Archives
(1978)
n°
13 - avril 1978 - 49 fr
Alors,
on n'a pas école aujourd'hui?
Faire
bouger Goliath,
par
Henry Dougier
Ces pratiques
alternatives: un modèle?
Des
« lieux pour enfants » où s'inventent d'autres rapports,
par
Catherine Baker, Jules Chancel
Cinq expériences,
cinq itinéraires
-
La Barque, comme le nom l'indique
-
Le Toboggan, avant la chute ... ailleurs
-
Le Moulin des souvenirs
-
L'Ecole en Bateau à contre-courants
-
Le projet Jonas,
Jonas-en-Corrèze
: un réseau
D'autres lieux
Mais
qui, diable, va dans ces «écoles» et pourquoi ?
par
Catherine Baker
-
La Roulotte
-
L'Ecole et la Ville
-
Le groupe de Houilles-Argenteuil
-
Terrevigne en Beaujolais
-
Belbezet
-
Le Har
-
La Commune
-
L'A.C.C.E.N.
Critiques et
réponses
Attaques
... et hésitations ...
Parades
... et auto-critiques
Deux
bilans :
«
Attention Ecole », 73-74
«
La Mosaïque », 75-76
Une «
théorie»
Où
il n'est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques ...
mais de politique!
par
Jules Chancel
Face
à face, l'enfant et l'adulte
Confrontations
Plusieurs
silences bien gênants ! (Guy Avanzini)
Je
demande toujours : quoi de neuf ? (Fernand Oury)
Prendre
la tangente
(Fernand
Deligny)
Une
alternative? Non, une reproduction du système scolaire (Etienne
Verne)
La
longue marche des innovateurs (Louis Legrand)
Vitruve,
une école perpendiculaire ... (L'équipe de la rue
Vitruve)
Le
lieu central de lutte, c'est l'école publique !
(Jacques
Guyard)
Comment
enclencher sur le milieu populaire ? (Bernard Defrance, Louis Caul-Futy)
«
L'initiation » plutôt que la pédagogie (René
Schérer)
Ecoles
parallèles ... Lieux de vie ... Réseaux (Liane
Mazère)
BRITISH
WAY OF LIFE
Le "modèle"
anglo-saxon, libéral ... et blairo-socialiste...
ÉCOLES
ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit
compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre
par le gouvernement travailliste..
Royaume-Uni
: L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur
unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination
à l’encontre des élèves pauvres.
Directeur
d'école en Grande Bretagne :
« Le métier
a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable,
on a plus de pression,
on nous demande plus de résultats. »
Deux
fois plus d’enseignants sont partis en retraite
anticipée au cours des sept dernières années.
35%
des élèves de 11 ans ne savent pas lire.
Un
ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.
Ecoles
publiques fermées aux pauvres. Un rapport émis
par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants
du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité
des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions
de "sélection" d’élèves sont organisées, durant
lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".
Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants
dans l’école de leur choix. En écartant les élèves
issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent
rehausser leur taux de réussite aux examens.
Selon
l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs
résultats au monde :
FAUX !
...
& Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.
Les
écoles anglaises pourront être gérées par des
"trusts".
L’école
britannique livrée au patronat. En mars 2000, le Conseil
européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif
à la politique de l’Union en matière d’éducation de
produire un capital humain rentable au service de la compétitivité
économique.
Le
créationnisme aux examens.
"BAGUE
DE VIRGINITE" : Une
adolescente anglaise, fille d'un pasteur
évangélique, perd son procès en Haute Cour.
Grande-Bretagne
:
l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire
Grande-Bretagne
:Les
sponsors au secours de l'école
Empreintes
digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni
réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création
d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.
Naître
et grandir pauvre en Grande-Bretagne est encore plus pénalisant
que dans d’autres pays développés.
Un demi-million de «sans-logement». A
Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.
Un
demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".
«tolérance
zéro» et conditions de détention intolérables.
Plus
de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.
«Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est
l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»
Les
frais très élevés d’inscription universitaire dissuadent
les étudiants issus de familles modestes de s’inscrire en fac.
De
plus en plus d’étudiantes se prostituent ou travaillent dans l’industrie
du sexe pour payer les frais d’inscription de leur université.
Plus de 350 000 Britanniques ont quitté leur île en 2005 pour
jouir d'une vie meilleure
Les
jeunes Britanniques se voient vivre ailleurs. Difficulté d'
acquérir un logement, hausse de la fiscalité et indigence
des services publics, en particulier les transports et le système
de soins.
M.
Ernest-Antoine Sellière, alors président du patronat français
:«
Je suis un socialiste britannique »
Londres,
paradis des milliardaires.
Selon
des rapports de l’ONU et de la Banque mondiale : « Au Royaume-Uni,
les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes
du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria,
et plus profondes que celles que l’on trouve, par exemple, à la
Jamaïque, au Sri Lanka ou en Ethiopie .»
Grande Bretagne : premier
pays où chaque déplacement de véhicule sera enregistré.
Les
Britanniques inventent l'ultrason antijeunes.
De
plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool.
Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop
bu a augmenté de 20% en un an.
Beuark.
Ségolène
Royal rend hommage à la politique de Tony Blair.
AMERICAN
WAY OF LIFE... |
Archives (1978)
Ecoles parallèles ... Lieux
de vie ... Réseaux ...
Liane Mozère
Chercheur. Cerfi Enfance.
Auteur avec G. Aubert « Babillages…
Des crèches aux multiplicités d’enfants ».
Recherches, Paris, 1977.
On ne peut être que
séduite par le ton passionné, de parti pris, ouvert de Catherine
Baker lorsqu'elle parle des écoles parallèles qu'elle définit
fort heureusement comme lieux de vie. lorsqu'elle évoque les doutes,
les difficultés et les succès. Première tentative
d'un travail d'analyse politique, un peu à la marge de la
bonne conscience idéologique de gauche et d'extrême-gauche,
des certitudes « universelles » et des dogmes. Travail en pointillé,
en devenir, qui en tant que tel mérite une attention faite de tendresse
et d'échange.
Une riche documentation, bien faite,
intelligente, impertinente et irrespectueuse, mélange bien les genres
et les approches et donne une bonne image des « problèmes
tels qu'ils se posent ». Elle égratigne sérieusement
les tenants d'une « bonne » pédagogie (opposée
à celle qui se pratique dans la majorité des cas) de gauche,
voire gauchiste (groupusculaire) compte du «social» dans la
vie de l'enfant pour mieux préparer et promouvoir des formes nouvelles
d'assujétissement et d'adaptation.
J'aimerais soulever tout d'abord
quatre questions qui me paraissent essentielles.
- Le rapport passionnel aux enfants:
Ce qui frappe d'emblée d'emblée
dans ce texte c'est le ton pédophilique. «Nous aimons leur
présence physique». Ce qui veut dire qu'on invente, qu'on
expérimente d'autres relations entre adultes et enfants, d'autres
relations qui traversent les adultes et les enfants, ce qui veut donc dire
interrogation, essais, doutes. Catherine le rappelle : « L'école
parallèle n'est qu'une potentialité ». Potentialité
opposée aux savoirs spécialisés assénés
de l'extérieur, aux définitions.
- L'agencement a-parental :
Les expériences parallèles
ont pour la plupart, toutes cherché dès le départ
à briser la logique d'appartenance et de familialisation des rapports
entre adultes et enfants. Malheureusent, ce sont bien souvent les conditions
économiques qui ont conduit dans certains cas à refamilialiser,
c'est-à-dire à isoler et à poser la question de la
participation parentale comme un objectif, quasiment comme un devoir.
Etant sensés s'intéresser
à leurs enfants (contrairement à ceux qui «délèguent»
leurs pouvoirs à l'Education nationale ...) il serait malvenu de
ne pas s'en occuper. Renversement du devoir - «instinct maternel»,
ce nouveau devoir «intérêt parental» allait d'ailleurs
connaître une fortune inespérée. Car c'est paradoxalement
le courant anti-autoritaire, marginal, qui va renouveler complètement
les pratiques parentales et adultes et donner naissance à une nouvelle
forme de normalisation.
Contre le familialisme, des tentatives
... familiales
Au départ, bien entendu,
c'est la lutte contre une spécialisation à outrance qui a
poussé les expériences allemandes (Kinderlaeden),
hollandaises, canadiennes (S.O.S. garderies populaires) ou françaises
(crèches et écoles sauvages) à faire participer massivement
les parents aux tentatives d'éducation communautaires. Dès
les années 1967-69. Il faut noter d'ailleurs à ce propos
qu'on insistait parallèlement au moins autant sur la participation
de non-parents.
Au Québec, par exemple,
c'est à l'initiative de groupes marginaux, proches de la sensibilité
autonomiste que se créent les premières garderies populaires
dans des maisons (S.O.S. garderies populaires) On y accueille un groupe
de 8 à 10 enfants pris en charge par un groupe d'adultes - hommes
et femmes - qui tentent une autre forme de vie, non familiale, avec les
enfants. Ces groupes ont progressivement demandé des subventions
qui ont été dans certains cas accordées. Mais, du
même coup, la machine étatique réinvestissait pour
son compte le processus ainsi créé : elle favorisait le développement
de garderies familiales animées par des parents.
Dans ces dernières tentatives,
plus d'expérimentation de nouveaux rapports enfants/adultes, une
simple organisation de dépannage familial, fort utile au demeurant
dans un pays où n'existe pratiquement pas d'infrastructure de garde.
En l'absence d'un travail micro-politique
et d'un minimum de liaison entre elles, les tentatives marginales ont été
ainsi coupées de la possibilité de se rebrancher sur l'ensemble
des forces et des groupes qui investissaient - du fait de leur initiative
inaugurale - ce champ particulier de la petite enfance. Elles perdaient
du même coup une capacité d'intervention positive, et pour
elles et pour l'ensemble du secteur.
En France les tentatives de mise
sur pied de crèches ou d'écoles parallèles ont été
pareillement privées de liens subjectifs avec les luttes sur la
vie quotidienne. Les liaisons idéologiques entre l'élevage
des enfants et la lutte écologique (dans un sens large) ont certes
toujours été affirmées, mais de fait cela ne transformait
pas radicalement ni la façon d'élever les enfants - si ce
n'est le fait de les élever à la campagne dans certains cas
ou de «manger macro-biotique» -, ni les objectifs écologiques
- si ce n'est d'un point de vue général « non au nucléaire
pour nos enfants ».
L'intérêt de «
non-parents» pour les tentatives parallèles s'est donc tout
naturellement émoussé.
L'absence de liens entre ces expériences,
la totale ignorance de ce qui se passe ailleurs dans le secteur de l'enfance,
l'absence de liaisons avec des tentatives socio-culturelles locales ou
d'autres groupes, transforment souvent ces expériences en isolats
de groupes parentaux qui constituent, à l'instar d'équipements
très fermés, des microcosmes. Ceux-ci reproduisent à
leur manière des phénomènes d'appartenance de groupe
qui recodent, en termes familialistes, des tentatives bien souvent créées
sur des objectifs de lutte contre le Familialisme !
Le problème à ce
niveau est encore de savoir comment traiter concrètement
avec un groupe, l'investissement que chacun peut faire des fonctionnements
familialistes et comment cela se répercute sur le fonctionnement.
Apprendre à lire, une
des «figures imposées»
Poser le problème de la participation
parentale nous semble d'autant plus important qu'actuellement personne
- quelle que soit sa teinture politique ou son parti - ne remet en cause
la « justesse» de la ligne participation des usagers). Le problème
est donc de savoir comment la faire fonctionner; pour les expériences
marginales entre autres la seule référence à la participation
de parents et de non-spécialistes ne suffit plus à spécifier
leur type de fonctionnement.
C'est ici que la notion de réseau
est importante car elle permet d'envisager une évaluation collective
branchée sur l'ensemble des forces et des groupes vivants dans ce
secteur particulier de l'enfance, de saisir les rap· ports de force
et donc les lignes de fuite possibles pour chacune des expériences,
chacune à son niveau, selon sa spécificité d'intervention
et son mode d'existence propre. Nous y reviendrons.
Mais il semble bien que l'isolat
- imposé le plus souvent par des conditions économiques et
culturelles - ne puisse que produire des ratés et risque d'exposer
les tentatives les plus intéressantes aux pièges d'un assujétissement
aux nouveaux codes du pouvoir de plus en plus miniaturisés. Les
nouvelles tendances de prévention sociale tendent, en effet, à
multiplier les contrôles sur les enfants et leurs parents dans les
domaines jusque-là réservés à la vie privée.
Et dans cette optique, la «participation parentale» est non
sollicitée mais parfois imposée (pour le bien de l'enfant).
Il faut donc bien savoir comment faire fonctionner la présence de
parents ou de tous autres adultes « non spécialistes »
(c'est-à-dire non éducateurs) dans les lieux d'enfance .
- La mise en jeu d'autres composantes
d'expression:
Les structures actuelles se fondent
sur une prédominance absolutiste, impérialiste de la langue
écrite et de ses codes. Catherine Baker rappelle bien à ce
propos les ambivalences et les angoisses des parents y compris dans les
écoles parallèles. Le «barrage» social de l'apprentissage
de la lecture et de l'écriture (qui ouvrent d'emblée à
l'assujétissement et à l'acceptation de tous les codes sociaux
de déplacement, de hiérarchie, d'attitude, de comportements
selon l'âge, le sexe, la race etc.) existe aussi dans ces écoles
« autres ». Et il serait en effet étonnant, voire anormal,
qu'il en soit autrement.
Ce qui est nouveau dans le récit
de Catherine c'est la franchise et la liberté de ton qu'elle adopte.
Elle relate les doutes, les inquiétudes, sans toutefois tomber dans
une dénégation triomphaliste de la question. « On essaie
de voir » dit-elle en substance. Certains ayant été
trop inquiets, ou estimant que les enfants voulaient apprendre à
lire, ont demandé à une ex- permanente de venir faire lire
ceux qui le désiraient. Tentative ...
Certains parents ne s'en inquiètent
pas pour l'instant, mais il n'y a pas eu de choix dogmatique, surmoïque,
uniforme. Pourtant les tentatives « autres» : peinture, danse,
musique - ont du mal à se développer, en tout cas pas assez
au gré de Catherine Baker. Et pourtant, il y a là une ligne
de fuite possible, hors du cadre des « figures imposées »
du système. A suivre, fil non rompu. A expérimenter.
- Travail micro-politique des adultes
sur leur implication.
Pour reprendre les termes employés
par Gilles Deleuze et Félix Guatttari (Travail du groupe sur lui-même,
sur son fonctionnement: cartographie de groupe. frontières mouvantes,
errances, lignes de fuite). Ce dossier a le mérite de dévoiler
un pan de ce domaine généralement secret: il évoque
l'évolution du groupe, ses moments forts, ses périodes d'intensité
créa· rive, ses ratés aussi, ses basses tensions,
au bord parfois du découragement et de la rupture.
C'est en effet à partir
d'un tel travail vivant - et constant - que peuvent émerger peu
à peu les ouvertures possibles, les potentialités nouvelles
d'un groupe, qui le font éclater, bouger, évoluer et lui
permettront d'échapper à la reproduction familialiste ou
scolaire qui peuvent surgir à tout instant, y compris au sein d'expériences
très radicales. Travail de longue durée - lutte continue
- qui fait précisément la valeur des exemples cités.
On reste un peu sur sa faim quant à l'histoire de La Barque, seulement
esquissée, mais ce travail viendra, peut-être?
Dès la maternelle, un
contrôle
Le questionnement partait d'un tout
autre point pour moi: celui de la découverte de lieux inventifs,
détendus, vivants avec des tout petits dans des institutions réputées
« publiques » donc supposées d'avance «répressives».
Nous avons rendu compte de ce coup de foudre et du lent et passionnant
chemin de l'ouverture et de la mise en contact de ces lieux, de ces expériences
(2).
Ce que nous découvrions
là c'était l'impossibilité pour les adultes d'évacuer
totalement - malgré les carcans médicaux et psychologiques
- le rapport pulsionnel à la peau, à l'odeur, à la
chaleur des enfants. Les « taties » (le personnel) de crèche
ne peuvent guère éviter ces intensités-là,
de même que le cri, la faim, l'angoisse que l'on ne peut simplement
réduire à une réponse parlée, du sens; un bébé
ça échappe pas mal au «sens». Pour y faire face
il a fallu qu'elles tâtonnent, qu'elles apprennent à faire,
à vivre avec, à traiter les problèmes au jour le jour.
Les théoriques assurances et scientifiques certitudes n'apportent
pas grand chose dans ce domaine-là : il faut bien expérimenter
avec son corps, sa propre chaleur, inventer dans le chancellement, l'hésitation
vivante.
Ce qui ne veut pas dire que toutes
les crèches fonctionnent ainsi, mais que celles qui essayaient de
comprendre leur pourquoi là-dedans, dans ce grouillement
chaud et humide des bébés, eh bien elles expérimentaient
autre
chose, en partant de ça, de cette chaleur, de cette proximité
distante des tout petits, de ce grouillement, agencement de groupe, de
meute, de paquets.
La maternelle marque une rupture
décisive dans ce système dans la mesure où elle manifeste
le passage à un autre ordre, à une autre logique. Il s'agit
moins d'une«pédagogisation» que de la fabrication, de
la production - par l'assujétissement de l'enfant - d'attitudes,
de comportements, de rôles. C'est l'apprentissage de la différenciation
entre certains « sentiments », certains rapports de forces,
entre les domaines du corps et de « l'esprit ».
L'enfant apprend à se mouvoir,
à parler dans certaines conditions, à effectuer des choix
dans ses occupations en fonction de critères qui manifestent le
contrôle (de plus en plus miniaturisé) des différentes
formations de pouvoir (médical, psychologique, social en général)
sur lui. Qu'il apprenne en fait à tenir sa place (la notion
de «territoire» si importante dans les écoles maternelles).
Différents types de techniques
vont être utilisés: le regroupement (les W.C. des filles et
ceux des garçons, par exemple) ; la séparation - différenciation
(les groupes par classes d'âges, les enfants des parents qui travaillent
et les autres etc.), ce qui entraîne des conséquences sur
la mobilité et la circulation des enfants, sur le partage de pouvoirs
entre les différentes sortes d'adultes (les instit. et les «service»),
sur les rôles respectifs des enfants selon l'âge et le sexe
(3). L'enfant n'est pas encore à l'Ecole malgré l'encadrement
très strict de son emploi du temps et de ses loisirs (4).
La maternelle est donc un équipement
collectif très particulier qui cherche moins à transmettre
des acquisitions au sens strict, scolaire du terme, qu'à imposer
des rituels, des réponses stéréotypées à
des formes de situations (qui vont se reproduire tout au long de la scolarité).
La mise en rang pratiquée abondamment dans les maternelles parisiennes,
la réponse à la «cloche» qui évite la
parole et encore plus le contact corporel, le fait de ne pas accueillir
l'enfant mais de le pousser dans l'arène de la cour forme ultime
et sauvage de « socialisation ».
C'est en fait au moment précis
du passage à la primaire que l'on s'aperçoit de la nécessité
de cette maternelle bien entendu beaucoup moins répressive au sens
traditionnel du terme: mais cependant nécessaire pour que l'enfant
saisisse immédiatement et directement quelle est sa place individualisée
à l'école; le type de conduite autorisé, les attitudes
stéréotypées qui lui permettront de passer dans l'anonymat.
On passe alors au primaire aux grandes manœuvres de la disciplinarisation.
Pour que l'enfant accepte la dominance
du code écrit, il faut qu'il ait auparavant abandonné le
laisser-aller corporel, le mouvement, la chaleur, etc. Ce qui est le rôle
de l'équipement collectif spécifique qu'est la maternelle.
Il faut que l'enfant accepte de devenir pure main qui écrit, qui
écrit sa soumission aux codes dominants.
Certains se demanderont pourquoi s'intéresser aux
écoles parallèles, il faut inverser la question et se demander
comment peut-on ne pas s'y intéresser?
Une école primaire à Paris. Quelques
images
Le trou des cabinets à la « turque»
terrifie: «Je ne peux pas faire pipi à l'école»,
«il n'y a pas de porte », «
le trou est dégueulasse », «
ma fille a fait dans sa culotte plutôt que de faire dans les cabinets
»,
« un petit garçon a fait pipi dans la cour, la directrice
l'a engueulé très, très fort, il a pleuré toute
la récréation
».
« On est toujours assis à la même
place ». Ils sont rangés
par ordre alphabétique, à quand les matricules? De toutes
façons, cet ordre-là s'imprime déjà dans la
peau. Dans la posture, le geste, le déplacement.
« Je n'ose pas parler à la maîtresse,
elle crie tout le temps ». Elle n'a pu lui adresser la parole
que pour dire «je m'en vais». Pas de contact, pas de monde
extérieur; ici c'est le livre de lecture et les mathématiques,
on laisse à la porte le reste du corps, le rêve, les relations
sociales. On n'est pas là pour rigoler. «Madame, il le
faut, c'est ça l'éducation. C'est l'ambiance qui les fait
pleurer» (une directrice de maternelle).
«On
ne saura jamais ce qui se passe dans leurs têtes», dira-t-elle
en empoignant le môme (2 ans 1/2) qui hurle.
«P., il a été puni, il voulait
pas apprendre à lire, la maîtresse l'a laissé dans
la classe pendant la récréation». Bon début,
continuons le combat. .. Encore un qu'aura pas d'aptitudes, tiens pardi!
Et l'angoisse des petits matins, réveils brusques à 6 heures,
«
est-ce que j'ai tout dans mon cartable, il faut acheter telle colle »,
et le carnet de « correspondance ». Merveilleuse invention
- réduire l'échange à des phrases violettes pâles
qui disent ce qu'il faut, ce qu'il ne faut pas («veiller à
ce que les éponges soient mouillées avant le départ
à l'école et que les crayons soient taillés»
- on avait pourtant prévu un taille-crayon sur la liste avec
réservoir pour ne pas salir ...) Liste qui s'égrenne
de choses intolérables.
Et on se tait ou alors on fout une bombe ou enfin on
cherche une autre école où un minimum de parole soit toléré.
Ça va finir par arriver, les enfants y ont déjà goûté,
car il faut comprendre c'est que tout le monde y est pris dans cet agencement
tordu, les instit.' en premier lieu soumis à l'inspection, pressurés
pour donner des rendements (faut qu'ils sachent lire en trois mois
...), triturés par la compétitivité, guettés
par le primaire, le C.E.S., le lycée, Polytechnique. Et c'est
bien au C.P. que ça s'est joué, il n'a pas appris à
lire comme il faut.
Etonnez-vous après que les instituteurs soient
angoissés, qu'ils arrivent à ne plus voir, sentir les gosses,
piégés qu'ils sont. C'est l'agencement de l'assujétissement.
Les parents c'est pas mieux: les uns demandent plus de devoirs: «Pensez,
avec le chômage, faut qu'ils travaillent»; une mère
«C'est
très dur le C.P., il faut les aider sans cesse»; elle
a l'œil terne d'avoir tant travaillé elle-même, ne parlons
pas du gamin.
Un réseau
Et les mômes, ils ont beau inventer esquives, dérobades
et systèmes microscopiques de défense (on n'ose pas
penser jouissance), alors là il vaut mieux pas trop y penser, parce
qu'on se mettrait à hurler! Alors, certains pourront s'échapper
vers les écoles privées, expérimentales (5), moins
encombrées, plus détendues (parfois plus modernistes) ou
entamer des expériences marginales, parallèles. Et tant mieux.
Je pense que chaque môme qui échappe même
partiellement à ce système disciplinaire, concentrationnaire
de la chaîne scolaire, tant mieux. Mais les autres, les milliers,
ceux qui ont des parents qui les poussent, même s'ils en souffrent?
Et, eux, les instit.' mal dans leur peau, et les gamins? Il me semble que
c'est là que la question des écoles dites parallèles
se repose, disons politiquement ou plus précisément à
un niveau micropolitique.
Car la dernière et non la moindre question, c'est
celle du réseau.
Comment produire un tel réseau, une fois ces histoires
écrites, travaillées ensemble, les rencontres effectuées?
Car comme le rappelle René Schérer, il ne peut y avoir d'investissement,
« d'intérêt » que passionnel. que désirant
(René parle de « greffes passionnelles »). Un réseau
devrait lui aussi ne s'ébaucher que par greffe passionnelle, de
proche en proche, éclaté sans cesse, rhizomatique (6). Car
cette passion ne peut qu'être a-parentale, aspécialisée,
sans « but », sans « objectif ».
Le problème n'est pas que des enfants deviennent
papillons, merde ou biques, ou courant d'air pour quelque chose, mais simplement
parce que les flux passent là, à tel moment, créent
des événements à partir desquels les enfants, les
adultes vont perdre leur « conscience de soi », leur propriété
corporelle, pour muer, se transfigurer, fuir le système éternellement
reproduit de la discipline et de la normalisation familialiste. «
Tu es parent, tu es responsable. Tu es éducateur. Tu es enfant ».
Dans un tel voyage le réseau devrait permeure
des haltes, des rencontres et là des distinctions formelles entre
«public» et «privé», parallèle ou
étatique peuvent tendre à disparaître au profit d'une
nébuleuse
intensive d'expérimentations. Le réseau à la limite
c'est chaque microcosme, chaque micro-unité qui essaie de désenclaver
les enfants et elle-même, qui ne cherche pas à les adapter,
mais à favoriser leur expérimentation, leurs connections,
leurs agencemems propres, qu'aucune science ne peut définir ou délimiter.
Travail singulier, pas à pas, incertain, chaotique, zigzaguant.
Car le réseau ce n'est pas un dogme de plus, ou
une nécessité idéologique, c'est véritablement
la seule manière d'éviter l'étouffement des expérimentations,
l'isolement qui peu à peu mène au découragement et
l'épuisement des initiatives courageuses qui avancent toutes seules.
C'est donc la seule issue positive et le dossier de Catherine constitue
un espoir parce qu'il ouvre à des possibles.
Car il existe des multitudes de parents qui refusent
le système scolaire dans ce qu'il les touche directement, ainsi
que leurs gamins. Des tas d'instituteurs voudraient inventer les moyens
pour refuser le rôle de chiens de garde qu'on tente par tous les
bouts de leur inculquer (7). Il est temps maintenant que tous se retrouvent,
non pour dénoncer uniquement et attaquer les gens qui sont là
(encore qu'il faudrait l'écrire, la quotidienne histoire de l'école
(8), mais pour faire ensemble d'autres choses, radicalement différentes.
C'est une véritable lutte de désir à mener sur tous
les fronts possibles pour sortir tous ceux qui sont coincés, piégés,
englués dans la logique normalisatrice et familialiste des carcans
scolaires.
Créer des zones de vie, des aires transversales
de fuite, d'échappées, des voyages, des rêves. Important
ça de rêver avec des enfants, qui y pense ? Comme c'est important
de bouger, de se déplacer, nouvelles intensités à
expérimenter. Et il y a plein de gens partout - et quel que soit
leur «statut» - femmes de service, instit', enfants, parents,
non parents, pour le tenter entourés, débordés,
noyés, par les grouillements chauds d'enfances de plus en plus présentes.
Le travail de Catherine constitue une ouverture à
saisir aussi, il fait gamberger non sur des dogmes, mais sur des issues
positives possibles. J'en suis et vous?
(1) A ce propos voir: C. Deleuze el F.
Guattari, « Kafka. Pour une littérature mineure»,
Ed. de Minuit, 1975. G. Deleuze et F. Guattari, « Rhizome»
Ed.
de Minuit, 1976. F. Guattari, «La Révolution moléculaire»
Encres, Ed. Recherches, 1977, 49, rue Dalayrac - 94120 Fontenay-sous-Bois.
(Notamment « Pour un micro politique du désir »)
(2) « Babillages .. Des crèches
aux multiplicités d'enfants », par Liane Mozère
et Geneviève Aubert, in Recherches n° 27, mai 1977,49, rue Dalayrac
- 94120 Fontenay-sous-Bois.
(3) Les femmes de service sont affectées
aux besognes de «préparation» pour les activités
de la classe - découpages, collages, etc., mais remplissent un rôle
très spécifique notamment dans leur rapport au corps de l'enfant.
Elles sont préposées au pipi-caca et aux manipulations corporelles
(câlins dans un cas, répression corporelle dans l'autre).
Le plus souvent, ce rapport au corps de l'enfant est très strictement
lié au contrôle sphincterien - le pipi à l'école
est cause de renvoi et on cite dans les écoles de nombreux cas de
brimades: la tête sous la chasse d'eau pour une culotte mouillée.
(4) La maîtresse est tenue de respecter
un emploi du temps qui corresponde à des acquisitions prévues
dans ce programme très souple: y compris les jeux sont organisés
en fonction d'acquisitions très précises: le rapport à
l'espace, le rapport aux autres dans un ordre défini.
(5) Une petite fille ayant ainsi trouvé
refuge dans une école dite expérimentale dira « là,
on peut travailler. Le maître ne crie pas; il nous parle et on peut
bouger.»
(6) G. Deleuze et F. Guattari: « Rhizome
», Ed. de Minuit, 1976
(7) De nombreux «antipédagogues»
ont déjà réfléchi à cela: de Freinet
à l'équipe de Fernand Oury; le problème actuel est
semble-t-il de «déscolariser» la question afin que se
rencontrent à ce propos - l'école - taties de crèches,
concierges, parents, adolescents, adultes, enfants, institutrices et instituteurs,
psychologues, passants. Afin de faire autre chose que de sauver (encore
une fois) l'Education nationale. L'État y suffit à la sauver
et à la sauvegarder. Fuyons ailleurs ensemble !
(8) Voir à ce propos la remarquable étude
sur l'histoire de l'Ecole primaire réalisée par Anne Querrieu,
L'Ensaignement.
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