alternatives éducatives
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I Obligation scolaire et liberté I Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop ! Appel pour des éts innovants et coopératifs |

Quelques autres "rubriques", parmi beaucoup d'autres, toujours d'actualité :
les rapports parents-profs, la maternelle à 2 ans, l'ennui à l'école les punitions collectives,  le téléphone portable, l'état des toilettes, le créationnisme...
 
POUR LA LIBERTE D'INSTRUCTION
disent-ils...

 On n’instruit pas dans le chantage aux punitions.
L’enjeu est bien en effet, à l’école, d’articuler l’instruction du savoir et l’institution de la loi
et, si le droit est bien la structure de nos libertés,
il serait temps qu’un ministre ne soit pas le premier à l’enfreindre
par des décisions inspirées par la peur.Bernard Defrance

Modifier, simplifier le contenu des programmes n'apportera pas de solution.
Recourir à l'autorité, à la parole muselée, non plus.
Pour en finir avec Chavagnes
L'adolescent n'est pas seulement un apprenti du savoir.

c'est dans les vieux pots ...
"Le Pensionnat" : transvasé de Chavagnes en Combrée ou Sarlat
" On offrirait ainsi une suite au pensionnat de Chavagnes, ce qui permettrait de revaloriser notre établissement. " 

«Si t’es pas content, tu vas t’en prendre une! » 

Le retour du bâton 

Sophie des Deserts Isabelle Monnin
Nouvel Observateur - 23 septembre 2004 - n°2081 - Notre époque

 

Dolto? Des foutaises! Mai-68 et son «interdit d’interdire»? De la préhistoire. Autorité, discipline, obéissance sont les maîtres mots de l’automne. Les nostalgiques du «bon vieux temps» jubilent. Les autres s’inquiètent. Car la réalité n’est pas toujours aussi carrée qu’un problème du certif 

La star de  la rentrée s’appelle Marc Le Bris. Il est instituteur à Médréac, près de Rennes, et a «touché» son ministre par un pamphlet apocalyptique sur l’école (1), sorti discrètement en avril, et déjà vendu à plus de 35000 exemplaires. François Fillon l’a longuement reçu Rue-de-Grenelle avant de prononcer son discours de rentrée. Les médias se l’arrachent, JT de TF1, France 2, France 3, Ruquier, même le «Times» est venu dans son école... Ce mercredi matin, dans un café parisien, c’est l’Elysée qui téléphone. Les conseillers du président veulent le voir. Après des années de colère rentrée, il savoure: «Les temps changent.» Son père, ancien instit, aurait préféré qu’il épargne Jospin dans son livre: «Il craint que ça fasse du tort à la gauche. Mais ce que je dis n’est ni de droite ni de gauche, c’est populaire. Et, manque de pot, c’est Fillon qui a eu l’intelligence de le sentir.»

Il a une bonne bouille d’instit de province, la cinquantaine, pantalon de flanelle, crâne dégarni, petites billes noisette, lunettes autour du cou... Il mitraille son discours simple comme s’il y avait urgence, il faut «sauver le système. C’est sacré, l’école». Son livre rend hommage aux maîtres d’antan, ces «instits de rigueur et d’honnêteté», à l’école républicaine, «excellente jusqu’aux années 1960», avant que les curés de la nouvelle pédagogie, jargon, circulaires et belles idées, ne viennent tout détruire. Il est fou, fou contre ces théories modernes qui considèrent les petits comme les acteurs de leur propre apprentissage. Contre cette inspectrice qui lui reproche d’interdire «sous prétexte que j’empêche alors le développement de l’autocontrôle chez mes élèves. On est censés faire des réunions citoyennes pour qu’ils édictent ce qu’ils doivent s’interdire à eux-mêmes!». Le Bris tape fort contre ce système qui aurait tué l’autorité de l’enseignant. «On nous condamne pour un coup de pied aux fesses, on nous convoque quand un père nous traite de connard. Le maître d’école redevient le valet qu’il était sous l’Ancien Régime. On marche sur la tête ! Revenons à l’école de Condorcet, instruction: lecture, dictée, grammaire, tables de multiplication. Le maître doit être celui qui a le savoir mais aussi la loi et l’autorité.» Hé oui, parfois il met au coin et gronde. Il met des notes, les élèves adorent et font, paraît-il, eux-mêmes les classements. «L’autonomie de l’enfant est un contresens: s’il est autonome, il n’est plus un enfant.»
 

Avec ses idées simples, mâtinées de bon sens et de tradition, Marc Le Bris incarne bien la tentation disciplinaire qui flotte dans l’air. Dolto? Des foutaises! Mai-68 et son «interdit d’interdire»? De la préhistoire. Le ministre de l’Education nationale, posant en noir et blanc sur les marches d’une école à l’ancienne, l’a martelé: «Il faut restaurer l’autorité naturelle que possédaient les maîtres d’hier.» On voit soudain ressurgir les vieux débats sur l’uniforme et la mixité, on vante les mérites du pensionnat. On s’interroge sur les bienfaits de la fessée. Le nouveau sélectionneur de l’équipe de France de football se surnomme «le colonel» et impose à ses joueurs-stars des règles strictes (ponctualité, téléphones portables interdits sur les tables de massage et obligation de petit-déjeuner ensemble). Même la téléréalité a changé. Plus question de starlettes rebelles et dénudées, la «Star Ac 4» prône travail, rigueur et obéissance. Après «les Choristes», et en attendant «les Fautes d’orthographe» en salles en novembre, ce qui cartonne cette année (plus de 6 millions de téléspectateurs pour les premiers épisodes), c’est «le Pensionnat de Chavagnes»: des ados d’aujourd’hui téléportés dans un internat strict des années 1950. On ne met pas les mains dans les poches de la blouse, on se tient bien, on dit bonjour monsieur, on ne rigole pas pendant «la Marseilaise» et gare à celui qui enfreindrait le règlement…

Les nostalgiques jubilent. Ah, ces temps anciens! Que les choses étaient simples! Les enfants étaient des enfants, les adultes des adultes, c’était comme ça et si t’es pas content tu vas t’en prendre une! Autorité, discipline, obéissance: après le grand laxisme post-soixante-huitard reviendrait le temps des vraies valeurs, celles qui rassurent les uns et effraient les autres. Affolée par le grand vertige de la liberté à tout va, la France se serait rangée à l’ordre sarkozyste et ne réclamerait plus que des règles, des sanctions effectives et vraiment dissuasives. Elle abandonnerait un peu de ses idéaux démocratiques au credo néoréac. Centres éducatifs fermés pour les délinquants et sanctions pour tous! De quoi séduire certains mais rendre sceptiques ceux qui savent que la réalité n’est pas aussi carrée qu’un problème du certif.

Certes, épuisés par des heures de négociations vaines, certains, profs, parents, éducateurs, et pas des néonazis, peuvent de temps à autre regretter le temps où, comme le rappelle le redoutable surgé du «Pensionnat de Chavagnes», «on ne discutait pas, on exécutait», où l’on pouvait interdire sans avoir à écouter la plaidoirie de la défense, où l’on pouvait punir sans aller aussitôt se confier à un thérapeute familial. Une enquête montre que la principale attente envers les enseignants est qu’ils fassent «respecter la discipline dans leurs classes» (2).

Aldo Naouri boit du petit-lait. Le célèbre pédiatre tire la sonnette d’alarme depuis longtemps. A trop privilégier la liberté de l’enfant, explique-t-il en substance, on l’abandonne avec des angoisses ingérables. «Il se retrouve comme sur un pont suspendu dans le vide.» «Demander à un enfant s’il préfère du riz ou des pâtes, c’est déjà une carence d’autorité»: avec de telles sentences, il est longtemps passé pour un affreux réac. Aujourd’hui, pour beaucoup, Naouri c’est la voix de la sagesse. «La discipline, c’est juste la mise en œuvre de l’autorité, qui est une manière de poser une hiérarchie légitime.» Discuter, expliquer une décision revient vite, dit-il, à se justifier et donc à mettre l’enfant en position de juger son parent, ce qui est contraire à «l’ordre physiologique de l’éducation».

L’idéologie soixante-huitarde est devenue ringarde. Il n’est plus interdit d’interdire, cela est même nettement recommandé, y compris par ceux qui montaient des barricades rue Gay-Lussac. «C’est tout de même paradoxal, ironise le philosophe Alain Renaut (3). Les mêmes qui avaient trouvé leurs inspirations, leurs premiers émois dans les vastes entreprises intellectuelles de démontage des mécanismes de pouvoir ont pour seul programme, quarante ans après, de rétablir l’autorité.» Honte aux parents trop laxistes, aux enseignants trop compréhensifs, aux juges trop empathiques, le retour du bâton ne s’est pas fait en un jour. Des «sauvageons» aux «enfants rois», la société française s’est fait peur avec ses jeunes, tellement en «manque de repères», tellement victimes de «familles démissionnaires» qu’il fallait bien un jour boucler la boucle…

Didier Pleux est l’un des psychologues qui se sont inquiétés de l’avènement des «enfants tyrans» (4). Il est pourtant dépassé par l’évolution actuelle: «J’ai condamné le doltoïsme aigu, mais mon discours a été complètement dévoyé, on n’en a retenu que l’aspect répressif. Je suis effaré de voir ressurgir les vieux débats sur l’uniforme.» Dans son cabinet défilent aujourd’hui des parents qui, clin d’œil complice à l’appui, expliquent qu’ils ont «réglé ça avec une petite fessée», d’autres qui cherchent des pensionnats ou des clubs de sport, avec un entraîneur musclé qui saura «serrer la vis». Comme si le balancier était violemment reparti du côté «fermeté». La recherche d’autorité affleure dans tous les coins de la société.

Mara Goyet enseigne dans un collège de Seine-Saint-Denis. «On n’a plus de complexes à parler de "sanction" et d’"autorité".» Comme beaucoup de jeunes profs, elle est persuadée que «la discipline est une nécessité et d’ailleurs les élèves ne la rejettent pas, au contraire. Eux aussi n’en peuvent plus du chaos ambiant». Selon un sondage du magazine «Okapi» (5), 83% des collégiens pensent que l’autorité est une qualité pour un prof. Et ils en redemanderaient encore, même une fois sortis de l’adolescence. «En réalité, les gens ont besoin qu’on s’occupe d’eux, résume Sandra Bellier, qui observe nos comportements au travail pour la société Capio-Adecco. Et s’occuper d’eux, c’est aussi leur dire ce qui est interdit, expliciter les sanctions et les appliquer. Les entreprises qui fonctionnent ainsi sont celles dans lesquelles les jeunes se sentent le mieux. Parce qu’en contrepartie tout est clair: les perspectives d’évolution sont connues, la reconnaissance est possible.» Carotte, bâton, on n’aurait toujours pas trouvé mieux pour motiver les troupes.

Alors un bon coup de gueule de temps en temps, une vraie punition, pourquoi pas? Sauf que le retour aux «bonnes vieilles méthodes» reste un pur fantasme. «Cette tentation est liée à la difficulté de faire respecter l’autorité dans une société basée sur le dialogue et la négociation», estime Philippe Daviaud, formateur de CPE à l’IUFM de Paris. Plus facile en somme de lâcher un «c’est comme ça» définitif à un gamin récalcitrant qu’une explication qui peut tourner au débat et… à la déconfiture. Mais qui souhaiterait le retour d’une société d’obéissants qui exécuteraient les ordres sans exercer d’esprit critique? Le psychanalyste Serge Tisseron est «horrifié par le succès du "Pensionnat de Chavagnes", qui propose un modèle où l’autorité est apparemment indiscutable, avec des ados incroyablement dociles. Cette émission est symbolique d’une société en plein désarroi: on se met à rêver d’un retour à l’ordre ancien, à une forme d’autorité incontestable portée par un homme fort». Les nostalgiques font un peu vite le tableau d’une jeunesse totalement livrée à elle-même. Les règles, certes, n’ont rien à voir avec l’arbitraire d’antan, mais elles existent. Au collège, par exemple, les exclusions n’ont jamais été si nombreuses, les conseils de discipline se multiplient. Devoir supplémentaire, retenue, exclusion… deux collégiens sur trois disent avoir déjà été punis. Et cette proportion s’élève à 80% en troisième. Pour Erick Prairat, professeur de sciences de l’éducation à l’université Nancy-II, «dire que l’école est laxiste est un faux procès. Si, après 1968, la sanction était devenue presque taboue, tout a changé au début des années 1990, avec la montée de la violence scolaire. La communauté éducative n’a pas renoncé aux vertus de la punition, loin de là. Mais elle l’a adaptée aux normes démocratiques: l’élève est représenté au conseil de discipline, le débat doit y être contradictoire, la sanction peut passer par la réparation…»

Dans certains lycées, les fils à papa sont même représentés par des avocats en cas de problème. C’est que les acquis des années 1970, les conquêtes du libéralisme décomplexé, de l’individualisme démocratique, ne sont pas près de tomber. Béatrice Stella préside l’Union des Familles en Europe. Elle voit autour d’elle une pression pour plus de discipline, mais croit distinguer chez les parents une grande réti-cence: «On les accuse de tous les maux. Les grands-parents, les profs leur disent "soyez plus sévères", mais ils ont peur du conflit avec leurs ados, ils aiment pouvoir dialoguer avec eux.» Entre aucune règle et aucune discussion possible, la marge est grande. Et la schlague n’est peut-être pas la réponse la mieux adaptée au désarroi actuel. Pour le sociologue Michel Fize (6), nous sommes à une croisée des chemins. «La société présoixante-huitarde était allée de l’autorité à l’autoritarisme, puis on a glissé du libéralisme au laxisme. Quand les gens réalisent que la liberté absolue, c’est l’insécurité permanente, ils prennent peur. Mais un retour aux anciennes valeurs est impossible, la société a trop évolué pour accepter de régresser. Nous sommes non seulement dans un régime des égaux mais aussi dans une société des ego. Il faut concilier les deux.»

Epanouissement individuel et ordre collectif, les deux injonctions actuelles semblent tellement contradictoires que la schizophrénie menace. «On oscille sans cesse entre deux pôles, s’énerve Philippe Meirieu, directeur de l’IUFM de Lyon. Le "Loft" et "le Pensionnat de Chavagnes", c’est la même chose: le laxisme débile et l’autoritarisme absolu, les deux faces d’une société qui ne parvient pas à trouver les nouveaux fondements de l’autorité. Ça peut paraître inquiétant, il y a toujours le risque de basculer vers des formes de société disciplinaristes et autoritaristes. Regardez çà et là des petits signes: la généralisation du radar, de la vidéosurveillance... De manière insidieuse, on voit ressurgir les vieilles utopies de tout savoir, tout contrôler, sans que personne s’en émeuve.»

Sophie des DÉSERTS et Isabelle MONNIN 

(1) «Et vos enfants ne sauront pas lire… ni compter», Stock.
(2) Sondage Sofres pour «Pèlerin magazine», mai 2004.
(3) «La Fin de l’autorité», Flammarion.
(4) «De l’enfant roi à l’enfant tyran», Odile Jacob.
(5) Etude du Credoc, décembre 2003.
(6) «Les Interdits, fondements de la liberté», Presses de la Renaissance. 

LE GUIDE ANNUAIRE DES ECOLES DIFFERENTES

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