TABLE DES MATIÈRES
Introduction
1 Contre tout ce qui est obligatoire
2 Contre les canons de la pensée
3 Contre la très manifeste injustice de l'école
4
Contre la trouille
5 Contre l'oppression des adultes sur les enfants
6 Contre les maîtres
7 Contre la confusion entre apprendre, savoir, connaître
8 Contre l'assujettissement du sexe mineur
9 Contre le manque à vivre
10 Contre la normalisation
11 Parce que je t'aime et qu'on n'a rien à perdre
CATHERINE BAKER
INSOUMISSION
À L'ÉCOLE OBLIGATOIRE
A Marie que j'ai mise au monde
et qui me l'a rendu au centuple.
INTRODUCTION
À ton réveil, le jour de tes sept
ans : «Hein oui, maman, qu'aujourd'hui j'ai l'âge d'horizon?»
Je ne pense pas, enfant très chérie,
jamais avoir utilisé en ce qui te concerne les mots «liberté»,
«indépendance» ni même «autonomie».
Mais sans doute ai-je rêvé pour nous de largeur et même
de largesse où me plaît que murmure le sens d'une munificence.
La vie est tellement plus vaste que nous, Marie. Tellement.
Tu as quatorze ans et j'ai pris la responsabilité
de ne pas t'avoir mise à l'école. Depuis trois années
à peu près, j'estime que mon rôle de tutrice est accompli
et je te dois des comptes. Alors voici ce livre.
Je n'ai pas voulu de la crèche, ni de la
maternelle. Ni de l'école paternelle. D'abord parce que, de fait,
en dépit de la loi, elle est quasiment obligatoire. Raison suffisante.
Ensuite parce qu'elle est inutile. Enfin parce
qu'elle est nuisible.
Mon propos n'est pas de le démontrer. Un
grand nombre de pédagogues y sont très bien parvenus. Je
ne suis pas théoricienne et revendique d'aussi déraisonnables
raisons que de nous lever à l'heure que nous voulons, pour ne citer
qu'un des multiples exemples qui m'ont si souvent fait traiter de «mère
irresponsable». Je ne répondrai que devant toi de mon insoumission.
Non par devoir mais par reconnaissance pour tout ce que tu m'as donné.
1971 : j'allais avec mon gros ventre aux réunions
du Secours rouge et du tout jeune M.L.F., je lisais Tout. Je vivais
la guerre du Viêt-nam comme une sorte de troisième guerre
mondiale ayant partagé l'intérieur de chaque pays en deux
forces hostiles. Je contestais le journalisme comme toutes les autres manières
d'enseigner des choses aux gens. Rebelle? À l'époque, un
monde fou l'était (en janvier 72, le taux d'absentéisme des
usines Fiat à Turin était de 29 % !). Bref, j'étais
une jeune femme dans le vent.
Seulement vois-tu, petite, tout cela est passé
de mode et l'on s'étonne à droite comme à gauche de
mon entêtement. Pourtant tu me connais, je passe plutôt pour
une bonne femme bien sage: mère célibataire certes, mais
en grande tendresse de ton père, amoureuse d'une femme mais mère
de famille, sans emploi mais auteur de livres, sans ressources mais imposable
vaille que vaille une année sur deux ou trois. Nous utilisons même
la carte orange les mois d'aubaine. Nous ne sommes pas, tu m'en es témoin,
des marginales.
Osons faire cette provocation: reconnaissons que
rien dans ce que j'écrirai ici ne sera ce qu'on appelle une pensée
originale. J'ai lu un peu; dans les livres mais aussi dans la vie. Je te
fais un rapport, en somme. Des tas de gens très sérieux (puisqu'on
les étudie en classe!) ont contesté avant moi l'École
et l'État (sous ses formes publique et privée). On ne va
pas leur enlever le pain de la bouche. Notre affaire à nous, c'est
ce que, dans les milieux chics, on appelle le «passage à l'acte»,
c'est de ça que je veux te parler.
Je connais assez le milieu des pédagogues
(ne souris pas, c'est vraiment comme ça qu'on les appelle) pour
savoir qu'ils me lisent avec sournoiserie. Ils cherchent la faille: elle
est toute trouvée et béante: ils m'emmerdent. Leur masochisme
m'emmerde. Je ne joue leur jeu que de page en page autant que ça
m'amuse. Trois petits tours et je m'en vais.
Tu me diras que si les parents se veulent des
éducateurs, ils se risquent rarement à s'arroger le titre
bien défendu de «pédago». C'est vrai, mais je
ne bénéficierai guère pour autant de leur mansuétude.
Toutes ces années, j'ai dû faire face à si grande hargne
... Personne n'est dupe: défendant non pas l'École mais la
scolarisation de leurs mômes, ils cherchent à se justifier.
Mais est-ce que je les attaque? Je n'ai pas le goût de la harangue
ni du prosélytisme. Pourquoi alors mettent-ils flamberge au vent?
Coûte que coûte, les adultes veulent faire l'école aux
gamins. Pourquoi? Pourquoi cette angoisse réelle des parents par
rapport aux apprentissages scolaires? On a quasiment l'impression d'une
névrose collective. Il y a là un traumatisme à rechercher.
Un traumatisme qui remonte forcément au temps de l'école
...
Ne sommes-nous pas toutes et tous à même
enseigne selon ce vieux Freud qui disait à une mère anxieuse:
«Ne vous inquiétez pas, chère madame, quoi que vous
fassiez, ce sera mal»? Ce sera ... Mais pour le moment, soyons bonnes
vivantes. Le présent nous appartient.
L'une des plus grandes joies, peut-être
la plus grande, que m'ait données mon refus du service scolaire,
c'est de m'avoir honorée de l'intelligence de nos alliés.
Car certaines et certains, très très rares, nous ont soutenues.
D'autres, qui ne comprenaient pas, nous ont fait confiance «malgré
tout» et jamais ne nous ont trahies quelles que fussent leurs craintes.
Si je parle donc des gens «en général»,
c'est pour brosser le contexte d'où émerge le particulier.
Car dans ces pages il sera question de nos amis connus ou inconnus, individus
solitaires.
Mais il me faut d'abord t'assommer avec des considérations
dont tu ne vois sans doute pas vraiment l'intérêt; c'est qu'avant
de commencer, nous devons bien nous entendre sur quelques mots. J'essaie
de limiter les malentendus. Car c'est publiquement que je m'adresse à
toi. Autant il est vrai que ç'est en pensant à nous, à
nous seulement, avec le meilleur égoïsme possible, que je t'ai
évité l'école, autant je sais quelles conséquences
en découlent dans mes rapports à la société.
Et c'est librement que je descends dans la fosse affronter les serpents.
Des lycéens, en avril 1975, avaient sorti
un tract sous forme d'un détournement de Libération. Cette
lecture fut un grand plaisir et tu ne t'étonneras pas de mon bonheur
quand je trouvai en première page un appel à s'attaquer à
la prison de la Santé «comme symbole d'une société
que l'on refuse». Tu sais que ma lutte contre ton enfermement à
l'école est bien la même que celle qui fait de moi une abolitionniste
absolue; je refuse la prison comme je ne reconnais à personne le
droit de sanctionner quiconque. Jugements et diplômes sont des dénis
de justice, a priori. On n'a pas le droit d'enfermer des hommes ni entre
des murs ni entre des idées. (Ce nom que je n'ose prononcer, je
veux bien qu'il te soit murmuré dans ce chant qui me revient, de
Jacques Bertin : « [ ... ] ce mot liberté [ ... ] dites ce
mot à mivoix dites-le dites-le mais très bas douloureusement
comme une allumette qu'on protège du vent comme on parle d'un frère
unique et fragile qu'on a perdu comme on se parle pour soi seul dites-le
mais en dedans imperceptiblement puis dans la rue partout vivez dans la
pudeur et dans la force l'étonnement d'un deuil.»)
L'École est une institution protégée
par tous les pouvoirs en place. Oh elle change bien sûr! Comme les
formes de l'État qu'elle épouse. Ceux qui nous dirigent aujourd'hui
(ou ce qui nous dirige aujourd'hui) exigent (ou exige) de nous d'abord
de la dureté; il faut éliminer les faibles, tous; après
quoi, parmi les forts, il faut briser ceux qui auraient quelque velléité
d'être personnels, on a besoin d'hommes inhumains.
À l'école, c'est primaire mais
nécessaire de le répéter, on apprend à obéir
(instits, profs, pions, conseillers d'éducation, censeurs, proviseurs,
tous ont comme première fonction de sauvegarder l'ordre et la discipline).
Dans certaines classes, on vise à obtenir des gestionnaires sachant
compter jusqu'à deux, alors on peut pratiquer le travail en équipe
et tel ou tel simulacre de participation. Mais ce sont des fioritures de
papier crépon. L'essentiel est d'ordre disciplinaire, il ne peut
en être autrement et c'est pourquoi l'État concède
à l'Éducation nationale le premier budget civil de la nation.
Qui oserait dire que c'est par respect de la culture se verrait ridiculisé
par la comparaison même du budget de ladite Culture avec celui de
l'École qui en est nécessairement bien séparé.
Tous les ans, quatre-vingt mille Français sachant à peine
reconnaître leurs lettres quittent les classes, il suffira de quatre
à cinq ans pour qu'ils viennent grossir les rangs des deux millions
d'illettrés français. Encore ce chiffre (1) est-il
très optimiste. Ceux qui gouvernent nos vies ne sont pas hostiles
par principe à la transmission de certains savoirs, simplement ils
ont d'autres priorités en ce qui concerne l'éducation nationalisée
des enfants. Le problème, c'est que ni toi ni moi n'avons les mêmes
intérêts qu'eux à défendre. Tout est là.
1. Actualités sociales
hebdomadaires du 24 avril 1982.
Deux solutions: saboter le système ou
l'ignorer. J'ai choisi la deuxïème; la première est
sans doute possible pour des guérilleros et guérilleras aux
nerfs d'acier. Si ça te tente, je ne saurais trop te conseiller
de lire quelques numéros réjouissants du journal La truie
qui doute fait par des lycéens. Dans celui de décembre
81, ils exigeaient cinquante élèves par classe; l'argumentation
était la suivante: 1) À cinquante par classe, les élèves
sont plus libres, le maître ne peut s'en occuper personnellement;
ils peuvent apprendre ce qu'ils veulent quand ils veulent; 2) À
cinquante, l'ambiance est chaude, on peut chahuter, «la socialisation
de la jeunesse est donc plus rapide» ; 3) L'enseignant craque forcément
au bout d'un temps plus ou moins long. Il part en congé maladie.
Un remplaçant est recruté. Avantages: un malade en plus (donc
amortissement plus rapide des cliniques de la Mutuelle générale
de l'Éducation nationale), un chômeur en moins.
Nous avons pris une autre voie que le gai sabotage,
passant comme des oiseaux au-dessus des lignes Maginot de l'éducation
surveillée. (Pléonasme: toute éducation est surveillée.)
Je reviendrai à loisir sur cette si fameuse
responsabilité que j'aurais prise en ne te scolarisant pas. Car
on ne m'envoie pas dire que j'abuse de mon pouvoir. Il sera donc beaucoup
question dans ces pages d'autorité, d'adultes et d'enfants.
Le drame, chérie, c'est que je ne sais
pas ce qu'est un enfant.
La grande différence que je vois entre
ce qu'on appelle un adulte et un enfant, c'est que le premier, dans l'ordre
des probabilités, est plus près de la mort.
Il s'ensuit que je ne rejette pas seulement l'école
mais aussi l'éducation (et a fortiori toute pédagogie), si
ce n'est l'éducation réciproque qui a cours entre toutes
personnes égales amenées à se fréquenter; mais
utilisera-t-on alors ce mot?
Avant toutes choses, nous garderons donc bien
à l'esprit que nous ne pouvons entendre quiconque parler d'éducation
sans préalablement l'interroger sur la conception qu'il se fait
de l'enfance. C'est ici que se noue la grande affaire.
Quant à moi, je n'emploierai les mots
«adulte» ou «enfant» que pour désigner des
personnes plus ou moins éloignées de leur naissance (douées
éventuellement des caractéristiques socioculturelles que
leur impose l'entourage).
Il ne t'a pas fallu douze ans pour comprendre
qu'ordinairement qui dit enfant dit « futur adulte» : l'enfant
n'est rien dans son présent qu'un devenir. On admet alors sans peine
que c'est par la force qu'il faille préparer un être au servage
huit heures par jour (sept heures et demi si on croit aux lendemains qui...),
cinq jours par semaine, onze mois par an et quarante ans de sa vie. Bien
sûr, on a dit sur tous les tons une vérité très
simple : qu'il était nécessaire de créer et de produire
pour se loger, se nourrir, avoir chaud, se faire plaisir, etc., mais que
deux heures de production quotidiennes apparaissaient déjà
plus que raisonnables dans la société telle qu'elle est.
Ça, vois-tu, ce n'est pas en le démontrant qu'on le fait
admettre; ç'est en s'y employant.
En attendant, le mépris évident
que les adultes nourrissent à leur égard vient de ce que
les enfants sont matériellement à leur merci, n'ayant aucun
moyen d'acquérir leur indépendance financière; ils
sont dits adultes lorsqu'ils deviennent productifs.
Cependant, il faut bien rentabiliser ce temps
perdu, d'où l'instruction (militaire, scolaire, religieuse) qui
suit l'éducation comme son ombre. La préface de L'Enfant
et la vie familiale sous l'Ancien Régime est très éclairante
et dit bien le côté artificiel de la séparation entre
enfants et adultes : «À partir de la fin du XVIIe siècle,
l'école s'est substituée à l'apprentissage comme moyen
d'éducation, Cela veut dire que l'enfant a cessé d'être
mélangé aux adultes et d'apprendre la vie directement à
leur contact. Malgré beaucoup de réticences et de retards
il a été séparé des adultes et maintenu à
l'écart dans une manière de quarantaine avant d'être
lâché dans le monde. Cette quarantaine, c'est l'école,
le collège. Commence alors un long processus d'enfermement des enfants
(comme des fous, des pauvres, des prostituées) qui ne cessera plus
de s'étendre jusqu'à nos jours et qu'on appelle la scolarisation
(1)»
1. Philippe ARIÈS, L'Enfant
et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Seuil, 1973 (Préface),
Et pourquoi cet enfermement? Pour la même
raison qu'on enferme les délinquants. Parce que, pendant ce temps-là,
«ils ne font pas de bêtises». Interroge une dizaine d'adultes,
tu verras. Neuf sur dix (je suis bonne) te diront que si les jeunes n'avaient
«rien à faire», ils s'ennuieraient. Un gosse qui s'ennuie,
ça va de soi, ne peut rien faire d'autre que d'enquiquiner le pauvre
monde. Et on occupe les enfants comme on occupe un pays.
Il y a des gens que ce rejet des enfants scandalise
encore, même si la mode, en ce domaine comme en d'autres, est de
nos jours au cynisme. Et je m'incline d'abord avec un tendre respect devant
Godard qui, dans France, tour, détour, deux enfants a fait
une œuvre superbe non pas sur les enfants mais avec les enfants. Peux-tu
imaginer quelqu'un filmant l'intelligence? Ou l'ennui ? Il l'a fait, je
te le jure!
De l'école, jamais on ne pourra mieux
parler que dans ce film qui montre et démontre où commencent
l'aliénation et la douleur. La séquence sur la classe est
insupportable. Et pourtant, ce n'est rien que de l'ordinaire. La maîtresse
est très gentille. Très gentille. Mais sa voix si gentille
est bientôt intolérable dans sa douceur même. Un enfant
doit copier dix fois un paragraphe, «ce n'est pas bien méchant»,
mais des tanks passent et repassent, et des images de guerre nous disent
qu'il n'y a pas de petits viols. Et puis encore ce plan d'un enfant au
tableau. Silence. La voix off de Godard : «impression de solitude».
Dans tout ce film, une admirable maïeutique (ça signifie l'art
d'accoucher quelqu'un de sa propre parole: arriver à lui faire dire
ce qu'il veut dire). Les enfants parlent avec une précision inouïe
de ce qu'on leur demande de vivre; le moment de la récréation
- pourquoi crie-t-on quand on sort dans la cour? »- et celui qui
traite de la «participation» à propos des méthodes
«actives» (car c'est une école moderne, libérale
et tout) sont des dénonciations cruelles et inoubliables.
Tu vois, je ne résiste pas au plaisir
d'en parler à ceux que j'aime. Ça doit être ça
que les autres appellent la «transmission du savoir».
Je ne me bats pas pour les enfants mais pour moi
et je défends mes idées comme une bête défend
son territoire.
Je pourrais aussi bien - si j'avais l'âme
juridique - refuser l'école obligatoire au nom des Droits de l'Homme.
Absolument. (Et nous y reviendrons.) Car il est inique de nous contraindre,
enfants ou adultes, à écouter un maître qu'on nous
impose qui exige de nous de l'attention. De l'attention! C'est qu'elle
est précieuse, notre attention, nous en avons besoin pour mille
choses vitales et nous avons grand intérêt à ne pas
la laisser détourner par n'importe qui. Mais surtout nous nous devons
de choisir ce qu'on nous met dans le crâne: la publicité télévisée
ou scolaire doit être soumise à critique; on n'a pas plus
le droit de me faire gober Xénophon, Charlemagne, Marx ou Watt que
du Banga, du Lévitan ou du Paic citron.
Celles et ceux qui ont refusé de mettre
leurs enfants à l'école avaient le choix entre au moins deux
possibilités : soit agir seuls, soit se regrouper pour s'occuper
ensemble de leur progéniture. C'est ce qu'on a appelé «
écoles sauvages» ou «écoles parallèles»
et je dois malheureusement ici établir quelques distinctions (c'est
qu'en ce domaine, beaucoup ne s'embarrassent pas de nuances pour le plus
grand dommage des beaux débats d'idées ... ).
L'expression «école parallèle»
a été créée par les journalistes; ils n'auraient
pu trouver pire. Ils voulaient mettre l'accent sur l'alternative à
l'école que représentait cette prise en charge communautaire
des enfants. Ils ne furent pas très aidés, reconnaissons-le,
par les premiers d'entre nous qui s'étaient jetés dans l'aventure
et se moquaient absolument de ce qu'on dirait d'eux dans les médias.
Qu'on ne s'étonne pas alors de voir telle association, l'école
J., possédant ordinateur et magnétoscope, réclamant
vingt mille francs par an et plus pour la scolarité de chaque élève,
s'appeler elle-même «école parallèle» sous
prétexte qu'elle n'a pu se faire reconnaître par l'Etat.
Dans un autre livre, je raconterai ce que j'ai
vu au cours d'une enquête menée auprès des enfants
qu'on a volontairement protégés de l'École, mais ce
n'est pas une révélation que d'annoncer dès ici combien
ce rejet est, en France, minoritaire. Il implique un choix global de refus
des rapports institutionnalisés et tu te doutes bien que cela provoque
d'autres remises en question, comme celles de la famille ou du salariat.
Ceux qui se bornent à critiquer l'enseignement
«tel qu'il est» et craignent d'aller plus loin réamorcent
un processus de scolarisation qui font de leurs écoles parallèles
les «écoles nouvelles» de demain.
D'autres que moi s'intéressent à
ce qu'on pourrait croire des tentatives de contestation de l'école
et qui ne sont, pour l'Éducation nationale, que la, nécessaire
expérimentation (peu coûteuse) de méthodes et disciplines
modernes bientôt à même de remplacer des études
si ridicules que plus un enseignant n'ose les défendre aujourd'hui.
La corporation cependant fait comme si de rien n'était et, en mai
82, on se chamaillait au sujet du laïc et du privé. Captivant,
n'est-ce pas?
Tu n'en as rien à foutre et moi non plus.
Mais il vaut mieux le dire à intelligible voix car, à tous
les coups, quand nous parlerons d'une alternative à l'enseignement,
eux vont encore nous remettre la question du privé sur le tapis.
Ne voient-ils donc pas qu'il va se passer pour
l'École ce qui s'est passé pour l'Église? En quelques
courtes années, la cathédrale s'est effondrée comme
un château de cartes. Certes il reste des catacombes et je ne nie
pas la fidélité de quelques croyants isolés, mais
on ne peut même plus imaginer quelle emprise la religion chrétienne
exerçait sur la société française il y a à
peine vingt ans.
Tout le monde pense aujourd'hui que, hors de
l'École, il n'est pas de salut. On te plaint, ma pauvre enfant,
on te voit au ban de notre civilisation. Dans quelques années, personne
ne remarquera même que tu auras pris quelques longueurs d'avance.
À dire vrai, nous savoir «dans le sens de l'histoire»
m'est parfaitement indifférent et je ne le fais remarquer que pour
exciter les parieurs. L'Éducation nationale n'aura qu'un temps.
Ça sent déjà la fin. J'avais vraiment éclaté
de rire en voyant cette campagne de pub de mai-juin 1981 dont les affiches
à la mine de faire-part au liseré gris valaient leur pesant
de cervelle! On avait eu droit à une série de six visages
(masculins, bien sûr), deux à chaque parution; il y avait
d'un côté le cravaté qui était l'intello, de
l'autre le col roulé ou même pas col roulé qui représentait
le pauvre mec qu'avait pas fait d'études. Le premier disait: «Sans
bac, on ne peut rien faire» et l'autre en face: «Le bac de
nos jours, cela ne sert plus à rien»; ou bien «On se
demande vraiment ce qu'on leur apprend à l'école» face
à : «Avec les nouveaux programmes, j'ai du mal à suivre
les progrès de l'aîné» ; ou encore: « On
leur enseigne l'économie alors qu'ils ne connaissent rien à
l'histoire » et le pas doué rouspétait : «Ce
n'est pas en apprenant des dates par cœur que les enfants seront armés
pour la vie». On apprécie les variations sur thèmes.
Au bas de ces placards, sous la signature du ministère de l'Éducation,
on pouvait lire ce texte incroyable:
« Attention! Méfions-nous
des jugements à l'emporte-pièce. Nos opinions d'adultes sur
l'école sont souvent pertinentes.
« Mais, exposées sans prudence,
elles troublent nos enfants. Ils ont parfois le sentiment que nous leur
demandons d'adhérer à une institution que nous dénigrons
par ailleurs. Leur école ne doit pas être le terrain de nos
conflits. Le moyen d'éviter ce risque existe. Les enfants acceptent
de s'intégrer à l'école quand il y a dialogue entre
enseignants et parents. Les enseignants sont des professionnels. Ils exercent
leur compétence et assument leurs responsabilités.
« Les parents facilitent le déroulement
harmonieux de la scolarité en témoignant, à titre
individuel comme dans le cadre d'une association dans les conseils de classe,
d'école et d'établissement, de leur intérêt
pour la vie scolaire.
« Parents et enseignants doivent prendre
l'habitude de se rencontrer. »
Combien d'années a devant elle une Éducation
nationale qui en est réduite à se payer des pages de publicité
dans la presse pour tenter niaisement de contrecarrer la vox populi qui
lui retire ses faveurs?
« La raison du plus fort est souvent ébranlée
(1)
... »
1. Tiré de Commune Mesure,
n° 6, proverbes d'enfants recueillis par JeanHugues Molineau dans
une classe de cinquième.
Insoumission à l'école obligatoire -
Baker Catherine - Réédition
2006
ISBN 2-912631-12-2
208 p.
Les Cahiers au feu - Baker Catherine- éd. Barrault/Flammarion
- Indisponible
juillet 1988 isbn : 2-7360-0079-X
gencod : 9782736000790 18,29 EUR
Il
existe sur Terre une espèce animale
où
le petit sortant du ventre de sa mère est pris par les pattes de
derrière
et,
tête en bas, battu, jusqu'à ce qu'il hurle, par un adulte.
Puis
ayant été retourné en tous sens, il est emballé,
et déposé à l'écart.
LES
ENFANTS D'ABORD
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