C'est le prix du mètre
carré qui fait la différence...
En Ile-de-France, le marquage social des quartiers souligne l'inégalité
devant l'école.
La carte scolaire et
l'apartheid
Par Michel GODET - Libération - jeudi 08 septembre
2005
Professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).
La carte scolaire, qui visait pourtant la mixité, n'a pas
empêché la concentration sociale des enfants de milieux aisés
et cultivés dans les mêmes quartiers ainsi que la concentration
des enfants les plus défavorisés dans les ZEP (Zones d'éducation
prioritaire). C'est le prix du mètre carré qui fait la différence.
De même, les meilleurs enseignants sont aussi dans les collèges
et lycées de ces quartiers résidentiels du centre et de la
périphérie, là où vivent les cadres et les
professions supérieures alors que les enseignants moins expérimentés
sont envoyés faire leurs armes dans les zones plus défavorisées
notamment dans les ZEP. La carte scolaire renforce la ghettoïsation
de la société française par le haut.
Si la ségrégation urbaine est moins visible et plus émergente
en province, elle est criante en Ile-de-France où le marquage social
des quartiers est à un stade avancé. Le voisinage, les fréquentations,
les exemples de réussite ou d'échec autour de soi sont autant
d'éléments qui conditionnent les comportements et les trajectoires
scolaires des jeunes. L'ascenseur social de l'école républicaine
ne fonctionne plus, moins en raison du système scolaire qu'en raison
de l'apartheid urbain. Les élites, bien que divisées sur
le plan des idées, partagent les mêmes pratiques, ce qui n'est
pas sans poser problème. Ce sont toujours des responsables qui ont
réussi à l'école qui réfléchissent à
l'échec scolaire et des habitants de beaux quartiers qui décident
des politiques à mener pour des zones urbaines sensibles où
ils n'ont jamais vécu.
La concentration, dans les ZUS (Zone urbaine sensible), des enfants
de familles pauvres de biens et de liens et handicapées par les
origines sociales et la situation familiale, est un facteur multiplicateur
des inégalités de réussite. 80 % des établissements
publics situés en ZUS sont classés en ZEP. Les statistiques
disponibles ne permettent pas de savoir quelle proportion d'enfants des
ZUS va dans les ZEP, ni de mesurer d'éventuelles stratégies
d'évitement des familles.
Le rapport du ministère de l'Education nationale sur l'état
de l'école de 2004 révèle que 20 % des écoliers
et collégiens du secteur public sont concentrés dans les
ZEP, près des deux tiers d'entre eux étant des enfants d'ouvriers
et d'inactifs (soit le double de la proportion nationale). On est plus
que jamais «entre soi» comme le dit joliment Eric Maurin. Pourtant
ces jeunes bénéficient d'un encadrement plus important (10
% d'heures en plus par rapport aux autres élèves des collèges)
et s'ils «présentent en début de collège des
acquis scolaires plus faibles qu'ailleurs», ils sont au moins deux
fois plus en difficulté : «35 % ne maîtrisent pas les
compétences de base à la fin de l'école élémentaire,
13 % les maîtrisant bien ou très bien...les proportions sont
pratiquement inverses dans le reste de l'enseignement public.» Pour
l'Education nationale, ces écarts reflètent essentiellement
les différences de recrutement social. Et de conclure que pour les
ZEP : «Il n'y a pas de dégradation relative des acquis des
élèves, alors que les conditions sociales s'y sont, elles,
dégradées.» Cette conclusion est terrible : ce qui
est en cause, c'est la concentration des handicaps dans les mêmes
quartiers. Faut-il les raser comme le suggérait Malek Boutih ?
Les pouvoirs publics ne sont pas désarmés face à
cette situation. Ils peuvent jouer sur la politique du logement, renforcer
encore plus les moyens en incitant les professeurs les plus chevronnés
à se consacrer à ces établissements par des primes
incitatives et des accélérations de carrière plus
fortes. Actuellement, les enseignants mutés dans ces zones sont
moins expérimentés et restent moins longtemps à leur
poste. La politique du logement est plus délicate à manoeuvrer,
car elle rencontre les obstacles des comportements des familles. Les plus
aisées fuient. Quel Français né en France ou immigré
conscient de ces handicaps liés au milieu scolaire peut laisser
son enfant dans une école où une majorité d'enfants
n'est pas de langue maternelle française et accuse des retards importants
? Nous avons posé la question à Jean-Pierre Duport, ancien
préfet de la Seine-Saint-Denis. Sa réponse est sans appel
: «Personne.» Evoquant la situation de l'école primaire
Pavé-Neuf à Noisy-le- Grand, où 100 % des enfants
ne sont pas de langue maternelle française dans le primaire et 75
% dans le collège, il ne voit qu'une seule solution : «Geler
progressivement cent logements vacants et les attribuer d'un coup à
cent jeunes ménages de langue maternelle française ayant
des enfants en bas âge.» Cette idée est concrète
et séduisante, mais il faudrait pour l'appliquer une forte volonté
de la puissance publique en concertation avec les élus locaux.
En attendant, l'apartheid urbain et scolaire se renforce au détriment
de la santé des enfants : les problèmes de surpoids, d'obésité
et de caries dentaires y sont plus fréquents (problèmes d'accès
aux cantines), les retards scolaires persistent (problèmes de soutien
scolaire) et l'intégration républicaine par l'école
ne fonctionne plus guère (utilisation de plus en plus fréquente
de leur langue d'origine par les habitants). Tout se passe comme si la
ghettoïsation de la France par le haut développait le communautarisme
des populations immigrées reléguées dans les quartiers
sensibles. Il n'y a pas trop d'étrangers en France, ils sont seulement
mal répartis sur le territoire. Demain, ils seront encore plus nombreux,
venus du Sud à se tourner vers notre pays pour occuper les emplois
de professionnels vacants faute de candidats autochtones ; les laissera-t-on
s'installer au gré de leur cousinage ou aura-t-on comme nombre de
pays nordiques une politique d'immigration choisie et maîtrisée,
soucieuse de l'accueil et de l'intégration des nouveaux venus ?
Quand le laisser-faire conduit à de telles concentrations de handicaps
qui au final coûtent très cher à la collectivité,
celle-ci se doit d'agir de manière préventive plutôt
que répressive.
Un surinvestissement dans le capital humain répondrait aux attentes
des parents immigrés dont la volonté de mobilité sociale
est souvent à l'origine du projet migratoire et qui se distinguent
des autres parents de mêmes niveaux de vie nés en France par
des ambitions scolaires plus élevées pour leurs enfants.
Alors que faire pour redonner à l'école sa vocation de
creuset républicain et son rôle d'ascenseur social ? Supprimer
la carte scolaire, multiplier les possibilités de bourses d'études
et d'internats et les accorder plus généreusement aux enfants
de familles défavorisées. L'école doit concentrer
davantage de moyens sur les ZEP afin que les élèves y maîtrisent
mieux les compétences de base indispensables.
Il n'y a pas de fatalité. Tous les principaux de collège
savent que la moins bonne de leurs classes de sixième deviendra
l'une des meilleures des cinquièmes si on la confie aux meilleurs
professeurs. A cette fin, il conviendrait de lier les promotions et les
rémunérations des enseignants aux conditions d'exercice de
leur métier et à leurs performances. C'est en partie ce qu'a
mis en place le ministère en offrant aux professeurs exerçant
dans les quartiers difficiles cinq années de suite des possibilités
de mutation facilitées.
Mais dans cette perspective, il faudrait donner aussi aux chefs d'établissement
une plus grande autonomie dans le recrutement avec un droit de veto sur
les affectations et une possibilité d'influer sur les rémunérations.
La prime de mille euros par an n'est sans doute pas assez incitative ;
elle pourrait être complétée, à l'initiative
des municipalités, avec l'appui des collectivités territoriales.
Dernier ouvrage paru: le Choc 2006, éditions Odile Jacob.
Carte scolaire: risque de créer
des "ghettos scolaires"
(Cour des comptes)
afp 06 11 09 - La politique d'assouplissement de la carte
scolaire risque de créer des "ghettos scolaires", selon une enquête
de la Cour des comptes sur "les dispositifs de la politique de la ville
et de l'Education nationale dans les quartiers sensibles", dont l'AFP a
eu copie vendredi.
En 2008, sur les 254 collèges "ambition réussite", 186
établissements ont perdu des élèves, "ce qui s'est
traduit par une plus grande concentration dans ces collèges des
facteurs d'inégalités contre lesquels doit lutter la politique
d'éducation prioritaire", peut-on lire dans cette enquête,
réalisée à la demande de la commission des Finances
du Sénat.
Depuis la politique d'assouplissement de la carte scolaire engagée
en 2007, il s'agit des premières statistiques à caractère
officiel à ce sujet.
Le réseau "ambition réussite", créé après
les émeutes de 2005, regroupe les établissements les plus
en difficulté du système d'éducation prioritaire.
"Compte tenu d'une augmentation des demandes de dérogation de
29% en 2008, les effectifs des collèges ont évolué
de façon fortement différenciée selon les établissements
: certains ont pu enregistrer des pertes d'effectifs pouvant aller jusqu'à
10%, alors que d'autres connaissaient des progressions allant jusqu'à
23%", écrit encore la Cour des comptes.
Dans un même "bassin de formation", la Cour appelle donc à
une plus grande "coordination" entre les établissements scolaires,
afin de "lutter contre l'existence ou la constitution de +ghettos scolaires+,
en corrigeant les effets éventuellement négatifs des modalités
de sectorisation scolaire".
"A défaut, en effet, les effets de la concurrence aboutiraient
à un écart excessif entre les établissements, ce qui,
comme l'enquête PISA de l'OCDE le montre clairement, constitue une
des caractéristiques du système éducatif français
les plus défavorables à sa performance", conclut la Cour
à ce sujet.
Au ministère de l'Education nationale, on précise que
le ministre Luc Chatel attend d'ici fin 2009 une étude "plus détaillée"
de ses services.
Sans contester l'enquête de la Cour, le ministre veut mettre l'accent
sur les quelque 50 établissements "ambition réussite" qui
ont gagné des élèves et sont devenus "plus attractifs",
ainsi que sur la "satisfaction" des familles concernant l'assouplissement
de la carte scolaire
Un enfant sur dix vit dans un
logement surpeuplé, selon l'INSEE
AP - 07 01 08 - En France, un enfant sur dix vit dans un "logement
surpeuplé", selon une enquête
de l'INSEE publiée mercredi. En Ile-de-France, la proportion
atteint un sur cinq. Les familles monoparentales sont également
plus touchées que les autres.
Selon l'étude de l'Institut national de la statistique
et des études économiques, 11% des enfants vivent dans un
"logement surpeuplé". Dans les familles monoparentales, un enfant
sur cinq habite un logement où il manque au moins une pièce,
contre un sur dix pour les enfants vivant avec un couple, précise
l'INSEE.
En Ile-de-France, 25% des enfants vivent dans un "logement surpeuplé".
Ils sont 19% en Provence-Alpes-Côte-d'Azur. En Bretagne et dans les
Pays-de-Loire en revanche, moins de 5% des enfants vivent dans un logement
jugé trop peuplé.
Pour l'INSEE, l'indice de peuplement caractérise le degré
d'occupation du logement par comparaison entre son nombre de pièces
et le nombre de pièces considérées comme nécessaires
pour un ménage de cette structure. Ainsi il faut une pièce
de séjour pour le ménage, une pièce pour chaque couple
et pour les célibataires de 19 ans ou plus. Pour les célibataires
de moins de 19 ans, une pièce est attribuée pour deux enfants
s'ils sont de même sexe ou s'ils ont moins de 7 ans; sinon c'est
une pièce par enfant
L'INSEE note par ailleurs que 81% des mineurs vivent avec un couple
parental (63% avec un couple marié, 18% non marié). Ils sont
16% à vivre dans une famille monoparentale, contre 6% en 1968.
Selon l'enquête, qui prend le 1er juillet 2005 comme date témoin,
90% des enfants vivent avec au moins un parent qui occupe un emploi. Ils
sont 94% pour ceux qui vivent avec un couple parental, et 66% pour ceux
appartiennent à une famille monoparentale. "Ce dernier chiffre s'explique
essentiellement par la présence d'un seul parent au foyer. Les enfants
des familles monoparentales n'ont qu'un peu moins souvent des mères
en emploi (63%) que les autres (68%)", précise l'étude.
La proportion d'enfants vivant avec deux parents occupant un emploi
a augmenté à 53% en 2005, contre 49% en 1999. En revanche,
la part des enfants n'ayant, dans leur foyer, aucun parent qui travaille
n'a pas baissé par rapport à 1999, avec une proportion d'un
sur dix.
En 2006, le taux de pauvreté des enfants des familles monoparentales
est de 38%, contre 13% pour les enfants des couples (5% quand les deux
parents travaillent), précise l'INSEE. |