punitions
collectives, le téléphone
portable,
l'état des
toilettes,
le créationnisme...
2018 ?
2118 ?
école
autrement, école alternative, école différente ...
Une
autre
école est-elle possible ?
![]() Parents-profs : la déchirure Ils se regardent, s’épient, se jaugent depuis des années. La
difficulté de communiquer entre parents et enseignants
Quinze
ans après la loi
d'orientation de 1989,
Les
parents d'élèves toujours à la recherche d'une place
à l'école
Les
classes
uniques sont les derniers établissements publics
ordinaires mais atypiques du système éducatif français.
Plus de 15 000 écoles et petits collèges de proximité menacés de fermeture L'Etat est en train d'éradiquer
systématiquement les seuls établissements publics
École
:
refusez le programme !
usagers
usagés
"Les usagers sont plus
au courant qu'avant de notre existence mais surtout, ils veulent comprendre",
Loi
Fillon: les parents contre "une école sans parents"
Loi d'orientation sur
l'école : réaction commune des fédérations
PEEP, FCPE et UNAPEL
"/.../Au niveau local,
les conseils d’école, chargés de favoriser le dialogue entre
l’équipe éducative, les représentants des parents,
les élus de la commune et l’inspection académique, sont loin
d’exercer toutes leurs prérogatives. La périodicité
trimestrielle de leurs réunions n’est pas toujours respectée
et les procès verbaux de séances sont souvent manquants,
incomplets ou ne sont pas transmis au maire. Leurs pouvoirs propres, tels
le vote du règlement intérieur, l’établissement du
projet d’organisation de la semaine scolaire ou l’adoption du projet d’école,
ne sont pas toujours exercés./.../
|
La cohabitation parents-profs
est de plus en plus difficile
Natacha Polony - Le
Figaro - 01/09/2009
Les professeurs se trouvent souvent confrontés
aux revendications et récriminations de parents d'élèves
omniprésents.
Depuis que leur statut a été consacré en 1989, certains parents multiplient les pressions sur les enseignants. Quitte à déstabiliser une institution dont ils attendent tout. Vendredi 6 février 2009, dans l'école maternelle Saint-Louis-Sainte-Clothilde, à Saint Denis (93). L'après-midi consacré à un jeu de cow-boys et d'Indiens voit quelques bambins s'échauffer, malgré les avertissements de l'institutrice. Excédée, celle-ci fait glisser le bandeau d'Indien sur la bouche des petits perturbateurs. Quelques jours plus tard, les parents desdits gamins portent plainte. Et l'inspection de Seine-Saint-Denis de parler de «dérapage» de la part d'une institutrice compétente qui a été «sérieusement mise en garde». Ce cas rappelle celui de ce professeur traîné en justice pour avoir giflé un gamin de sixième qui l'avait traité de «connard». Le père, gendarme, avait lui aussi porté plainte. Parents laxistes et intrusifs, prenant systématiquement la défense de leur enfant, parents consuméristes, rappelant que «ce sont mes impôts qui vous payent»… Si les enseignants n'ont pas toujours bonne presse dans l'opinion, les parents d'élève , eux, sont une des cibles préférées de professeurs souvent confrontés à leurs revendications et récriminations. Et la question fatidique se pose : ces parents qui contestent l'autorité des enseignants, les dénoncent parfois à l'administration et, dans certains cas à la justice, ne sont-ils pas le vrai fléau qui mine l'école et la condamne à n'être qu'une vaste garderie ? Il suffit de visiter les forums de discussion sur Internet pour mesurer l'ampleur de l'incompréhension. À propos des petits Indiens bâillonnés, les parents reprennent le terme de «dérapage», même s'ils se veulent magnanimes : «Si elle a reconnu son erreur…» Les professeurs, eux, explosent. «Je suis prof, s'insurge l'une d'entre eux. Quand je dis “Marie, tais-toi” à une élève sur un ton sec parce qu'elle parle depuis un moment (…), elle pète les plombs et dit à sa camarade : “'tain, ça me fait chier comme elle me dit tais-toi, genre je suis son chien !” Même à seize ans, un simple “tais-toi” rend dingos les gamins, parce que les parents ne leur ont pas donné un rapport sain à l'ordre et à l'autorité.» Sur le blog de Jean-Paul Brighelli, Bonnet d'âne, l'un des plus fréquentés - et des plus pointus - sur les questions d'éducation, les rapports parents-professeurs inspirent les commentaires. «J'ai entendu, raconte un professeur, une mère de l'APE (association de parents d'élèves) expliquer avec la plus grande vigueur que si “Monchérimoncœur” cassait 1 000 fois le nouveau matériel installé dans toutes les toilettes de l'école, le rôle des enseignants et de l'administration était de le remplacer 1 000 et une fois !» Un autre surenchérit en citant une lettre de parent : «Nous avons travaillé. X connaît sa leçon par cœur, il n'est pas question qu'il la recopie. Nous pensons très sérieusement que ce harcèlement doit cesser.» On en rirait s'il ne fallait en pleurer. Pouvoirs exorbitants Car le phénomène commence très tôt et les anecdotes ressemblent à une publicité en faveur des projets divers d'«éducation à la parentalité.» Ariane, jeune institutrice parisienne, se souvient d'un cas d'école - si le jeu de mot est permis : «Une mère d'élève arrive à 16 h 30, raconte-t-elle. Une jeune femme dynamique, visiblement cadre supérieur. Elle me parle des progrès de sa fille de cinq ans, pendant que celle-ci fouille consciencieusement dans son sac à main. Tout à coup, elle laisse exploser sa détresse : “Faites quelque chose ! À la maison, Margot fouille dans mon sac, prend mes rouges à lèvres et refuse de me les rendre. Expliquez-lui qu'il ne faut pas.”» Parents déboussolés, ayant perdu toute once de bon sens… mais pas démissionnaires pour autant. Car le paradoxe est là : ce que les professeurs reprochent aux parents n'est pas une éventuelle démission, une absence, mais au contraire une omniprésence. Nul, dans le corps enseignant, ne songerait à incriminer des familles de milieu défavorisé pour qui l'école est un lieu étranger, effrayant, mais dont la principale demande est que leur enfant, même réfractaire, soit scolarisé à tout prix, tant il s'agit là d'une forme d'intégration sociale. Les déboires des professeurs sont le plus souvent causés par des parents qui ont lu et relu les programmes, brandissent les bulletins officiels, réclament des innovations pédagogiques et ont bien l'intention de faire valoir le statut que leur a consenti l'institution. C'est à partir de 1968 que les parents ont peu à peu pris pied à l'école, mais c'est en 1989 que la loi d'orientation sur l'école de Lionel Jospin, en même temps qu'elle mettait l'élève «au centre du système», consacrait le statut de «parent d'élève» en faisant des parents des «membres à part entière de la communauté éducative». Une disposition que le candidat Sarkozy, en avril 2007, promettait d'abolir. Dernière étape, le décret du 28 juillet 2006 qui conforte le rôle des associations de parents. Depuis, la FCPE, fondée à l'origine par le Syndicat national des instituteurs pour trouver un appui dans l'opinion, s'est dotée d'un «conseil scientifique indépendant» pour faire valoir des conceptions pédagogiques «différentes» (entendez acquises aux méthodes constructivistes) que ses membres défendent dans les conseils de classe contre les professeurs trop «archaïques». À la PEEP, fédération classée à droite, on affiche une «neutralité pédagogique» qui respecte le travail de l'enseignant. «Nous rappelons à nos adhérents que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, explique Philippe Vrand, président de la fédération. Toutefois, il est normal que ceux-ci viennent se renseigner.» Le rêve d'une école construite sur la confiance est encore loin. D'autant que les enseignants vivent mal ces pouvoirs exorbitants concédés par les politiques à des parents «usagers du service public d'éducation» et qui y en retiennent surtout le mot «service». Emmanuelle, qui a travaillé au bureau juridique d'une association de parents, en garde comme un sentiment de malaise. «La pression des parents est constante, raconte-t-elle. Les raisons de leurs appels sont toujours les mêmes : “Mon fils a eu une mauvaise note et je veux dénoncer une discrimination”, “Ma fille a trop de leçons à apprendre”… Ils menacent bien sûr de téléphoner à l'inspection académique.» Ce que reflètent également les travaux de la médiatrice de l'Éducation nationale, Monique Sassier. «Les relations entre parents et professeurs ont changé, analyse-t-elle. Les parents attendent tout de l'institution, qu'elle éduque et qu'elle fasse réussir les enfants. La force de cette demande crée par nature des tensions. » Peggy Derder est l'auteur d'un petit livre hilarant sur la dure condition de professeur (1). Elle y décrypte avec humour les profils des heureux membres de la «communauté éducative» : «Les réunions parents-professeurs sont un théâtre dramatique extraordinaire, s'amuse-t-elle. Tous les enjeux y sont concentrés. Les parents se projettent totalement sur la scolarité de l'enfant : même quand celui-ci ne les accompagne pas, ils s'asseyent à peu près au même endroit que lui dans la classe. Les parents de bons élèves au premier rang, qui viennent chercher des compliments, et les autres près du radiateur.» Et ces fameuses réunions, quand elles sont collectives, prennent parfois des allures de tribunal. Avocats passionnés de leur enfant Ces parents surinvestis, qui font le siège de l'école, contestent les décisions de redoublement ou se font l'avocat passionné de leur enfant lors des conseils de discipline, sont en fait le reflet d'une évolution anthropologique majeure. Dans un ouvrage (2) paru en 2008, le philosophe Marcel Gauchet analysait les évolutions de l'individualisme démocratique et le repli sur elle-même de la famille contemporaine, qui rendaient selon lui l'éducation impossible. «Un enfant conçu pour être lui-même indépendamment d'une communauté qui le précède et le dépasse, écrivait le philosophe, un être dont l'autonomie n'est pas à conquérir, mais dont l'indépendance est postulée dès la naissance, a sûrement toujours besoin de soins et de protection, mais pas d'éducation.» D'autant que les enseignants sont souvent seuls face à une administration qui a intégré ces évolutions et prend résolument le parti des «usagers» contre les supposés «dérapages». Et que dire, plaident de nombreux parents respectueux de l'autorité et des savoirs, de ces professeurs des écoles qui, par des méthodes absurdes, ne remplissent pas leur rôle ? Autant dire que les difficiles relations parents-professeurs reflètent aussi les maux de l'institution et qu'il n'y a pas de coupable idéal. (1) «Mon cas d'école», Peggy Derder, Flammarion.
(2) «Conditions de l'éducation», Marcel Gauchet, Marie-Claude
Blais, Dominique Ottavi, Stock.
Philippe Meirieu : « Les parents se sentent exclus de l’école… » Recueillis par Muriel Florin - Le Progrès -
19 10 08
Vous souhaitez davantage de lien entre les parents et l’école.
Pourquoi? Philippe Meirieu : Les difficultés de communication entre les parents et l'école ne s'arrangent guère et touchent davantage les familles de milieu populaire. Ces dernières se sentent moins capables d’entrer en relation avec l’école et ne comprennent pas toujours ce qui y est demandé. Elles peuvent donc difficilement apporter des conseils à leurs enfants pour leur réussite scolaire. Car "être élève" ne va pas de soi : ce n’est pas simplement faire les exercices demandés, c'est comprendre ce qu'il faut vraiment savoir, être capable d'anticiper et de transférer... Et puis, les parents, en général, continuent à se sentir plus ou moins exclus de l'école. Comment expliquez-vous cette rupture?
Il y a tout de même des rencontres entre les parents et les
enseignants...
Vous proposez que les parents passent un jour en classe.
Cela ne serait-il pas vécu comme une intrusion?
D’autres propositions?
Parents-profs : la déchirure Le Nouvel Observateur - jeudi 28 septembre 2006
Ils se regardent, s’épient, se jaugent depuis des années. Parents-enseignants : le couple impossible ? Au moment où l’école se met en grève, ce 28 septembre, Caroline Brizard revient sur les raisons d’un désamour La scène se déroule à Paris, un matin de septembre. Il fait chaud. Julie, l’institutrice de petite section, 54 ans, trente-trois ans de métier, assure un remplacement dans une école maternelle du 13e arrondissement. Hugo refuse d’ôter son manteau. Elle le lui enlève d’autorité. Une mère la voit faire. Sur le trottoir, elle témoigne : « La remplaçante a « arraché » le manteau d’Hugo ! » Ainsi naît la rumeur. Or la classe d’Hugo est tout sauf facile. Tous les jours Julie, qui fait aussi office de directrice, doit séparer des gamins qui se battent. Ses interventions alimentent les soupçons de maltraitance. La voilà dénoncée à l’inspection. Une rencontre avec des parents tourne au tribunal révolutionnaire. « Ils avaient tous quelque chose à me reprocher. » Sa « confession » est déformée, envoyée à la mairie, à l’inspection, au ministre. « Ces gens essayaient de me coincer, ils s’étaient arrogés le droit de me juger en deux minutes », se défend l’institutrice. Exceptionnelle, cette histoire ? En tout cas significative d’un état de crise chronique entre parents et enseignants. Une guerre de tranchées où chacun attend les missiles de l’autre camp. D’un côté les profs, mi-victimes, mi-héros. Ils supportent à longueur d’année des élèves remuants, des programmes intenables et des méthodes discutables. De l’autre, les parents d’élèves, une espèce indisciplinée et hétéroclite, réunie par une seule obsession : la réussite de leurs rejetons. Les enseignants les accueillent en traînant les pieds. Un signe ? Une circulaire ministérielle du 31 août les oblige à organiser trois rencontres par an avec les parents. Selon un sondage Sofres réalisé au lendemain de la rentrée scolaire, 80% des parents d’élèves la trouvent « utile ». Côté enseignants, ils ne sont que 53%. Pauvres profs ! Ils se vivent comme les soldats d’une forteresse assiégée, cernée par des parents de plus en plus pressants. Jean-Louis Jutant, médiateur de l’Education nationale, chargé de mettre de l’huile dans les rouages du « mammouth », témoigne : « En 2005, 60% des 5500 saisines émanent de parents qui demandent des comptes aux professeurs. » Une suspicion qui peut « dégénérer en agressivité si le professeur ne donne pas de réponse », poursuit-il. « Il y a une exigence accrue de qualité, un droit au questionnement, dans l’intérêt de l’enfant », tranche Faride Hamana, président de la FCPE, première fédération de parents d’élèves, classée à gauche. Est-ce pour cela que les enseignants se sentent mal aimés ? Quand le ministère sonde ses professeurs sur le « malaise enseignant », une majorité d’entre eux l’attribuent à « la dégradation de leur image dans la société ». Or il n’en est rien. Près de 80% des Français les jugent compétents dans leur discipline, et au hit-parade des métiers recommandés par les parents celui d’enseignant arrive en troisième position, selon un sondage Sofres/« le Monde de l’éducation »/« Télérama » de juin 2005. Seulement voilà, l’enseignant ne s’y fait pas, il doit faire face à un « alien » dans son univers : le parent nouveau. Une espèce qu’on commence à mieux identifier. Le parent nouveau est moins confit de respect devant l’institution. Il est plutôt usager, plus revendicatif, pour ne pas dire client d’un service public auquel il s’estime en droit de demander des comptes. « L’attitude du cadre diplômé vis-à-vis de l’école est à peu près la même que celle qu’il a adoptée à l’égard de la Poste : ça doit mieux fonctionner », analysait il y a quelque temps Claude Thélot, grand organisateur de la consultation sur l’école en 2004. Et quand les résultats ne suivent pas, le parent nouveau râle. Il veut contrôler, participer, et même juger les enseignants : « On nous dit qu’on est membre de la communauté éducative, mais on est cantonné aux questions de papier toilette qui manque, de poids du cartable, de suppression ou non du porc à la cantine... » Réaction épidermique des profs : pas question de laisser le parent nouveau pénétrer dans la « grande citadelle » et de regarder de trop près les méthodes pédagogiques des uns ou des autres. Le prof réagit en écorché vif. L’antienne entendue régulièrement ? « On ne va tout de même pas m’apprendre mon métier. » Lucile, 50 ans, mère de quatre enfants, à Neuilly, témoigne de ces rapports à la limite de la paranoïa : « Léa est en quatrième. Un soir, elle est rentrée sans avoir rien compris au dernier cours de maths. Elle n’avait pas osé le dire au professeur. J’étais furieuse contre lui. Après tout, c’est son rôle d’expliquer correctement et de s’assurer que tout le monde suit. » A la réunion de rentrée, le lendemain, Lucile met les pieds dans le plat. Avec mille précautions pour que le professeur, une dame un peu sèche, ne se vexe pas. Comment éviter ces crispations qui entretiennent les petites guérillas entre parents et profs ? Monique, mère d’un garçon de 15 ans inscrit au lycée du Parc à Lyon, se moque de ce modèle de relation suranné, où « il faut écrire au professeur principal pour obtenir un rendez-vous ». Patrick Gonthier, le secrétaire général de l’UNSA Education, deuxième syndicat de l’enseignement secondaire, l’admet volontiers : « On peut trouver des formules plus simples. » Le parent nouveau peste aussi contre le professeur élitiste, limite adjudant-chef. Exemple, cette réponse entendue par une mère d’un établissement parisien : « C’est une classe de première très brillante, si je ralentis pour votre fils, les autres vont s’ennuyer. » Il tempête aussi contre tous ces donneurs de leçons qui s’arrogent des droits qu’ils refusent à leurs élèves : celui d’être en retard, de ne pas s’excuser d’une absence au cours précédent ou encore de répondre à leur portable en cours ? Les absences ? Le sujet est explosif. Qu’il soit en formation, malade, en grève ou juste négligent, le résultat est le même : la chaise du prof est vide. Et le parent nouveau s’arrache les cheveux, vitupère ces « flemmards de fonctionnaires », toujours prêts à tirer au flanc. Il vit ces absences comme une rupture de contrat. Car, sauf faute grave, l’absent est intouchable : « Il n’y a aucune sanction pour le professeur qui fait mal son boulot. Pour quelques moutons noirs, que l’institution néglige, c’est un voile de discrédit jeté sur tous les professeurs », regrette Anne Kerkhove, présidente de la Peep, deuxième fédération de parents d’élèves, classée à droite. Or le parent nouveau est un anxieux. Il abhorre le laxisme. Il a surinvesti l’école. « Aujourd’hui, où le seul capital qui tienne, c’est le diplôme, explique le sociologue François de Singly, il faut réussir à l’école pour avoir une chance d’entrer dans la compétition sur le marché du travail. Alors les parents interviennent à tout bout de champ. » Comment résister à ces assauts de pères et mères stressés, obsédés par le résultat, en un mot insupportables ? Les professeurs balancent entre flegme, ironie et agacement. Coincés dans un système si difficile à transformer, ils font l’autruche. Et se défoulent en salle des profs : « Qu’est-ce qu’on y bave sur les parents ! », s’amuse une institutrice de centre-ville. En conseil de classe, ils les cantonnent au rôle de potiche : « Quand les parents délégués prennent la parole, on a tendance à leur dire qu’ils ne connaissent pas le problème », résume une ancienne principale d’un collège en ZEP, à Paris. Derrière la désinvolture apparente, l’inquiétude est là : la grande invasion a bel et bien commencé. Béatrice, institutrice de CE2 dans une école privée à Saint-Gervais, est une femme énergique, avec un bel aplomb. Elle reconnaît que la nouvelle donne traumatise les enseignants : « On a toujours peur des parents. Peur du conflit qui risque de dégénérer on ne sait comment. » Parfois les petits conflits du quotidien dégénèrent et finissent au tribunal. La Fédération des Autonomes de Solidarité (FAS), qui fournit une aide juridique aux professeurs en cas de conflit, relève une augmentation sensible des contentieux : « Nous avons 700 affaires en cours, précise son vice-président Roger Crucq. Des conflits entre parents et enseignants qui donnent lieu au moins à une consultation chez un avocat. » Sur 18 millions de parents et 880 000 professeurs, c’est une goutte d’eau, mais elle empoisonne la relation parents-profs. Diffamation, coups portés, menaces, accusations de brutalité... Parfois le ton monte. A Saint-Brieuc, un père irascible renverse le bureau du directeur de l’école parce que le short de son gamin a été remplacé sans qu’on le prévienne. « En Seine-Saint-Denis, la fracture culturelle avec les parents issus de l’immigration est telle que les parents sont totalement absents, résume Alice Dralliac (1). Il n’y a pas d’échange tout simplement parce qu’ils ne sont pas là. Par contre, dans le 5e arrondissement de Paris, les professeurs souffrent presque d’une trop grande proximité avec des parents diplômés, omniprésents, qui se mêlent de tout. » Le parent nouveau tendance bobo, qui rêve de faire partie de « l’équipe pédagogique ». Ainsi cette mère de famille d’un enfant de CE2 du 13e arrondissement : « Max ne fera pas le travail que vous avez demandé parce que je ne suis pas d’accord », écrit-elle dans le cahier de liaison de son fils. Le parent nouveau est un adepte du cahier de doléances. Il réclame en permanence des devoirs adaptés au niveau « exceptionnel » de son enfant. Et puis il y a les familles monoparentales, où la mère, surprotectrice, met une pression d’enfer sur le prof. « Beaucoup de mères seules avec un enfant ne supportent pas qu’on le frustre, poursuit une autre institutrice. Elles ont un enfant roi à la maison. Le problème, c’est qu’il devient vite un enfant tyran à l’école... » Quadrature du cercle, de la maternelle à la terminale, les parents veulent tout et son contraire : le prof est sommé d’aider leur enfant à s’épanouir, à prendre confiance en lui, et en même temps il doit évaluer, noter et classer. Sans traumatiser les chérubins. Mais il doit aussi, en matière d’autorité, se substituer aux parents accaparés par leur carrière ou dépassés par les événements. « On veut que les professeurs fassent respecter par les élèves des interdictions que les parents ne sont plus capables d’imposer », analyse l’historien Antoine Prost. Conséquence : la réunion annuelle entre parents et professeurs est un théâtre d’ombres où se concentrent tous ces paradoxes. On pourrait s’attendre à une partie de boxe entre deux camps au bord de la crise de nerfs. En fait, tout est feutré, lisse. Comme si l’heure du grand déballage n’avait pas encore sonné. Comme si tout le monde avait peur de tout se dire. Hypocrisie suprême ou courtoisie élémentaire ? « Certains parents se déplacent uniquement pour voir à quoi ressemble le crétin qui martyrise leur fils à coups de mauvaises notes », s’amuse Christian Muzyk (2).Les parents de « cancres », eux, sont absents. Trop démissionnaires. Trop largués. Les autres viennent entendre que tout va bien. A moins qu’ils n’en profitent pour s’épancher un peu sur leur progéniture et beaucoup sur eux-mêmes ? Au fond, parents et profs ont du mal à s’entendre. Ils se cherchent, mais n’osent pas se regarder en face. Il leur faudrait une bonne crise. Pour ne plus avoir le bonnet d’âne des pays de l’OCDE. Dans le domaine de la coopération de l’école avec les familles, la France est au dernier rang. Parents-profs... Et si on se parlait ? (1) « Carnets/chronique ordinaire d’une école primaire
en Seine-Daint-Denis », par Alice Dralliac (Anne Carrière,
septembre 2006).
La plaie de l’absentéisme Sur les 233 millions d’heures de cours dispensées chaque année par les 440 000 enseignants de collège et lycée, 2 millions d’heures ne sont pas assurées pour absence prévisible (formation, problème de santé...). En 2005-2006, une moitié seulement des absents étaient remplacés. En ajoutant les absences imprévisibles (grèves ou accidents), le ministère de l’Education recense en fait 5 millions d’heures. Le taux de remplacement des enseignants tombe alors à 20%. Traduction : 4 professeurs sur 5 ne sont ainsi jamais remplacés. Pour connaître le vrai chiffre de l’absentéisme, il faut ajouter les « longue durée » (congé maternité...). On atteint alors les 8 millions d’heures... Ce soir, on s’fait une bouffe ! Rien de tel qu’un bon repas pour délier les langues et apprendre à se connaître. Depuis six ans, des professeurs du collège André-Malraux d’Asnières (Hauts-de-Seine) organisent régulièrement des dîners-rencontres avec les parents d’élèves. Un geste simple destiné à restaurer le dialogue au sein de cet établissement du nord de la ville, classé « ZEP ambition réussite ». C’est en terrain neutre, en dehors du collège, au club des Chardons, qu’on ripaille : un mot dans le cahier de correspondance, un coup de fil la semaine précédente, puis un autre, l’avant-veille. Le jour J, la moitié des parents répondent à l’invitation. « Chacun apporte un plat, toujours très copieux, raconte Marie-Christine Faubert, la présidente de l’association. Souvent des spécialités de son pays. Malgré la gêne au départ, c’est vite convivial. » L’initiative, atypique, est née d’un désir commun. « Peu familiarisées avec le système scolaire, les familles n’osent pas nous contacter, explique Marguerite Graff, enseignante d’histoire-géographie. Or, pour mieux comprendre le comportement des élèves, il faut comprendre comment ils vivent. » Les professeurs, eux, ont le sentiment que leur autorité a été
renforcée auprès des familles et des enfants. « Ils
nous font davantage confiance », confirme Delphine Delas, une autre
enseignante d’histoire-géographie. Les parents, pour la plupart
d’origine étrangère, viennent plus nombreux aux rencontres
classiques, type remise de bulletin. Nicolas Renard, le principal de l’établissement,
regarde d’un bon oeil ces rencontres « hors cadre ». Et note
une « amélioration du climat dans le collège. Le nombre
d’incidents entre jeunes et adultes est en baisse. On a eu 23 conseils
de discipline il y a six ans, 5 l’an dernier ».
Rien de tel qu’un bon repas pour délier les langues et apprendre à se connaître. Depuis six ans, des professeurs du collège André-Malraux d’Asnières (Hauts-de-Seine) organisent régulièrement des dîners-rencontres avec les parents d’élèves. Un geste simple destiné à restaurer le dialogue au sein de cet établissement du nord de la ville, classé « ZEP ambition réussite ». C’est en terrain neutre, en dehors du collège, au club des Chardons, qu’on ripaille : un mot dans le cahier de correspondance, un coup de fil la semaine précédente, puis un autre, l’avant-veille. Le jour J, la moitié des parents répondent à l’invitation. « Chacun apporte un plat, toujours très copieux, raconte Marie-Christine Faubert, la présidente de l’association. Souvent des spécialités de son pays. Malgré la gêne au départ, c’est vite convivial. » L’initiative, atypique, est née d’un désir commun. « Peu familiarisées avec le système scolaire, les familles n’osent pas nous contacter, explique Marguerite Graff, enseignante d’histoire-géographie. Or, pour mieux comprendre le comportement des élèves, il faut comprendre comment ils vivent. » Les professeurs, eux, ont le sentiment que leur autorité a été renforcée auprès des familles et des enfants. « Ils nous font davantage confiance », confirme Delphine Delas, une autre enseignante d’histoire-géographie. Les parents, pour la plupart d’origine étrangère, viennent plus nombreux aux rencontres classiques, type remise de bulletin. Nicolas Renard, le principal de l’établissement, regarde d’un bon oeil ces rencontres « hors cadre ». Et note une « amélioration du climat dans le collège. Le nombre d’incidents entre jeunes et adultes est en baisse. On a eu 23 conseils de discipline il y a six ans, 5 l’an dernier ». |