alternatives éducatives : des écoles, collèges et lycées différents
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I Obligation scolaire et liberté I Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop ! Appel pour des éts innovants et coopératifs |

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les rapports parents-profs, la maternelle à 2 ans, l'ennui à l'école les punitions collectives,  le téléphone portable, l'état des toilettes, le créationnisme...

 Adulte à 12 ans, ado à 33
Vieillissement, recomposition des familles, allongement   des études, chômage:
le modèle traditionnel n'existe plus.
Doit-on abaisser la majorité civique à 12 ans ?
 le corps électoral, à l'image du personnel politique, tend à devenir un vieillard qui vote conservateur.
Or, pour répondre aux défis des retraites, de la violence, du redécoupage des rythmes de travail, de l'âge d'entrée et de sortie de la vie active,
il nous faudra prendre des mesures de rééqulibrage en abaissant encore l'âge du vote.
 
 
  

Leur nombre aurait doublé en dix ans
Les enfants terribles
Le Nouvel Observateur - Semaine du jeudi 27 octobre 2005 - n°2138 - Notre époque

 

Votre enfant est insupportable, multiplie les caprices et pique de grosses colères... L'Institut national
de la Santé et de la Recherche médicale (Inserm) s'est occupé de son cas et propose dans un rapport
de dépister et de traiter nos « sales gosses » dès l'âge de 36 mois. Impératif de santé publique ou
flicage des comportements ? La polémique fait rage

Un monde d'apocalypse a envahi le courrier adressé au « Nouvel Obs » depuis la parution le mois
dernier d'un rapport de l'Inserm consacré au « Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent ».

Des lettres fiévreuses, angoissées, qui annoncent le meilleur des mondes totalitaires. « Les parents
refusant de psychiatriser leurs enfants se verront retirer leur garde, comme aux Etats-Unis »,
s'alarme un lecteur. On va droguer nos chers petits « en toute légalité »...« les abrutir de
médicaments », ajoute un autre. Le tout, bien sûr, à l'imitation de George W. Bush, « qui a déjà mis
en application un tel projet sous la pression des laboratoires pharmaceutiques... ». A ce rythme-là
on repérera bientôt « le terroriste virtuel chez le nourrisson qui fait tomber par plaisir son jeu de
cubes » ou encore « les enseignants de classes surchargées signaleront leurs élèves agités pour
obtenir un peu de calme »...

L'Inserm serait-il devenu fou et ses chercheurs membres clandestins d'une secte où l'on adorerait
Big Brother ? Il est vrai que ce rapport - 400 pages de prose plutôt aride - est un objet étrange. Par
son titre d'abord : « Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent ». C'est quoi, un trouble de
conduite ? On ouvre le pavé et on découvre qu'on nous y décrit les enfants terribles d'aujourd'hui.

Méchants, violents en actes ou en paroles, désobéissants, s'opposant obstinément aux adultes,
colériques, agressifs, menteurs, fraudeurs, voleurs... Bref, ce que sont beaucoup de petits enfants à
un stade de leur développement. Normalement ça passe vers l'âge de 3 ans, quand le bambin se
socialise, sort du cocon familial, découvre l'école. Le problème, disent les experts de l'Inserm, c'est
quand ça ne passe pas. Quand l'enfant s'enferme dans ce genre de conduites qui le mettent à l'écart
des autres pour de multiples raisons - souffrance qui ne peut pas s'exprimer autrement, absence de
limites posées par des parents dépassés, violence sociale... Souvent, à la longue, cet enfermement
finit mal. A force d'être différent, en marge, on s'exclut, on se coupe du monde. Et on peut se
retrouver aux portes de la maladie mentale ou dans le box d'un tribunal, l'un n'excluant pas l'autre,
malheureusement.

Donc, il faut soigner, et le plus tôt possible. Comment ? En dépistant dès 3 ans les enfants « à problèmes », poursuit le rapport. En leur prescrivant un suivi psychologique. Et le cas échéant, pendant un temps limité, une médication qui permette de passer le cap d'une crise. C'est un problème général de santé publique. Les experts ont travaillé à la demande de la Caisse nationale d'Assurance-Maladie, laquelle a besoin d'idées claires pour définir sa politique, dans le domaine de la santé mentale comme dans les autres.

Jeanne Etiemble, la biologiste qui a dirigé le comité d'experts de l'Inserm, est encore abasourdie de la violence des réactions parues dans la presse aussitôt après la publication du rapport. « Personne, dit-elle, n'a pris la peine de le lire avant de le critiquer. » Quand elle a lu dans une tribune publiée par « le Monde » que « les orientations proposées par l'Inserm s'éloignent de la dimension thérapeutique et se rapprochent de mesures de «dressage» du comportement, puis, si elles échouent, de camisoles chimiques », elle a été choquée. « Nous ne nous occupons pas de ce qui se passe dans le cabinet des psys, ni de la manière dont ils travaillent. En revanche, nous avons la conviction qu'il faut accompagner le plus tôt possible ces enfants en difficulté. Nos prisons sont pleines de gens qui n'ont pas été suivis, accompagnés quand il en était temps. »

Un pédopsychiatre respecté comme l'est le professeur Philippe Jammet vole à son secours. Il a trouvé le rapport très positif, même si des choses y sont « maladroitement dites ». Il n'arrête pas d'en voir dans son cabinet, de ces jeunes enfants qui mordent, tapent, n'apprennent pas, s'évadent, vivent dans une opposition systématique. « Quand un enfant s'obstine dans des pratiques qui l'empêchent de se développer, de se nourrir affectivement et intellectuellement, ce n'est pas un signe de santé, constate-t-il. Je sais, il est de bon ton, pour certains, de banaliser, d'expliquer que «tous les enfants sont comme ça, un gosse, ça se bagarre, ça s'oppose». Il ne faut pas ridiculiser les choses simples. On a dit que la détection précoce, c'était du flicage, que le recours aux médicaments, c'était la camisole chimique. Autant de phrases qui, sous couvert de bonne conscience idéologique, traduisent un abandon face à ce qui menace un enfant... Car le gosse qui s'est organisé sur ce mode persistant du trouble de l'humeur deviendra souvent un adolescent prépsychotique. »

Alors, ceux qui protestent se voilent-ils la face, refusent-ils de voir la situation pour des raisons idéologiques ? Ils le savent, pourtant, que ces enfants troublés ou hyperactifs ou provocateurs ou tout à la fois ont envahi les cabinets des psys. 432 000 scolaires sont passés par le cabinet d'un psy en 2002. Le chiffre a doublé en dix ans...

Bien sûr, il y a de l'idéologie dans les arguments des opposants. Et pour les meilleures raisons du monde. Nos psys ont du mal à avaler cet étiquetage des symptômes qu'on pratique couramment chez les Anglo-Saxons sous le nom de « DSM » (voir encadré) et qui irrigue le rapport de l'Inserm. Dire qu'un gamin est hyperactif, qu'il rend la vie impossible à son entourage et s'arrêter là, c'est un peu court. Et ça pourrait effectivement aboutir à un traitement du seul symptôme. On donne une petite pilule au môme, quitte à l'endormir un peu, et les parents peuvent enfin souffler et cesser de s'interroger sur les ressorts profonds qui font que le petit est insupportable. Quatre millions de petits Américains sont sous ritaline, l'amphétamine qui arase les - mauvaises - humeurs. En France, des psys commencent à repérer quelques cas. Est-ce vers ce genre de monde que nous projette un rapport comme celui de l'Inserm ?

Michel Dubec, psychiatre, en est persuadé. Ce serait la faute à Foucault (Michel), qui a laminé la psychiatrie. L'anti-psychiatrie qui a triomphé par la suite a créé un désert. « Et maintenant les Américains nous envahissent avec leur DSM qui a déjà fait disparaître la psychanalyse de certains pays et qui finira par faire disparaître la psychiatrie elle-même. Collectionner des symptômes comme on le fait aux Etats-Unis, ça ne permet pas de penser le malade et de travailler avec lui.
C'est un peu comme si Newton s'était contenté de compter les pommes qui tombaient de son pommier au lieu de réfléchir à la théorie de la gravitation universelle. » Bref, avec ces procédés à l'américaine, c'est toute la pratique psychiatrique traditionnelle française, une vision très humaniste du malade, qui risquerait de s'écrouler. Cela dit, Michel Dubec ne nie rien de l'ampleur du
problème posé par certains enfants et n'hésite pas à se colleter à la réalité. Il va dans les familles pour expliquer que la télé dès le réveil pour un bambin, ça lui explose la tête et risque de compromettre tout apprentissage de la lecture. Il sait que, quand un enfant retourne son bureau en moins de cinq minutes, il va falloir examiner la situation avec les parents. Et que quand on en est,
comme il l'a vu en Seine-Saint-Denis, à la troisième génération de troubles du comportement dans certaines familles - femmes et enfants battus, éducation faite par les copains de la rue -, ritaline ou pas, ça n'a vraiment plus grande importance...

On lui fait d'autres vrais reproches, à ce rapport. Pas assez pluridisciplinaire, trop médical alors qu'il n'y a pas un praticien aujourd'hui qui ne dise qu'une maladie, un trouble mental est multifactoriel. Laurent Mucchielli, sociologue qui a longuement étudié les conditions économiques, sociétales dans lesquelles se construit le trouble des conduites, n'en est pas revenu de voir que sa réflexion n'avait en rien influencé le texte de l'Inserm. Pourtant, le trouble, ça se soigne aussi avec du social.

Et puis on est à l'heure du soupçon. C'est sans doute l'ambiance Sarkozy qui veut ça. On redoute le signalement, la mise en fiches. « On ne fait pas de la prévention autour d'un berceau, on n'est pas là pour repérer de futurs déviants », s'indigne le Dr Schemla, d'Aubervilliers. « Depuis cinq ans, les enfants à l'école sont «dépistés», «repérés», «surveillés», «évalués», «signalés», tous termes dont on ne manquera pas de souligner la connotation médicale ou policière », s'alarme la revue « l'Ecole des parents ». Médecin, policier, même combat ? Et puis on voit du trouble partout. « Le mot «hyperactif» est vite prononcé par les parents eux-mêmes », dit Lucile Barbéris, responsable de l'association des institutrices d'écoles maternelles. Il suffit qu'il y ait eu une émission de Delarue la veille sur le sujet pour que les mères se précipitent chez un psy. Et chez les instits, il y en a qui
signalent dans leurs classes dix enfants à problèmes là où d'autres n'en verront qu'un seul. En tout cas il faut se préoccuper de ces enfants qui vont mal, car c'est de cela qu'il s'agit, pas de gosses qui piquent dans le sac de billes de leurs copains ou qui se bagarrent à coups de pied dans la cour de récré. Un témoignage d'une mère parmi d'autres, recueilli sur le Net : « Mon petit de 3 ans en était au point où il n'avait plus d'amis, ils avaient tous peur de lui et de son agressivité. Moi aussi je ne le supportais plus et j'avais l'impression que nous le détestions. A l'école, il mordait au sang ses camarades. On ne voulait plus de lui. » 
Alors, d'où viennent ces explosions ? D'un éventuel héritage génétique ? Oui, peut-être. Il y a tout un chapitre sur l'héritabilité génétique dans le rapport de l'Inserm. Mais un individu à l'ascendance violente qui vit dans un milieu tranquille sera aussi calme que vous et moi. C'est l'environnement qui va permettre à d'éventuels gènes de la violence de s'exprimer. Donc, ça ne règle rien.

Quelquefois, c'est un handicap qu'on n'a pas su détecter à temps. Une surdité partielle, par exemple, qui décourage de fréquenter l'univers de la parole et fait préférer celui des coups. Parfois, une souffrance impossible à dire : on met tout à sac pour attirer, enfin, l'attention d'une mère débordée par sa maternité. Ou bien, tout simplement, la défaillance de parents qui ne savent plus ou ne veulent pas tracer de limites pour leurs enfants. Depuis que l'enfant est une personne, il a parfois tous les droits. Enfin, ces explosions témoignent aussi parfois d'une réelle fragilité du psychisme.

La maladie mentale, la vraie, ça existe. 

Ces temps-ci, il faut jusqu'à neuf mois d'attente pour obtenir un rendez-vous dans un CMP (centre médico-psychologique), douze pour une consultation sur l'hyperactivité à l'hôpital Robert-Debré.

C'est sans doute le signe que nombre d'enfants vont mal. Pas forcément très mal.

Anne Fohr   Gérard Petitjean


« Troublé » ou délinquant ?

Selon l'Inserm, entre 5% et 9% des garçons de 15 ans seraient touchés par un « trouble des
conduites »... Les experts recommandent un dépistage dès l'âge de 3 ans et des soins de tout type,
avec une large place faite à la psychothérapie individuelle. Mais sans oublier l'usage éventuel de
médicaments ayant une action antiagressive.
Reste juste à savoir de quoi est donc fait ce « trouble des conduites »,que l'on ne doit pas confondre
avec trois « troubles » voisins : le trouble déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH), le trouble
oppositionnel avec provocation (TOP) et le nouveau trouble du comportement perturbateur non
spécifié...
Selon l'Inserm, les symptômes sont manifestes : « oppositions, désobéissance, colères répétées,
agressivité » chez l'enfant, « coups, blessures, dégradations, fraudes et vols » chez l'adolescent.
Mais attention, précisent les experts, à ne pas confondre avec « la délinquance »... La frontière est
pourtant ténue. Comme en témoigne la définition qu'en fait le fameux manuel américain des
maladies mentales (1) qui sert de référence mondiale. On y parle de « conduites, répétitives et
persistantes, dans lesquelles sont bafoués les droits fondamentaux des autres ou les normes et
règles sociales correspondant à l'âge de l'enfant ». Et de donner quinze symptômes précis : «
brutalise, menace ou intimide souvent d'autres personnes »,« commence souvent les bagarres »,« a
délibérément détruit le bien d'autrui », « arnaque les autres »,« reste dehors tard la nuit en dépit des
interdictions de ses parents et cela avant l'âge de 13 ans »... Bref, le portrait-type du jeune
délinquant ! A. F.(1) « DSM ou Manuel diagnostique et statistique des désordres mentaux ».

Anne Fohr
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