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(1978)
n°
13 - avril 1978 - 49 fr
Alors,
on n'a pas école aujourd'hui?
Faire
bouger Goliath,
par
Henry Dougier
Ces pratiques
alternatives: un modèle?
Des
« lieux pour enfants » où s'inventent d'autres rapports,
par
Catherine Baker, Jules Chancel
Cinq expériences,
cinq itinéraires
-
La Barque, comme le nom l'indique
-
Le Toboggan, avant la chute ... ailleurs
-
Le Moulin des souvenirs
-
L'Ecole en Bateau à contre-courants
-
Le projet Jonas,
Jonas-en-Corrèze
: un réseau
D'autres lieux
Mais
qui, diable, va dans ces «écoles» et pourquoi ?
par
Catherine Baker
-
La Roulotte
-
L'Ecole et la Ville
-
Le groupe de Houilles-Argenteuil
-
Terrevigne en Beaujolais
-
Belbezet
-
Le Har
-
La Commune
-
L'A.C.C.E.N.
Critiques et
réponses
Attaques
... et hésitations ...
Parades
... et auto-critiques
Deux
bilans :
«
Attention Ecole », 73-74
«
La Mosaïque », 75-76
Une «
théorie»
Où
il n'est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques ...
mais de politique!
par
Jules Chancel
Face
à face, l'enfant et l'adulte
Confrontations
Plusieurs
silences bien gênants !
(Guy
Avanzini)
Je
demande toujours : quoi de neuf ? (Fernand Oury)
Prendre
la tangente
(Fernand
Deligny)
Une
alternative? Non, une reproduction du système scolaire (Etienne
Verne)
La
longue marche des innovateurs
(Louis
Legrand)
Vitruve,
une école perpendiculaire ... (L'équipe de la rue Vitruve)
Le
lieu central de lutte, c'est l'école publique !
(Jacques
Guyard)
Comment
enclencher sur le milieu populaire ?
(Bernard
Defrance, Louis Caul-Futy)
«
L'initiation » plutôt que la pédagogie (René
Schérer)
Ecoles
parallèles ... Lieux de vie ... Réseaux (Liane
Mazère)
BRITISH
WAY OF LIFE
Le "modèle"
anglo-saxon, libéral ... et blairo-socialiste...
ÉCOLES
ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit
compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre
par le gouvernement travailliste..
Royaume-Uni
: L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur
unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination
à l’encontre des élèves pauvres.
Directeur
d'école en Grande Bretagne :
« Le métier
a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable,
on a plus de pression,
on nous demande plus de résultats. »
Deux
fois plus d’enseignants sont partis en retraite
anticipée au cours des sept dernières années.
35%
des élèves de 11 ans ne savent pas lire.
Un
ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.
Ecoles
publiques fermées aux pauvres. Un rapport émis
par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants
du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité
des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions
de "sélection" d’élèves sont organisées, durant
lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".
Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants
dans l’école de leur choix. En écartant les élèves
issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent
rehausser leur taux de réussite aux examens.
Selon
l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs
résultats au monde :
FAUX !
...
& Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.
Les
écoles anglaises pourront être gérées par des
"trusts".
L’école
britannique livrée au patronat. En mars 2000, le Conseil
européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif
à la politique de l’Union en matière d’éducation de
produire un capital humain rentable au service de la compétitivité
économique.
Le
créationnisme aux examens.
"BAGUE
DE VIRGINITE" : Une
adolescente anglaise, fille d'un pasteur
évangélique, perd son procès en Haute Cour.
Grande-Bretagne
:
l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire
Grande-Bretagne
:Les
sponsors au secours de l'école
Empreintes
digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni
réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création
d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.
Naître
et grandir pauvre en Grande-Bretagne est encore plus pénalisant
que dans d’autres pays développés.
Un demi-million de «sans-logement». A
Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.
Un
demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".
«tolérance
zéro» et conditions de détention intolérables.
Plus
de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.
«Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est
l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»
Les
frais très élevés d’inscription universitaire dissuadent
les étudiants issus de familles modestes de s’inscrire en fac.
De
plus en plus d’étudiantes se prostituent ou travaillent dans l’industrie
du sexe pour payer les frais d’inscription de leur université.
Plus de 350 000 Britanniques ont quitté leur île en 2005 pour
jouir d'une vie meilleure
Les
jeunes Britanniques se voient vivre ailleurs. Difficulté d'
acquérir un logement, hausse de la fiscalité et indigence
des services publics, en particulier les transports et le système
de soins.
M.
Ernest-Antoine Sellière, alors président du patronat français
:«
Je suis un socialiste britannique »
Londres,
paradis des milliardaires.
Selon
des rapports de l’ONU et de la Banque mondiale : « Au Royaume-Uni,
les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes
du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria,
et plus profondes que celles que l’on trouve, par exemple, à la
Jamaïque, au Sri Lanka ou en Ethiopie .»
Grande Bretagne : premier
pays où chaque déplacement de véhicule sera enregistré.
Les
Britanniques inventent l'ultrason antijeunes.
De
plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool.
Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop
bu a augmenté de 20% en un an.
Beuark.
Ségolène
Royal rend hommage à la politique de Tony Blair.
AMERICAN
WAY OF LIFE...
"Je
t'aime, Alex" : 4 mois de redressement.
Lourde peine pour une écolière
amoureuse.
Une jeune fille de 12 ans
ayant écrit «Je t’aime Alex» sur les murs d’une
école, a été envoyée pour 4 mois dans un établissement
"accueillant" des élèves "en difficulté". Parmi de
nombreuses autres jolies colonies de vacances du même type : Tranquillity
bay". gérée par la WWASP (patronnée par le
professeur Skinner, le père de la psychologie comportementaliste).
Pour 3000 dollars par mois,
il promet de transformer ces récalcitrants en citoyens dociles et
travailleurs.
|
Vitruve,
une école perpendiculaire
.
L'équipe de la rue Vitruve
Pour nous, un des mérites
des écoles parallèles est d'avoir clarifié le débat
stérile entre Ecole publique et écoles privées dans
lequel ont été pris au piège de nombreux militants
qui se sont retrouvés de farouches défenseurs d'une institution
à laquelle ils ne croient plus; cette institution qui pourrit lentement
mais dans laquelle la Gauche officielle rêve d'enfermer « à
égalité de chances » les enfants de bourgeois et de
prolos pour accéder, par-delà les différences, à
la « culture », dont les enfants de travailleurs seraient privés
par la pauvreté de leur milieu.
Ecoles privées, écoles
publiques, on y enseigne les mêmes valeurs, Dieu en moins, la République
en plus. Mais, dans les unes et les autres, le système d'enseignement
repose sur une mise à l'écart des enfants de la classe ouvrière
et une conception illuministe de la connaissance où, dans le meilleur
des cas, on fait croire aux gosses qu'ils inventent des solutions déjà
établies à l'avance. Dans les unes comme dans les autres,
on apprend qu'il y a des gens nés pour commander, d'autres pour
obéir ... La sélection y prend des formes de plus en plus
perverses grâce au fichage des individus depuis la crèche
(et même la naissance, cf. le projet G.A.M.I.N.) et n'est justifiée
que par des explications individualistes et psychologisantes.
Dans ces conditions, choisir, en
tant que parents, de sauver la peau de son gosse, cela se comprend parfaitement;
le justifier politiquement par une argumentation théorique, fut-elle
« pour rire », en faisant un amalgame de citations d'illustres
ancêtres et expériences non pour en faire une analyse historique
mais pour donner une caution « intellectuelle » à sa
démarche, c'est presque une escroquerie ...
Ces doux enfants qui font des
bisoux ...
Que se passe-t-il dans une école
parallèle comme La Barque? (La seule, dans ce dossier, dont nous
ayons eu lecture de l'expérience). Les enfants vivent mieux. Ils
ne sont pas cassés par la machine scolaire. On ne leur impose pas
des attitudes d'obéissance, de respect de la hiérarchie et
l'image de l'adulte parfait au travers d'une relation avec un maître
unique et intouchable. De plus, ils sont libres. Drôle de liberté
que celle de l'impuissance! Quel droit leur reconnaît-on si ce n'est
celui du jeu?
L'école traditionnelle les
voit incomplets, irresponsables et elle envisage toute une période
de dressage dans un vase clos pour mieux les réinjecter dans la
réalité sociale après avoir intériorisé
la norme. A La Barque, les mômes semblent tout aussi coincés
dans leur statut de mômes, seulement, on les accepte tels qu'on prétend
qu'ils sont. Ces enfants, pour lesquels « le temps n'est pas le même
que nous » (La Barque page 7), sont condamnés, ne vivant
que dans l'oisiveté, à n'apprendre que l'oisiveté.
Quel est donc cet « état différent propre à
l'enfance et « cet empirisme qui est peut-être celui de l'enfance»
(La
Barque page 19)? Que « chaque enfant soit lui-même, ici,
maintenant» (La Barque page 10), cela signifie-t-il qu'il
ne sache pratiquement que jouer et apprendre pour faire plaisir aux adultes
qui savent bien raconter et écouter les enfants? (La Barque page
5 : « Il y a ceux qui savent écouter les enfants et ceux
qui ne savent pas ».)
En fait, il ne semble pas qu'il
y ait de grande différence entre la pédagogie active de l'Ecole
heureuse (il y en a quand même quelques unes) et la non pédagogie
de La Barque. Même séparation entre les activités scolaires
et les autres. Le savoir, l'action, y sont complètement gratuits.
On apprend à lire parce qu'on a 6 ans et qu'on en a l"âge
et non parce que c'est un outil d'expression sociale. On passe le reste
du temps dans des activités de loisir qui rappellent les ouvrages
de dames de la fin du siècle dernier (dans les écoles on
appelle ça des clubs). Ces activités sont choisies en fonction
du fait qu'elles font plaisir aux adultes et par conséquent, aux
enfants ... On joue, on fait, pour exprimer une créativité
qui tombe du ciel, réaliser un désir individuel qu'on sollicite
et accepte sans l'analyser. De la même manière, certains décideront,
« en toute liberté », de passer leur bac ou pas.
Vers 6 ans, il faut apprendre à
lire. C'est bien ennuyeux la pédagogie. On se bouche le nez et les
oreilles et on se débrouille pour apprendre le plus vite possible.
Or le contenu du savoir est fonction du processus mis en œuvre durant l'apprentissage.
Apprendre à lire pour soi, pour faire plaisir à Vanvan, Suzanne,
Michèle et papa-maman (ou à la maîtresse) cela détermine
une attitude passive par rapport à l'écrit. En séparant
l'acquisition de la lecture et de l'écriture d'une pratique productive,
on ne privilégie là qu'une façon d'apprendre. En refusant
de poser le problème du pourquoi et du comment on apprend, on n'évacue
pas un simple problème de pédagogues, de spécialistes.
On évacue le débat sur la connaissance et sur la culture!
Est-ce bien sérieux d'écrire
« leur savoir ne sera pas le nôtre » et de ne leur proposer
qu'une sympathie pour Cicéron, les histoires de Jules, le tissage,
l'apprentissage du massage, l'initiation au yoga ... Toutes les activités
qui font les délices des classes moyennes et supérieures,
à la « page ».
De ce qui précède,
il ressort qu'au-delà de la volonté individuelle de préserver
leurs gosses il ne nous semble pas qu'il y ait dans la pratique éducative
des adultes de La Barque une réelle ligne de rupture avec la conception
éducative dominante. Vraiment, ils sont gentils ces enfants qui
apprennent pour ne pas vous contrarier. Ils tiennent chaud, ils font des
bisoux, ils sont si jolis quand ils jouent. (On a beau se défendre
d'être mièvres ... ) Dehors, il y a le monde qu'on ne regarde
que pour être heureux d'y avoir échappé, les voisins
avec lesquels on aurait pu avoir des contacts si on avait été
moins timides, les homosexuels, les lycéens, les vieux qui viendraient
si on se remuait un peu.
On se tient chaud et si, de temps
en temps, on va à l'extérieur c'est pour consommer leurs
créations culturelles, voir qu'il y a des gens gentils qui comprennent
les enfants et d'autres qui ne les aiment pas. Puis, on rentre vite en
se disant qu'on est mieux chez soi. On rentre pour « retrouver ces
petits enfants qui nous enchantent sans perdre de vue ces adultes qui nous
glacent ».
L'histoire du vol
Mais ces petits enfants qui vous
enchantent peuvent parfois être aussi salauds que des adultes parce
qu'ils sont tout autant impliqués dans le jeu social et ses contradictions.
Ainsi, il n'y a pas de «cire vierge de l'enfant ». L'enfant
ne se socialise pas. Il est un être social. Il ne se contente pas
de reproduire le modèle social. Leurs désirs sont liés
à leurs intérêts et ils ne sont en dehors d'aucune
réalité individuelle ou collective.
Leur manière d'être,
leurs habitudes sont marquées par le groupe social auquel ils appartiennent.
Les rapports de force des différents groupes sociaux ne sont pas
une donnée seconde de la vie des enfants. Les idéologies
et les pratiques qui les fondent déterminent la complexité
des rapports de force entre les différents groupes qui se confrontent.
L'école traditionnelle les gomment derrière la discipline
et une bonne entente qui n'éclatent que dans la cour de récréation.
Une pratique non directive permet l'extériorisation des conflits
mais non leur analyse par les enfants.
Ainsi ne pas faire un drame de
l'histoire du vol de la caisse des goûters semble juste par rapport
à la manière dont cela serait dramatisé dans une école
traditionnelle répressive, jugé sévèrement
comme un délit; ou dans une école « moderne »
où il serait étudié comme une maladie ou l'expression
d'un quelconque problème psychologique. A Vitruve, c'est au travers
de discussions et d'expériences d'organisation de vie collectives
que les enfants apprennent à se situer politiquement.
Quand, en C.P., Mourad a fauché
le goûter de Manuela qui n'osait poser son problème devant
le groupe, ce sont les enfants eux-mêmes qui ont convoqué
une réunion du groupe d'enfants et des deux instits pour examiner
la situation. Cette réunion n'a pris ni la forme d'un tribunal,
ni celle d'un jugement moral mais on a cherché ensemble des solutions
concernant l'argent de poche et les goûters.
Nous avons abordé le terrorisme
que certains garçons exerçaient sur les filles, le statut
de l'enfant émigré dans l'école; Mourad, tout à
fait à l'aise, Manuela, exclue dû groupe. On a vu que la violence
pouvait être négative ou positive suivant les situations.
L'enfant d'O.S. et l'enfant d'intellectuel ont deux pratiques tout à
fait différentes de la violence dont ils tirent des analyses opposées.
Que signifie « Nous avons
eu peur de la violence de certains mais nous avons toujours eu l'humilité
de savoir que tout cela n'est qu'apparence. En soi, cela ne signifie rien
» ? Y aurait-il une violence « en soi» ? En soi,
la violence de Fabrice qui coupe la parole aux autres à tout bout
de champ, ce qui 3pour résultat de faire dire aux autres au bout
de quelques mois «Pourquoi veux-tu qu'on réfléchisse
puisque Fabrice pense pour nous? ... «En soi », le racket que
Jean exerce sur les gosses de l'école ?... « En soi »,
l'intimidation que Mourad fait peser sur Manuela, ce qui fait dire à
cette dernière qu'elle lui a donné son goûter? .. «En
soi », l'attitude de Caroline qui ne veut pas s'asseoir à
côté de Zoran ? ...
Les règles de conduite
Ce qui nous semble important c'est
que l'enfant se trouve dans des situations où la violence ne soit
ni évacuée ni canalisée. Pour nous, le rôle
de l'adulte est de faire éclater les contradictions et de permettre
au groupe de les dépasser en faisant apparaître le problème
des statuts sociaux liés aux origines de classe car les types de
relations qui s'établissent avec les enfants sont fonction de ces
statuts. Si la personnalité de chaque instit diffère, nous
avons un mode d'intervention cohérent, élaboré en
équipe au travers de la confrontation des pratiques.
Pour nous l'absence de règle
de conduite (« nous n'avons pas de règle de conduite et un
tel interviendra dans une dispute parce qu'il ne supporte pas la violence
». La Barque page 18), ne permet que la pérennisation
du statut des enfants. Il ne s'agit pas, pour nous, d'intervenir parce
qu'on ne « supporte pas la violence» ou parce que la tension
nous est insupportable» ni pour rétablir l'Ordre mais de jouer,
de manière délibérée, comme un révélateur
pour faire apparaître les bases sociales des antagonismes. Ce type
d'intervention de l'adulte ne signifie pas que nous agissions comme des
personnalités neutres et extérieures au groupe ou de façon
manipulatoire, en étant conscients de ce que nous représentons
comme pouvoir institutionnel. Mais de cela aussi on discute avec les gosses.
Ainsi, dans le cadre de l'élaboration
des règles de vie, certaines sont Imposées par les adultes
et nous ne donnons pas l'illusion aux mômes qu'elles émanent
d'eux, tandis que d'autres évoluent au cours des années et
des projets. Les enfants vivent donc des rapports sociaux dont on ne filtre
pas les antagonismes. C'est à travers des réalités
intérieures et extérieures à l'école qu'ils
apprennent, qu'ils agissent, qu'ils vivent. En effet, pourquoi leur retarder
le moment d'agir pour de vrai. Mais « l'enfant producteur»
(cf. l'article d'Evelyne Le Garrec dans le numéro d'Autrement sur
l'enfant et la ville) n'est ni un objet de pub, ni un Stakhanov en herbe.
Il ne s'agit ni de préparer
les gosses à être les producteurs qu'ils seront plus tard,
ni de leur donner une conception du monde du travail, du type: «
travail = malédiction », mais de leur permettre de se situer
entre eux et par rapport aux adultes au travers d'une réalisation
collective. Ils ne sont plus dans la position de recevoir un enseignement
dont ils ne comprennent pas la nécessité mais de faire appel
à des connaissances pour résoudre les problèmes rencontrés
au cours de la réalisation de leurs projets. Leur statut se trouve
ainsi bouleversé ou du moins ébranlé. En devenant
producteurs d'objets et de services utiles à eux-mêmes, à
la collectivité école, aux gens du quartier, aux habitants
des régions où nous allons en classe verte ... leur égalité
vis-à-vis de l'adulte n'est plus alors concédée mais
conquise.
Enseignants dans une école
communale de quartier où le pourcentage d'échecs scolaires
était relativement élevé, c'est le brassage social
qui nous a conduits à faire au fil des années une critique
radicale des méthodes et des techniques de la pédagogie «
moderne » que nous avons expérimentée nous-mêmes
et à travailler progressivement sur des projets sociaux dont les
limites nous apparaissent clairement. A Vitruve, tout apprentissage sous
forme de leçons traditionnelles a été supprimé.
Chaque projet donne source à des tâches multiples pour lesquelles
il faut divers instruments. Mais les trésors d'imagination dépensés
ne visent pas à combler la distance entre les enfants dits doués
et ceux que l'Ecole considère comme des handicapés.
Notre but n'est pas de donner aux
enfants de travailleurs la Culture que peuvent avoir les enfants qui réussissent
à l'école. Il s'agit d'affirmer le droit de chacun à
la différence et non pas de traduire ces différences en termes
d'inégalité ou de handicap (différence dans les formes
d'expression, de démarche ... ) C'est par le biais d'une confrontation
interculturelle qu'à Vitruve les enfants apprennent ensemble, en
vivant la réalisation de projets où la démarche de
chacun est reconnue.
Deux enfants de C.P., dans le cadre
de la fabrication de jouets en bois pour la ludothèque d'un comité
d'entreprise, ont décidé de construire une locomotive. L'un
fit un croquis très détaillé mentionnant toutes les
pièces et les outils nécessaires. Il fabriqua sa machine
avec beaucoup de difficulté. L'autre commença par la construction.
Interrogé par ses camarades, il utilisa la forme de la bande dessinée
pour raconter le processus de construction. Deux enfants, deux méthodes,
deux locomotives: il est immédiatement possible de distinguer l'enfant
qui se serait trouvé privilégié dans le système
traditionnel, celui qui aurait eu le plus de chance de réussite
scolaire. En effet, ce qui est encore à la rigueur admis en C.P.
ne l'est déjà plus en C.E.! Les deux enfants se seraient
trouvé « à égalité devant le même
problème mais cette fois avec les outils d'une même méthode,
celle du premier.
Le choix volontaire du système
scolaire, en imposant une méthode définit le chemin que devra
prendre la « performance scolaire ». Ce faisant, il évacue
et dévalorise une démarche intellectuelle marquée
par la vie et par l'origine sociale de l'enfant. L'Ecole, coupée
du milieu social, prétend éduquer les enfants en imposant
des normes et des structures qui le plus souvent sont la négation
du savoir acquis dans leur milieu. A Vitruve, la démarche de Yann
et de Stanislas sont également reconnues. Il n'y a pas de rupture
entre les activités dites scolaires et le travail manuel de production.
On apprend à lire, à écrire, à scier, à
clouer, à compter parce qu'on en a besoin pour faire. Tout de suite.
Pas pour plus tard.
Favoriser la critique
Ne nous leurrons pas. Nous ne cherchons
ni à définir l'école de demain, ni à ébaucher
une contre-culture. Notre démarche consiste à favoriser la
discussion d'un nouveau projet éducatif avec les groupes sociaux
utilisateurs de l'Ecole. Cette confrontation se situe avec les enfants
et les adultes à partir d'un échange qui peut prendre comme
base une intervention ponctuelle ou continue dans les projets de l'école
(Caca Pétard le journal, le studio radio, la braderie ... ) ou des
différents groupes d'enfants.
Les parents des classes moyennes
sont ceux qui hésitent le moins à entrer dans les écoles.
Ce n'est pas un hasard s'ils s'y sentent à l'aise. En ce qui nous
concerne nous ne sommes plus dupes, après l'avoir pratiqué
de nombreuses années et démystifié de la soi-disant
ouverture de l'école aux parents qui, dans la stratégie ministérielle,
ne vise qu'au renforcement du projet éducatif en place. Toutes les
critiques qu'ils apportent en général ne concernent qu'une
humanisation des rapports à l'intérieur de l'institution
scolaire. Il faut avant tout que l'Ecole continue à permettre la
promotion sociale de leurs enfants. A Vitruve, certains parents ont utilisé
l'ouverture de l'école pour veiller à ce que la reconnaissance
des différences interculturelles ne fasse pas « baisser le
niveau » et ne défavorise pas leurs gosses!
Favoriser la critique ... Les intellectuels
de gauche sont-ils bien les seuls à pouvoir questionner le «
service national d'éducation ». Cela signifierait que seule
la petite bourgeoisie intellectuelle serait porteuse d'un potentiel idéologique
de changement de société. Ne renforce-t-on pas le système
en place en se réjouissant des miettes de privilège dont
on jouit.
« Seule pour le moment, la
petite bourgeoisie dispose des moyens (langage, media, accès à
ce qu'on appelle « la culture ») de critiquer l'Education nationale.
Les organisations populaires, quand bien même elles le voudraient,
ne peuvent contrecarrer l'idéologie du pouvoir en matière
scolaire ... » (La Barque page 30) : prétendre cela
c'est reforcer l'idée qu'il y a une culture unique. C'est faire
de l'intellectuel, quelqu'un qui possède le savoir et non quelqu'un
qui réfléchit et analyse, la réalité. C'est
nier la valeur de la formation intellectuelle que les militants ouvriers
acquièrent à travers le combat pour leurs conditions de travail
et de vie, la pratique de l'action collective, l'expérience des
luttes et la réflexion théorique à travers l'histoire
de la classe ouvrière.
Tout le long de la mise en place
de l'école obligatoire, les ouvriers ont revendiqué «
le droit à l'instruction et l'égalité de tous devant
le savoir ». L'une des revendications concernait le fait que l'Etat
devait prendre en charge l'aspect matériel de l'éducation
et non son contenu. La Gauche officielle actuelle s'est tellement identifiée
à l'école laïque qu'elle en a perdu tout esprit critique
vis-à-vis d'elle au point d'en faire l'école du peuple. Cependant,
des positions contradictoires ont toujours cohabité au sein du mouvement
ouvrier: la revendication d'instruction avec le refus de la scolarisation,
l'éloge de l'école laïque avec une critique virulente
de Jules Ferry et de l'emprise de la bourgeoisie sur le savoir.
Cela a même abouti à
l'idée d'une école syndicale: «Si nous voulons une
transformation sociale telle qu'après elle la société
puisse fonctionner normalement... il faut pour cela des hommes d'action
qui aient aussi une mentalité d'hommes libres. Quelle éducation
la leur donnera. Cela doit être l'œuvre du syndicalisme. Outre sa
mission d'organisation, il y a celle d'éducation des travailleurs.
Le syndicalisme n'a pas de plus sérieuse et de plus pressante besogne
que celle d'arracher à l'empoisonnement de l'Etat bourgeois le cerveau
des prolétaires... Cette tâche rude et belle est possible
dans un immeuble indépendant, avec des éducateurs absolument
libres, absolument des nôtres. «(Extrait du rapport au Congrès
C. G. T. 1908 « syndicalisme révolutionnaire » cité
par G. Vidalenc « l'Education ouvrière » pp. 311-312).
Poser ensemble le problème
de la famille, de l'école, de la production
De plus en plus, les exclus de
l'école ont une position de refus par rapport à l'institution.
Il y a une recrudescence de la déscolarisation chez les préadolescents.
De nombreux parents opposent un refus ou une attitude d'indifférence
aux diverses sollicitations des instits, directeurs, assistances sociales,
et psychologues, qui leur expliquent avec bonne conscience que leurs familles
sont malades, que leurs enfants ne sont pas doués mais qu'on va
les aider. Au-delà de ces positions instinctives, il y a des militants
ouvriers qui, faisant le lien entre l'exploitation qu'ils subissent quotidiennement
et les conditions de scolarisation de leurs gosses, font une remise en
cause de l'institution en tant que travailleurs.
En particulier, il y a tout le
travail fait par les militants du syndicalisme familial (la Confédération
syndicale des Familles) qui seraient mieux placés que nous pour
répondre à l'affirmation de la soi-disant incapacité
qu'aurait la classe ouvrière de faire une critique idéologique
de l'école. Depuis 1962, ils ont entrepris de façon collective
un travail de réflexion qui a abouti à la constitution en
1965 de la Fédération Ecole et Familles au sein de laquelle
ils mènent un combat contre les illusions de l'école publique:
discussion dans les immeubles s'appuyant sur des montages diapo, dossier
annuel sur le coût de la rentrée, actions contre le dossier
scolaire Haby.
Il ressort du rapport de leurs
journées nationales d'études des 29 et 30 janvier 1977, intitulé
«
Les malmenés de l'école et de la société capitalistes
», une critique radicale de l'institution et de l'aggravation
de ce qu'ils appellent l'orientation-sélection qui transparaît
derrière le masque souriant de la dernière réforme.
« Je dois dire que pour notre organisation, qui est une expression
du monde du travail sur ce problème - qui n'est pas la vie de la
production mais qui est la vie des familles -, nous avons fait le tour
de la question en réunissant des milliers et des milliers de familles
dans des réunions de quartier et on pourrait dire maintenant que
les écailles sont tombées de nos yeux et que nous voyons
le problème d'une toute autre façon. Il nous semble que l'école
est à mettre en cause, l'institution scolaire telle qu'elle fonctio'hne.
(Interview de Françoise Villiers, responsable Ecole et Familles,
pour le film « Alertez les bébés! » de
Jean-Michel Carré, production « Les films du grain de sable
».)
L'important est de bien voir qu'il
est complètement différent de poser le problème en
terme individuel en tant que parents et en terme collectif en tant que
travailleurs. C'est cette prise en charge collective qui a permis à
certains travailleurs de dépasser leur culpabilisation devant l'échec
scolaire de leur môme de comprendre que c'est toute une classe sociale,
la leur, qui échoue massivement à l'école. Voyant
leurs enfants vivre et penser, ils en sont venus à la remise en
cause de la notion de handicap socio-culturel dans laquelle on veut les
enfermer et ils s'opposent violemment au statut d'assisté que les
nouveaux clercs de la classe ouvrière veulent leur attribuer: «
On peut déjà se poser la question,. comment ces enfants qui
ont de l'initiative, inventent des jeux, assument des responsabilités,
s'organisent entre eux, peuvent-ils être des handicapés socioculturels?
» (rapport des journées d'étude des 29 et 30 janvier
1977 page 7.)
Des enseignants refusent de rester
dans l'impasse des revendications corporatistes et catégorielles
et, conscients du rôle de sélection qu'on leur fait assumer
et de l'incapacité du milieu enseignant à remettre en cause
seul, les principes de l'école, essaient d'ouvrir le débat
avec les non-enseignants. Que ce soit les militants d'Ecole et Société
qui essaient de définir une stratégie déscolarisée
de luttes sur l'école ou encore des militants de S.G.E.N.-C.F.D.T.
qui vont poser les problèmes de l'école dans les structures
inter-professionnelles.
Notre choix en tant qu'équipe
est, dans la période actuelle, de rester dans l'institution parce
que c'est là qu'il y a le plus de possibilités, de confrontation
sociale. Cela ne signifie ni que nous fassions un fétichisme de
l'institution, ni surtout que nous prétendions résoudre les
problèmes des gens à leur place. Dans le système scolaire
français, là où il y a juxtaposition, ce sont les
gosses des milieux dit favorisés qui réussissent au détriment
des autres. Dans la plupart des Écoles parallèles, ces «
autres » ne sont pas représentés et leur absence ne
peut être résolue par une simple invitation. D'ailleurs, peut-on
vraiment dire des enfants de ces écoles qu'ils sont des privilégiés
... Une des revendications d'Ecole et Familles concerne la demande d'un
contenu d'un enseignement qui n'exclue pas le vécu de leurs enfants.
C'est ce que nous essayons de faire.
Le problème qui se pose est
donc de savoir comment associer à une remise en cause de l'école
tous les parents, y compris ceux qui en sont habituellement exclus, afin
de connaître leurs demandes éducatives et poser conjointement
le problème de la famille et de la production. Ce n'est pas du ressort
des seuls usagers de l'école: ce qui se joue dans l'institution
c'est la reproduction sociale et la transmission d'un certain nombre de
valeurs. Ces problèmes doivent être posés par l'ensemble
du corps social et non exclusivement par les parents et les enseignants
.
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