Archives
(1978)
n°
13 - avril 1978 - 49 fr
Alors,
on n'a pas école aujourd'hui?
Faire bouger Goliath,
par
Henry Dougier
Ces pratiques
alternatives: un modèle?
Des
« lieux pour enfants » où s'inventent d'autres rapports,
par
Catherine Baker, Jules Chancel
Cinq expériences,
cinq itinéraires
-
La Barque, comme le nom l'indique
-
Le Toboggan, avant la chute ... ailleurs
-
Le Moulin des souvenirs
-
L'Ecole en Bateau à contre-courants
-
Le projet Jonas,
Jonas-en-Corrèze
: un réseau
D'autres lieux
Mais
qui, diable, va dans ces «écoles» et pourquoi ?
par
Catherine Baker
-
La Roulotte
-
L'Ecole et la Ville
-
Le groupe de Houilles-Argenteuil
-
Terrevigne en Beaujolais
-
Belbezet
-
Le Har
-
La Commune
-
L'A.C.C.E.N.
Critiques et
réponses
Attaques
... et hésitations ...
Parades
... et auto-critiques
Deux
bilans :
«
Attention Ecole », 73-74
«
La Mosaïque », 75-76
Une «
théorie»
par
Jules Chancel
Où
il n'est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques ...
mais de politique!
Face
à face, l'enfant et l'adulte
Confrontations
Plusieurs
silences bien gênants ! (Guy Avanzini)
Je
demande toujours : quoi de neuf ? (Fernand Oury)
Prendre
la tangente
(Fernand
Deligny)
Une
alternative? Non, une reproduction du système scolaire (Etienne
Verne)
La
longue marche des innovateurs (Louis Legrand)
Vitruve,
une école perpendiculaire ... (L'équipe de la rue
Vitruve)
Le
lieu central de lutte, c'est l'école publique !
(Jacques
Guyard)
Comment
enclencher sur le milieu populaire ? (Bernard Defrance, Louis Caul-Futy)
«
L'initiation » plutôt que la pédagogie (René
Schérer)
Ecoles
parallèles ... Lieux de vie ... Réseaux
(Liane Mazère)
BRITISH
WAY OF LIFE
Le "modèle"
anglo-saxon, libéral ... et blairo-socialiste...
Endix
ans, le nombre d’enseignants en Angleterre a augmenté de 10% tandis
que celui
des assistants (non qualifiés, et 3 fois moins payés)
a triplé .
ÉCOLES
ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit
compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre
par le gouvernement travailliste..
Royaume-Uni
: L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur
unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination
à l’encontre des élèves pauvres.
Directeur
d'école en Grande Bretagne :
« Le métier
a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable,
on a plus de pression,
on nous demande plus de résultats. »
Deux
fois plus d’enseignants sont partis en retraite
anticipée au cours des sept dernières années.
35%
des élèves de 11 ans ne savent pas lire.
Un
ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.
Ecoles
publiques fermées aux pauvres. Un rapport émis
par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants
du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité
des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions
de "sélection" d’élèves sont organisées, durant
lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".
Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants
dans l’école de leur choix. En écartant les élèves
issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent
rehausser leur taux de réussite aux examens.
Selon
l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs
résultats au monde :
FAUX !
...
& Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.
Les
écoles anglaises pourront être gérées par des
"trusts".
L’école
britannique livrée au patronat. En mars 2000, le Conseil
européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif
à la politique de l’Union en matière d’éducation de
produire un capital humain rentable au service de la compétitivité
économique.
Le
créationnisme aux examens.
"BAGUE
DE VIRGINITE" : Une
adolescente anglaise, fille d'un pasteur
évangélique, perd son procès en Haute Cour.
Grande-Bretagne
:
l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire
Grande-Bretagne
:Les
sponsors au secours de l'école
Empreintes
digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni
réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création
d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.
Naître
et grandir pauvre en Grande-Bretagne est encore plus pénalisant
que dans d’autres pays développés.
Un demi-million de «sans-logement». A
Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.
Un
demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".
«tolérance
zéro» et conditions de détention intolérables.
Plus
de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.
«Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est
l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»
Les
frais très élevés d’inscription universitaire dissuadent
les étudiants issus de familles modestes de s’inscrire en fac.
De
plus en plus d’étudiantes se prostituent ou travaillent dans l’industrie
du sexe pour payer les frais d’inscription de leur université.
Plus de 350 000 Britanniques ont quitté leur île en 2005 pour
jouir d'une vie meilleure
Les
jeunes Britanniques se voient vivre ailleurs. Difficulté d'
acquérir un logement, hausse de la fiscalité et indigence
des services publics, en particulier les transports et le système
de soins.
M.
Ernest-Antoine Sellière, alors président du patronat français
:«
Je suis un socialiste britannique »
Londres,
paradis des milliardaires.
Selon
des rapports de l’ONU et de la Banque mondiale : « Au Royaume-Uni,
les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes
du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria,
et plus profondes que celles que l’on trouve, par exemple, à la
Jamaïque, au Sri Lanka ou en Ethiopie .»
Grande Bretagne : premier
pays où chaque déplacement de véhicule sera enregistré.
Les
Britanniques inventent l'ultrason antijeunes.
De
plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool.
Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop
bu a augmenté de 20% en un an.
AMERICAN
WAY OF LIFE...
"Je
t'aime, Alex" : 4 mois de redressement.
Lourde peine pour une
écolière amoureuse.
Une jeune fille de 12 ans
ayant écrit «Je t’aime Alex» sur les murs d’une
école, a été envoyée pour 4 mois dans un établissement
"accueillant" des élèves "en difficulté". Parmi de
nombreuses autres jolies colonies de vacances du même type : Tranquillity
bay". gérée par la WWASP (patronnée par le
professeur Skinner, le père de la psychologie comportementaliste).
Pour 3000 dollars par mois,
il promet de transformer ces récalcitrants en citoyens dociles et
travailleurs.
Les
écoles publiques en Californie :
"Sodome
et Gomorrhe" !
USA 2008 :"dans
le Milwaukee, il n'y a pas eu de miracle" (Sol Stern).
LES
CHÈQUES "ÉDUCATION" : L'ÉCHEC.
Depuis une bonne vingtaine
d'années, ici aussi, le "chèque éducation"
(ou "bon scolaire") - en anglais "voucher" -
fait partie d'un blabla
yakaiste au sujet des indispensables réformes, "simples, urgentes
et radicales", disent-ils, du système scolaire...
L'un des plus fervents
promoteurs du chèque-éducation aux USA, Sol Stern,
vient de faire brusquement volte-face en affirmant, constats à l'appui,
que le voucher n’avait "pas du tout amélioré le
système public".
Après avoir depuis
longtemps réclamé, soutenu et contribué au développement
des vouchers et des charter schools, Sol Stern pointe les
défauts et les insuffisances du voucher. Il cite, entre autres,
l’expérimentation de Milwaukee, première ville aux États-Unis
à adopter, en 1990, un programme "chèque éducation".
«Tout
le monde est pour la mixité sociale. Mais pour les autres.»
Le
droit d'apprendre
Ivan
Illich dans
Une société sans école proposait,
dès les années 70, une réflexion radicale sur l'échec
de l'enseignement à l'école.
Cette dernière,
outil d'un Etat,
peut-elle être
pensée aujourd'hui autrement
comme il le suggérait
il y a trente ans ?
Des écoles
Des collèges
et des lycées
Oui,
mais ... pas trop !
Statiques
universitaires-fonctionnaires ou camelots très agités ont
en commun, depuis deux bonnes décennies radoteuses sur l’échec
scolaire, l’art et la pratique du piratage et de son exploitation en produits
dérivés et contre-faits.
NON,
les écoles différentes ne sont pas les écoles
parallèles
(à
quoi ?), souvent mortes-nées, dont tout le monde parle depuis 30
ans sans jamais (vouloir) savoir de quoi il s’agit/s’agissait : alternativement
synonymes de "dernière chance", de "pas mal, ... pourles
autres", le terme étant souvent affublé de "post-soixanthuitardes"
par tous ceux parvenus, et qui en sont
revenus sans y être jamais allés; précédé
de «ça marginalise un peu,
quelque part, au niveau de la socialisation, quand même, non ?»
ou suivi de «qu’est-ce que ça
serait bien si qu'on en ferait une».
«
Main basse sur l'école publique »
L'Éducation
Nationale est accusée de « fabriquer des crétins
» et d'entretenir le « chaos pédagogique »,
l'insécurité et le chômage. Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi
dévoilent la signification de ces mesures : des associations de
libéraux et de catholiques conservateurs proches du Front national
et de l'Opus Dei sont à l'origine de ces propositions.
Au
nom de la liberté de choix, on prépare une privatisation
de l'Éducation. |
Archives
(1985)
LE
RETOUR À L'ORDRE
Le
Nouvel Observateur - vendredi 4 janvier 1985
NOTRE EPOQUE
ENSEIGNEMENT
Sa
consigne - instruire d'abord - a fait l'effet d'une déclaration
de guerre.
Applaudi à
droite, contesté à gauche, Jean-Pierre Chevènement
sauvera-t-il, comme il le croit, l'école de la République
ou ruinera-t-il quarante ans d'innovation pédagogique?
L'enjeu est de
taille: l'avenir de douze millions d'enfants
Depuis plus de vingt
ans, Guy Bayet, président - à vie? - de la vénérable
Société des Agrégés, tire à vue, depuis
son petit bureau encombré d'archives, sur tout ce qui bouge dans
les écoles, les collèges et les lycées. Depuis que
Jean-Pierre Chevènement a pris les rênes du ministère
de l'Éducation nationale, il ne se sent plus de joie. «
Le plus beau virage depuis 1968 »; s'exclame-t-il.
Edmond Maire, lui,
déclare sans ambages que les thèses de Jean-Pierre Chevènement
«
lui font froid dans le dos ». « Le discours qui consiste
à dire: "Que les meilleurs gagnent !" est l'illustration d'une attitude
conservatrice », écrivait il y a un mois le secrétaire
général de la C.F.D.T. Et il enfonçait le clou : «
Comment peut-on aujourd'hui prôner la barbarie d'une sélection
naturelle à des jeunes placés depuis leur naissance dans
des situations complètement différentes, dues à leur
origine, à leur environnement, à leurs conditions de vie?
»
A gauche encore?
Laurent Schwartz. Chevènement le ravit. Ils s'étaient rencontrés
lorsque le leader du C.E.R.E.S. était ministre de la Recherche et
de l'Industrie. Ils se sont souvent vus depuis.
Pas du tout à
gauche? Le S.N.A.L.C. syndicat archi-conservateur de l'enseignement
secondaire, proche de la C.G.C. Qui était le beau valet de coeur
d'une des dernières couvertures de son bulletin?
Jean-Pierre Chevènement,
bien sûr. Un proche d'Alain Savary, le précédent ministre:
«
Je pense que l'histoire retiendra que le programme sur l'éducation
le plus réactionnaire qu'on ait connu depuis quarante ans vient
de la gauche de la gauche. Voyez ceux qui s'occupent de ce secteur au R.P.R.
ou à l'U.D.F. Ils tiennent un discours beaucoup plus ouvert que
celui de Chevènement ... » Encore qu'à écouter
d'une oreille distraite Chirac ou le ministre de l'Éducation nationale,
on pourrait confondre.
L'un parle de «
sélection des meilleurs », l'autre d' « élitisme
républicain »; l'un condamne les « choix hasardeux
et pernicieux » des dernières années; l'autre se
proclame le « conservateur des valeurs qui ont fait la force de
l'école » : goût de la connaissance, curiosité
intellectuelle, effort et travail ...
Plus personne, à
droite comme à gauche, n'y reconnaît ses petits. Certains
s'en inquiètent. Il y a quelque temps, Laurent Fabius aborde Jean-Pierre
Chevènement qui discute avec une dizaine de recteurs : «
Comment expliquez-vous, monsieur le Ministre, que votre politique soit
soutenue par nos ennemis et combattue par nos amis? » Un ange
est passé. Et repassé car Fabius, quelques jours plus tard,
a repris le même thème lors d'une réunion où
le ministre était face à tous les recteurs d'académie
de France.
Inquiet, Fabius?
Il aurait tort, du moins si son inquiétude est celle d'un homme
qui devra conduire les prochains combats électoraux. La «
restauration des valeurs de l'école », l'évocation
de Jules Ferry, l'exhortation au travail, à l'effort, l'accent mis
sur «l'élitisme républicain» - cette belle
formule qu'on peut traduire par : sélection des meilleurs -, l'insistance
mise sur la transmission des connaissances, tout cela marche formidablement.
Il suffit de se rendre dans une réunion de parents d'élèves,
toutes fédérations confondues, pour se rendre compte de l'écho
que rencontre ce genre de discours.
« Chevènement,
c'est d'abord un politique. Il joue l'opinion publique. Ce qu'il dit correspond
à l'attente des parents qui voient bien que l'école, ça
ne marche pas,
dit Jean-Claude Guérin du S.G.E.N.-C.F.D.T.,
un opposant farouche
à la nouvelle mode éducative. On exalte le passé,
on ranime l'instruction civique, on annonce pour bientôt une école
primaire dans laquelle tous les parents vont reconnaître leur enfance.
C'est attendrissant. Et en plus, ça caresse dans le sens du poil
une bonne partie des enseignants. Probablement la majorité ... C'est
ce que j'appellerais, au bout du compte, un discours sécuritaire
sur l'éducation. »
Et le discours a
de l'écho. Courageux, Chevènement? Assurément. Même
si son courage le conduit à suivre le courant de l'opinion publique
alors que tous ses prédécesseurs, depuis vingt ans, avaient
ramé à contre-courant dans leur souci de comprendre pourquoi
le collège répond si mal aux goûts, aux capacités:
aux possibilités de 70 % des adolescents. Encore un membre de l'ancien
cabinet Savary: « On assiste depuis deux ans à une forte
pulsion conservatrice tous les pays - Etats-Unis, Angleterre, Allemagne
- qui ont voulu démocratiser leur enseignement au lendemain de la
Seconde mondiale. Chevènement suit ce courant. Et il répond,
ce faisant, aux inquiétudes d'une grande majorité des professeurs.
Plus le langage qu'on leur tiendra sera simple, plus on leur dira de
répéter en classe ce qu'ils ont appris en fac, et plus ils
seront contents. Le ministre actuel et son entourage laissent entendre
que le monde enseignant dans son ensemble était saisi ces dernières
années d'une fièvre pédagogique désordonnée.
Mais c'est faux. Combien y a-t-il de professeurs innovateurs dans nos écoles,
nos collèges, nos lycées? Vingt-cinq pour cent peut-être
... Quant aux parents, ils sont si inquiets de la scolarité de leurs
enfants et peut-être, surtout, de leur adolescence ... Ils
se réfugient volontiers dans les certitudes du passé. »
Son seul véritable
coup de poker politique depuis qu'il est ministre de l'Education nationale,
Jean-Pierre Chevènement l'a joué le 22 novembre au matin
dans un amphithéâtre de Villetaneuse, en banlieue parisienne,
une université qui vote plutôt à gauche. Là,
il parle devant les six cents étudiants de première année.
Il est le premier depuis 1968 à tenter l'aventure. «Le
matin même, raconte Philippe Barret, un des conseillers les plus
proches du ministre, personne ne pouvait nous dire comment ça
allait tourner. » Chevènement y teste ses thèmes
favoris: patriotisme, effort, travail, mérite ... Et ça passe.
Les étudiants applaudissent.
Habile, Chevènement
? Non, sincère lorsqu'il parle d'école. Père instituteur
et socialiste, mère institutrice et catholique ... Il croit à
ce qu'il dit ; et ses références à Jules Ferry et
à la IIIe République ne sont pas proclamées à
la seule intention de la galerie. On l'a dit converti par Jean-Claude Milner,
auteur d'un livre puissant dans lequel on retrouve beaucoup des thèmes
des discours chocs du ministre.
(Voir l'entretien
de Jean-Claude Milner et de Jean Hébrard dans les pages suivantes.)
Ce n'est pas absolument exact. Lorsque Chevènement lit le livre
de Milner, il y a trois mois, ses convictions sont déjà bien
établies.
VIRAGE À
180 DEGRÉS
En fait, son plan
d'action est déjà prêt au début de mars 1984.
Alain Savary est encore ministre mais le leader du C.E.R.E.S. piaffe déjà
d'impatience lors d'une réunion de République moderne,
son club de réflexion. « L'école, dit-il, est un
thème à pousser en avant, un thème politique de masse
pour les prochaines années. » Dans le petit groupe, il
y a Milner que Jean-Pierre Chevènement ne connaît pas encore:
ils se rencontrent pour la première fois. C'est Philippe Barret
qui l'a fait venir. Les deux hommes se sont connus à Normale supérieure:
tous deux étaient alors militants maoïstes au sein de la Gauche
prolétarienne. Et sur l'école, tous deux vibrent vraiment
au même rythme, mis à part, selon l'expression de Philippe
Barret, « quelques thèmes ingérables ».
Un homme politique en charge de l'éducation ne peut pas se mettre
à dos le principal syndicat d'enseignants de France avec la désinvolture
d'un Milner.
Un homme important,
ce Philippe Barret. C'est lui qui met en musique la politique éducative
de Chevènement. Et ce n'est pas un homme de nuances. En décembre
1983, il écrivait dans « En jeu », la revue du
C.E.R.E.S., un article intitulé: « Pour l'instruction publique
», dans lequel on pouvait lire: «Une idéologie
post-soixante-huitarde, ultralibérale, anarchisante a conduit à
faire régner dans l'enseignement primaire une conception néorousseauiste
de l'enseignement, bannissant toute règle et tout effort instaurant
le droit généralisé à la paresse et qui pourrait
prendre comme devise: moins on apprend, mieux on se porte. »
En décembre
1984, il confirme: «L'acquisition des connaissances, c'est un
travail. On a trop abandonné cette idée-là et on a
trompé la population. On a fait la démagogie. Je crois que
c'est terminé. »
Au fait, qui est
« on » ?
Au-delà des
effets d'estrade, Chevènemement, en bon jacobin, a commencé
par resserrer les boulons.
Savary, pour dégripper
la machine, pour tenter de diminuer l'échec scolaire, avait misé
sur le volontariat (pour la rénovation des collèges), sur
les associations de professeurs (pour réviser les programmes), sur
le mouvement pédagogique. En résumé, il avait voulu
privilégier la société plutôt que l'Etat. Jean-Pierre
Chevènement, sur tous ces points, a pris un virage à 180
degrés. Adieu le volontariat: le ministre fixe des quotas et des
calendriers pour la rénovation du collège (il n'a sans doute
pas tort); Alain Savary avait créé des commissions pour étudier
une réforme du contenu des grandes disciplines français,
histoire, géo, maths, sciences naturelles, etc. Il les avait ouvertes
aux associations de professeurs et en avait confié la responsabilité
à des universitaires, au grand dam des inspecteurs généraux,
beaucoup plus traditionalistes. Chevènement n'a pas supprimé
les commissions question mais il a écrit aux présidents de
chacune d'entre elles pour leur préciser que leur rôle se
bornerait dorénavant à la réflexion. C'est l'inspection
générale qui présentera les propositions et le ministre,
bien sûr, qui tranchera. Les inspecteurs généraux sont
ravis et suivent Chevènement au doigt et à l'œil.
"C'est parti pour
la restauration, déclare un responsable d'association d'enseignants
qui s'était "mouillé" dans les commissions Savary. Nous alIons
subir le retour du bâton. Nous allons nous faire sacquer ... »
Le mouvement pédagogique commence sa traversée du désert,
d'où l'indignation d'un homme comme Edmond Maire: «Quand
un formateur refuse la pédagogie, il déverse son savoir sur
les jeunes, comme on remplit une poubelle ... » Quant aux parents
... Les circulaires écrites par Savary et qui prévoyaient
une participation réelle des parents aux conseils d'école,
leur donnant le droit de s'intéresser à autre chose qu'à
la couleur des tickets de cantine, ont été bloquées
par son successeur. A la très vive satisfaction, d'ailleurs, du
Syndicat national des Instituteurs, qui, en échange de cette bonne
manière, garde un silence prudent face aux déclarations new-look
de son ministre.
Un silence qui ne
pourra plus durer très longtemps car des décisions lourdes
de conséquences vont être prises dans les six mois qui viennent.
En février et mars vont paraître les nouveaux programmes Chevènement
pour l'école primaire. « Ils porteront, a dit le ministre,
sur les apprentissages de la langue française (lecture, écriture,
orthographe, grammaire), le calcul, les sciences de la nature, la technologie,
l'éducation civique, les éveils artistiques et corporels.
» Une remarque s'impose: la pédagogie d'éveil,
dans cette liste, ne s'applique qu'au dessin, à la musique et à
la gym, alors qu'elle était au cœur de la commission «Ecole»
créée par Savary. Lecture? Jean-Pierre Chevènement
l'a dit à Grenoble: ce sera « le plus tôt possible
». L'idée d'une plage s'étendant de cinq à
huit ans et permettant de tenir compte du rythme de chaque enfant semble
écartée. Instruction civique? Là aussi, on sait où
l'on va. Ce ne sera pas l'école « ouverte sur le grand
large », comme dit le ministre. On va exalter le «patriotisme
français», le «sentiment national». «L'ode
à la différence?» On n'en parle plus.
Pour le collège,
les décisions seront annoncées en mai-juin. Pour l'instant,
la réforme prévue tient en quelques points: groupes de niveaux
suivant les matières, études surveillées le soir et
rétablissement du B.E.P.C. Sans oublier une nuance importante: Alain
Savary voulait construire un « collège démocratique
». JeanPierre Chevènement parle, lui, de «collège
de la réussite ». Ce qui nous ramène à ce fameux
«élitisme républicain» que l'on évoque
avec tant d'insistance depuis quelques mois. Et de façon étrange.
Car l'élitisme se porte fort bien dans notre système scolaire,
qu'on croit submergé par la pression sociale. C'est vrai, les effectifs
des lycées ont augmenté de façon spectaculaire . Entre
1952 et aujourd'hui, les effectifs des secondes, premières et terminales
d'enseignement général ont été multipliés
par cinq. Mais il y a des digues qui tiennent bon. Il n'y a pas plus d'élèves
aujourd'hui en terminale C, la section reine, qu'il n'y avait d'élèves
dans les vieilles math élém de 1963 ! Et à l'époque,
on pouvait faire Médecine avec un bac de sciences expérimentales
et Normale sup avec un bac de philosophie. Aujourd'hui, tous ces gens-là
n'ont aucune chance s'ils ne sortent pas d'une section C, et l'élitisme
- républicain ou pas - ne s'est jamais mieux porté!
Comme ancien ministre
de la Recherche et de l'Industrie, Jean-Pierre Chevènement sait
parfaitement qu'il est vital pour le pays que soient atteints les objectifs
fixés par le Plan: il faudrait que nous arrivions à ce que
80 % d'une génération termine un second cycle, long ou court.
Alain Savary avait défini une politique pour tenir le pari. Jean-Pierre
Chevènement en définit une autre aux antipodes de la première.
L'objectif reste pourtant le même: régler en grande partie
le problème de l'échec scolaire à l'école primaire
et au collège.
GÉRARD
PETITJEAN
SONDAGE
Les jeunes voient l'avenir en noir
LE QUOTIDIEN DE PARIS - N° 2239 - lundi 2 février
1987
• Les lycéens et les étudiants sont inquiets pour leur
avenir professionnel et leurs parents le sont davantage. Cette constatation
ressort d'un sondage effectué pour le mensuel l'Etudiant à
l'occasion du premier Salon européen de l'étudiant organisé
ce week-end à Toulouse, seconde ville universitaire de France.
Réalisé par les étudiants d'une école
commerciale de Montpellier, entre le 24 et le 30 novembre dernier, sur
un échantillon représentatif de lycéens, étudiants,
parents et enseignants toulousains, ce sondage révèle que
85 % des parents interrogés se déclarent «inquiets»
ou «très inquiets» pour l'avenir des jeunes, un avis
suivi par 84 % des lycéens et 83 % des étudiants. Ce sont
les enseignants les moins inquiets: 76%.
Si tout le monde s'accorde à laisser aux jeunes la décision
de leur orientation (90 % en moyenne des personnes interrogées),
lycéens et étudiants ne sont pas d'accord sur la qualité
de leurs professeurs: le corps enseignant est considéré comme
bon par 61 %, des étudiants et 62 % des parents, alors que 57% des
lycéens ont un avis contraire. Pour leur part, les enseignants se
jugent eux-mêmes favorablement à 88 % ...
La pédagogie fait l'unanimité contre elle: 70 %
des lycéens et étudiants ainsi que 60 % des parents ne la
jugent ni« moderne», ni « adaptée ».
Un avis suivi par 53 % des enseignants.
En ce qui concerne le choix des études, tous s'accordent
à privilégier les formations longues (72 % des lycéens,
68 % des étudiants, 60 % des parents et 94 % des enseignants). En
revanche, les avis divergent sur la sélection: les jeunes la refusent
à 63 % pour les lycéens et 51 % pour les étudiants)
alors que les adultes l'approuvent (à 53 % pour les parents et 56
% pour les enseignants).
D'autre part, le critère le plus souvent retenu pour le choix
d'une filière reste «la possibilité de faire des études
qui plaisent»: 46 % des lycéens, 41 % des étudiants,
28 % des parents et 27 % des enseignants, le citent en premier lieu. Viennent
ensuite la sécurité de remploi (28 % des parents), la vocation
(26 % des enseignants), et, en dernier lieu, la rémunération
future, citée par seulement 1 % des enseignants et 8 % des étudiants.
2009
"l'obsession du classement
scolaire, qui est à la base de l'élitisme républicain,
la vision dichotomique
de la réussite qui sépare les vainqueurs et les vaincus de
la sélection scolaire,
mais également
la faillite de l'orientation,
|