n°
13 - avril 1978 - 49 fr
Alors,
on n'a pas école aujourd'hui?
Faire
bouger Goliath,
par
Henry Dougier
Ces pratiques
alternatives: un modèle?
Des
« lieux pour enfants » où s'inventent d'autres rapports,
par
Catherine Baker, Jules Chancel
Cinq expériences,
cinq itinéraires
-
La Barque, comme le nom l'indique
-
Le Toboggan, avant la chute ... ailleurs
-
Le Moulin des souvenirs
-
L'Ecole en Bateau à contre-courants
-
Le projet Jonas,
Jonas-en-Corrèze
: un réseau
D'autres lieux
Mais
qui, diable, va dans ces «écoles» et pourquoi ?
par
Catherine Baker
-
La Roulotte
-
L'Ecole et la Ville
-
Le groupe de Houilles-Argenteuil
-
Terrevigne en Beaujolais
-
Belbezet
-
Le Har
-
La Commune
-
L'A.C.C.E.N.
Critiques et
réponses
Attaques
... et hésitations ...
Parades
... et auto-critiques
Deux
bilans :
«
Attention Ecole », 73-74
«
La Mosaïque », 75-76
Une «
théorie»
Où
il n'est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques ...
mais de politique!
par
Jules Chancel
Face
à face, l'enfant et l'adulte
Confrontations
Plusieurs
silences bien gênants ! (Guy Avanzini)
Je
demande toujours : quoi de neuf ? (Fernand Oury)
Prendre
la tangente
(Fernand
Deligny)
Une
alternative? Non, une reproduction du système scolaire (Etienne
Verne)
La
longue marche des innovateurs (Louis Legrand)
Vitruve,
une école perpendiculaire ... (L'équipe de la rue
Vitruve)
Le
lieu central de lutte, c'est l'école publique !
(Jacques
Guyard)
Comment
enclencher sur le milieu populaire ? (Bernard Defrance, Louis Caul-Futy)
«
L'initiation » plutôt que la pédagogie (René
Schérer)
Ecoles
parallèles ... Lieux de vie ... Réseaux (Liane
Mazère)
BRITISH
WAY OF LIFE
Le "modèle"
anglo-saxon, libéral ... et blairo-socialiste...
ÉCOLES
ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit
compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre
par le gouvernement travailliste..
Royaume-Uni
: L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur
unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination
à l’encontre des élèves pauvres.
Directeur
d'école en Grande Bretagne :
« Le métier
a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable,
on a plus de pression,
on nous demande plus de résultats. »
Deux
fois plus d’enseignants sont partis en retraite
anticipée au cours des sept dernières années.
35%
des élèves de 11 ans ne savent pas lire.
Un
ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.
Ecoles
publiques fermées aux pauvres. Un rapport émis
par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants
du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité
des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions
de "sélection" d’élèves sont organisées, durant
lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".
Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants
dans l’école de leur choix. En écartant les élèves
issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent
rehausser leur taux de réussite aux examens.
Selon
l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs
résultats au monde :
FAUX !
...
& Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.
Les
écoles anglaises pourront être gérées par des
"trusts".
L’école
britannique livrée au patronat. En mars 2000, le Conseil
européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif
à la politique de l’Union en matière d’éducation de
produire un capital humain rentable au service de la compétitivité
économique.
Le
créationnisme aux examens.
"BAGUE
DE VIRGINITE" : Une
adolescente anglaise, fille d'un pasteur
évangélique, perd son procès en Haute Cour.
Grande-Bretagne
:
l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire
Grande-Bretagne
:Les
sponsors au secours de l'école
Empreintes
digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni
réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création
d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.
Naître
et grandir pauvre en Grande-Bretagne est encore plus pénalisant
que dans d’autres pays développés.
Un demi-million de «sans-logement». A
Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.
Un
demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".
«tolérance
zéro» et conditions de détention intolérables.
Plus
de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.
«Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est
l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»
Les
frais très élevés d’inscription universitaire dissuadent
les étudiants issus de familles modestes de s’inscrire en fac.
De
plus en plus d’étudiantes se prostituent ou travaillent dans l’industrie
du sexe pour payer les frais d’inscription de leur université.
Plus de 350 000 Britanniques ont quitté leur île en 2005 pour
jouir d'une vie meilleure
Les
jeunes Britanniques se voient vivre ailleurs. Difficulté d'
acquérir un logement, hausse de la fiscalité et indigence
des services publics, en particulier les transports et le système
de soins.
M.
Ernest-Antoine Sellière, alors président du patronat français
:«
Je suis un socialiste britannique »
Londres,
paradis des milliardaires.
Selon
des rapports de l’ONU et de la Banque mondiale : « Au Royaume-Uni,
les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes
du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria,
et plus profondes que celles que l’on trouve, par exemple, à la
Jamaïque, au Sri Lanka ou en Ethiopie .»
Grande Bretagne : premier
pays où chaque déplacement de véhicule sera enregistré.
Les
Britanniques inventent l'ultrason antijeunes.
De
plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool.
Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop
bu a augmenté de 20% en un an.
Beuark.
Ségolène
Royal rend hommage à la politique de Tony Blair.
AMERICAN
WAY OF LIFE... |
Archives
(1978)
Face à face, l'enfant
et l'adulte
Jules Chancel
Poser face à face l'enfant et l'adulte et imaginer
ce que pourrait être une « théorie » de cette
confrontation.
1) Reconnaître d'abord qu'il n'existe pas pour
l'enfant d'endroit idéal, qu'il soit officiel et parallèle.
Il ne peut y avoir de tel paradis spécialisé parce que l'enfant
se définit en même temps par rapport à sa vision spécifique
et par rapport à la loi adulte.
2) Constater la situation foncièrement contradictoire
du pédagogue: défenseur acharné de l'autonomie enfantine
n'est-il pas, de ce fait, un manœuvrier qui impose, en douceur, sa sacro-sainte
pédagogie? Et, que refoule-t-il dans cet acharnement?
3) Définir, au-delà de la pédagogie,
un terrain de rencontre entre ces deux protagonistes que sont l'enfant
et l'adulte. Imaginez une « théorie pour rire » de ces
rapports qui sentent le soufre et le code pénal.
4) Dépasser ce qu'on peut considérer comme
une « morale de la (nécessaire) structuration » pour
trouver dans la forme institutionnelle la genèse de la séparation
enfant/adulte. L'institution-Ecole perpétue cette ségrégation
en prolongeant la famille.
5) Butter sur cette angoissante question: peut-on être
parent d'une façon politique? Distinguer le lien parental du lien
familial. Rêver un cadre dans lequel des relations chaleureuses puissent
se nouer entre enfant et adulte, en dehors du carcan familial.
6) Proposer en final la forme et la taille souhaitables
d'un lieu non pédagogique où pourraient se rencontrer enfants
et adultes.
Une chose est sûre, pour commencer. La Révolution
ne viendra pas plus des enfants que des plantes, de l'acupuncture ou de
la psychothérapie de groupe. On aura peut-être l'impression
de prendre les choses à la base, mais il ne faut pas se faire d'illusions:
ON NE FABRIQUE PAS DANS LES ÉCOLES PARALLÈLES, DES
PRODIGES, NI MÊME FORCÉMENT DE FUTURS ADULTES « BIEN
DANS LEUR PEAU ». Des flics heureux, des balayeurs satisfaits ou
des artistes sans complexe, comme l'écrit Neill à propos
de ses anciens élèves de Summerhill.
Une fois pour toutes: un adulte - en-devenir?
Pas d'histoire! il n'y a pas et il n'y aura pas d'exemplarité
massive des écoles parallèles. Quant au lien nécessaire
entre une éducation libre et une structuration positive de la personnalité,
les choses sont bien trop complexes pour qu'on puisse, par avance, spéculer
sur une réussite qui justifierait l'entreprise. Le scepticisme comme
système? Non, mais c'est une bonne méthode d'analyse, tant
il est difficile de dégager une pratique quelconque de tout un fatras
de mythes et d'idéologies.
L'exemplarité d'abord: il y a le vieux truc de
la taupe, de la contre-culture, qui s'étend et qui sape les bases
de l'ancien monde. Peau de balle! Le système est solide, en particulier
celui de l'enseignement en France, et tout spécialement pour ce
qui est des maternelles, et plus encore, du primaire. Le principe de l'école
laïque, obligatoire est largement admis.
Envers et contre tout, le prolétariat croit à
l'égalisation des chances par l'Education nationale et si, au niveau
du secondaire, la réalité de la sélection sociale
est difficile à masquer, personne, ou presque, ne remet en cause
les bonnes vieilles communales, d'autant que maintenant elles sont souvent
pimpantes, égayées de joyeux découpages et d'affiches
multicolores. On proteste, avec raison, contre une pédagogie ségrégative,
mais on ne s'interroge guère sur le fondement d'une éducation
organisée, contrôlée par l'Etat.
Il y a accord sur l'idée d'une enfance en devenir
dont l'Etat a la charge, pour l'amener progressivement au stade définitif
de l'adultéité. Une fois cette idée admise, tout le
reste en découle. Philippe Ariès, dans son grand ouvrage
sur l'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, démontre
la simultanéité et l'enchaînement de l'apparition des
cadres conceptuels et sociaux. Il écrit dans sa conclusion: «
La famille et l'école ont ensemble retiré l'enfant de la
société des adultes », pour finir sur cette expression:
« Le sentiment de la famille, le sentiment de classe, et peut-être
ailleurs le sentiment de race apparaissent comme les manifestations de
la même intolérance à la diversité, d'un même
souci d'uniformité ».
Peu de « spécialistes » ont l'ampleur
de pensée d'un Ariès et, si la plupart des critiques portent
sur la pédagogie, sur son contenu et sa finalité, c'est que
le reste est verrouillé: L'ENFANT EST POSÉ UNE FOIS POUR
TOUTES COMME UN ADULTE EN DEVENIR; LA RÉFLEXION PORTE SUR LE DEVENIR.
Il n'est pas utile de parler de l'enfant, sinon comme
d'un être fragile à protéger (à remarquer d'ailleurs
que, très souvent, les ouvrages généraux et critiques
sur l'éducation ne prennent pas la peine de distinguer entre petits,
moyens et adolescents.
Illich,
par exemple, a des pages vibrantes sur l'utilisation des media scolaires,
mais on ne sait pas bien à quels enfants cela s'adresse) .
Dans ces conditions, tant que la notion d'enfance ne
sera pas complètement révisée, l'exemplarité
de l'école parallèle sera très limitée.
Au mieux, certains aspects de liberté et de créativité
pédagogiques pourront intéresser les penseurs et organismes
de pointe de l'Education nationale, comme l'I.N.R.D.P., mais là
encore, il ne s'agirait que de pédagogie, c'est-à-dire de
ce qui n'est pas l'essentiel. Et puis, de toute façon, le statut
même de l'enfance ne peut pas être envisagé en dehors
d'une réflexion plus globale sur la famille, le salariat, l'idéologie
bref, sur une société de classe.
Christiane Rochefort («
les enfants d'abord ») a raison de critiquer, entre autres,
les déclarations pieuses du type «Déclaration des droits
de l'enfance» de l'U.N.E.S.C.O., parce qu'elle « confirme
le statut de protégé et la discrimination de l'enfance ».
Mais elle a tort, quand elle annonce, et c'est toute la problématique
de son livre: « Il faut poser les enfants d'abord, comme dans
les naufrages ( .. .) Mais on ne peut pas analyser ensemble parents et
enfants: ce ne serait plus une analyse, ce serait une discussion ».
Pour autant que l'école et la famille «
marchent » ensemble, parler de l'une sans faire référence
à l'autre, c'est forcément mener une réflexion boîteuse.
Il y a bien sûr l'idée d'espace, d'autonomie, par rapport
à la famille, que l'enfant trouverait à l'école, avec
ses copains, sa classe d'âge. Même si l'on reconnaît
l'aspect essentiel des copains, on remarquera que les amitiés d'école
se structurent souvent sur le mode familial et idéologique dominant
(ségrégation sociale, sexisme fermé, hiérarchisation,
etc.) et qu'en tout état de cause, la famille comme les institutions
scolaires et para-scolaires est bien là pour limiter les aspects
autonomes de ces amitiés: les copains d'école ça doit
être comme les collègues de travail. Faut pas se mouiller.
..
Qu'est-ce qu'un lieu de liberté pour les enfants?
Si l'école parallèle n'est pas vraiment
un exemple à suivre, elle peut alors être considérée
comme un laboratoire où l'on produirait en série des «
mutants équilibrés ». C'est l'idée d'un environnement
optimal qui devrait permettre à la cire vierge de l'enfant de se
modeler au mieux selon ses propres besoins. On pourra faire référence
à Bruno Bettelheim, et vouloir étendre ses enseignements
à des enfants « normaux ». Voilà le raisonnement:
les écoles parallèles constituent pour les enfants
un réel espace de liberté relative ; donc les enfants qui
ne cessent pas de pousser, vont se développer dans la liberté,
c'est-à-dire dans la positivité. A ce raisonnement, on ne
souscrit ici que très partiellement. -
Sceptique sans relâche, incisif si possible, on
posera deux questions. La première a trait, bien sûr, à
la relativité de la liberté dans l'école parallèle,
mais ce n'est pas la peine d'insister de nouveau. La seconde, plus fondamentale
en l'occurrence, porte sur la réceptivité obligée
de l'enfant à ce que les adultes considèrent comme un environnement
optimal. S'il n'est pas possible ici de comprendre les modalités
de structuration et d'adaptation de la personnalité enfantine en
fonction des cadres qui lui sont, par les adultes, imposés ou, au
mieux, suggérés, on peut tout de même réfléchir
sur l'ambiguïté de la notion de cadre optimal.
Prenons l'exemple de la mixité. Il est sûr
que désormais la mixité est considérée comme
un élément hautement positif, dans l'esprit des parents participant
à des écoles parallèles tout au moins. Il va
donc se tenir - à La Barque, c'est très fréquent -
de nombreuses discussions autour du thème: « Pourquoi le
groupe des garçons s'oppose-t-il à celui des filles? Il faut
y remédier ». C'est là, sans doute, mal poser le
problème. On oublie qu'il existe une phase (mais est-ce une phase?)
d'identification homosexuelle dans laquelle passent, de façons différentes,
les petits garçons et les petites filles. Mais ce n'est pas l'essentiel.
On voudrait surtout imposer aux enfants un fonctionnement idéal
qui procède tout droit d'une logique adulte, et plus précisément,
d'une logique unanimiste propre à une certaine petite bourgeoisie
progressiste. Pourtant, féminisme ou pas, il existe un côté
des petites filles, et un côté des petits garçons et
d'autres côtés encore (« Take a walk on the wild
sides » chante Lou Reed).
En la matière, ce que l'observateur adulte peut
souhaiter n'est pas autre chose que le fonctionnement effectif des enfants:
une circulation complexe et ininterrompue entre des bases (garçons
et filles), une série de rencontres, de disputes, de retrouvailles
et de repliements sur et à partir d'espaces bien différents
et délimités, l'espace de chaque sexe.
En définitive, UN LIEU DE LIBERTÉ POUR DES
ENFANTS N'EST PAS UN LIEU OPTIMAL, NI UN LIEU NEUTRE, MAIS BIEN PLUTÔT
UN THÉÂTRE, UN PLATEAU ENCOMBRÉ, où se joue
sans cesse une pièce complexe dont les rôles sont autant de
désirs. Les enfants du Paradis? Non, car on oublierait alors un
des protagonistes, l'adulte avec un grand A.
Il n'y a pas de monde autonome de l'enfant!
On en arrive là au point central de l'analyse,
à la pétition de principe: il n'y a pas de réflexion
ni de pratiques critiques sur l'enfance si l'on ne prend pas en ligne de
compte le lien indissoluble qui unit l'adulte et l'enfant, et plus précisément
(mais pas exclusivement) le parent et l'enfant.
Tout de suite indiquer un préalable: on va imaginer
des rapports de rêve et de plaisir entre adultes et enfants. On y
croit dur comme fer. Mais ce que l'on va écrire ne devrait pas apparaître
comme un impératif, un objectif moral. Il s'agit pour le moins d'une
extrapolation, pour le mieux d'une pratique. On veut dire par là
que des rapports différents entre adultes et enfants ne sont possibles
que dans la mesure où il se vit autre chose que la norme familiale
et scolaire. C'est dans le processus lui-même, dans le désir
et le doute, dans la critique vécue comme une sorte de nécessité
existentielle que peuvent s'imaginer et se construire de tels rapports.
C'est une question politique, en somme.
Autant on peut reconnaître qu'il existe une spécificité
de l'enfance, une perception et un espace mental différents des
catégories adultes, autant on ne croit pas à un monde «
autonome » de l'enfant, qui fonctionnerait non pas seulement en réaction
contre les adultes, mais sans référence à ceux-ci,
selon une logique propre, naturelle pour tout dire. L'enfant, dans la concrétude
la plus quotidienne, comme dans son inconscient, tient sans cesse compte
de sa position par rapport à l'adulte. Il ne se contente pas d'apprendre,
il accommode; il accommode tout l'attirail des adultes à ses désirs
d'enfants. Pas si simple, d'ailleurs, de parler de « désir
d'enfants ». Pour autant que l'enfant désire, et vit largement
en fonction de l'adulte et de son discours.
La spécificité de l'enfance ne réside-t-elle
pas justement pour une part dans ce décalage qui existe entre le
discours de l'adulte et la traduction qu'en donne l'enfant? Il ne s'agit
pas là de paliers d'intelligence, tels que Piaget a pu le définir,
mais bien plutôt de la structuration progressive selon le langage
et selon le désir des parents. L'ENFANT SE SOUMET À LA LOI,
A SA LETTRE, MAIS IL L'INTERPRÈTE AUSSI, ET IL EN DONNE UNE CURIEUSE
JURISPRUDENCE.
Il est aussi faux d'imaginer un état bienheureux,
naturel, voire animal de l'enfant, que de suivre exclusivement chez lui
une maturation régulière vers l'état adulte. Très
vite, l'enfant se socialise sur le mode adulte, mais il n'est pas pour
cela un petit adulte. Il est un interprète dans les deux sens du
mot: il traduit et il joue d'ailleurs son jeu favori, c'est l'interprétation.
Prenons un garçon de 5 à 6 ans : un dur,
un vrai. Il répète plusieurs fois « policeman-cul »,
« policeman-cul ». Tiens! Une référence anglo-saxonne.
Ce garçon sait déjà où réside la puissance
: dans la métropole américaine, dans la Babylone moderne.
Mais pourquoi ramène-t-il le pouvoir au sexe, ou, au moins, à
l'analité? Eh bien, il interprète. Il aime bien les flics,
les représentants de l'ordre, les comiques de la loi, et il se plaît
à ramener ce qu'il aime à ce qui est le référent
de tout son discours, le cul, la merde.
Il n'est pas question pour nous (l'auteur majestueux)
d'interpréter, d'interpréter comme un adulte vaguement imprégné
de littérature analytique, mais simplement de comprendre comment
un enfant prend sans relâche son plaisir à retraduire sur
son mode le discours par rapport auquel il doit se définir. Le discours
de la société, le discours des grands.
Que viennent faire les pédagogues?
Que vient faire le pédagogue dans toute cette histoire?
En général, il est là pour amener les petits adultes
à l'état royal de citoyens majeurs. Il le fait d'autant mieux
qu'il aime profondément les enfants, « ses » enfants.
L'instituteur progressiste reconnaîtra même une autonomie de
l'enfant, qu'il s'efforcera de protéger, en devenant le sincère
« camarade » de ses élèves. Dans les remarquables
expériences de Hambourg (dans les années 20) que raconte
J .R. Schmid, (le Maître-camarade, Maspero) les instituteurs
postulaient que « l'école ne (devait) plus être une
préparation à la vie, mais la vie elle-même »,
une vie d'enfants libres, dégagée notamment de toute préoccupation
économique. Ils bannissaient de leur pratiques toute notion de but,
de devenir: « leur attitude antifinaliste ne se restreignait pas
au problème de l'instruction, mais s'étendait à toute
conception téléologique de l'éducation ».
On voit que le statut classique du pédagogue est
largement remis en question. Pourtant, on ne saurait maintenant se satisfaire
de cette notion de camaraderie qui devait marquer les relations enfant/pédagogue.
Schmid la critique, mais pour ce qu'elle n'intègre pas la dimension
de respect, qui doit forcément, selon lui, marquer la relation enseignant/enseigné.
Le raisonnement de Schmid est le suivant: le jeune enfant (au moins jusqu'à
12 ans) n'est pas capable de mener intellectuellement (référence
à Piaget) une relation véritablement « mutuelle ».
Il lui faut alors un référent incontestable, un « héros
», qui sera tout naturellement, le père, ou son substitut,
l'éducateur. Bigre! En fait, il ne s'agit pas là d'erreur
« psychologique », comme le suppose Schmid, d'erreur tenant
à une surestimation de la sociabilité du jeune enfant. Il
s'agirait plutôt de ce qu'on entend par « autonomie »
de l'enfant.
LE CONCEPT D'AUTONOMIE EST UN DE CES CONCEPTS FOURRE-TOUT.
On y met tout ce qu'on veut, beaucoup de bons sentiments, beaucoup d'idées
toutes faites. Prenons, parexemple, l'expérience de Gustave
Wyneken, un autre pédagogue, cité par J .R. Schmid dans son
ouvrage. Pour Wyneken, l'autonomie, c'est « mettre la jeunesse en
face de la réalité objective tout en laissant vivre les jeunes
selon les conditions propres de leur âge ». Cette définition
pose plus de questions qu'elle n'en résout. Qu'est-ce que la réalité
objective? (Il faut laisser à l'enfant faire son expérience
- oui - mais l'enfant procède-t-il comme Claude Bernard ?) Et, surtout,
que signifie «les conditions propres de l'âge»? On retombe
dans les idées préconçues, dans le « monde merveilleux
et cruel » de l'enfance. On sombre dans le raisonnement tautologique:
« pour respecter l'autonomie de l'enfant, il lui faut laisser vivre
son autonomie ».
Cependant, Wyneken porte des critiques très fondées
à l'encontre de certains mythes pédagogiques, notamment celui
du «self-government» (démocratie d'assemblée),
dont on a dit que «c'est la parole qui dirige ... distribution des
fonctions jusqu'à ... la parole obligatoire» (F. Deligny).
Wyneken ne croit pas à ces assemblées générales
enfants/adultes, à ces formes sociales tout à fait étrangères
au fonctionnement des enfants. Il ne croit pas non plus à la stricte
codification des droits et des devoirs, au principe étroitement
démocratique de la loi majoritaire.
On souscrit à ces critiques, qui montrent bien
ce qui peut sous-tendre une certaine idéologie de l'autonomie: l'application
de schémas adultes (libéraux) à une enfance en devenir.
On continue de suivre Wyneken lorsqu'il écrit: « Pour nous,
ils (les enfants) sont les sujets de notre vie scolaire vécue en
communauté, et, par conséquent, ils sont coordonnés
aux éducateurs ». Cette idée de coordination semble
en effet importante et bien correspondre à ce qu'on définissait
plus haut comme le lien indissoluble entre adulte et enfant. Mais on se
sépare de Wyneken sur deux points essentiels: la notion d'éducateur
et la nature de la coordination entre adulte et enfant.
Pour ce qui est de l'éducateur, on l'a dit et
on le développera encore, on s'oppose au principe d'une spécialisation,
au statut même d'adulte-éducateur, et l'on insiste, au contraire,
sur un fonctionnement collectif qui intègre des adultes non spécialisés,
au premier rang desquels, mais pas exclusivement, les parents.
Par ailleurs, Wyneken indique trois plans différents
sur lesquels devrait se placer la relation adulte/enfant: rapport de coordination,
rapport de subordination, rapport d'amitié. Il y aurait ainsi une
sorte de dialectique qui verrait son dépassement dans la confiance
mutuelle. Il n'empêche que la dominante, et Wyneken insiste sur ce
point, c'est le rapport de subordination. Il écrit ainsi: «
Le cercle de camarades n'atteint complètement son but que lorsque
le chef jouit de la confiance illimitée de ses jeunes camarades
».
On s'opposera à cette analyse hiérarchique,
non pas seulement pour des raisons d'idéologie anti-autoritaire,
mais parce qu'on estime que la notion de chef exclut la réciprocité,
le plaisir. Le chef ne peut être chef que s'il comprend assez les
enfants pour être reconnu par eux, pour les enthousiasmer, les guider.
On retrouve là encore LE VIEUX TOUR DE PASSE-PASSE PÉDAGOGIQUE:
SÉDUIRE POUR MIEUX FAIRE PASSER LE MESSAGE, pour mieux éduquer.
On ne peut plus reculer: il nous faut maintenant donner
notre propre conception du rapport adulte/enfant. Bien sûr, on voudrait
parler du plaisir, du désir, mais on a trop de pudeur, littéraire
et autre, pour lâcher la bonde. René Schérer, (Co-ire.
Cerfi) le grand spécialiste du scandale pédérastique,
a raison d'écrire que l'enfant, « contemporain de l'homme
» (et de la femme?) est «porté par un désir»
qui n'est « connoté par rien dans la langue, l'innommable
».
Il a raison aussi d'insister sur « l'irréductible
dans sa précieuse individualité ». Il est difficile
de le suivre pour le reste, et pour sa théorie du rapt. Par ailleurs,
Schérer n'a guère de sympathie pour les expériences
d'éducation critique dont il fustige le « tabou de l'enfance
qui ne fait qu'un avec la mystique communautaire ».
Faut-il, au contraire, sublimer autant qu'on peut et
parler comme Wyneken d'un « EROS PLATONIQUE » EN MATIÈRE
D'ÉDUCATION? De toute façon, il s'agit bien de désir,
de désir pour un « objet » qu'on pose à la fois
comme radicalement différent et étroitement solidaire. C'est
ainsi qu'à l'idée d'autonomie, on aimerait substituer la
notion, complexe et périphrasique, de constructions différenciées.
Le désir, comme principe d'éducation
L'enfant est lié à l'adulte, parce qu'il
est petit d'homme (et de femme) et parce qu'il est décrété,
depuis deux siècles environ, être à protéger.
De cette définition, il ressort que l'enfant est bel et bien lié,
saucissonné, mais aussi que, dans l'affaire, le désir,
le plaisir sont fagottés avec le reste. Quand l'adulte protège,
il est, par rapport à l'enfant, en position nécessairement
hiérarchique. Il n'écoute que son devoir, et pas l'enfant
qui, par définition, est réduit au silence, ou à l'inconsistant
babillage. Ce protecteur-là n'est pas à comparer à
l'autre, à celui des putains. Le mac et sa gagneuse sont unis par
des liens sociaux d'exploitation et par leur traduction perverse au niveau
du désir.
De façon différente, le pédagogue
(le parent) et l'enfant sont séparés par l'abîme de
leur toute-puissance et de leur débilité constitutives et
symétriques. Doit-on en conclure que leurs rapports sont entièrement
codés et réduits par le système familial œdipien?
Ce serait excessif et nier la richesse d'un amour parental, de toute façon
nécessaire (c'est le fameux « Au moins une personne »,
dont l'enfant a vitalement besoin, et qui se trouve le plus souvent être,
à défaut d'autre chose, la mère ou, les deux parents).
Par contre, il est bien certain que le familialisme étouffe toute
espèce de désir qui ne rentre pas dans la stricte définition
qu'il en donne.
A noter également, à la suite de Deleuze-Guattari,
que la sévère codification familiale ne se restreint pas
à la structure familiale, mais qu'elle déborde sur l'ensemble
des institutions sociales, et notamment de celles qui enserrent de plus
en plus l'enfant en dehors du couple parental: crèche, école,
colos, clubs de loisirs, télé, etc. D'ailleurs, ce qu'on
a appelé ici la codification familiale (œdipianisation) n'est pas
à ramener exclusivement à un conflit intrafamilial, contre
l'autorité du père, mais s'élargit, au contraire,
à une perspective que Schérer définit bien comme faisant
«prendre l'inconscient ou la matérialité des passions,
des désirs à rebours, hors tout œdipe, dans son être
polymorphe d'orphelin».
Quels liens entre l'adulte et l'enfant?
Il n'est pas possible ici de décrire ce que l'adulte
vit lorsqu'il investit l'enfant comme « objet » de désir.
Il y aurait le détour obligé par Lewis CarroI ou V. Nabokov,
et c'est encore une voie bien encombrée. A défaut de développer
cela, on peut tout au moins indiquer sur quel mode un tel désir
peut se vivre. René Schérer jongle autour d'une variation
sur le rapt. Plus naïf et prude, on voudrait ici imaginer une petite
théorie, une théorie pour rire, des rapports différenciés.
ENFANTS ET ADULTES « DEVRAIENT » APPRENDRE
ENSEMBLE À SE POSER COMME DIFFÉRENTS ET UNIS: DIFFÉRENTS
dans leur rapport au monde, à la Loi, unis dans leur fonctionnement.
Pour ce qui est de la différence, on l'a analysé plus haut,
en essayant de montrer comment l'enfant existait dans un écart par
rapport au discours adulte. On indiquait par là que l'enfant vivait
bien un monde à lui, mais que ce monde n'était pas «
magique », autonome. Au contraire, cet espace spécifique était
relié au discours universel de la Loi.
Si l'on voit assez bien le lien qui unit l'enfant à
l'adulte, on a plus de mal peut-être à imaginer la réciproque:
il y a d'abord les analyses classiques de Freud sur le narcissisme, que
les parents projettent sur leur progéniture. L'enfant aura toutes
les vertus que ses géniteurs n'ont pas eues. Les parents aiment
dans leur rejeton ce qu'il leur a été impossible d'atteindre.
C'est là, bien sûr, une observation universellement vérifiée,
mais elle a l'adulte pour point de départ et pour point d'arrivée.
En l'occurrence, l'enfant n'est qu'un point de passage sur un circuit fermé.
En poussant le raisonnement à l'extrême, on pourrait dire
que l'enfant n'est pas là un objet, mais un prétexte.
A partir de l'analyse du narcissisme parental, Serge
Leclaire (« On tue un enfant », Seuil), en montre le
cheminement: en trois périodes, chez l'enfant et chez l'adulte qu'il
devient, marqué à jamais du désir initial de la mère
(ou des parents ?). Les parents projettent sur leur petit un désir
qui est toujours un désir narcissique spécifique. L'enfant
doit alors interpréter ce désir qu'il sent fondamental. Devenu
adulte et pour pouvoir vivre, l'ancien enfant sera dans l'obligation de
tuer sans cesse cet enfant merveilleux qui veille et sommeille en lui,
paré du désir primordial des parents. Là encore, il
s'agit d'une description très pénétrante, mais menée
en quelque sorte dans des catégories adultes (d'ailleurs, pour sa
démonstration, Leclaire insiste surtout sur les première
et troisième périodes: c'est-à-dire qu'il s'intéresse
moins à l'interprétation par l'enfant lui-même), et
menée aussi à l'intérieur du cadre du roman familial.
Mais qu'est-ce qu'un rapport de désir?
Ah, le roman familial! Aussi ringard que les prix littéraires
! Disons-le tout net: « Quand ils le peuvent, furtifs, adulte et
enfant, vivent un rapport de désir, un rapport sexué. On
les a vus ». Oui, mais qu'est-ce qu'un rapport de désir, un
rapport sexué? Ce n'est pas forcément un rapport d'amour,
une honnête convention équitablement passée entre des
personnes et des corps sûrs de leur intégrité. On peut
penser qu'en la matière, il s'agirait d'un rapport sexué,
au sens où adulte et enfant ne se retrouvent pas en tant qu'objets
sexuels bien déterminés, mais plutôt en tant que lieux
de désir disparates et morcelés. Disons, en d'autres termes,
que ce rapport, banni, se vivrait SUR UN MODE QUI N'EST PAS LE MODE ADULTE
OBJECTAL/GÉNITAL, MAIS LE MODE POLYMORPHIQUE ?
L'enfant est un pervers polymorphe. Et ce n'est pas un
mal, au moins d'un point de vue scientifique, puisque Freud lui-même
le reconnaît! L'enfant rencontre son plaisir partout, sexualise sur
son mode l'univers qui l'entoure, et c'est en cela qu'on peut parler, bien
sûr, de désir d'enfant. Selon Freud (Trois essais sur la
théorie de la sexualité), le petit enfant investit d'abord
sur tout son corps des zones érogènes d'élection («...
Sur son corps, un endroit quelconque qui, par l'habitude, deviendra l'endroit
préféré »). Ensuite, l'enfant se branche, pour
ainsi dire, sur ce qui l'entoure et qui est propre à le satisfaire
: « On peut donc dire que le but de la sexualité est de substituer
à la sensation d'excitation projetée dans la zone érogène,
une excitation extérieure qui l'apaise et crée un sentiment
de satisfaction ».
En d'autres termes, on peut comprendre la libido de l'enfant
comme quelque chose qui va dans tous les sens, sans souci d'organisation
ni de respectabilité: « Les excitations provenant de toutes
ces sources ne se coordonnent pas encore en un tout, mais poursuivent chacune
un but séparé, qui ne représente que le gain d'un
plaisir particulier. Ceci nous amène à penser que la pulsion
sexuelle pendant l'enfance n'est pas encore centrée, qu'elle est
d'abord sans objet, c'est-à-dire auto-érotique ». Sans
objet, sans modèle, la libido de l'enfant s'exprimerait dans une
boulimie universelle, dans une perméabilité à l'univers,
dont Freud semble bien avoir la nostalgie, quand il écrit, à
propos de l'Antiquité, enfance de la civilisation : «On glorifiait
la pulsion, et cette pulsion ennoblissait l'objet de si petite valeur qu'il
fût, tandis que, dans les temps modernes, nous méprisons l'activité
sexuelle en elle-même et ne l'excusons en quelque sorte que par suite
des qualités que nous retrouvons dans son objet ».
L'adulte, le pédagogue, le parent, est par définition
un génital confirmé, et si l'on tolère aujourd'hui
certaines de ses perversions, c'est par référence à
une norme qui n'est pas discutable, norme phallique, choix objectaI.
A l'encontre de cette limitation absolue, se développe
maintenant toute une théorie du désir, le désir en
soi, le désir homosexuel, le désir pédérastique.
Tout cela sent le soufre, et les effluves troubles de Vincennes, côté
Fac et côté bois. Diable tant de littérature subversive
à propos des écoles parallèles. On savait déjà
que ça n'était pas bien sérieux, mais si, en plus,
c'est pervers et polymorphe! ...
Pourtant, une des questions essentielles qui sont posées
par le fonctionnement des lieux « alternatifs » d'enfants concerne
précisément le rapport des adultes aux enfants: camarade,
guide, « protecteur » ... A partir du moment où une
stricte efficacité pédagogique n'est plus seule en cause,
émergent l'Eros et le désir. Mais comment ça fonctionne?
Structuration/destruction
La situation n'est jamais simple, lorsque, parent ou non,
seul ou à plusieurs, on se retrouve, pour quelques heures, pour
une journée, face à un groupe d'enfants dans un lieu dit
parallèle.
A La Barque, par exemple, c'est le plus souvent une forme d'angoisse qui
étreint alors ces « préposés » : angoisse
devant la violence, l'agression, devant la saleté des locaux, le
manque de coopération des enfants.
Il n'y a plus de statut (précis), plus de situation
(complètement) figée; quelle débandade, plus de femme
de ménage, plus d'ouvrier d'entretien, et, surtout, plus de Professeur
rémunéré, reconnu, recevant en prime l'autorité
que confère une telle fonction. Bien entendu, les gosses vont jouer
à plein, là-dessus, sur l'affolement, la culpabilisation
des adultes - par tous. Culpabilisation, qui d'ailleurs s'autojustifie
:« On ne peut pas faire vivre cela à des enfants, c'est déstructurant,
j'ai bien raison de flotter complètement et, du reste, je ne vais
pas laisser mon enfant une journée de plus là-dedans pour
son bien, pour le mien, pour l'Etat. Je le remets dare-dare à l'école,
que, bien entendu, je ne me prive pas de critiquer. Mais c'est à
blanc, ça n'a pas de conséquence ... l'instit de l'école
de mon quartier est particulièrement gentil, moderne et tout. Alors,
pas la peine de se casser la tête, l'Etat pense pour moi. »
Les gosses vont taper sur le ventre mou de tous ces adultes,
de tous ces parents, et c'est pour ça qu'on dit qu'ils se «destructurent».
Mais qu'est-ce que c'est, enfin, que la «structuration »? Ben
... s'il n'y a pas de limite, l'enfant, il devient schizo ... ou, au moins
caractériel ..
Question (incisive) : la «limite qui structure
», c'est la Loi?
Réponse: Oui, ... c'est tout à fait
ça. La Loi avec un grand L. Ça fait Lacan, alors, tu penses
!
Question: La Loi, sociétale, prohibitive,
c'est directement la loi parlementaire, l'obligation scolaire, le code
Napoléon? Pour ne pas être schizo, il faut être un bon
citoyen?
Réponse: De toute façon, les schizos
ne sont jamais de bons citoyens.
Dérapage de discours : jargon psychiatrisant et
références juridiques. Tout se mélange. Ce pathos
signifie tout de même que la norme est sociale, tandis que l'erreur
est mentale.
L'enfant ne deviendra pas fou, s'il comprend vite qu'il
ne peut pas toujours errer librement. Il faut jouer, accommoder, se plier
à la Loi. Là-dessus, pas d'objection, mais après,
ça se gâte. Pour que l'enfant se structure, c'est-à-dire,
se plie à la loi, avec un grand L, il doit impérativement
se plier à toutes les prescriptions de la loi, avec un petit l,
à tous les détails administratifs. En dehors de la norme,
point de salut, sinon, c'est la folie. On passe en douceur de la Loi, avec
un grand L, à la loi, avec un petit 1. Entre les deux, la structuration.
POUR BIEN DES PARENTS PROGRESSISTES, LA STRUCTURATION DE L'ÊTRE ET
LE BOURRAGE DE CRÂNE, C'EST LA MÊME CHOSE. DOMMAGE!
On n'a pas ici d'idée bien précise sur
la structuration souhaitable de la personnalité de l'enfant; d'ailleurs,
on ne croit pas vraiment à un lien de causalité entre un
lieu dit optimal et une structuration positive de la personnalité.
Alors quoi?
Il y a le recours à la pédagogie institutionnelle.
Les enfants se structurent en vivant concrètement l'élaboration
de leur institution, de leur lieu. Oui, mais, bien sûr, deux problèmes
se posent. L'institution ne doit pas être une certitude qui se contente
de poser son élaboration par ses usagers comme simple prétexte.
C'est là une critique à toute forme de « participation
», qui décrète par avance les termes et les limites
des conflits acceptables. A cet égard, la pédagogie institutionnelle
risque d'être une pédagogie, dans la mesure où elle
prend l'institution comme objet pédagogique. C'est là aussi
la justification du caractère parallèle, c'est-à-dire
précaire, des écoles parallèles.
IL NE PEUT Y AVOIR DE PRATIQUE VRAIE QU'EN DEHORS D'UNE
INSTITUTION souriante, d'un Etat débonnaire qui accorde le joujou
d'une participation critique.
Le second problème, on le retrouve encore: c'est
la relation adulte/enfant. On a lâché plus haut la notion
de perversité polymorphe. Dans le fonctionnement du groupe enfants/adultes,
cela veut dire que les adultes se sentent assez bien pour vivre parfois,
par intermittence, une relation de plaisir avec les enfants, relation qui
alors se développe sur un mode qui n'est pas celui de la norme adulte,
génitale. L'adulte peut éprouver l'envie d'entrer dans un
discours qui n'est pas le sien. Par discours, on entend aussi bien une
parole (certes, on a tendance a la privilégier !) qu'une pratique,
pratique de jeux, pratique sociale, ou pratique sensuelle.
Quand l'adulte laisse sa panoplie au vestiaire ...
Dans ces conditions, on considère qu'il y a une
réciprocité.
Mais cette réciprocité ne, signifie pas
une reconnaissance objective de personnalités posées, pleines
et entières. Il s'agit plutôt de contacts intermittents entre
un pitre qui fait la Loi (l'adulte) et un clown qui joue la dérision
et le sérieux (l'enfant). L'adulte prend les petits enfants sur
ses genoux, embrasse ces chairs fraîches qui lui renvoient l'image
trouble de sa pesante intégrité. Dans les chatouilles, dans
les papouilles, il suit les réseaux compliqués et les ordres
précis du plaisir enfantin, et, c'est le cas de le dire, il se prend
parfois au jeu.
L'adulte fait un cours avec des grands de 6 à
9 ans (on remarquera comment, avec la montée des âges, l'exemple
se désincarne; après 6 ans, la caresse est plus difficile!)
Ils braillent, ils n'écoutent rien. L'adulte peut alors faire montre
de pédagogies. S'il a bien préparé sa matière,
ça marchera un peu, mais pas très longtemps. L'attention
des enfants se détournera vite. Pourtant, il est important que le
cours se tienne. L'adulte fait appel aux procédés pédagogiques,
il recentre sur les valeurs sûres: anecdotes, astuces, répétitions
amusantes. Mais là encore, il peut se prendre au jeu, au jeu de
mots, qui varie autour d'une dominante, d'une basse adulte.
Le cours peut devenir une sorte de rencontre entre un
discours adulte, légiférant le savoir, et un discours/dérision
enfantin, qui élargit indéfiniment le sujet à toutes
ses connotations, à des signifiants que seul l'enfant peut retrouver
(« La lune tourne autour de la terre »/« j'ai la bite
comme un soleil »). Et avec tout ça, c'est garanti, l'enfant
finit même par apprendre quelque chose.
Ce qui importe en fin de compte, pour l'adulte, c'est
de croire à ce qu'il fait: aussi bien d'un point de vue «
politique » (une éducation critique et une critique de l'éducation
sont des pratiques politiques), que d'un point de vue de désir,
étant bien entendu que cette conviction est la résultante
à la fois d'une pratique et d'un désir.
Pratique d'éducation critique, pratique collective
de vie
Cette convergence a été très vigoureusement
illustrée et analysée par un groupe communautaire de Berlin,
Kommune
2 (Editions Champs Libres), qui relate ses expériences à
partir de 1967. Le ton général de l'ouvrage tranche avec
la littérature habituelle sur ces sujets. Il est vrai que les habitants
de la Kommune 2 étaient, dès le départ, des militants
d'extrême-gauche (S.D.S.), mais ils ont su se dégager le plus
souvent des schémas tout faits, pour poser les questions essentielles,
avec une cohérence remarquable.
Les berlinois reconnaissent le caractère essentiel
d'une-relation adulte/enfant à l'intérieur d'un projet politique
de vie: « Ce n'est que peu à peu que nous avons compris
le rôle des enfants dans notre propre évolution. Nous avons
beaucoup appris de leurs jeux (. .. ) et de leurs difficultés. Si
nous voulions agir dans la ligne de notre objectif qui était d'offrir
une autre solution que la famille restreinte, il nous fallait aussi développer
un autre type de relations entre enfants et adultes ( .. .) DEPUIS,
LA SIGNIFICATION DE L'ÉDUCATION DES ENFANTS POUR LE MOUVEMENT DE
GAUCHE EST DEVENUE ÉVIDENTE. »
Parfois, bien sûr, on peut être rebuté
par certains développements qui semblent mettre l'accent sur des
liens de causalité par trop linéaires, causalité entre
la « libération » et la suppression des cadres bourgeois
névrotiques. Certaines références à W. Reich
ne sont peut-être pas choisies parmi les écrits les plus intéressants
de celui-ci. En gros, on reprochera aux auteurs de Kommune 2 une
forme de parti-pris mécaniciste, et trop schématiquement
antifamilialiste (puisque, nous y avons fait allusion, une révolution
théorique à l'intérieur de la famille enserre plus
qu'autre chose ce désir qu'on voudrait libre, l'enserre dans un
cadre qu'il n'en finit pas de repousser). Mais tout cela n'enlève
pas grand mérite à ce magistral récit. On y retrouve,
notamment dans le chapitre 4, une analyse qu'on aime et qu'on poursuit
aussi bien à propos des rapports adultes/enfants que des groupes
d'enfants eux-mêmes (tant il est vrai que ces deux paliers d'analyse
et de fonctionnement sont liés).
Avec un sérieux, peut-être germanique et,
en tout cas, militant, les Berlinois ne nient pas avoir adopté au
départ, face aux enfants de la communauté, un « schématisme
rigide ». Ils montrent bien comment ce schématisme procédait
d'a priori volontariste et d'une logique adulte tout à fait étrangère
au fonctionnement enfantin.
Dans un exemple sur les boutons d'ascenseur, ils racontent
la façon dont un adulte, jugeant en équité, était
incapable de trancher un conflit de désir entre deux enfants, qui
voulaient chacun appuyer. Il n'y arrivera qu'en abandonnant sa solution
«équitable-adulte», pour adopter une non-solution «ludiqueverbale»,
élaborée par les enfants eux-mêmes. Ce petit exemple
est très révélateur: il exprime la possibilité
d'une rencontre entre adulte et enfant, sur un mode différent de
la compréhension autoritaire ou du refus systématique d'intervention.
Par ailleurs, les habitants de la Kommune 2 ont
largement participé au mouvement dit des «boutiques d'enfants
», que l'on peut présenter comme des maternelles sauvages.
Ils ont relié leur réflexion sur le statut des enfants à
l'intérieur de la communauté à la pratique collective
des groupes d'enfants. Selon eux, et en cela nous les approuvons sans réserve,
le groupe d'enfants ne peut réellement fonctionner que dans la mesure
où la question des parents est posée au fond: «
Nos expériences montrent que les conflits principaux sont, après
comme avant, réglés par rapport aux parents ».
Or, ce questionnement n'est possible que si les parents s'intègrent,
d'une façon ou d'une autre, au collectif. On retrouve là
le lien « indissoluble» entre adultes et enfants.
En conclusion, les Berlinois indiquent un certain nombre
de constantes qui doivent marquer une éducation « anti-autoritaire»
: la présence pour chaque enfant «d'au moins une personne»
de référence (parent ou non); la continuité même
du groupe adulte/enfants (cela peut paraître aller de soi, mais quel
contraste avec le caractère éphémère, velléitaire
de la plupart des expériences marginales !); une organisation collective
réelle entre les adultes concernés.
Peut-on être parent d'une façon politique?
On le voit, le principe d'un groupe d'enfants (jusqu'à
8/10 ans) repose sur la présence des parents, présence réelle
dans l'organisation du groupe, présence affective, seul moyen de
dépasser durablement les liens de propriété exclusive
qui unissent les géniteurs, biologiques et sociaux, à leur
progéniture.
Insister sur ce point : cette présence des parents
n'empêche pas la présence d'adultes non-parents (on est le
plus souvent non-parent par rapport aux enfants autres que les siens !).
Au contraire, puisque ce qui importe, c'est de favoriser en même
temps l'autonomie d'un groupe d'enfants et les liens intimes entre enfants
et adultes, entre le plus d'enfants et le plus d'adultes possible (encore
qu'il y ait, on le verra, une limite de nombre, au moins pour ce qui est
de la définition à long terme d'un groupe)
On reprend là le raisonnement qu'on a déjà
développé tout au long des pages précédentes.
L'enfant est fondamentalement lié à l'adulte par rapport
auquel, mais sur son mode propre, il doit se définir. L'équilibre
social est tel que l'adulte qui exprime d'abord et pour toujours tous les
autres adultes, c'est papamaman. Papamaman est partout, même
si le gosse est occupé ailleurs. Papamaman a le don d'ubiquité.
Il n'est pas seulement à la maison. Protéiforme, il se délègue
à ses substituts.
On le retrouve à l'école l'instit' sur
lequel les gosses projettent), à la colo, à l'Elysée,
et dans beaucoup de textes « libérés » et contestataires
de papamaman (on ébranle le vieux patriarche, déjà
bien fissuré, pour mieux retrouver un jeune papamaman souriant,
peut-être psychiatre, dans des institutions qui auraient le mérite
ambigu de « socialiser» l'enfant dès son plus jeune
âge, une socialisation de Charybde en Scylla).
Il vaut mieux prendre les choses à la base: Puisque
j'ai procréé je suis papamaman. Tirons-en toutes les conséquences.
J'ai un pouvoir social et un pouvoir d'amour (j'ai aussi les devoirs correspondants).
Normalement, je déléguerai vite mon pouvoir social (et mon
enfant) aux institutions auxquelles je puis faire confiance, puisque je
sais que j'y figure, comme principe même de fonctionnement, comme
tête de proue du navire (big father/big mother). Quant à mon
pouvoir d'amour, je vais tâcher d'en profiter. Et j'ai intérêt
à le faire, car, pour les enfants autres que les miens, attention!
Sinon, comme dit la chanson ... c'est le code pénal (ah! ce qu'on
peut être respectueux des lois).
Eh bien, il y a des choses qu'on peut refuser! Je ne
transgresserai pas la loi sociétale de la parentalité. Je
ne larguerai pas mon enfant au nom d'une liberté à venir.
Mais plus « politique» peut-être, je tirerai parti des
contradictions d'un système qu'en tant que tel, je ne peux pas rejeter.
Alors, je vais refuser, dans la mesure du possible, de
transférer à l'Etat (c'est-à-dire, en l'occurrence,
à l'école) mon statut de papamaman. Je vais essayer de le
vivre, avec mon enfant, avec tous les enfants que je connais, sur un autre
mode que celui prescrit par l'Etat.
Il va s'agir de plusieurs choses:
- comprendre, et faire comprendre aux enfants (aux enfants
du groupe) qu'avec eux, on essaye de vivre un autre rapport social, autre
que celui imposé par la famille et dans l'école ;
- exprimer, par la médiation d'un projet «politique»
(école parallèle, pour le moins, collectif de vie,
plus largement), des désirs difficilement exprimables autrement:
sexualisation des rapports sociaux (à une petite échelle)
;
- tirer les conséquences d'un tel projet «
politique »: si tous les papamamans d'un groupe deviennent pour tous
les enfants, dans la limite d'un choix, changeant, des «associés»
dans une tentative commune, et des personnes émettrices (de) et
réceptives (à) des désirs multiples, alors on peut
considérer qu'il commence à se vivre autre chose qu'un rapport
exclusif entre des parties figées, parents/adultes et enfants/petits
adultes.
A ce moment précis de la démonstration,
on sent comme un flottement. C'était prévisible, puisqu'il
s'agit non plus seulement d'une démarche critique, de la pédagogie,
de la socialisation, de l'école, mais bien d'un essai de théorisation
positive. Il n'y a plus l'ancrage réel des contradictions observables,
mais, au contraire, le flou, l'incertain des constructions spéculatives.
On bute sur un paradoxe, qu'on ne cultive pas pour le
plaisir. .. Encore que ... Depuis le début de ce propos, on prône
à la fois une liberté radicale de l'enfant et un lien indispensable
entre les enfants et les adultes, au premier rang desquels les parents.
On semble ménager les inconciliables, la chèvre parentale
et le chou, où l'on cueille, c'est connu, les petits enfants.
On a disserté plus haut sur les notions de «pouvoir»
d'amour et «d'au moins une personne». Ces deux notions sont
liées. En effet, l'enfant, pour vivre, a besoin d'amour, a besoin
d'être repéré par « au moins une personne ».
Qui est cette « au moins une personne»? Trois instances peuvent
être citées. Il y a la famille, c'est le cas le plus fréquent.
Il y a l'Etat, soit, en cas exceptionnel, de grave carence familiale (assistance
sociale), soit, le plus souvent, par substitution à la famille (institution
scolaire et para-scolaires). Il y a enfin le hasard, la rencontre entre
un adulte sans statut et un enfant qui fait son choix.
Une approche radicale, libertaire, mettra l'accent sur
la troisième instance. Rejet des statuts, expression du libre désir,
c'est la cassure d'avec la norme, donc c'est le bon choix. On n'est pas
contre, mais on perçoit immédiatement la limite de cette
approche (drague) : ce n'est pas opératoire (ce qui ne veut pas
dire que cela soit mauvais). Cela ne peut pas, dans les conditions actuelles,
et surtout pour des petits enfants, être l'amorce d'un fonctionnement
social satisfaisant.
La famille, l'Etat ou le hasard
Et puis, on retrouve vite le phénomène de
la substitution parentale. L'enfant peut faire un choix positif, passager,
sur un adulte non-parent - très bien -, mais il peut aussi investir
comme parent quelqu'un qui ne l'est pas, et alors, la relation demeure
la même (situation souvent fausse de celui qui « couche avec
la mère »).
La plupart du temps, la critique anti-familialiste n'a
pas autre chose à proposer que l'école pour échapper
à la chappe de plomb de papamaman. A pleines pages, on s'oppose
ici à ce dilemme, qu'on juge mal présenté, et l'on
propose la mise sur pied de multiples lieux, qui, en fait, auraient pour
objet de relier (dans les deux sens) l'enfant, le socius et la famille.
On estime que la socialisation de l'enfant ne peut se déléguer
à l'Etat (ni à ses démembrements privés, écoles
libres et confessionnelles). CETTE SOCIALISATION EST UN PROCESSUS
COMPLEXE QUI IMPLIQUE À LA FOIS UNE CRITIQUE DE LA NORME SCOLAIRE/FAMILIALE
ET LA CRÉATION, (COROLLAIRE EN QUELQUE SORTE), D'UN AUTRE RAPPORT
ADULTE/ENFANT.
La critique anti-familialiste, sophistiquée, semble,
tout de même, présenter, elle aussi, un paradoxe. Puisqu'elle
est moderne (sophistiquée), elle postule, avec raison, un rejet
de la grille œdipienne, ou tout au moins, et l'on approuve, un repérage
de la limitation œdipienne, non plus seulement dans la famille, mais bien
plutôt dans l'ensemble des institutions et des pratiques sociales
- (la psychanalyse, pour radicale qu'elle soit, bute elle-même sur
sa propre limite œdipienne (cf. la critique contemporaine à l'encontre
de Mélanie Klein, par exemple).
Il importe, dans cette optique, d'imaginer autre chose,
sauf pour la famille, doublement condamnée : par l'analyse moderniste,
et par l'évolution de la société elle-même (réduction
de la famille au couple, de plus en plus éclaté).
Pourtant, la famille, ou tout au moins le rapport (œdipien)
parent/enfant, demeure la structure de base. Il n'empêche, (ce n'est
pas notre avis), qu'elle n'est pas «intéressante » pour
tout projet subversif, tout projet « désirant », parce
que la famille est, par essence, contraire au désir, à la
subversion.
Il en serait ainsi à cause du tabou de l'inceste
et du principe de réalité, double limite, double frein. Il
ne faut pas coucher avec ses parents, pour que se développe la famille,
terreau de la civilisation, et pour que vive un jour l'individu, dégagé
enfin du plasma trouble du « corps plein » parental.
La critique anti-œdipienne, ou en tout cas ses retombées
épigonales, voit dans la famille, et une structure sociale, étroite,
étouffante, quoiqu'en perte de vitesse, et une structure mentale,
menaçante, universelle: « La famille est ce lieu de jouissance
sexuelle légale, mais non plus où chacun se marie pour jouir
dans la loi. La dissolution de fait des fonctions de la famille par le
capitalisme, bien loin de supprimer la fonction de l'hétérosexualité
reproductrice, en fait la règle portée par chaque individu
de la libre concurrence. L'individu ne remplace pas la famille, il en continue
le petit cinéma. Le décodage des flux de la jouissance s'accompagne
de son axiomatisation, comme la disparition du compagnonnage et la découverte
de la valeur travail, s'accompagne de la propriété des moyens
de travail ». (G. Hocquenghem. Le désir homosexuel.
Ed. Universitaires).
La famille est-elle définitivement «irrécupérable»
?
Il semble qu'il faille, à ce niveau, DISTINGUER
ENTRE LA FAMILLE ET LE LIEN PARENTAL (encore que cela soit plus difficile,
au « départ », pour ce qui est de la paternité,
puisque le rapport père/enfant est avant tout un rapport social,
et non biologique). C'est bien d'ailleurs ce qui se passe dans la réalité,
la communauté sociale, familiale, tend à se désagréger,
tandis que demeure l'œdipe comme point de passage et mode d'emploi obligés
du désir.
Mais alors, plusieurs objections viennent à l'esprit:
l'œdipe est-il universel? De tout temps, de tout lieu? On se rappelle avoir
assisté au printemps 1974 à une causerie organisée
par France-Culture réunissant l'historien P. Ariès et la
psychanalyste d'enfants bien connue, F. Dolto, autour du thème «
Oedipe et l'histoire ». On n'a plus bien en tête les conclusions
de cette émission publique, mais le thème en lui-même
est révélateur d'un questionnement important.
L'autre objection a trait, bien évidemment à
la permanence du lien parental. Ce qu'on voudrait dire ici, c'est que le
rejet de l'œdipe, la critique de la famille ne permettent pas pour autant
de faire l'économie d'une réflexion sur la nature et les
conséquences (pratiques) du lien parental.
Il ne faut pas se méprendre: on ne fait pas ici
une apologie sénile de la famille « française ».
On ne se pare pas d'un langage moderniste pour mieux farder le masque mortifère
de la réaction conjugale et prolifique. On veut, en toute «
simplicité », poser un questionnement: voir comment une reconnaissance
du lien parental est non seulement compatible, mais liée à
une recherche de pratique critique et commune entre enfants et adultes.
Rhétorique, on va étudier successivement
la nature de ce lien parental, et ses conséquences. Naturel, le
lien parental! On n'en sait trop rien, mais tout ce qu'on peut dire, et
avec force, c'est qu'il est nécessaire. Allons-y pour le couplet
ému : « L'enfant a besoin d'amour comme une plante a besoin
d'eau » - Oui, oui - c'est vrai, pas la peine d'insister. On se ressaisit,
et on lâche, docte, la notion d'espace-temps dans l'amour pour un
enfant.
L'autonomie de l'enfant ...
L'enfant doit être repéré pour évoluer,
libre, dans la limite de ses moyens (n'est-ce pas là une définition
plus acceptable de l'autonomie: la liberté en fonction de ses possibilités
réelles; le nourrisson peut déjà être autonome,
dans ses cris et ses sourires repus). Sans faire du Lorenz, rigoureux,
mais quelque peu «droitier», on peut penser à la mère
chat qui fixe pour ses petits un périmètre de mouvement,
autonome d'elle, périmètre qui va en s'élargissant
jusqu'à l'autonomie complète des petits devenus grands. On
ne peut pas, par extrapolation, pour l'être humain tracer un périmètre
uniforme d'autonomie qu'il fixerait pour son petit à lui. Les relations
culturelles, sociales, individuelles sont trop complexes et changeantes,
mais il y a de cela.
L'enfant peut évoluer de son mieux, en fonction
optimale de ses possibilités réelles, s'il se sait, NON PAS
CONTRÔLÉ MAIS PERÇU, REPÉRÉ (AIMÉ
DONC), DANS UN ESPACE-TEMPS MENTAL, qu'il vit et partage avec cette personne
adulte qui l'aime.
La notion d'espace-temps pourrait laisser croire qu'il
s'agirait d'une donnée objective, de catégories « scientifiques
», précises comme un dosage chimique. Il n'en est rien. L'espacetemps
dont il est question n'est pas autre chose que la conceptualisation toute
subjective, de l'amour qu'on peut éprouver pour un enfant. La forme,
la mobilité des heures et des lieux dépendent de la perception
qu'on en a. Les dangers, les risques que court un enfant sont largement
fonction de ce qu'en décide l'adulte, et l'enfant, pourra prendre
froid ou se casser la bras, seulement au moment opportun.
Le lien de référence auquel on fait allusion
est un lien tout à fait personnel. C'est un lien passé, pour
reprendre les termes du droit, « intuitu personae », c'est-à-dire
avec une personne bien déterminée. L'ennui, c'est que le
plus souvent, à l'intérieur de la famille, il y a confusion
entre la personne et le statut. On ne choisit pas sa mère et son
père. On les aime (et on les déteste) parce qu'on ne peut
pas faire autrement, et on n'en finira pas de leur ressembler.
Ce qu'on peut souhaiter, c'est que plusieurs personnes,
et notamment des personnes autres que les parents, constituent également
pour l'enfant cette référence indispensable. Mais il y a
une limite. En effet, on a dit que la référence était,
par nature, un lien personnel et non une situation statutaire. Pour que
l'enfant s'estime « repéré» par un adulte, il
faut qu'il sente à la fois de l'amour, de la reconnaissance et de
la durée. Plusieurs personnes peuvent ainsi constituer une référence
pour un enfant, mais cela ne saurait se multiplier à l'infini, car
les conditions à remplir sont trop importantes pour qu'elles puissent
d'emblée être réunies.
D'ailleurs, ce qui importe très vite, c'est que
l'enfant se sente suffisamment « repéré », par
une ou plusieurs personnes, pour enfin choisir ceux qui l'intéressent,
adultes et enfants, en dehors d'une recherche permanente de sécurisation.
La liberté de l'enfant, (de son désir) dépend largement
de son repérage initial dans un espace-temps adulte, mais il s'agit
vite, tout de suite, de passer à autre chose, et de traverser les
limites du périmètre initial.
Socialiser le lien parental
CETTE «PERSONNALISATION DU LIEN REFERENTIEL»
EST BIEN DIFFÉRENTE DES PRATIQUES «NOUVELLES», QUI PRÔNENT
UNE «SOCIALISATION» TRÉS RAPIDE DES ENFANTS. Dans la
mesure où l'on oppose la personne et le statut, on ne peut pas souscrire
à un fonctionnement par statut. La socialisation rapide des enfants
signifie leur prise en charge presque immédiate par des institutions:
crèche, garderie, etc. Ce lieux seront considérés
comme sécurisants, mais par rapport à la norme familiale.
Les divers préposés, puéricultrices, instits, etc.,
auront un double statut: celui de leur fonction et celui, délégué,
d'être le substitut provisoire de papamaman.
Cette socialisation-là implique un accroissement
de la norme œdipienne. Il en sera toujours ainsi dans des groupes d'enfants
où des adultes spécialisés occupent, de façon
interchangeable, des statuts référentiels. C'est bien à
une telle socialisation des enfants qu'on s'oppose ici.
Cependant, on l'a vu, la référence familiale
ne constitue pas une panacée. Elle est au contraire, et le plus
souvent, le lourd tribut que chacun doit payer en échange d'une
indispensable sécurisation. La famille (comme le couple) est une
structure difficilement évitable. Elle s'est transformée
pour devenir ce qu'elle est: non pas seulement une structure de plus en
plus étroite, éclatée et omniprésente, mais
aussi le point de passage obligé pour l'éducation, sociale
et affective, de chacun.
Si, de plus en plus l'enfant apprend (mal) en dehors
de la famille, il n'en demeure pas moins vrai qu'il retire de ses parents
ses principales acquisitions, celles qui sont à la base de la structuration
de la personnalité. Ce sont les acquisitions sociales (classe) et
affectives (celles qu'on peut qualifier de primaires: psychologie générale,
formation des pulsions, agencement psycho-moteur).
On peut considérer que la norme affective a été
en quelque sorte confiée exclusivement à la famille, qu'il
y a eu depuis deux siècles environ une sorte de « grand renfermement
» de l'affect à l'intérieur de la cellule conjugale
(faire, dans cette optique, un profitable parallèle entre le livre
de Foucault sur la Folie et celui d'Ariès sur l'Enfant et la famille).
De tout cela, il ressort un constat perplexe. L'enfant
à besoin d'amour et, la plupart du temps, il ne trouvera cet amour
que dans sa famille ou, par substitution structurale, dans les institutions
scolaires et para-scolaires.
Que faire? Que faire de ce pouvoir d'amour dont sont
investis les parents? D'abord, en reconnaître les délices,
en dehors même des servitudes et du codage strictement familial (prolifique
et responsable), mais aussi, le modifier en modifiant le rapport des parents
aux enfants autres que les leurs. En fait, LE PROBLÈME CONSISTE
PEUT-ÊTRE MOINS À SOCIALISER L'ENFANT CONTRE L'ÉTOUFFEMENT
FAMILIAL QU'À SOCIALISER, POUR LE TRANSFORMER, le lien parental.
Socialisation du lien parental, cela signifie, pour reprendre
ce qu'on a écrit plus haut, multiplication du lien référentiel.
Cela concerne surtout les très jeunes enfants, au-dessous de 67
ans, c'est-à-dire une période où l'on est encore assez
perméable au monde pour prendre en compte, d'une façon profonde,
structurante, des influences variées à l'extrême (après,
il faut, à tous les coups, paraît-il, en passer par la «
régression »).
Cette multiplication du lien référentiel
ne peut être que limitée, en nombre, puisque, on l'a vu, elle
suppose une durée et une connaissance relativement longues. Par
ailleurs, elle n'est vraiment réalisable qu'à l'intérieur
d'un collectif de vie enfants/adultes, là où s'écoulent
la durée, les rythmes réels de l'existence et non pas seulement,
comme à l'école, la durée et les rythmes sociaux,
publics. (Dans les écoles parallèles, on essaye aussi
de dépasser la séparation entre l'école et le reste
de l'existence, mais cela ne peut être que partiel.)
Cette multiplication du lien référentiel
« devrait » ellemême s'accompagner de la «
polymorphisation » des rapports enfants/adultes. Une remise en cause
des limitations familiales n'est possible que si l'on va plus loin que
la pétition de principe militante (« A bas la famille! »)
que s'il se construit une situation où des formes inusitées
de désir peuvent se ressentir et s'exprimer.
Une telle transformation s'accompagne bien sûr,
d'un fonctionnement «autonome» du groupe d'enfants (et du groupe
d'adultes). On en a peu parlé, parce que c'est évident, mais
aussi parce que le rapport adulte/enfant constitue un préalable
qui pèse sur le reste, et qu'il est impossible de ne pas l'évoquer
en priorité.
La taille restreinte du groupe d'enfants
Il y a enfin la question de l'âge. On a indiqué
depuis le début que la présente réflexion portait
principalement sur les enfants de moins de 10 ans. Pourquoi cette limite
des 10 ans? Ce n'est pas clair, cela chevauche plusieurs classifications
bien établies: âge scolaire 5/6 ans, âge de raison 7
ans, âge prépubertaire 10/13 ans etc. On pourrait donner des
raisons objectives, qui tourneraient autour de réflexions évidentes.
Après 10 ans, l'enfant entre définitivement dans une socialisation
« autonome », et ses rapports avec la famille sont à
revoir (on ne les imagine pas ici). En tout cas, le fonctionnement en «
collectif » (partiel ou pas) parents/enfants ne semble plus s'imposer.
Plus de la même façon, tout au moins.
On peut aussi reprendre ce qui a été écrit
plus haut, et dire qu'à partir du moment où l'enfant arrive
vers sa puberté, il entre «résolument» dans la
phase génitale; les rapports «polymorphiques» avec les
adultes ne sont plus possibles. Si l'adulte garde en lui quelques traces
« des verts paradis des amours enfantines », il ne peut, à
l'inverse qu'imposer à des adolescents son fonctionnement lourdement
génital et, de ce fait, le plus souvent, dominateur. On ne veut
pas dire qu'après une dizaine d'années l'enfant doive être
éloigné des adultes et des petits. On pense seulement que
le fonctionnement du groupe doit être modifié. Modifié
dans quel sens? On ne tranchera pas ici.
Pour finir, on fera une dernière digression sur
la taille souhaitable des groupes enfants/adultes. Ce n'est pas simplement
une question pratique, c'est une question d'organisation, c'est-à-dire
quelque chose d'essentiel qui exprime concrètement les objectifs
poursuivis.
L'interrogation sur la taille du groupe de référence
constitue un des plus vieux thèmes de l'analyse politique, un des
grands chevaux de bataille pour tous les démocrates, léninistes
et libertaires. La dimension du groupe pose tout de suite le problème
du fonctionnement, de la spécialisation, du pouvoir. POUR CE QUI
EST D'UN LIEU D'ENFANTS, ON PEUT AVANCER UN CHIFFRE QUI TOURNE AUTOUR DE
LA VINGTAINE. Pourquoi ce chiffre? Parce qu'il représente à
peu près la limite au-dessus de laquelle, il n'est plus possible,
premièrement, pour des adultes, de fonctionner sans discipline et
coercition, et, deuxièmement, d'intégrer pour chacun, enfant
comme adulte, la présence réelle des autres.
En effet, un fonctionnement collectif suppose une connaissance
approfondie des autres. Or, les possibilités d'intégration
dans l'esprit sont limitées: une vingtaine d'enfants, cela représente
à peu près une quarantaine de personnes en tout (20 enfants
et 20 adultes). Il est très difficile de connaître un peu
39 personnes, 39 discours, 39 000 désirs et plus ... Au-delà,
on ne fait que de la « participation ».
Un tel souci du petit nombre se retrouve dans l'agencement
des locaux. Tout le monde a remarqué la similitude entre les vieux
bahuts et les casernes mais, aujourd'hui encore, si les institutions, si
l'architecture, se modernisent, la similitude demeure. Elle ne demeure
pas seulement du fait d'un projet universel de répression, mais
aussi pour tenir compte de la concentration d'un grand nombre sur un espace
donné (surveiller avant de punir). L'aménagement multicolore
et lumineux des primaires d'aujourd'hui nous a toujours mis mal à
l'aise.
On ne peut pas apprécier l'asepsie pimpante et
la spécialisation souriante de locaux affectés une fois pour
toutes aux enfants et aux pédagogues. On préférera
toujours, pas forcément le désordre, mas la relative indécision
d'un lieu non spécialisé, que vont construire et reconstruire,
vaille que vaille, quelques personnes sans certitude et sans habitude .
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