alternatives éducatives
| Présentation | SOMMAIRE | Appel pour des éts innovants et coopératifs |
I Obligation scolaire et liberté I Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop ! I Des collèges et des lycées différents I

école autrement, école alternative, école différente, collège lycée innovant, expérimental ...
2018 ?              2118 ?
Une autre école est-elle possible ?

>Les écoles publiques en Californie :
"Sodome et Gomorrhe" !

Depuis une bonne vingtaine d'années, ici aussi, évidemment, le "chèque éducation" (ou "bon scolaire") - en anglais "voucher" -
fait partie d'un blabla yakaiste au sujet des indispensables réformes, "simples, urgentes et radicales", disent-ils, du système scolaire.
USA 2008 :"dans le Milwaukee, il n'y a pas eu de miracle" (Sol Stern).
L'un des plus fervents promoteurs du chèque-éducation aux USA, Sol Stern, vient de faire brusquement volte-face
en affirmant, constats à l'appui, que le voucher n’avait pas du tout amélioré le système public.
Après avoir depuis longtemps réclamé, soutenu et contribué au développement des vouchers et des charter schools,
Sol Stern pointe les défauts et les insuffisances du voucher. Il cite, entre autres, l’expérimentation de Milwaukee,
première ville aux États-Unis à adopter, en 1990, un programme chèque éducation.

«Tout le monde est pour la mixité sociale. Mais pour les autres.»

Le droit d'apprendre
Ivan Illich dans Une société sans école proposait, dès les années 70,
une réflexion radicale sur l'échec de l'enseignement à l'école.
Cette dernière, outil d'un Etat,
peut-elle être pensée aujourd'hui autrement
comme il le suggérait il y a trente ans ?

Des écoles différentes ? Des collèges et des lycées différents ?
Oui, mais ... pas trop !
Statiques universitaires-fonctionnaires ou camelots très agités ont en commun,
depuis deux bonnes décennies radoteuses sur l’échec scolaire,
l’art et la pratique du piratage et de son exploitation en produits dérivés et contre-faits.

NON, les écoles différentes ne sont pas les écoles parallèles (à quoi ?), souvent mortes-nées, dont tout le monde parle depuis 30 ans sans jamais (vouloir) savoir de quoi il s’agit/s’agissait : alternativement synonymes de "dernière chance", de "pas mal, ... pourles autres", le terme étant souvent affublé de "post-soixanthuitardes" par tous ceux parvenus, et  qui en sont revenus sans y être jamais allés; précédé de «ça marginalise un peu, quelque part, au niveau de la socialisation, quand même, non ?» ou suivi de «qu’est-ce que ça serait bien si qu'on en ferait une».
 

Archives (1978)
n° 13 - avril 1978 - 49 fr

 

Alors, on n'a pas école aujourd'hui? 

Faire bouger Goliath,
par Henry Dougier 

Ces pratiques alternatives: un modèle? 
Des « lieux pour enfants » où s'inventent d'autres rapports,
par Catherine Baker, Jules Chancel 
 
 

Cinq expériences, 
cinq itinéraires 
- La Barque, comme le nom l'indique
- Le Toboggan, avant la chute ... ailleurs 
- Le Moulin des souvenirs 
- L'Ecole en Bateau à contre-courants 
- Le projet Jonas, 
Jonas-en-Corrèze : un réseau 
 

D'autres lieux 
 Mais qui, diable, va dans ces «écoles» et pourquoi ?
par Catherine Baker 

- La Roulotte 
- L'Ecole et la Ville 
- Le groupe de Houilles-Argenteuil 
- Terrevigne en Beaujolais 
- Belbezet 
- Le Har 
- La Commune
- L'A.C.C.E.N. 

Critiques et réponses 
Attaques ... et hésitations ... 
Parades ... et auto-critiques 
Deux bilans : 
« Attention Ecole », 73-74 
« La Mosaïque », 75-76 
 

Une « théorie» 
Où il n'est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques ... mais de politique! 
par Jules Chancel
Face à face, l'enfant et l'adulte

Confrontations 
Plusieurs silences bien gênants ! (Guy Avanzini)

Je demande toujours : quoi de neuf ? (Fernand Oury) 

Prendre la tangente
(Fernand Deligny) 

Une alternative? Non, une reproduction du système scolaire (Etienne Verne) 

La longue marche des innovateurs (Louis Legrand) 

Vitruve, une école perpendiculaire ... (L'équipe de la rue Vitruve) 

Le lieu central de lutte, c'est l'école publique ! 
(Jacques Guyard) 

Comment enclencher sur le milieu populaire ? (Bernard Defrance, Louis Caul-Futy) 

« L'initiation » plutôt que la pédagogie  (René Schérer) 

Ecoles parallèles ... Lieux de vie ... Réseaux   (Liane Mazère) 



BRITISH WAY OF LIFE

Le "modèle" anglo-saxon,  libéral  ... et blairo-socialiste...
 

  ÉCOLES ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre par le gouvernement travailliste..

   Royaume-Uni : L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination à l’encontre des élèves pauvres. 

  Directeur d'école en Grande Bretagne :
« Le métier a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable,
on a plus de pression, on nous demande plus de résultats. »

  Deux fois plus d’enseignants sont partis en retraite anticipée au cours des sept dernières années. 

  35% des élèves de 11 ans ne savent pas lire.

  Un ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.

  Ecoles publiques fermées aux pauvres.  Un rapport émis par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions de "sélection" d’élèves sont organisées, durant lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".  Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants dans l’école de leur choix. En écartant les élèves issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent rehausser leur taux de réussite aux examens. 

   Selon l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs résultats au monde : FAUX !

  ... & Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.

  Les écoles anglaises pourront être gérées par des "trusts".

  L’école britannique livrée au patronat.  En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif à la politique de l’Union en matière d’éducation de produire un capital humain rentable au service de la compétitivité économique. 

  Le créationnisme aux examens.

   "BAGUE DE VIRGINITE" : Une adolescente anglaise, fille d'un pasteur évangélique, perd son procès en Haute Cour.

  Grande-Bretagne : l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire

  Grande-Bretagne :Les sponsors au secours de l'école

  Empreintes digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.

Naître et grandir pauvre en Grande-Bretagne  est encore plus pénalisant que dans d’autres pays développés.

  Un demi-million de «sans-logement». A Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.

  Un demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".

«tolérance zéro» et conditions de détention intolérables. Plus de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.  «Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»

  Les frais très élevés d’inscription universitaire dissuadent les étudiants issus de familles modestes de s’inscrire en fac.

  De plus en plus d’étudiantes se prostituent ou travaillent dans l’industrie du sexe pour payer les frais d’inscription de leur université.

  Plus de 350 000 Britanniques ont quitté leur île en 2005 pour jouir d'une vie meilleure
Les jeunes Britanniques se voient vivre ailleurs.  Difficulté d' acquérir un logement, hausse de la fiscalité et indigence des services publics, en particulier les transports et le système de soins.

M. Ernest-Antoine Sellière, alors président du patronat français :« Je suis un socialiste britannique »

  Londres, paradis des milliardaires.

  Selon des rapports de l’ONU et de la Banque mondiale :  « Au Royaume-Uni, les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria, et plus profondes que celles que l’on trouve, par exemple, à la Jamaïque, au Sri Lanka ou en Ethiopie .»

  Grande Bretagne :  premier pays où chaque déplacement de véhicule sera enregistré.

  Les Britanniques inventent l'ultrason antijeunes.

   De plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool. Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop bu a augmenté de 20% en un an.
 

Beuark.
Ségolène Royal rend hommage à la politique de Tony Blair.



AMERICAN WAY OF LIFE...
Archives (1978)

Attaques ...

Les critiques généralement adressées aux écoles parallèles se placent à trois niveaux: 
1) non-intégration sociale 
2) école de classe 
3) super-valorisation du rôle parental. 

Les trois points de vue que nous introduisons ici illustrent bien cette critique: 

• M. BILLAUT EST CHARGÉ DE LA COORDINATION A L'ÉCOLE DECROLY, ÉCOLE PUBLIQUE DE PARIS: 
« Nous ne voulons pas parler de ce que nous ne connaissons pas; nous n'avons pas le droit de critiquer les écoles parallèles, puisque nous sommes en dehors d'elles. Nous pouvons nous en faire une idée à travers ce que nous en ont dit des responsables d'écoles parallèles ou des parents ayant vécu ce type d'expérience et qui ont mis ensuite leurs enfants à Decroly. 
Pour nous, les questions essentielles que pose l'école parallèle sont de trois ordres : 
- choix entre école publique et école privée, 
- avantages et risques de faire vivre les enfants en dehors du système, 
- problèmes pédagogiques. 
Sur le premier point, je pense que les enseignants de Decroly sont très attachés à l'idée de gratuité de l'école. L'école doit être un service public. Quand les parents des écoles parallèles parlent d'autogestion, l'opposant à l'école privée, ils me semblent tenir insuffisamment compte de la taille de l'établissement. Passé un certain nombre de personnes concernées et une certaine masse d'argent investie, on ne peut plus faire autrement que parler en terme de gestion et la participation de chacun devient autre. 
Disons que nous, ici, tenons très particulièrement à la gratuité de l'école. Si Decroly et ce genre d'école devaient disparaître (et c'est une menace que nous envisageons parfois) nous préférerions, et en tout cas je préférerais aller dans une école traditionnelle plutôt que passer à l'école privée. L'école doit absolument rester un service public. Nous voulons nous battre à l'intérieur de l'Education nationale. 
Nous avons une volonté de combat politique. Nous savons que Decroly s'adresse, bien qu'étant gratuite, à un milieu privilégié, plus sur le plan intellectuel que sur le plan financier. Malgré cela, nous voulons rester la preuve qu'il est possible, à l'échelon de l'E.N., de transformer l'enseignement. 
Quant aux avantages et aux risques de faire vivre les enfants en dehors du système; tout ce que nous pouvons dire des écoles parallèles, c'est que les enfants, assez rares, qui sont venus s'inscrire à Decroly après être passés par là ne sont ni mieux ni moins bien adaptés que les autres. Nous avons un frère et une sœur qui étaient à La Barque avant de venir là. La fille s'est tout de suite très bien sentie ici, alors que le garçon s'est mal adapté et nous a quittés pour aller à « l'Ecole et la Ville ». Mais la question reste posée pour des enfants qui vivraient toute leur enfance et leur adolescence « en marge ». La réinsertion poserait peut-être plus de problèmes au moment de l'entrée dans la vie professionnelle. 
En ce qui concerne la pédagogie, j'ai l'impression que tout l'effort, dans les écoles parallèles, est porté sur l'épanouissement de la personnalité de l'enfant, sur son accès à l'autonomie et que la réflexion sur les formes et les contenus pédagogiques y est souvent jugée secondaire. 
Ce qui me semble essentiel et original ici à Decroly, par rapport à l'Education nationale, c'est le poids des parents. Evidemment, il ne faut pas se cacher que les enseignants sont plus au courant de toutes les démarches administratives et de toutes les tracasseries auxquelles nous nous heurtons. Mais malgré tout, les parents ont un poids considérable. C'est parce qu'ils se sont battus pour l'école que Decroly existe toujours. Il est évident que tous les parents ne sont pas concernés au même point par la vie de l'école Decroly: les motivations qui les ont conduits à inscrire leurs enfants sont différentes, leur disponibilité variée. Certains ont tendance à dramatiser cet état de fait. A mon avis, il n'est pas monstrueux que des parents prennent moins de part à l'école que d'autres plus profondément motivés. Il y aura toujours des individus plus passifs que d'autres. 
Les parents peuvent à l'école Decroly, participer à certaines activités (sorties, ateliers ... ), ils peuvent aussi en animer d'autres. Mais leur place à l'école est, bien sûr, différente de celle des enfants. 
Si la participation de parents à la vie de l'école est souhaitée, c'est toutefois dans un certain cadre. En effet, il nous semble aussi nécessaire que les enfants trouvent à l'école un lieu de vie hors du regard de leurs parents .

LYDIE EST PROFESSEUR DE MATHEMATIQUES DANS UN LYCÉE DE LA BANLIEUE PARISIENNE. Elle critique les écoles parallèles. Son point de vue n'est pas celui d'une étrangère. Elle a participé à La Barque l'année où y est allée Leïla, sa fille de neuf ans. Elle discute ici avec Jacqueline, mère d'une enfant de 6 ans, qui va à La Barque depuis deux ans. 
Propos à bâtons rompus, loin des théoriciens. Et ces deux femmes trouveraient, semble-t-il, un terrain d'entente, si les écoles parallèles pouvaient enfin devenir des « lieux de quartier  ». 
L. - On est à la recherche du ventre maternel: on peut dire que les gens qui font les écoles parallèles en sont là. On a été méchant avec nous, quand nous étions petits: alors on va s'entourer de gens gentils, et puis ça marchera tout seul. Les écoles parallèles vont dans ce sens-là. 
J. - Ce que tu appelles la recherche du paradis perdu, c'est la recherche du bonheur, le besoin d'être bien dans sa peau. Alors tant mieux si c'est ça, l'école parallèle! 
L. - Je crois qu'il y a des moyens d'être mieux dans sa peau en jouant sur les institutions, parce qu'en fin de compte, je crois qu'il est possible de ne pas fuir ce qui est à régler pour être bien dans sa peau. 
J. - Tu peux être réformiste ou non. Certains estiment impossible de lutter à l'intérieur de l'institution. 
L. - La question n'est pas de réformer ou non le système, mais de savoir comment tu arrives à y vivre. Moi, par exemple, je n'ai rien à foutre des réunions pour se battre contre la réforme Haby. Par contre, dans la classe, avec mes élèves - et dans la mesure où je suis entourée de gens qui ont les même idées que moi et avec lesquels je peux avoir des échanges - j'ai l'impression que je peux transformer quelque chose, trouver la jonction avec les enfants sur un mode qui n'est pas celui de l'autorité et du savoir. 
J. - Qu'il y ait des profs sympas et intelligents, d'accord. Mais il y a aussi des patrons de gauche sympas et intelligents qui organisent la vie en usine de manière qu'elle soit le moins pénible possible (mais ce sont eux qui déterminent ce « possible ». Ils y gagnent, c'est plus rentable. De même des gosses moins opprimés sont plus actifs et étudient mieux. Alors, disons qu'il est préférable, quand tu es ouvrier, de bosser dans telle usine plutôt que dans telle autre et, quand t'es môme, d'aller dans telle école plutôt que dans telle autre. Mais cela ne remet en question ni le capitalisme ni l'école. 
L. - N'empêche qu'on a vu des médecins qui remettaient en question leur profession. 

Les parents sont complètement réactionnaires! 

J. - Ils remettaient en question la médecine, mais les enseignants ne remettent pas en question l'Education Nationale. On n'entend pas les profs dire : « L'enseignement peut être pris en charge collectivement par les gens », alors que les médecins dont on parlait, certains d'entre eux, l'ont fait pour les avortements. 
L. - Et à La Barque, faites-vous une critique en profondeur de l'enseignement? Quand Leila était à La Barque, je me souviens très bien qu'on faisait la critique des maths: c'est la matière de sélection. Mais on ne s'est pas demandé: « Est-ce que cela peut être intéressant comme apprentissage ? ». 
J. - Mais depuis deux ans, au contraire, l'un des problèmes de La Barque est de trouver des gens qui acceptent d'enseigner les mathématiques. 
L. - I1 ne suffit pas de dire: « On veut des maths», parce que cela peut vouloir dire: « On ne veut pas que les gosses de La Barque manquent de quelque chose, parce que ça leur nuira socialement ». Ça peut vouloir dire aussi: « Je dis qu'il faut des maths, parce qu'à moi, c'est ma bête noire ». Et ça peut sous-entendre aussi, pour ceux qui ont fait des études scientifiques: « Cela m'a donné tellement de mal que je ne veux pas que mon môme en souffre autant. Qu'il ne fasse pas de maths ». On ne se pose pas la question: « Qu'est-ce que ça signifie? ». 
J. - Je crois que tout simplement, on tient à la lecture et aux maths à La Barque, parce qu'on ne veut pas empêcher un gosse qui le désire de réintégrer le circuit traditionnel. Et ce sont les deux seules matières qui peuvent handicaper un enfant dans le primaire. 
L. - Mais on serait en droit de demander aux gens d'une école parallèle une réflexion sur le contenu des mathématiques. Les maths sont un langage réservé aux initiés. Il faudrait peut-être, le décoder, ce langage. Il est utile de décortiquer celui-là, parce qu'ainsi tu apprendras à décortiquer n'importe que langage. Il y a tout un modèle du langage dominant qu'on peut étudier grâce aux maths, car les maths sont le seul langage où il n'y ait pas de sous-entendus. L'intérêt des maths, c'est d'avoir un code assez fermé pour qu'on puisse en faire le tour. 
J. - On peut regretter que personne dans les écoles parallèles ne soit capable de faire une critique pratique des mathématiques, mais ce n'est pas non plus dans l'Education nationale qu'elle se fait. 
L. - Oui, mais quel est l'intérêt des écoles parallèles, si les gens qui y participent ne font pas mieux que dans l'Education nationale? Tu disais que les professeurs ne remettaient pas en cause l'éducation. Est-ce que les gens des écoles parallèles la remettent en question? 
J. - Oui, quand ils n'imposent pas aux gosses des horaires, des matières, ils remettent en question l'éducation plus qu'en faisant la critique des maths
L. - Mais c'est complètement élitiste. Moi, dans mon lycée, j'ai affaire à des mômes de tous azimuts. 
J. - On pourrait imaginer un lieu alternatif à l'école ouvert au peuple. C'est l'expérience d'Aix, ce sont diverses tentatives en Allemagne. On peut critiquer le fait qu'à l'heure actuelle, la plupart des écoles parallèles soient payantes, mais ce n'est pas en soi la preuve que ce sera toujours ainsi. D'autre part, l'école parallèle est moins élitiste qu'une classe de Terminale C. 
L. - L'école, pour les élèves de l'école traditionnelle, est le seul moment de leur vie, quel que soit leur milieu, d'échapper au regard des parents. Les parents sont en général complètement réactionnaires. Je préfère qu'ils interviennent le moins possible. Quand je les entends parler de leurs enfants, j'ai envie de les foutre dehors. Si l'enfant est en situation d'échec ou de malaise, les parents y sont pour les neuf dixièmes. 
J. - Si les parents sont réactionnaires, c'est en très grande partie à cause de l'Education nationale, c'est bien de leur éducation à eux qu'il s'agit. 
L. - C'est plus compliqué que ça. Les parents sont effectivement prisonniers de leur propre éducation, de tout le système, de leur fantasmes de montée sociale. 
J. - Mais quand tu dis que tu choisis l'Education Nationale, parce qu'elle n'est pas élitiste, tu dis ne pas vouloir te couper du peuple, mais par peuple tu entends les enfants. Tu méprises les parents. 
L. - Les enfants ont tout à faire, s'ils doivent opérer des ruptures, si petites soient-elles, c'est important. Et pour ça, il faut qu'ils rencontrent des gens sur leur chemin. 
J. - Les adultes aussi. 
L. - Oui, ce n'est pas mon affaire. On ne peut pas se sentir responsable du monde entier. 
J. - Tu dis que les parents sont cons. Mais ton boulot de militante auprès des gosses tu pourrais le concevoir auprès des parents, en imaginant un moyen de les intéresser à une réflexion sur l'école. 
L. - Quand je dis qu'ils sont cons, c'est en tant que parents. Mais individuellement j'aime leur parler et discuter avec eux. Moi aussi, je suis un parent. 

L'école ... pour rencontrer des gens de tous les milieux? 

J. - Tu parles jusqu'ici en tant que spécialiste de l'éducation et enseignante, mais tu ne dis pas comment, en tant que parent, tu réagis face à un prof dont tu contestes les méthodes. 
L. - Je reconnais qu'il y a une chose complètement dégueulasse, c'est que, en tant que prof, j'ai un poids inouï. Je joue sur la terreur qui règne dans l'institution et je peux me permettre de faire aux enseignants des critiques ou des suggestions que d'autres parents ne peuvent faire. 
J. - Pourquoi as-tu choisi l'Education nationale pour tes enfants? 
L. - Ce sont eux qui ont choisi. Leïla a été à La Barque, mais c'était très loin de chez nous. Elle s'est fait une copine dans le quartier, elle a préféré aller à l'école communale. Ça recoupait mon désir. J'estime que les gosses n'ont pas d'autres chances que l'école de rencontrer des gens de tous les milieux. 
J. - Oui, mais on entend toujours dire la même chose à propos de l'armée. 
L. - Ce sont deux institutions très différentes. La loi n'a pas la même rigueur à l'école qu'à l'armée. Tout est mis en œuvre pour neutraliser les enseignants, parce qu'ils ne font pas tous le jeu du pouvoir. Des courants politiques traversent l'Education nationale. Les pleins pouvoirs donnés au chef d'établissement, ce n'est pas un hasard et il est vrai qu'il y a des profs qui n'ont plus qu'à s'en aller, devant l'opposition du chef d'établissement. Je me tirerais aussi, si je me trouvais dans ces conditions. 
J. - C'est pour cela que ton attitude me semble peu cohérente. Que des professeurs soient sympathiques, c'est dérisoire face à la machine. Ce que tu fais une année est remis en question l'année suivante et même, au pire, les gosses t'en voudront d'avoir cassé le rythme et de les avoir désorientés pour l'année suivante. 
L. - Je suis passée par là et les enfants me taxaient de mauvais professeur, parce que je les laissais faire ce qu'ils voulaient. Maintenant, j'ai mis des choses au point. Autrement dit, il y a des choses que je ne supporte pas. Je ne me laisse plus marcher sur les pieds. Ce n'est pas un problème d'institution, mais du fait que je vis là avec eux. J'ai une idée sur ce que je veux faire passer. 
J. - C'est une goutte d'eau dans la mer. 
L. - C'est clair, c'est vrai. Mais qu'est-ce que l'école parallèle par rapport à cette institution? Ce n'est même plus une goutte ... 
J. - Je ne parle pas en termes de masses, mais lorsque je dis
«  goutte d'eau », c'est que dans l'éducation nationale, individuellement, le gosse ne perçoit rien de toi qu'une liberté partielle. Dans un lieu différent, chaque enfant vit cette relative liberté sur un mode global. 
L. - La liberté que j'essaie de leur faire vivre ne se mesure pas quantitativement. C'est une affaire de déclic. Avec certains mômes, ça fonctionne comme ça et c'est définitif 
J. - Dans un lieu comme La Barque, c'est la même chose. Tu as affaire à des individus qui ne t'acceptent pas ou à d'autres avec lesquels se passe le déclic. Tu pourras faire passer tout ce que tu veux dans l'Education nationale, sauf que tu es obligée de respecter le programme. Ce programme passe avant tout. 
L. - Oui, mais on peut jouer avec ça. On peut donner aux enfants l'envie d'apprendre. 
J. - Apprendre dans quel but? l'école parallèle remet en question non seulement les programmes, les rapports enfants-adultes, mais aussi le travail et les relations des individus et des groupes aux institutions. 

Vous partez de rien, c'est dangereux! 

L. - Dans l'institution, ce n'est pas le programme qui compte pour moi, c'est le désir qu'ont les gosses d'apprendre un langage qui n'est pas le leur, mais qui leur permet de communiquer. Si j'ai réussi ça, j'ai gagné. Et à ce moment-là, ils se moquent de leur orientation. L'essentiel, c'est que je leur aurai donné l'envie de faire des trucs à côté. 
J. - C'est valable aussi bien pour des enfants que pour des adultes, aussi bien pour l'école que pour des lieux alternatifs à l'école. 
L. - Une autre critique que je ferais, c'est que l'école parallèle part de rien. Moi, dans mon métier d'enseignante, j'ai réfléchi à la façon dont je désire faire passer des trucs, à l'esprit du programme. J'ai envie de transmettre ce que je suis, de manière pas trop idiote. Par contre, partir de rien me semble parfaitement farfelu, parce qu'on reste complètement démuni de toutes capacités. 
J. - Tu veux dire « partir de rien », au niveau pédagogique? 
L. - Et aussi au niveau du type de lois dans lesquelles vit le groupe. 
Est-ce qu'on laisse les enfants et les adultes choisir à tout moment? En réalité il n'y a aucune concordance et aucun choix réel ne se fait. Pourtant il y a une morale sous-jacente qui est du non-dit. A ce niveau-là, l'institution est plus claire. Tu es pour ou contre les règles, tu peux essayer de les transgresser, de jouer avec elles mais à partir du moment où tu te places hors de l'institution, il n'y a plus rien, parce qu'il ne faut pas constituer un groupe institué. 
J. - Les écoles parallèles ne partent pas de rien. Le mouvement libertaire dont je me réclame appartient à une tradition historique, à une réflexion politique dont les réalisations pratiques peuvent faire l'objet d'un bilan critique. On ne part pas de rien. De même dans le domaine pédagogique, on part d'une expérience vécue; on sait ce qu'on ne veut pas, et c'est déjà beaucoup. 
L. - «  Savoir ce qu'on ne veut pas faire », ce n'est pas toujours vrai dans les écoles parallèles. 1l y a beaucoup de flou. 
J. - Ça, c'est vrai. 
L. - Il y a la même mise en scène dans tous ces groupes, il y a la même fausse impression de vérité, mais ce sont toujours les mêmes qui parlent, les vrais problèmes sont tabous. Quand nous sommes dans un milieu qui n'est pas notre miroir - dans l'Education nationale par exemple ­ nous sommes confrontés aux idées. On s'écroule ou on fait face. Pour moi, c'est un facteur d'avancement, ça me permet de grandir. 
J. - C'est vrai, mais c'est facile. C'est facile de dire: «  Je suis contre Giscard d'Estaing, contre le capitalisme». Dans un lieu où les choses sont moins claires, où les dissensions sont plus subtiles, on est amené à s'interroger bien davantage et à se remettre en question. Etre à gauche, c'est un choix, mais ça t'engage si peu dans l'état actuel des choses ! ... 
L. - Je vis mon engagement au moins vingt heures par semaine, et les problèmes sont cruciaux! Je ne suis pas prof pour gagner du fric. Je ne peux pas bosser là-dedans, sans qu'il y ait quelque chose qui m'y fasse plaisir, sinon je deviens folle. Dans ma pratique, il ne s'agit pas d'un dire, mais comment j'ai à faire. 
J. - N'importe qui peut dire la même chose dans une école dite parallèle. Ce n'est pas toujours un lieu de clivages non-dit, il y a des crises. Tu es obligée aussi de vivre ces crises dans ta pratique. Je ne vois pas en quoi c'est différent. Tu dis que tu en vis vingt heures par semaine. Dans les écoles parallèles qui fonctionnent avec des permanents payés, les permanents peuvent dire ce que tu dis en tant qu'enseignante. 
L. - Ce qui est différent aussi, c'est la provenance de l'argent. Si tu payes les permanents, d'où vient ce fric? 
J. - II peut venir de l'Etat. La majorité de ces alternatives à l'école se sont fait reconnaître par l'Etat. La Barque n'a pas voulu s'engager dans cette voie et craint les implications politiques et pratiques d'une telle reconnaissance, mais d'autres lieux ont pris le parti d'être une alternative à l'Education nationale en prouvant qu'il était possible de vivre autrement avec des enfants. On peut envisager que ces subventions deviennent plus grasses sous un autre gouvernement. Encore une fois, ta critique n'est pas une condamnation a priori de l'école parallèle. Quant à ceux qui refusent d'être reconnus par l'Etat, tout ce qu'on peut dire, c'est qu'ils manquent d'imagination pour se procurer les ressources nécessaires. 
Les enfants et les adultes pourraient ensemble produire quelque chose ou offrir quelques prestations de service. Mais l'école serait gratuite, qu'elle ne serait pas pour autant ouverte à tous. Il n'y a qu'à voir Vitruve et Decroly, écoles d'Etat gratuites laïques et obligatoires. Seuls pourtant les parents suffisamment conscients du problème de l'école (c'est-à-dire quelques petits bourgeois intellectuels) y mettent les enfants. On n'a pas encore trouvé le moyen d'avoir un impact sur le quartier. 

Vos enfants vivent en dehors de tout? 

L. - Dans une école parallèle, les enfants vivent en dehors de tout. 
J. - Comment, « en dehors de tout »? C'est à l'école qu'on est en dehors de tout! On ne peut pas être plus coupé de la vie qu'entre les quatre murs de l'école traditionnelle. 
L. - Oui, mais ce n'est pas sur ce plan que je me place. Ma gamine continue à voir ses amies en dehors de l'école, tandis que si je la menais dans une école parallèle, elle ne pourrait pas, dans l'immeuble où elle habite, les retrouver. Je n'ai pas intérêt à changer de quartier, si c'est pour trouver la même chose qu'à l'école du coin. Je n'ai ni la disponibilité ni l'énergie nécessaires pour créer une école de quartier. S'il y avait une école parallèle de quartier, peut-être ma position ne serait-elle pas la même. 
J'attache une énorme importance au fait que nous vivions dans un lieu où les enfants se rencontrent. Je ne vois pas pourquoi j'irais chercher pour mes gosses un système éducatif qui ne représente pas un mieux suffisant pour les y mettre. 
J. - Mais on peut toujours espérer que se multiplieront les écoles parallèles de quartier. Et puis, il ne faut pas se leurrer, les rapports qui s'établissent dans les quartiers à Paris, c'est en voie de perdition ou c'est marginal. Par contre dans l'école parallèle où va ma fille, il y a une vie autonome des enfants qui se rendent chez les uns ou les autres le soir, les week-ends, les vacances. Il n'y a pas du tout la même coupure entre l'école et la vie. 
L. - Oui, mais comme c'est quand même loin, la gamine ou le gamin dépend de ta disponibilité, du moins jusqu'à un certain âge. Il faut, si elle a envie de voir un copain que tu la conduises. De même, de mon côté, je rencontre d'autres parents de l'école, quand je vais chercher mon pain, on discute de l'école et aussi d'autres choses. 
J. - Une vie de quartier, ça aussi c'est l'idéal d'une école parallèle. 
Il faudra bien qu'on s'en donne les moyens.


Ce dialogue avec Max-Paul Sobag entre un peu dans un cadre différent. MAX-PAUL SOBAG FAIT UNE CRITIQUE DES ECOLES PARALLELES COMME LIEUX FAMILIALISTES. Il a un projet, « l'école essentielle », qui s'inscrit contre l'école traditionnelle, mais aussi contre les « anti-écoles ». 
M.-P. S. - Tu vois, il faut arriver à faire tomber les barrières, arriver à ce qu'il n'y ait plus d'enfants, plus d'adultes, mais simplement des êtres humains. Des êtres humains avec des codes différents, des expériences différentes et donc une approche différente du monde qui les entoure. Mais pour cela, il faut que l'éducation (sans parler d'âge) cesse d'enfermer les personnes dans des catégories, des classes. 
C. - Moi, je crois que l'enfance est un état qui nous est complétement étranger. Je ne crois pas que l'âge adulte soit la maturité acquise pendant l'enfance. Il se passe quelque chose que je ne comprends pas, une série de ruptures dans l'adolescence. L'enfant, il faut assumer cela, est un être étranger qui peut nous fasciner, nous séduire, mais qui vit sur un autre mode que le nôtre. Je ne pense pas qu'il s'agisse là de niveaux de connaissances différents. Une seule fois par exemple, j'ai pu approcher ce que le mot « jouer » signifiait pour l'enfant. J'avais pris de l'acide. J'ai joué avec ma fille à la dînette. J'ai saisi alors que l'enfant, dans le jeu, réalisait sa totale unité. Il n'y a pas de personnage ni de double. 
M.-P. S. - L'enfance, dis-tu, est un état qui t'est étranger. Peut-être devrais-tu chercher en toi pourquoi, plutôt que de te persuader que la cause en est l'état d'enfance. Quand tu as pris de l'acide, tu as pu approcher cet état, tu as pu communiquer réellement, par l'intermédiaire du jeu, avec ta fille. Ta perception étant modifiée, tu as balayé une partie de les barrières d'adulte et tu as vu l'enfant. Tu vois, l'acide, c'est un moment, quelques heures, il faut comprendre ce qui ce passe en toi et parvenir à « voir », à percevoir sans acide. C'est possible. L'acide est un outil, c'est tout. En jouant à la dînette avec ta fille, tu communiquais et tu réalisais ta propre unité, peut-être. Tu jouais AVEC ta fille; et TA fille jouait AVEC toi! 

Cette notion imposée d'adulte, d'enfant... 
C. - Les seuls jeux d'adulte qui pourraient se comparer, au jeu de l'enfant ce serait le jeu de la vérité - et encore - ou surtout la roulette russe. Mais même dans ce jeu-là, je me demande s'il n'y a pas un certain recul de l'adulte, alors que l'enfant en jouant ne dédouble pas sa personnalité, mais la redouble et la prouve. Il se passe quelque chose à partir de l'adolescence qui fait qu'on ne joue plus à, on se joue de. Je n'arrive pas vraiment à l'exprimer, mais je suis sûre que l'enfant se sépare intrinsèquement de l'adulte par le jeu. 
M.-P. S. - Ce qui me frappe dans tes propos, c'est que tu considères l'adulte comme une entité. Moi, tu vois, je suis adulte (si tu veux employer ce terme), mais je ne suis pas comme toi. Je ne réagis pas comme toi, je ne perçois pas comme toi. Je suis adulte, je suis enfant, je suis masculin, je suis féminin, je suis heureux, je suis malheureux ... 
Il est vrai que la société, l'éducation, la hiérarchie, les pouvoirs, essaient de créer cette notion d'adulte à laquelle tu te réfères et que moi je refuse, je combats. 
Le jeu «  ne sert qu'à établir une existence, des existences et des rôles fantasmatiques qui n'ont d'autre objet qu'eux-mêmes et par lequel on oublie non le réel, mais le temps et l'espace proche ». Le jeu de l'adulte, de l'enfant, du « fou » est une réponse à ceux qui veulent prématurément enfermer l'imaginaire, la créativité. Et je te pose une question: les marionnettes sont-elles un jeu d'enfant ou un jeu d'adulte (voir Java, les marionnettes d'Osaka, les marionnettes à fils de Salzbourg, les peuplades d'Afrique ou la caverne de Platon !)? 
Ce que j'essaie de dire, c'est que tu es conditionnée par le système dans lequel nous vivons, par le langage dont nous nous servons. On nous répète sans cesse: «  Il y a le bébé, l'enfant, l'adolescent, l'adulte ». On nous dit «  Il n'y a pas de communication possible d'un stade à un autre ». Tu crois ça? C'est un piège? On nous coupe en tranches, alors que nous formons un tout, y compris dans le temps. 
C. - Nous rêvons d'une communication possible entre adultes et enfants (d'où l'enseignement). Mais à la vérité, même si nous pouvons décoder certains comportements, même si nous pouvons établir des relations (fussent-elles d'amour) avec les enfants, ces relations sont différentielles. C'est difficile à accepter, mais je crois impossible la correspondance entre notre logique et la leur. 
J'aime vivre avec des enfants, j'aime leur corps, leur façon d'aimer. 
Mais je ne suis pas « une copine », je sais que la distance qui me sépare d'eux est incommensurable. J'aime en eux cet émouvant mystère. J'accepte d'être séparée de mon enfance. 
M.-P. S. - Et moi, je n'accepte pas! Je ne vois pas pourquoi j'ac­cepterais ce genre d'absurdité! Mon enfance, peut-être d'autres enfances, d'autres vies, vivent en moi à chacune de mes expériences. Sans mon enfance, je ne serais pas « Max-Paul », mais un autre que je ne peux imaginer. Je ne suis pas un enfant, je suis aussi un enfant. 
c. - Je crois que tout être est seul. Mais il y a un langage, des codes qui sont partiellement accordés. Je pense qu'un enfant peut t'écouter, te parler, mais à travers une langue qui lui demeure étrangère. Il apprend la signification des mots à travers une sémamique poétique (poïein = faire, créer). 
M.-P. S. - Je crois que le discours de l'enfant peut se prolonger et que nous devons tout faire pour ne pas nous couper de notre discours d'enfant. C'est aussi au niveau du langage Que le combat doit avoir lieu. L'école détruit le mode d'émergence non rationnel du réel ainsi que le langage qui l'exprime. C'est aussi une des raisons pour lesquelles l'état d'enfance t'est étranger. Tu te situes sur un plan logique, les enfants sont sur un plan symbolique. Moi, j'essaie de me situer sur l'un et sur l'autre. A 31 ans, je travaille encore sur le langage symbolique, et j'y travaillerai jusqu'à ma mort. 
C. - Tu dis qu'en fait nous sommes conditionnés par un système qui a intérêt à nous faire croire qu'il y a évolution, maturation? 
M.-P. S. - Oui, l'enfant est classifié, catégorisé dans une certaine norme. II y a la caste des adultes, la caste des adolescents. La caste des prisonniers dans les prisons, la caste des femmes, la caste des isolés, la caste des fous, la caste des ouvriers, la caste des intellectuels. C'est faux. Enfin, c'est faux ... c'est comme ça, parce qu'on est dans ce système-là. Mais c'est une construction. Moi, je veux vivre autre chose. 

Une réceptivité inouïe 
C. - Tu as l'impression de pouvoir bien communiquer avec les enfants? 
M.-P. S. - Je communique souvent mieux qu'avec quelqu'un d'autre. 
A partir du moment ou tu penses que l'enfant ne peut pas communiquer avec toi, tu as un a priori qui empêche le dialogue. L'enfant comprend tout. Et il comprend que tu ne peux pas communiquer. C'est dommage car avec un enfant tu as plus de chances de déboucher sur l'imaginaire et la poésie que sur un rationalisme emmerdant et castrateur. 
C. - Bien sûr qu'ils comprennent, ce n'est pas la question. Si tu dis à un enfant de trois ans : « Je suis triste», il te comprend sans doute mieux qu'un adulte ne te comprendrait, parce qu'il a une réceptivité inouïe, il perçoit nos mouvements mentaux avec une précision que nous, adultes, n'avons plus. Mais je dis que la compréhension qu'il a de ta détresse t'échappe complètement. Avec un adulte que tu aimes, tu peux par­venir à un relatif accord des significations, mais je crois que l'enfant joue avec l'ordre qui régit notre esprit. Mieux, il y a du jeu entre les mots. Les mots d'enfant sont des jeux de mots, mais des jeux tels que je les disais, des jeux exprimant totalement leur réalité. 
M.·P. S. - D'abord, je ne dirai pas à un enfant de trois ans: « Je suis triste », pour plusieurs raisons; d'abord, si je suis triste, il le sent et les mots sont inutiles; ensuite parce que, si par bonheur il ne le sentait pas (ce dont je doute fort), je ne vois pas pourquoi je lui projetterais ma tristesse ou mes angoisses. 
Tu comprends, c'est une attitude qu'il faudrait avoir vis-à-vis de tout le monde. Une attitude qui changerait bien des choses: cesser de projeter ses états d'âme à tort et à travers. Il y a d'autres moyens de s'en libérer que celui de la projection sur les autres. Une chose me gêne chez toi, je me répète peut-être; c'est que tu parles au nom des « adultes " au lieu de parler en ton nom, à toi, Catherine. Tu dis « Nous adultes, n'avons plus ... » Alors que tu devrais dire: « Moi, Catherine, je n'ai plus ... » 
C. - Quand je dis que je me sens étrangère, je ne dis pas qu'ils sont incapables de parler mon langage, je dis que je désire respecter ce mystère et vivre pleinement cette différence. J'accepte de n'avoir pas la même logique qu'eux, j'accepte ce hiatus, j'accepte leur étonnement, leur sempiternel « pourquoi » qui est l'expression parfaite de l'absence de lien entre les choses: 
« Pourquoi tu bats des œufs? Pourquoi on n'a pas de plumes? Pourquoi j'existe? Pourquoi tu raccommodes? Pourquoi tu m'aimes? ». Nous construisons des relations entre les choses, nous fabriquons des rapports qu'ils ne perçoivent pas. 
M.-P. S. - Encore une fois, tu dis: « Nous construisons des relations entre les choses, Nous fabriquons des rapports qu'ils ne perçoivent pas » ... Je ne joue pas avec les mots, mais il est essentiel pour que tu comprennes ma démarche. Chaque être essaie de relier les choses entre elles, et à chaque expérience nouvelle, celle conception globale du monde qui nous entoure évolue, mais je crois qu'elle évolue différemment pour chacun parce que chacun a d'une même chose une expérience différente et inversement. J'accepte cela dans mes relations avec les autres, j'accepte cette différence, je revendique cette différence d'expérience, de vision, de perception: c'est cela la tolérance, qui débouchera sur l'acceptation de la complémentarité. Et c'est ainsi que j'essaie d'avoir des relations vraies avec les autres, enfant ou adulte. 
Je ne connais pas ta manière de percevoir l'espace et le temps, je ne connais pas la manière de ma fille de percevoir l'espace et le temps, ni celle de l'autistique, ni celle de ma concierge, ni celle de ce clochard, ni celle de mon marchand de journaux. A la limite, je m'en moque, ce n'est en aucun cas un obstacle insurmontable à la communication 
C. - Si la perception du temps chez les enfants est différente, c'est qu'ils sont sur la même portée mais dans une autre clef. 
M.-P. S. - Nous pouvons tous faire l'expérience d'une autre logique qui n'est pas la logique linéaire 



Hésitations ... 

On a vu dans les critiques adressées aux écoles parallèles la position des adultes ayant choisi pour leur enfant l'école traditionnelle. Mais il y a aussi tous ceux qui hésitent, qui sont sincèrement attristés de ce que l'Education nationale ne soit pas à la hauteur de l'ambition de chacun. Ceux-là choisiront peut-être « les écoles parallèles » parce qu'« ils ne pouvaient pas faire autrement ». On a parfois regretté que ces lieux soient quelquefois choisis dans un but thérapeutique par des parents affolés de ce que devenait leur enfant (cela arrive à La Barque au moins deux fois par an). 
Il ne faut pas, pensons-nous, regretter que ces parents-là se sentent mal à l'aise dans un lieu qu'ils ont été « contraints » d'envisager. Ils sont, dans leur désarroi même, la plus claire défense des écoles dites parallèles. Ils ne peuvent plus faire courir à leurs enfants les risques de l'Education nationale. 
Le dialogue qui suit entre deux femmes dont l'une a choisi l'école parallèle, l'autre l'école communale, illustre bien la fragilité du rempart que dresse la société entre son bien et le nôtre. Un enfant de trois ans peut l'ébranler: 
C. - Jusqu'ici, vu mes préoccupations politiques et militantes dans un mouvement maoïste, la question de l'école ne s'était jamais posée. Je ne voulais pas que ma fille, déjà privilégiée par le milieu culturel où elle évolue, soit coupée de ce monde moins favorisé que le nôtre. Mais j'ai vu la tristesse infinie de l'école, l'indifférence de la maîtresse aux enfants. J'ai vu les enfants avoir peur et ma fille malheureuse. 
P. - Alors, une école parallèle? 
C. - J'ai déjà envisagé comme possible une école parallèle, mais, c'est vrai, j'ai souvent pense qu'y venaient des gens qui en cherchaient là d'autres avec qui parler de leurs problèmes d'éducation. Il y a une volonté de mise en commun des soucis, et cela me fait un peu peur. A la fois, ça peut être très enrichissant, mais aussi ça peut être le psychodrame permanent. J'ai peur de rencontrer là des gens qui, sous le prétexte de l'enfant viennent résoudre des problèmes personnels. J'ai connu ce genre de situation à Vincennes, par exemple. Ce qui m'a retenue aussi, c'est que je pense qu'une école parallèle exige une très grande disponibilité pour le temps et l'énergie. 
P. - Tu parles de Vincennes, mais il s'agit là de « maternelle » parallèle. A mon avis, c'est différent de ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler « école » parallèle, parce que ceux qui choisissent cette voie ont dû réfléchir profondément à ce que signifient cette société, les diplômes, l'éducation. Même s'il y a des divergences, les gens qui ont choisi l'école parallèle ont beaucoup de points communs politiques. 
Il y a des gens de gauche, partisans d'une éducation « libérale » (au sens d'économie « libérale », c'est-à-dire « que le plus fort gagne » et « chacun pour soi ». Ces gens-là mettent leurs enfants dans des écoles dites de « pédagogie nouvelle », Decroly ou La Source, ou toutes les écoles « actives ». Mais les écoles dites
«  parallèles », c'est autre chose, c'est une radicalisation, et il ne s'agit plus d'éducation libérale. On sait trop ce que ça veut dire que le « libéralisme ».
C. - Même en maternelle d'ailleurs, la répression est absolument incroyable. Les enfants sont fréquemment fessés dans celle où va ma fille. Je suis amenée, presque à mon corps défendant, à envisager la possibilité de l'école parallèle. Alors j'ai peur d'une certaine marginalisation de l'enfant. Je trouve qu'il est important qu'il soit à l'aise avec beaucoup de gens, qu'il ne soit pas dans un ghetto. Par exemple, je ne voudrais pas que ma fille se coupe des milieux ouvriers, où les gens ont moins d'argent que nous. Il faut qu'elle se frotte à des gens différents, y compris à cette maîtresse odieuse qu'elle a cette année. J'ai longtemps eu une idéologie militante de sacrifice. Je trouvais normal que ma fille se batte aussi contre les gens qui abusaient du pouvoir. 
P.  N'est-il pas complètement volontariste de ta part de vouloir que ton enfant de 4 ans se batte, seule, contre le pouvoir d'une maîtresse? A la limite, elle pourra apprendre à le supporter, plus ou moins bien. 
C.  Oui, bien sûr. Par exemple, Jeanne va fréquemment au dortoir annexé à la classe et se met des couvertures sur la tête pour ne pas voir l'école et la maîtresse. Moi je la pousse plutôt à aller vers les autres enfants ... De notre côté, nous avons été quelques femmes à commencer une action, mais nous avons échoué parce que beaucoup de parents voulaient que leurs enfants soient réprimés. 
P. - Alors? 
C. - ... Je ne sais pas. Enfin j'aide Jeanne par exemple à ne pas trop tenir compte des cris de la maîtresse. Le matin, le chemin qu'on devrait faire en un quart d'heure, je le fais en une demi-heure. Jeanne s'arrête fréquemment et pose des questions aux ouvriers et aux commerçants qu'elle rencontre. Je compense ... Et puis, ce n'est qu'individuel.
P. - L'une des critiques qu'on fait le plus aux écoles parallèles, c'est que les enfants y sont très privilégiés et « coupés des masses ». Or, tout en laissant Jeanne à l'école communale, tu l'éduques aussi de façon tout à fait privilégiée, ne serait-ce qu'en te faisant complice de son retard journalier à l'école. 
C. - Je désire qu'elle réfléchisse, mais en même temps je ne veux pas qu'elle soit coupée du monde. J'ai peur que dans une école parallèle cela ne lui arrive. 
P. - Au contraire, toutes les écoles parallèles cherchent à faire cra­quer les murs. Dans une école traditionnelle, l'enfant vit tout à fait à l'écart du monde et apprend des choses qui n'ont rien à voir avec sa vie. 
C. - De toute façon, maintenant que je sais ce qui se passe à l'école, je ne peux plus fermer les yeux sur l'énergie qu'il faudrait à ma fille pour lutter à l'intérieur de ces murs. Si nous, le groupe des parents les plus décidés, avons échoué celle année, comment les enfants sortiront-ils de ce combat ? J'ai peur des écoles parallèles. Je crains de donner à ma fille une éducation en marge de celle que reçoivent ses camarades du quartier. Mais je désire réfléchir à cette solution extrême. Tout simplement parce que l'école m'apparaît souvent maintenant comme l'impossible. ». 



...Parades 
Reprenons maintenant les arguments développés dans ces différents points de vue: 

1) Non-intégration sociale 

Argument choc: «Vous les élevez à part. » Mais justement, c'est chaque famille qui élève ses enfants à part. Les « lieux pour enfants » réagissent contre cette société qui organise la survie dans un désert social. Nous avons l'ambition, esquissée dans les écoles parallèles, clairement affirmée dans les collectifs adultes-enfants, de ne plus élever nos enfants «  à part ». Où sont-ils, les ghettos? Chez nous, il y a de la place pour ceux que vous appelez caractériels, fous, débiles, épileptiques, vieux, homosexuels, professeurs. 
Si les collectifs et communautés sont souvent devenus des lieux d'asile pour les marginalisés (dépressifs, « drogués », etc.), c'est qu'ils ont renoncé à vos normes et à vos estampilles. Ils se sont parfois brûlé les ailes dans l'aventure, du moins volaient-ils plus haut que vous. 
C'est vrai, dans nos lieux, pas « d'appréciations» sur les enfants. Il nous est arrivé de nous émerveiller de la vivacité intellectuelle de tel ou tel enfant, du plaisir de vivre d'un(e) autre. Nous avons eu peur de la violence de certains, mais nous avons toujours eu l'humilité de savoir que tout cela n'était qu'apparence. En soi, cela ne signifie rien. «  Luttez », enseignants de gauche, contre la réforme Haby et ses super-sélections, et continuez à noter scrupuleusement les élèves. Parlez-nous ensuite de nos lieux «  privilégiés », vous nous intéressez. 

Imbéciles? Vraiment? 

«  Ils n'apprennent rien. » Comment donc est-il possible de ne rien apprendre? A notre connaissance, il n'existe qu'une seule situation où l'enfant puisse courir ce risque contre-nature: c'est quand on l'oblige à apprendre quelque chose. Il peut alors se bloquer contre la chose, mais aussi contre l'obligation. 
Par expérience, n'importe quel individu sait qu'il n'a retenu de ses apprentissages que ce qui l'intéressait (que cela lui fût agréable ou utile). Vous qui êtes coiffeuse ou prof de sciences-nat., peut-être auriez-vous aimé être funambule ou jouer du saxo, vous ne le saurez jamais. Les mêmes qui nous accusent de faire de nos enfants des « analphabètes» trouvent normal de n'avoir jamais lu un auteur chinois, de n'avoir jamais joué une pièce de théâtre, de ne pas savoir reconnaître les arbres, d'être incapable d'aider une amie à accoucher. .. 
Le gag : «  étudier » Montaigne au Lycée, plus précisément ses discours sur l'école: «  Mieux vaut tête bien faite que bien pleine. » Commentez. 
Dans ces lieux où nous vivons avec eux, nos enfants n'étudieront Cicéron que si quelqu'un, empli de passion pour ce sympathique auteur, vient chez nous en disant qu'il a très envie de redécouvrir Cicéron avec les enfants. Mais il est sûr que ceux qui auront été embarqués pour cette découverte «  connaîtront » l'époque latine classique. Il est notable que ce sont les « voyageurs » (non les touristes) qui nous ont appris le plus de choses sur les pays étrangers. 
J'affirme catégoriquement que les enfants avec lesquels nous vivons ne sont ni analphabètes, ni idiots. Parce que, quelle que soit l'activité proposée, elle respecte leur rythme et leurs désirs, parce que le jeu libre demeure la pierre d'angle de leur construction. Leur savoir ne sera pas le nôtre. Et après? 

Sans un adulte pour les « guider» en permanence ... 

Nous, « parents irresponsables », sommes partis de l'analyse concrète d'une situation concrète. Ce que nous avons appris, c'est d'abord l'expérience qui nous l'a enseigné, jamais l'école; c'est ensuite, en relation très étroite avec nos goûts et nos passions, ce que nous avons voulu savoir. Ne pas faire danser quelqu'un qui ne veut pas danser. 
Dans l'idéal, nous désirons multiplier les ouvertures possibles. A l'heure actuelle, nous nous sentons bien pauvres, mais nous sommes tout à fait prêts à accueillir n'importe quel écolier, collectionneur, professeur, qui a envie de faire découvrir aux enfants ce qu'il aime. Rien n'est dérisoire, si quelqu'un y prend plaisir et chacun a quelque chose à transmettre. La recette de la citrouille farcie, une étude sur Racine, un procédé pour enlever les taches de gras, une méthode de relaxation, une expérience de physique découverte en usine. Même les professeurs seront les bienvenus ... 
«  C'est parce que vous êtes allés à l'école que vous êtes capable d'écrire sur l'école. » C'est parce que nous sommes tous allés à l'école, qu'il y a si peu de gens qui se croient capables d'écrire! Tous les intellectuels ne contestent pas l'école, et d'une. D'ailleurs, comme par hasard, nous sommes beaucoup plus de femmes que d'hommes à chercher d'autres modes d'acquisition des savoirs et c'est vrai que « leur » culture nous est si étrangère que nous n'y tenons pas outre mesure. 
Mon problème n'est pas que ma fille sache un jour lire Lacan, mais qu'elle s'exprime et se fasse comprendre mieux que Lacan. Elle apprend, dans un lieu collectif, à s'exprimer et à communiquer. A l'école, elle aurait peut-être appris à «  lire » mettons Lacan, le lundi de 9 à 11 h dans l'année scolaire 1986­1987, salle 114. Mais je rêve (donc je crée) un lieu où sa vie croisera différents chemins, dont peut-être ceux de Lacan, et où elle aura le désir de rencontrer ceux qui exprimeront sa réalité. Elle la vivra alors dans sa lecture avec connivence. Sans doute à ce moment-là pourra-t-elle me traduire ces pages obscures qui me font flipper. 
Mais revenons à aujourd'hui. On entend dire parfois que les enfants de chez nous sont déstructurés (entendez « hors des structures adultes »). Il est inévitable que nous retournions le compliment à l'Education nationale. Les enfants qui ont été scolarisés et qui arrivent chez nous sont, de fait. complétement
« déstructurés ». Ils ne savent rien faire tout seuls sans un adulte pour les guider, ils «s'ennuient », s'ils n'ont pas de « travail », ils ont la sinistre habitude de compter les heures et les jours. Heureusement, cela ne dure pas, et ils se restructurent très vite. Il n'existe pas de vie sans structure. 
Nous essayons de vivre ensemble, adultes et enfants, en respectant le fait que leurs structures ne sont pas les nôtres. Nous appelons « déstructuré » (mais c'est un mot vide de sens et nous devrions dire « contre-structuré ») un enfant qui se structure sur un schéma adulte Nous revenons plus loin sur cet «état différent» propre à l'enfance (voir chapitre « motivations politiques »). 

Marginaux ou suradaptés ? 

Mais bien des critiques se réduisent à la question: « Ne sont-ils pas des inadaptés dans notre société étrangère à la vôtre ? ». La meilleure réponse est celle que donnent «les grands », qu'ils se retrouvent dans l'école, traditionnelle ou non. Nous les avons interrogés (voir chapitre « Et après? »). 
Une « intervenante » de l'A.C.C.E.N. disait (avec comme un 
« hélas ») dans la voix) : « Ces enfants sont suradaptés ! ». Dans notre monde complètement dément, il est vrai que nos enfants acquièrent dans ces « lieux » dont nous parlons, une singulière solidité. En contact avec la rue ou le monde du travail, pour les plus grands, free.frrmés un minimum de la vie politique, habitués à un regard critique, ils évoluent hors de nos lieux avec une aisance que nous leur envions. Tous les mercredis après-midi, à La Barque, nous les emmenons au spectacle, et il est étonnant de voir avec quel « sans gêne » ils participent à l'action. Si les comédiens (car il nous arrive de faire des erreurs de choix) demandent au public de se taire, ils deviennent sages comme des images et font leurs commentaires à la fin. 
Un autre exemple. Un enfant vole des bonbons dans un magasin. Le vendeur l'a vu, intervient et se tourne vers l'adulte, qui prend l'air de quelqu'un qui n'est pas concerné du tout. Le vendeur se fâche, engueule le môme: celui-là va remettre les bonbons en place, en déclarant: « Ah la la, y'a pas d'quoi en faire une histoire. » A La Barque, la caisse « de journée » est parfois pillée; bon, il n'y aura pas de goûter, il n'y a pas de quoi en faire une histoire, en effet! Ce n'est pas un truc qu'on leur raconte, c'est la réalité. Et ce n'est pas structurant, la réalité? 
Qui est en marge (marge = espace blanc autour du texte)? Nous sommes complètement dans le système, et même nous nous en servons au maximum. Nous sommes une minorité? Absolument, et aucun d'entre nous n'a l'ambition de rejoindre la Majorité. Nous ne comprenons pas l'argument: « Mon gosse ira à l'école comme tout le monde. » L'enfant a-t-il aussi été baptisé à ce titre? Fera-t-il son service militaire ou la guerre pour la même irréfutable raison? Se mariera-t-il et écoutera-t-il R.T.L. pour faire comme tout le monde? 
Ne pas faire comme tout le monde, est-ce de l'individualisme petit-bourgeois? L'extrême-gauche est-elle à ce point culpabilisée de ses échecs auprès de la classe ouvrière qu'elle revendique le droit pour ses enfants de se taire « comme tout le monde » ? 
Est-ce être marginal que de considérer le travail auquel nous sommes contraints pour vivre comme une malédiction (Bible, Genèse III, 17-18-19)? Oui, beaucoup d'entre nous s'arrangent pour avoir le temps de faire les choses qu'ils aiment et nous sommes persuadés que nos enfants se débrouilleront aussi bien que nous. Qui sait? Ils feront peut-être même des « études» dans un enseignement supérieur, traditionnel ou non, car nous n'avons pas encore dit notre dernier mot sur le chapitre de la formation dite professionnelle. Pour le moment, nous acquérons patiemment, enfants et adultes, un certain goût de l'autonomie et une solide confiance en nous, et nous apprendrons ce que nous voudrons. En jouant votre jeu ou non d'ailleurs, selon ce qui nous arrangera. 

2) Ecole de luxe, école de classe

Nous vivons, dans nos lieux respectifs, en autogestion et c'est actuellement un luxe. Demain, on rasera gratis. En attendant, il faut payer. Entre la machine à laver et le loyer d'un lieu pour enfants, on a choisi le loyer. On s'en passerait bien. 
Libération coûte 1,60 F; Le Figaro 1,30 F. C'est une question de soutiens. Si l'Etat « soutient » le poids de l'Education nationale, c'est qu'il y trouve intérêt (relire les textes très éclairants du fameux Jules Ferry). Nous payons cher le droit de ne pas nous plier aux règles de la sélection. La gratuité de l'école laïque et obligatoire, est-ce vos gosses ou vous qui en paieront la facture? 
La prise en charge d'un lieu collectif (voire le salaire de 
« permanents » ou d'« intervenants », dans certains cas) coûte cher, environ 300 à 400 F par mois par enfant, mais nous estimons que l'Education nationale nous coûterait davantage. Nous préférons payer en espèces qu'en nature. 
La gauche, qui nous reproche de coûter cher, ne nous a jamais proposé d'occuper des locaux qu'elle gère (par l'intermédiaire de comités d'entreprise, de municipalités ... ). Ce serait à envisager. .. Mais la gauche traditionnelle a beaucoup d'adhérents dans l'E.N. et elle compte aussi sur une éducation très centralisée pour faire triompher son idéologie. 
Soyons sérieux, si les lieux pour enfants que nous avons choisis sont des lieux de luxe, ce n'est pas à cause de l'argent. C'est surtout parce que les adultes qui s'y sont engagés ont du temps. Et c'est en ce sens qu'ils sont petits-bourgeois. Il est vrai, et c'est fort regrettable, que les enfants qui vont dans les « écoles parallèles » sont aussi ceux qui en ont le moins besoin, au sens où ils ont le privilège de vivre dans des familles déjà critiques à l'égard de l'idéologie dominante. 
Seule pour le moment, la petite bourgeoisie dispose des moyens (langage, media, accès à ce qu'on appelle « la culture ») de critiquer l'Education nationale. Les organisations populaires, quand bien même elles le voudraient, ne peuvent contre­carrer l'idéologie du pouvoir en matière scolaire. Nous pouvons regretter que ce privilège de la critique soit réservé à quelques­uns, mais nous n'allons pas pleurer sur le fait que nous en bénéficions. Ce n'est quand même pas le « gauchisme » qui a inventé la distinction entre les intellectuels et ceux qui ne le sont pas ... Nos enfants échapperont, nous le souhaitons, à cette cote mal taillée.
Donc, en majorité, nous sommes des intellectuels petits-bourgeois, qui avons, grâce à nos familles, notre éducation et notre patrie, le temps de vivre, ce qui est un luxe très rare. Temps que nous prenons sur nos salaires : nous gagnons deux fois moins, nous consommons peu et - nul ne le conteste - la résistance à la consommation est un luxe réservé à ceux qui n'ont jamais manqué de rien. 
Oui, donc, nous sommes des privilégiés; et nous osons investir notre capital culture-temps dans l'enfance. Les mêmes militants d'extrême-gauche, dont beaucoup d'entre nous furent, qui nous reprochent de faire de nos gosses des « privilégiés », leur paient de beaux bouquins moins idiots que ceux qu'on trouve généralement. Et pourtant, c'est un privilège de lire des livres intelligents, un privilège de classe. On se coupe des masses, camarades? 
« Il faut se battre pour que les ouvriers puissent lire les mêmes choses que nous. » Bonne chance. Nous pensons que tant que l'Education nationale séparera les intellectuels des manuels, il est inutile d'espérer quoi que ce soit. Ce n'est pas en mettant nos enfants à l'école qu'on démocratisera l'enseignement. 
Lutter à l'intérieur de l'école ... Ce sont vos enfants, vos armes de combat? Pas peur qu'elles s'enrayent, les armes? 
Agir sur l'école suppose, quand on y met ses enfants, d'être fameusement sûr de soi. Il faut au moins être enseignant pour oser refuser les pratiques de la maîtresse! Et à un échelon plus élevé (quoique moins concret), il est intéressant de constater que la plupart des professeurs et des institutrices sont « de gauche ». Ils ne sont pas contents, parce qu'ils ne gagnent pas beaucoup de sous. Ceux qui contestent le système scolaire sont licenciés. Vitruve est l'exception, qui confirme la règle, école­alibi, mais aussi école contre l'école, école contestée. Peut-être est-ce la seule «école sauvage» de France. Dans la lutte institutionnelle qu'elle a engagée, elle est « institutionnellement » marginalisée. Qui vivra verra. Et on veut bien, de l'extérieur, avec les quelques rares camarades de l'E.N. qui ne l'auraient pas laissée tomber, lui prêter main forte quand le moment sera venu. 

3) Super-valorisation du rôle parental

« Vous choisissez pour vos enfants une solution qui vous arrange. » On n'est pas maso et il est vrai que nous agissons selon nos désirs. Nous choisissons « pour » nos enfants comme n'importe quel parent qui choisit de prendre le risque de l'Education nationale. Par contre, dans aucun « lieu pour enfants »,  nous n'avons gardé un enfant qui préférerait aller dans une école traditionnelle. Si les enfants des autres écoles pouvaient, eux aussi, choisir... 
Une critique qui vient de la « nouvelle gauche» se fonde sur le 
« trop de sacrifices » consentis par les parents (au niveau de l'argent et du temps). En gros, il s'agit de nous dire qu'il vaut mieux ne pas se laisser bouffer par les enfants et qu'il faut leur apprendre très tôt à se débrouiller tout seuls (fierté des parents libérés, dont le gosse de six ans se lève seul, se prépare seul son petit déjeuner et va seul en classe. En voilà un qui saura ne compter que sur lui-même). 
En élevant nos enfants jusqu'à eux-mêmes, nous nous préparons aussi un monde plus humain. Nous ne croyons pas au conflit des générations et nous espérons vivre des amitiés durables avec nos enfants. L'amitié, c'est se tenir compagnie de temps en temps aussi. L'autonomie - et les femmes le savent - ne se confond pas avec la solitude. Par contre, l'autonomie, c'est aussi pouvoir choisir librement la solitude. Nous faisons en sorte que les enfants puissent faire ce choix. Et, s'il est particulièrement limité faute de place dans les « écoles parallèles », il est la condition sine qua non des collectifs vivant à la campagne .. 
Mais cette place trop importante des adultes reste cepen­dant un point à éclairer. Nous y revenons dans l'exemple de La Barque (voir chap. 5 : trois exemples). 
Souvent aussi, nous nous entendons dire que nous proté­geons à outrance nos enfants contre la société telle qu'elle est. « L'école est une saloperie, la vie aussi. Autant qu'ils l'affrontent le plus tôt possible! » 
Nous les protégeons des dangers qu'ils ne peuvent affronter seuls, respect de la hiérarchie par exemple, mais on leur donne (contrairement à l'école) les moyens d'une analyse critique de la société. Ils sont moins coupés de la vie et de la politique que les enfants entre les murs des écoles. Par des stages (principe de l'alternance à l'A.C.C.E.N. par exemple) dans le monde de la production, ils savent très tôt ce que signifie, en réalité, le travail. Pas besoin de leur faire des dessins. 
Nos enfants sont clairvoyants. Ils se sont sans doute plus souvent cassé le nez que les vôtres, mais aussi ont-ils plus tôt le sens du danger? Nous n'avons pas tellement peur des joutes pour eux que du courant qui passe à l'école. Disons qu'on les protège des dangers qu'on juge trop grands. Et alors? A chacun ses mesures. 
L'hyper-familialisme du « petit lieu sympa » opposé à 1'«immensité dure» se dépasse dans l'idée de « réseau ». Plus il y aura de « sympathisants », avec ou sans enfants, qui accepteront de partager quelque chose avec nos enfants, moins nous serons isolés. 
Il est incontestable que nous sommes trop repliés sur nous-mêmes, en général. Mais la critique que nous acceptons entièrement, c'est celle qui regrette que nous n'allions pas assez loin .•


... Et auto-critiques 

Il va de soi qu'une telle remise en question de l'Etat, de l'éducation, de la famille, du travail soulève de déconcertants problèmes. Présenter un lieu parallèle, La Barque par exemple, sans faire la part de ses difficultés serait le tronquer de ce qu'il a de plus profond; sa lutte quotidienne pour créer une nouvelle manière de vivre. 
Mais nous avons fait aussi appel à d'autres témoignages, ceux d'intervenants ou de parents de « Attention Ecole » et de « La Mosaïque » qui ont existé chacune un an. Des personnes qui ont été impliquées dans ces expériences passées tentent là de dresser un bilan succinct et d'analyser ce dont meurent « les écoles parallèles ». 
La Barque telle que je l'ai décrite, c'est ce qui existe, mais ce sont aussi les manques, les trous, et potentiellement les réponses, qu'on pourrait apporter. 
Au départ, pas de projet pédagogique, pas de théorie sur l'enfance. Une action. 
Quatre ans déjà, et des questions à n'en plus finir! Paradoxalement, les plus insatisfaits sont aussi ceux qui tiennent coûte que coûte à l'existence de ce lieu différent de l'école. On critique, on critique, on est prêt à se dissoudre. Mais on sait que c'est pour faire autre chose à la place. On raconte que la plupart des « animales » préfèrent se faire tuer plutôt que de supporter qu'on tue leur petit. Et je sais qui je fais frémir en disant qu'il y a de ça chez nous. Une résolution inébranlable qu'on ne détruise pas nos enfants à l'école. La volonté sauvage de combattre cette machine destructrice qu'est l'Education nationale. 

Récupération? Bravo! 

Notre combat n'est pas réformiste. Contrairement à certaines écoles nouvelles (qui souhaiteraient même la nationalisation), nous ne pensons pas pouvoir agir à l'intérieur de l'Education nationale. Bravo, si certaines de nos innovations sont récupérées, bravo pour toutes les réformes qui adouciront le sort des enfants scolarisés. Mais ce sont des détails. Les syndicats font dans l'anecdote et les parents se réjouissent de rencontrer des profs sympas. 
Nous avons une ambition démesurée. Nous voulons vivre une critique globale de l'école; nous sommes passés aux actes. Et ce n'est pas tous les jours la fête. Nous avons pris des risques. Individuellement et collectivement nous l'avons payé cher. 
Nous sommes toujours en proie aux mêmes critiques extérieures ; on a vu les réponses que nous donnions. 
Mais il est d'autres critiques: les nôtres. Car nous ne sommes pas à la hauteur de nos espoirs. Ce qui est certain, c'est qu'il ne s'agit pas de viser moins haut, mais de se grandir. 

Nous sommes des privilégiés 

Et tout d'abord La Barque n'est pas ouverte à tous. Non pour une question d'argent, mais parce que, moins on a de culture, plus on est persuadé que l'école est le seul instrument de promotion sociale: «  Si tu travailles bien, tu pourras peut­être travailler aux P.T.T. »  Toutes les études sur le rôle ségrégatif et sélectif de l'école s'adressent à une élite qui partage l'odieux « secret ». Qui croit à l'égalité des chances à l'école? La farce dure et les « réformes » successives, implacables, créent les rouages irréversibles: il faut tant d'ouvriers, tant de chômeurs, tant de femmes au travail. Sélection, sélection, sélection. 
Aucun de nous ne croit que l'Education nationale est moins élitiste que La Barque. Mais il ne s'agit pas de dire: « L'école, c'est pire. » Alors que faire? 
Contrairement à certains « profs sympas » qui considèrent que les parents sont de « vieux cons réacs », nous pensons que l'école n'est pas seulement un problème d'enfants. Si 50 % des parents estiment que les enfants vont à l'école pour apprendre l'ordre, la discipline et consolider l'acquisition des «  bonnes manières », 20 % sont d'avis que les enfants deviennent plus vite «  raisonnables », en fréquentant l'école maternelle; 30% ne prennent pas position (statistique publiée par les cahiers. du C.R.E.S.A.S., Centre de Recherche de l'Education spécialisée et de l'Adaptation scolaire). Si ces parents voient dans l'école l'ordre, la discipline et les bonnes manières, c'est à l'école qu'ils ont appris cela. Et ce n'est pas parce que les intellectuels mettront leur gosse à l'école du peuple que le peuple réfléchira au rôle de l'école. 
On peut toujours faire des tracts posant la question de la promotion sociale par l'école ... On peut aussi faire une anti­école. Mais comment, d'une manière comme de l'autre, se rendre crédible aux yeux de gens qui ne possèdent pas les outils d'analyse grâce auxquels ils pourraient cracher sur cette imposture? 
A La Barque, nous n'avons apporté aucune réponse, mais on peut rêver. .. 
Ecole = promotion sociale possible. Pourquoi ne pas partir de cette idée? Elle est fausse, d'accord, mais elle se maintient parce qu'elle appartient au rêve. Je ne chicanerai pas sur ce qu'est la «promotion sociale», elle est pour beaucoup un moyen de se sortir de la merde. C'est plus d'argent, mais c'est aussi moins de fatigue, plus de temps libre, plus de considération. 
Alors pourquoi nous, qui faisons une école parallèle, n'organiserions-nous pas parallèlement un réseau de formation permanente parallèle, pour adultes? D'abord pour prouver que l'école n'est pas seule à « apprendre », ensuite pour montrer que, si un adulte bien entouré est capable d'étudier rapidement ce pour quoi il est motivé, à plus forte raison un enfant ne sera-t-il pas «empêché de faire des études», s'il ne suit pas le programme officiel. 
Oui, mais alors on rentre dans le système? 
Voire ... Nos enfants, loin d'être marginalisés, sont « suradaptés ». Ils acquièrent pendant toute leur enfance le goût de la liberté et la volonté de s'en servir. De même en serait-il pour les travailleurs, qui auraient fait une promotion sauvage. Car il ne s'agirait pas d'alphabétiser, mais de donner les moyens d'une critique : moyens, qui permettraient un recul et une audace suffisants pour tenter, avec l'aide de gens compétents, le passage de certains examens. 
Nos enfants n'auront pas tous envie de passer des examens, mais ils en auront la possibilité. Je ne vois pas pourquoi des adultes ne pourraient pas bénéficier aussi de notre critique de l'Education nationale. Mais tous les ouvriers n'ont pas envie d'une promotion. Le soir, il y a aussi la télé, le bistrot ... 
Eh eh ... Le bistrot! Ça aussi, à La Barque, c'est dans la tête de quelqu'une ... Le bistrot avec notre lieu d'enfants tout près ... Et puis sans doute, on pourrait aussi y faire chauffer sa gamelle ... ou manger à La Barque. Un jour peut-être un client du bistrot aurait envie de faire avec les gosses un modèle d'avion, et une cliente raconterait aux gamins sa jeunesse tumultueuse en Argentine. 
Je rêve et je prends mes rêves pour des réalités. Résolument. D'autres rêvent aussi de mômes itinérants en France, ou de «République d'enfants». Et ces rêves deviennent projets ... C'est comme je vous le dis. 
Bref, si nous nous heurtons à des contradictions (lieux d'enfants réservés à la petite bourgeoisie intellectuelle), ces contradictions peuvent se dépasser. Il ne faut pas se lamenter sur le fait que nous organisons une école de privilégiés, mais sur l'impuissance de notre imagination à étendre ce privilège à tous ceux qui le désirent. 

Des parents très présents, trop présents 

Une deuxième critique que nous nous adressons, à La Barque, c'est la présence « obligée des parents ». Nous ne revenons pas sur ce que nous avons dit de l'indispensable possibilité d'un lieu où les rapports parents-enfants puissent être remis en question collectivement et vécus ensemble. Nous avons répété souvent que La Barque n'était pas seulement un lieu d'enfants. Pourtant nous n'avons pas encore trouvé à La Barque l'équilibre idéal. 
Il est vrai que chaque parent ne reste à La Barque qu'une demi-journée par semaine. Il est vrai aussi que, vu le contexte, chaque parent « présent » a avec son enfant des rapports différents de ceux qu'il a chez lui. En règle générale il se remet en question. Il a donc une attitude plus proche de celle qu'il souhaiterait toujours avoir. A la maison, ce n'est pas si facile. 
Mais n'empêche! Le gamin, même s'il n'est que quatre heures par semaine en compagnie de son père ou de sa propre mère présent à La Barque, vit « avec des parents», un tas de parents! Ce ne sont pas les siens, mais ils sont investis d'emblée de toute la responsabilité parentale. Les enfants ne disent pas: « Tiens voilà Fan! » mais « Tiens, voilà la mère de Ilse ». Les intéressés rectifient en vain: « J'ai un nom, je ne suis pas seulement la mère de ma fille. » Ce n'est aux yeux des enfants qu'un jeu. Pour les pères, c'est plus compliqué. Il y a à La Barque beaucoup de «papas» qui ne sont pas les pères biologiques. Comme c'est courant, les enfants en parlent très librement. Alors ils disent par exemple à leur copain: « Voilà ton Gérard. » 
Les enfants ressentent la présence des parents à la fois comme un privilège (« A l'école, les parents n'ont pas le droit de venir ») et comme une pression (« Vous vous racontez tout. ») Les grands (7/8 ans) se sont approprié d'office « l'atelier » et nul ne remet en question cette conquête: les adultes n'y mettent jamais les pieds. Là se passent des choses secrètes. Mais les autres enfants ne bénéficient pas du même lien d'asile. 
Je ne pense pas que les parents de La Barque soient des gens incapables de se sevrer de leurs enfants. Ils apprécient beaucoup, pour de multiples raisons, l'habitude qu'ont prise les enfants de passer la nuit les uns chez les autres. Ils ne sont là, on l'a dit, que quatre heures par semaine, qu'ils ne passent pas spécialement avec leur propre môme. 
Le « familialisme » de La Barque ne peut leur être imputé comme impossibilité névrotique de se séparer de leur gosse. Le problème n'est pas qu'il y ait des parents, mais qu'ils y soient tous plus ou moins et qu'il n'y ait - à quelques exceptions près - qu'eux. 
Certains parents se passeraient volontiers d'entreprendre des activités avec les enfants. C'est le cas d'enseignants, qui préfèreraient ne pas leur consacrer leurs loisirs; c'est le cas de ceux qui se sentent mal dans les groupes de plus de trois ou quatre personnes; c'est le cas enfin de ceux qui ne supportent pas l'agressivité des gosses entre eux. Mais la présence des parents est indispensable, parce que nous ne payons plus de permanents. 
Les avis sont partagés sur la décision qui a été prise en décembre 1976. Au départ, une raison financière. On pouvait se passer de bagnole pour payer La Barque. On ne pouvait pas se passer de bouffer. Vaille que vaille, chacun a réussi à sortir les 600 F par mois qu'a coûté La Barque pendant 4 mois. 600 F c'était pour un cinquième d'entre nous la moitié d'un salaire. Pour quelques chômeurs, c'était plus que le montant de l'aide publique. On a tenu bon quatre mois dans l'angoisse la plus grande. Vu les choix que nous avons faits par rapport au système, on peut dire que la majorité d'entre nous gagne peu d'argent. La plupart n'ont pas de voiture, pas de chaîne Hifi. En moyenne, les salaires tournent autour de 2 000 F par mois (les plus « riches » d'entre nous sont professeurs). Cela, pour dire que lorsque les permanents ont été licenciés, c'est qu'on ne pouvait pas les payer. Mais cette nécessité satisfaisait certains d'entre nous ... 

Se décharger sur des spécialistes? 

Ceux-là n'étaient pas d'accord pour « payer des spécialistes de l'éducation ». Ils ne pensaient pas non plus que les enfants eussent besoin d'adultes « stables » présents chaque jour. En fait, l'expérience a nuancé cet a priori. Les tout-petits en effet auraient sans doute besoin, jusqu'à quatre ou cinq ans, d'une personne fixe plus présente que d'autres. D'ailleurs, nous avions décidé, lorsque les permanents furent licenciés, que Suzanne viendrait cependant une heure le matin, quatre fois par semaine, pour que ce soit la même personne qui apprenne aux enfants à lire. Mais elle n'est pas payée. 
Les parents qui seraient plutôt opposés à la présence de permanents payés seraient favorables à ce qu'un maximum de non-parents viennent à La Barque. Il y a des grands-pères qui aimeraient peut-être raconter des histoires aux mômes et des femmes qui ne peuvent avoir d'enfants et ont du temps à consacrer aux gamins. Il y a surtout ceux et celles qui ne veulent pas faire d'enfant, mais ont envie de vivre avec eux. 
On ne s'est pas donné les moyens d'aller chercher les «non-parents», là où ils sont la majorité (vieux, étudiants, lycéens). On n'a pas osé aller au G.L.H. (Groupe de libération homosexuelle) ou dans les mouvements de femmes qui contestent la maternité. « Ne pas oser » ... En fait, nous, parents, ne savions pas comment serait perçue notre demande. Cela ne se fait pas, dans notre société de dire: « On a des enfants, on ne voudrait pas s'en occuper tout seuls, vous n'aimeriez pas aimer des enfants avec nous? »  . 
Trop de parents? Peut-être paierons-nous l'année prochaine un(e) permanent(e) pour faire la coordination. (Le journal de bord n'est pas un outil de coordination suffisamment adéquat.) Mais il faudrait quand même tenter aussi de faire appel à un maximum de non-parents. Ils sont les mieux placés pour nous remettre en question. Et c'est l'un des premiers buts de La Barque. 

Lire, écrire, compter ... 

La troisième critique que nous formulons à l'intérieur de La Barque a trait au contenu des activités proposées aux enfants. Nous avons parlé de l'apprentissage des piliers de notre civilisation, lecture, écrire, calcul... Le minimum. Sont pas obligés, les mioches. Mais ... Mais c'est inimaginable combien les parents en général angoissent là-dessus! 
Nous reproduisons platement l'essentiel de ce qu'on voulait éviter: il y a une prédominance de ces « matières » sur le reste. Même chez les parents qui affirment ne pas vouloir en tenir compte, il y a une contestation « voyante » qui n'est pas neutre. 
Les enfants, qu'ils acceptent ou refusent d'apprendre à lire, savent qu'ils s'engagent par là dans un acte essentiel. On n'aime pas le mot « pédagogie », mais on a passé du temps à chercher les méthodes d'apprentissage les plus intelligentes, les plus efficaces pour la lecture, l'écriture, le calcul. Suzanne, Michèle, Vanvan se sont souvent plaintes d'être seules pour étudier les avantages de chacune des méthodes qu'elles approchaient. Il est vrai - et c'est flagrant pour le calcul - que la pédagogie nous apparaît à nous, parents du tout-venant, comme une science d'initiés. 
Nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'il faut être très compétent pour ne pas se laisser duper par tous ces mots de psychologie, très beaux, très distingués qui font les délices des chaumières rectorales. Nous, nous ne connaissons pas tout ça, et nous n'avons pas envie de nous y plonger! Alors on fait confiance à celles qui ont passé des années de leur vie là-dedans. On les croit intelligentes. On sait qu'elles sont critiques par rapport à toute pédagogie. Donc on les laisse chercher ce qui permettra aux enfants d'apprendre vite et agréablement lecture, écriture, calcul. 
Oui, nostra culpa! On devrait les seconder un peu dans cette tâche fastidieuse: Mais on n'a pas la foi. Il y a mille façons d'apprendre à lire, on ne fait confiance à aucune. On fait confiance à Vanvan, à Suzanne, à Michèle ... 
Et les enfants de La Barque, comme à peu près tous ceux de France, apprennent à lire, à écrire, à compter. Personne à La Barque n'a vraiment remis ça en cause. Les plus contestataires affirment que jamais ils n'obligeront leur gosse à ap­prendre quoi que ce soit et qu'ils ne feront rien pour les « motiver » (c'est par exemple le discours que tient votre servante, mais la fille de six ans de la servante en question voit sa mère écrire depuis toujours ... ) 
Comme par hasard, vers six ans, ils ont tous envie d'apprendre à lire. Nous profitons de cette « envie », persuadés que nous sommes que l'acquisition du langage écrit est un pas essentiel vers l'autonomie, permettant à chacun de « s'instruire » en autodidacte. Le gosse n'est quand même pas idiot. Il assiste parfois à nos réunions et sait le nombre de fois où nous parlons de ces apprentissages « pas comme les autres ». Sans compter les grands-mères et les voisins affectueux ou perfides qui insistent: «Tu sais lire, maintenant?» 
Quant au calcul. .. Alors là ! ... Geneviève s'accroche; Jean professeur de mathématiques et Pierre, un matheux aussi, y ont renoncé. Ils savent compter, les enfants. Mais il n'yen a pas beaucoup qui font régulièrement les fiches de l'O.C.D.L. Littéraires ou matheux, on a de sacrés blocages avec les maths, scellés que nous sommes par l'absurde système de l'Education na­tionale. Impasse. Geneviève, comme Michèle l'an dernier, n'a pas l'air trop inquiet. Elle nous rassure. Ça va? Ça va. 
Dans l'ensemble, on croit davantage à la nécessité de la lecture que du calcul. Mais face à une éventuelle insertion de l'enfant dans le circuit traditionnel, c'est « LE » handicap. On aimerait bien trouver un moyen de les intéresser aux mathématiques sans les obliger à « suivre ». On est un peu bêta. Là non plus, on ne sait pas quoi faire. Et je tombe dans le panneau. Des lignes et des lignes pour parler de « lire, écrire, compter ». Comme si la musique n'était pas aussi essentielle! 

On ne sait pas danser 

Et la danse et le regard sur les choses ... Nous sommes lamentables. Nous avons fait une entorse à notre souhait de ne pas rémunérer de « spécialistes » en payant (bien maigrement) quelqu'un qui, l'année dernière, faisait des percussions. Cette année aussi, vers Pâques, un musicien est venu et continue une fois par semaine à habiter La Barque de rythmes africains. Une fois par semaine ... 
A part ça, la danse est rarissime. Et on discute ensemble de savoir pourquoi une telle ou un tel semble mal à l'aise dans son corps! Certains parents, ensemble, conscients de l'importance de ce que nous ratons, ont inscrit ensemble leurs enfants à un cours de danse. Un petit garçon, lui, va à l'école du cirque. Mais ces réponses particulières soulignent nos carences. 
Danse, musique ... Certains et certaines pourraient apprendre avec les gosses. Mais il ne faut pas se dissimuler que derrière notre discours « A bas les spécialistes! » se cache aussi le profond regret de ne pas être plus « compétent ». Et cette saloperie qu'on a dans la tête, c'est l'école qui en est responsable. Dans l'idéal, à La Barque, nous ne devrions plus jamais voir les choses en termes de compétence, mais d'aptitude, c'est-à-dire avoir la puissance (et non la capacité) de faire quelque chose. 
Il y a des activités qui roulent toutes seules: collages, marionnettes, tissage « géo », biologie, massages, etc. Y vont les enfants qui en ont envie. Aucune régularité. Mais certains parents viennent « sans idée ». La moitié d'entre eux se désole: « On fait du gardiennage. » L'autre moitié s'en félicite: « On est là, dans un coin, pendant que les gosses jouent, On bavarde. On fait du rangement, ou on va au parc. Un petit câlin par-ci, par-là, on raconte une histoire. On se fait un thé. On regarde les enfants. C'est très bien de voir qu'ils jouent et n'ont pas besoin de nous. On n'intervient que lorsque les mômes s'ennuient. » 
L'idée reste cependant bien ancrée à La Barque qu'il faut leur proposer un maximum d'activités. Ils peuvent très bien n'en pas tenir compte, mais les adultes estiment la plupart du temps que l'enfant ne se détermine que par rapport au choix: « Ça ou ça ou ça, ou jouer ailleurs. » 

Apprendre à se connaître 

Mais de quoi s'agit-il à La Barque? De quoi parlons-nous lorsque nous disons: « Lieu hors école » ? Si nous ne croyons pas à l'enseignement, quel est notre but? 
L'enfant doit s'exprimer, dit-on, c'est-à-dire dégager le sens de ce qu'il est. Encore faut-il se connaître. L'essentiel à La Barque est donc de permettre à l'enfant de se connaître et de connaître ses désirs. 
Nous sommes bien conscients qu'il s'agit là d'un terrible apprentissage. Savoir ce que l'on désire le plus et le réaliser, savoir où est sa place est sans doute la poutre maîtresse de chacune de nos demeures. Nous ne savons pas si la vie a un sens, mais il nous paraît clair que vivre sans connaître ses désirs est, en tout état de cause, un contresens. 
Or, à La Barque, confusément, lorsque certains adultes insistent sur la diversité des activités possibles, ils pensent à l'apprentissage par l'enfant du choix. Mais il n'est pas évident que la possibilité d'un choix implique la faculté de choisir. Les occasions ne sont que des occasions. Pour que l'enfant acquière cette autonomie, qui est la possibilité de se gouverner par ses propres lois, il a d'abord besoin de force. 
La puissance, c'est cela que détruit magistralement l'école. 
Tous les moyens sont bons pour investir les forces des enfants puis des adolescents dans la soumission à de mesquins travaux. Ces énergies sont canalisées dans une gymnastique de l'esprit «formatrice», voire une gymnastique du corps impersonnelle et sans joie. Les plaisirs sont volés (fumer, manger, aimer, écrire, rire, rêver, sont interdits pendant les heures de classe). 
Nous voulons donc permettre aux enfants de trouver en eux la puissance de s'aimer eux-mêmes, de se connaître avec suffisamment de lucidité pour oser prendre en compte leur désir. Pour cela, ils ont besoin d'avoir confiance en eux, ensemble et chacun. Notre seule manière de les y aider, c'est de manifester par le choix d'une anti-école notre foi absolue en leurs infinies possibilités . 

Autrement 13/78 

ED. 2008 DU GUIDE ANNUAIRE DES ECOLES DIFFERENTES

| Présentation | SOMMAIRE |
| Le nouveau sirop-typhon : déplacements de populations ? chèque-éducation ? ou non-scolarisation ? |
| Pluralisme scolaire et "éducation alternative" | Jaune devant, marron derrière : du PQ pour le Q.I. |
| Le lycée "expérimental" de Saint-Nazaire | Le collège-lycée "expérimental" de Caen-Hérouville|
| L'heure de la... It's time for ... Re-creation | Freinet dans (?) le système "éducatif" (?) |
| Changer l'école | Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop !| L'école Vitruve |
| Colloque Freinet à ... Londres | Des écoles publiques "expérimentales" |
| 68 - 98 : les 30 P-l-eureuses | Et l'horreur éducative ? |