Archives
(1978)
n°
13 - avril 1978 - 49 fr
Alors,
on n'a pas école aujourd'hui?
Faire
bouger Goliath,
par
Henry Dougier
Ces pratiques
alternatives: un modèle?
Des
« lieux pour enfants » où s'inventent d'autres rapports,
par
Catherine Baker, Jules Chancel
Cinq expériences,
cinq itinéraires
-
La Barque, comme le nom l'indique
-
Le Toboggan, avant la chute ... ailleurs
-
Le Moulin des souvenirs
-
L'Ecole en Bateau à contre-courants
-
Le projet Jonas,
Jonas-en-Corrèze
: un réseau
D'autres lieux
Mais
qui, diable, va dans ces «écoles» et pourquoi ?
par
Catherine Baker
-
La Roulotte
-
L'Ecole et la Ville
-
Le groupe de Houilles-Argenteuil
-
Terrevigne en Beaujolais
-
Belbezet
-
Le Har
-
La Commune
-
L'A.C.C.E.N.
Critiques et
réponses
Attaques
... et hésitations ...
Parades
... et auto-critiques
Deux
bilans :
«
Attention Ecole », 73-74
«
La Mosaïque », 75-76
Une «
théorie»
Où
il n'est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques ...
mais de politique!
par
Jules Chancel
Face
à face, l'enfant et l'adulte
Confrontations
Plusieurs
silences bien gênants !
(Guy
Avanzini)
Je
demande toujours : quoi de neuf ? (Fernand Oury)
Prendre
la tangente
(Fernand
Deligny)
Une
alternative?
Non,
une reproduction du système scolaire (Etienne Verne)
La
longue marche des innovateurs
(Louis
Legrand)
Vitruve,
une école perpendiculaire ... (L'équipe de la rue
Vitruve)
Le
lieu central de lutte, c'est l'école publique !
(Jacques
Guyard)
Comment
enclencher sur le milieu populaire ?
(Bernard
Defrance, Louis Caul-Futy)
«
L'initiation » plutôt que la pédagogie (René
Schérer)
Ecoles
parallèles ... Lieux de vie ... Réseaux (Liane
Mazère)
BRITISH
WAY OF LIFE
Le "modèle"
anglo-saxon, libéral ... et blairo-socialiste...
ÉCOLES
ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit
compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre
par le gouvernement travailliste..
Royaume-Uni
: L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur
unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination
à l’encontre des élèves pauvres.
Directeur
d'école en Grande Bretagne :
« Le métier
a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable,
on a plus de pression,
on nous demande plus de résultats. »
Deux
fois plus d’enseignants sont partis en retraite
anticipée au cours des sept dernières années.
35%
des élèves de 11 ans ne savent pas lire.
Un
ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.
Ecoles
publiques fermées aux pauvres. Un rapport émis
par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants
du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité
des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions
de "sélection" d’élèves sont organisées, durant
lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".
Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants
dans l’école de leur choix. En écartant les élèves
issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent
rehausser leur taux de réussite aux examens.
Selon
l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs
résultats au monde :FAUX
!
...
& Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.
Les
écoles anglaises pourront être gérées par des
"trusts".
L’école
britannique livrée au patronat. En mars 2000, le Conseil
européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif
à la politique de l’Union en matière d’éducation de
produire un capital humain rentable au service de la compétitivité
économique.
Le
créationnisme aux examens.
"BAGUE
DE VIRGINITE" : Une
adolescente anglaise, fille d'un pasteur
évangélique, perd son procès en Haute Cour.
Grande-Bretagne
:
l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire
Grande-Bretagne
:Les
sponsors au secours de l'école
Empreintes
digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni
réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création
d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.
Naître
et grandir pauvre en Grande-Bretagne est encore plus pénalisant
que dans d’autres pays développés.
Un demi-million de «sans-logement». A
Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.
Un
demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".
«tolérance
zéro» et conditions de détention intolérables.
Plus
de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.
«Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est
l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»
Les
frais très élevés d’inscription universitaire dissuadent
les étudiants issus de familles modestes de s’inscrire en fac.
De
plus en plus d’étudiantes se prostituent ou travaillent dans l’industrie
du sexe pour payer les frais d’inscription de leur université.
Plus de 350 000 Britanniques ont quitté leur île en 2005 pour
jouir d'une vie meilleure
Les
jeunes Britanniques se voient vivre ailleurs. Difficulté d'
acquérir un logement, hausse de la fiscalité et indigence
des services publics, en particulier les transports et le système
de soins.
M.
Ernest-Antoine Sellière, alors président du patronat français
:«
Je suis un socialiste britannique »
Londres,
paradis des milliardaires.
Selon
des rapports de l’ONU et de la Banque mondiale : « Au Royaume-Uni,
les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes
du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria,
et plus profondes que celles que l’on trouve, par exemple, à la
Jamaïque, au Sri Lanka ou en Ethiopie .»
Grande Bretagne : premier
pays où chaque déplacement de véhicule sera enregistré.
Les
Britanniques inventent l'ultrason antijeunes.
De
plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool.
Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop
bu a augmenté de 20% en un an.
Beuark.
Ségolène
Royal rend hommage à la politique de Tony Blair.
AMERICAN
WAY OF LIFE... |
Archives (1978)
Une
alternative
?
Non, une reproduction du système
scolaire
Etienne Verne
Charge d'enseignement à
l'Institut Supérieur de Pédagogie de Paris.
Vient de publier, en collaboration,
«
L'Ecole à perpétuité » (Seuil, 1977).
Quel est le comble d'une
école parallèle?
Réponse: Y voir débarquer
un professeur pour « critiquer son métier de prof. devant
un cercle de mômes» (in le texte sur La Barque).
Et maintenant, une devinette:
où a-t-on déjà vu çà ?
Réponse: (si vous donnez
votre langue au chat) : dans les écoles. Bien sûr. ..
Changements de rituel, pas de religion!
Les écoles parallèles
sont au système scolaire ce que la dînette est à la
famille: une autre manière d'introduire à la célébration
de la même liturgie. Il est difficile de parler des « écoles
parallèles » autrement qu'en forme de jeu de société.
Ce n'est pas la lecture de ce dossier qui m'aura fait changer de point
de vue. Surtout si on renvoie cette lecture à la minceur de la réalité
qu'elle décrit. Jeu de société industrielle, sans
doute, et qui ne manque pas de signification et d'intérêt.
Mais là moins qu'ailleurs l'arbre ne peut cacher la forêt.
Surtout si l'arbre n'est ici qu'un rejeton, déjà étiolé
et asphyxié par l'atmosphère dans laquelle il aurait voulu
se développer.
Rejeton, puisqu'il s'agit bien
ici d'école, et non pas de contre-école, et encore moins
de l'inverse d'une école. De cette petite aventure, c'est encore
l'idéologie scolaire qui sort renforcée parce que célébrée
par ceux qui ne veulent changer que le rituel, mais pas de religion.
Propos amers, mais qui voudraient
indiquer d'emblée qu'à la pêche aux innovations sociales,
on ramène un peu de tout. Parfois des choses anciennes, souvent
les déchets ou les rejets de notre propre société,
plus rarement des choses vraiment nouvelles, ou de réelles alternatives.
Dans une société entièrement scolarisée, il
n'y a pas de place pour des écoles parallèles. Peut-être
pour des réseaux de formation parallèles à l'école.
Mais pas pour des écoles parallèles.
Parce que la place, toute la place,
est occupée par le système scolaire, et bien occupée.
A la fois par le mythe de l'éducation scolaire, la seule chose que
l'école ait bien réussi à inculquer à tous,
et par le système scolaire. Jusqu'aux écoles parallèles
qui, comme les écoles libres, doivent faire acte d'allégeance
à l'Etat et à ses appareils.
Les sociétés industrielles
autant que les autres ont besoin d'assurer des rituels d'initiation. Le
système scolaire a servi pendant cent ans à cette initiation
et à cette légitimation. S'il a perdu, à la fin des
années 60, toutes ses vertus, il n'en garde pas moins ses pouvoirs,
ses effets et ses structures, ses pompes et ses œuvres. On continue à
s'y faire baptiser sans nécessairement croire au salut. L'éducation
scolaire est devenue une religion sociologique. Et, comme dans toutes les
églises, il y a beaucoup de chapelles et de manière de célébrer
le culte. Si le système scolaire a perdu son auréole, sa
capacité à faire croire à ce dont il était
censé être porteur: démocratie et égalité,
libération et lumière, conscience et vertu, il fallait développer
d'autres rituels: une société ne peut pas rester sans rituel
légitime d'initiation.
On a donc assisté à
une floraison d'initiatives pédagogiques et d'innovations éducatives
qui ont cherché à perpétuer et à renforcer
le mythe de l'éducation, la figure qu'a prise l'éducation
dans les sociétés modernes (1), tout en lui redonnant
une nouvelle légitimité. Légitimité par la
rationalisation pédagogique: des apprentissages standards garantis
à tous grâce aux nouvelles technologies éducatives;
légitimité par la rationalisation économique: une
école moins coûteuse pour adapter des individus à un
marché du travail préformé; légitimité
par la rationalisation politique: une école pour conditionner les
individus à la libération.
Ces nouvelles rationalisations
peuvent bien s'écrouler, elles n'en sont pas moins productrices
d'outils. La plupart de ses politiques novatrices vont chercher à
s'articuler sur le discours sur l'éducation permanente ou sur l'éducation
récurrente (2), de fait sur l'extension à tous les
âges de la vie du rituel scolaire. Les écoles parallèles
s'inscrivent modestement dans cette recherche: « trouver des systèmes
de formation », comme l'écrit ici même un de leurs protagonistes.
Le mot dévore l'adjectif
Les écoles parallèles
n'ont été qu'une dérivation, à peine une excroissance,
poignante sans doute pour les acteurs, significative bien sûr pour
le plus grand nombre, un cri, mais dérisoire du point de vue des
mouvements sociaux et de l'innovation sociale. Un signe beaucoup moins
manifeste que le « protest song » par rapport à la chanson
emballée industriellement. Au « hit parade » de l'innovation
sociale, les « écoles parallèles » sont en baisse
ou absentes, pour peu, en France du moins, qu'elles aient jamais été
cotées.
Considération hors de propos
pour leurs promoteurs et leurs acteurs, usagers et agents, plus préoccupés,
à juste titre, de « faire une expérience », de
« vivre une situation nouvelle », de rompre avec l'establishment,
de découvrir un « style de vie conforme à leur idéaux
», de ne pas se contenter de paroles et d'analyses mais de passer
à l'acte, de chercher une voie dans le micro-social ou la marginalité,
ou préoccupés simplement d'innover, de changer. ..
Mon propos n'est pas de douter
de ces intentions ni de faire la fine bouche devant ces réalisations,
ni même de refuser de les traverser. Mais de situer ces bulles par
rapport à un phénomène plus imposant et plus écrasant:
l'impossibilité à développer dans les sociétés
technologiquement et politiquement totalitaires de réelles alternatives,
et d'abord de décider soi-même de la manière dont on
veut vivre.
Un simple regard sur l'histoire
contemporaine de la scolarisation, depuis par exemple qu'a été
promulguée la loi sur l'instruction obligatoire, montrerait d'abord
qu'il y a toujours eu des écoles en dehors du réseau officiel,
parallèle à celui-ci. Les écoles privées d'abord.
A lire les présentations faites par leurs promoteurs, à en
voir quelques-unes, je peux dire qu'on trouverait davantage d'écoles
parallèles dans le secteur privé qu'on en recense en dehors.
Mais aussi tout un ensemble d'écoles parallèles au sens qu'on
semble lui donner: qu'était le Cempuis de l'anarchiste Louis Robin?
et même le Saint-Paul de-Vence de Freinet? On sait aussi qu'elles
ont généralement servi la pédagogie du réseau
officiel.
Plus important. Quand il s'agit
d'enfance, du statut de l'enfance, de son éducation comme on dit
et au sens où on le dit, quand on s'affirme contre l'école
publique, pourquoi tient-on encore à faire des écoles? C'est
ici que les mots jouent les choses. A ne pas changer le mot d'école,
il est à craindre que celui-ci dévore l'adjectif. L'école
parallèle, c'est toujours l'école. Ce n'est pas ici jouer
sur les mots. Changer, c'est aussi changer de mots, car on sait les représentations
qu'ils véhiculent.
Très simplement, l'école
m'apparaît comme un lieu où il ne faut plus accepter de mener
le combat s'il s'agit bien de changer le statut de l'enfance et promouvoir
une société déscolarisée. Il y a plus de risques
et de provocation éducative à laisser traîner sa gamine
le dimanche matin au marché de l'avenue d'Italie qu'à l'envoyer
pendant la semaine à l'école parallèle voisine de
l'avenue de Choisy.
Pour que s'ouvre enfin le procès
public de l'école
L'actualité électorale
m'amène à une autre remarque. Depuis quelques mois, la question
de l'école privée a resurgi au devant de la scène
politique. Comme d'habitude. Si je fais ce rapprochement entre «
école privée » et « école parallèle
», ce n'est pas par désir de confusion ou volonté d'amalgame.
Il ne s'agit pas de rappeler que si l'on a retenu, en France, l'expression
d'école parallèle, c'est d'abord parce qu'on était
bien gêné par la simple traduction de l'expression américaine
«
free school ». La place était sémantiquement occupée,
et il fallait éviter l'assimilation. Il ne s'agit pas non plus,
dans mon esprit, de refaire aux écoles parallèles la même
querelle que celle qu'on entretient précieusement pour les écoles
privées. Mais de faire le procès de l'école elle-même,
et souhaiter que s'ouvre enfin le procès public de l'école.
Je soupçonne précisément
ces types de débat, même s'ils n'ont pas la même ampleur
dans l'opinion, de servir à la même chose: empêcher
que ce procès ne s'ouvre. Ils renvoient à la même déformation:
l'école est une évidence qui va de soi et dont on ne discute
pas. Discuter l'école, appeler à la déscolarisation
de la société, c'est faire preuve d'obscurantisme; c'est
aller contre les forces de progrès; c'est faire le jeu des forces
conservatrices que de s'en prendre à cette conquête ouvrière,
etc. Et puis, par quoi la remplaceriez-vous?
Ils sont aussi la même fonction:
occulter et empêcher ce débat. La question des écoles
parallèles peut être tout à fait occasionnelle, celle
des écoles privées être un invariant du jeu politique,
il y a toujours un oublié, et c'est l'école en tant que telle,
la légitimité pédagogique, économique, sociale
politique et éthique de l'outil qui assure l'éducation de
tous.
En France, quand il s'agit d'école,
on en reste le plus souvent à ne discuter que des adjectifs dont
on la qualifie. Le substantif en sort intact. Ainsi, on discutera des mérites
respectifs de l'école publique et de l'école privée,
du droit à l'existence de l'école libre et des bienfaits
de l'école nouvelle, de l'école laïque et de l'école
confessionnelle, des écoles parallèles et des écoles
sauvages. Cet acharnement sur les adjectifs me semble une bonne illustration
du fait que l'école, en tant que telle, n'est pas contestée
dans notre société. Sa forme sans doute, ses structures aussi,
son fonctionnement bien entendu, mais l'école comme outil d'éducation,
obligé et obligatoire pour l'enfance et la jeunesse, et éventuellement
tous les âges de la vie, non!
De même que ce qui différencie
l'atome de droite et l'atome de gauche, ce sont ses propriétaires
(ce qui permet de sauver l'usage de la fission atomique, puisque doublement
légitimé et par la droite et par la gauche, ce qui en bonne
démocratie parlementaire est comptabilisé comme unanimité
!), la nature même de l'école serait censée changer
suivant qu'elle est celle de la droite ou celle de la gauche, ou suivant
le qualificatif qu'on lui accole! Qu'est-ce qui différencie l'école
de droite et l'école de gauche? Bonne question, si on ne veut pas
oublier une réalité plus massive: ce qu'elles ont de commun.
A lire les programmes politiques, ou à voir les réformes,
des uns et des autres, il semble qu'on n'en soit pas tout à fait
là.
La querelle privé/public:
ça brouille les cartes
Les forces d'inertie de la vie politique
réduisent constamment le débat à la querelle «
privé-publique ». Elles continuent. Le grand avantage, c'est
qu'elle a au moins pour mérite d'éviter qu'on en arrive là
: à débattre de l'école elle-même, ou de suspendre
l'ouverture de ce débat à la résolution du premier.
On peut donc attendre. Surtout ne pas ouvrir le débat sur la légitimité
de l'école, sur son monopole, pour servir à la fois les intérêts
de la droite et de la gauche traditionnelle. De ce point de vue, les écoles
parallèles n'ont pas brouillé les cartes.
Je soupçonne ce débat
permanent sur l'école privée et l'école publique d'être
à l'origine de cet immense analphabétisme qui caractérise
notre savoir sur l'école (3). Jusqu'aux analyses sociologiques
les plus savantes (elles sont rappelées dans ce numéro) qui
démontrent l'illégitimité économique, sociale
et politique de l'école, et concluent toutes, au plan pratique,
par des « toujours plus d'écoles avec davantage de moyens
». Pour faire quoi, alors?
A s'empêtrer dans les adjectifs,
on oublie, on cherche à oublier, on cache, le seul vrai débat
important, celui sur l'école elle-même. Que la droite ne l'ouvre
pas, c'est précisément son affaire. Mais que la gauche officielle
non seulement s'y refuse, mais réentonne, à son propos, des
mélopées étrangères, voilà qui étonne.
A s'exciter sur les adjectifs, on évite le débat sur l'école,
comme en causant de la nationalisation des entreprises on évite
celui sur l'usine. A qui sert l'occultation du débat sur l'école
lui-même, sinon à l'Etat et à ses servants? Les écoles
parallèles elles aussi sauvent l'école, en se rangeant sous
la bannière de l'idéologie scolaire dominante.
La croissance de l'idéologie
scolaire
Les écoles parallèles,
comme les écoles nouvelles, restent un avatar de scolarisation,
même si elles se sont parfois servies de la notion de « déscolarisation»
réduite, ce qui est une méprise, à la seule déscolarisation
de la société (4). Cette démonstration a été
faite pour d'autres institutions de formation dites « déscolarisées
», par exemple pour la formation continue et les nouveaux systèmes
multi-media. Elles seraient à faire pour les écoles parallèles.
Pour montrer qu'elles reprennent
et servent l'idéologie scolaire, on pourrait d'abord tirer argument
de la lecture des critiques adressées habituellement aux écoles
parallèles. Ces critiques classiques maintenant reprennent à
propos des écoles parallèles, les modèles, les schémas,
les arguments, les systématisations élaborés à
propos du système scolaire. On a bien à faire au même
objet. Critique économique, sociale, politique, les écoles
parallèles n'y échappent pas, ne peuvent pas y échapper,
et il serait bien difficile de développer à leur propos une
critique originale. On peut alors douter de la position parallèle
ou marginale qu'elles se donnent.
Il ne faudrait pas beaucoup d'effort
pour montrer, que, parallèle ou non, nouvelle ou sauvage, elles
font partie du « système» d'enseignement, et renvoient
au même mythe de l'éducation dispensée, acquise, accumulée
et capitalisée. Elles ne sont donc pas ailleurs, mais restent englobées
dans le système scolaire.
J'observe aussi que lorsqu'on reprend
ces critiques savantes, c'est pour ajouter en général que
les écoles parallèles exagèrent encore les fonctions
économiques, sociales et politiques des écoles officielles,
qu'il s'agisse de reproduction sociale, de ségrégation, de
sélection, de méritocratie, de mobilité intergénérationnelle,
etc. Les écoles parallèles, plus ou moins free.frrmes, plus
ou moins structurées, sont la première ébauche d'un
processus de scolarisation qui les conduira à être des écoles
à part entière, ou à disparaître.
Pour leur faire beaucoup d'honneur,
on pourrait avancer que les écoles parallèles sont à
l'école de demain, ce que les « petites écoles»
du quartier Saint-Sulpice, au XVII° siècle, ont été
à l'enseignement primaire du XIX° siècle. Après
tout que sont devenues la plupart des écoles nouvelles d'avant ou
d'après-guerre? Ou elles ont disparu, ou elles ont rejoint le maelstrom
de la scolarisation nationale, et quelques unes, celles qui ont réussi,
avec le label officiel d'« établissement expérimental
de plein exercice ». Il faut alors prendre une forte loupe pour distinguer,
au-delà de la phraséologie et des intentions, ce qui les
distingue des autres établissements.
Critique sévère.
Mais qui devrait ramener l'innovation, ou l'expérimentation, dans
le domaine éducatif à sa juste mesure. Dans une société
de plus en plus totalitaire, de plus en plus livrée au monopole
radical des professionnels, l'innovation, l'initiative, les lieux de liberté,
ne peuvent qu'être rares. D'où la tendance à prendre
cette rareté pour le mouvement social. Le domaine de l'éducation
est probablement le domaine le plus pauvre en réelle innovation
sociale, et le plus réduit des mouvements sociaux, tout occupé
qu'il est par l'idéologie éducative et le système
scolaire. Celui où les innovations entreprises semblent avoir le
moins d'avenir, si elles ne se conforment pas aux principales caractéristiques
de l'école, tellement celle-ci est nécessaire à l'inculcation
de l'idéologie industrielle. Il importe pour celle-ci que le savoir
reste une marchandise stockable, accumulable et capitalisable.
Avec les écoles parallèles,
l'écart au système officiel est beaucoup trop faible pour
que ce type d'innovation ne se conforme pas rapidement aux écoles
officielles. Ici on a visé trop près de l'école, on
a fait trop école, pour ne pas courir le risque d'être rapidement
satellisé et phagocyté.
Confusion entre école, pédagogie
et apprentissage
Encore une fois, ce jugement est
sévère pour leurs promoteurs qui n'y retrouveront pas les
conditions subjectives de leur initiative. Il serait injuste, si je n'ajoutais
pas, pour quelques écoles parallèles, mais il faudrait ici
mettre beaucoup de nuances suivant les écoles, le refus de label
« national» ou « officiel ». Au moins les écoles
parallèles sont là pour rappeler le caractère monstrueux,
le monopole IOral de l'école officielle, l'Etat imposant ses caracréristiques
à l'ensemble des réseaux scolaires, sur la formation des
enfants et les jeunes. Le monopole professionnel des enseignants, le monopole
institutionnel du système scolaire sur la formation initiale, n'est
pas pour autant battu en brèche. Même si les enseignants se
rebaptisent dans l'école en parents ou en permanents. Mais il est
vrai que les écoles parallèles appellent à une dénationalisation
de l'enseignement.
Pour en venir à l'essentiel,
j'ajouterai qu'on pourrait caractériser le type d'innovation visée
par les écoles parallèles comme essentiellement pédagogique,
même si le mot n'a pas bonne presse. Les écoles parallèles,
à la suite ou avec les écoles nouvelles, mais aussi de toures
les écoles expérimentales, n'apportent que des changements
de nature pédagogique. Elles changent peu le programme manifeste
de l'école, et elles ne changent rien à ce que Illich
appelle son programme latent. Elles maintiennent la confusion entre école
et pédagogie. L'école est une institution sociale. La pédagogie
est une technologie.
Plus grave, elles emretiennem la
confusion entre la pédagogie scolarisée, et l'apprentissage
qui est toujours le résultat d'un processus autonome. Elles continuent
à faire dépendre ce processus d'un service prodigué.
Pas plus que la multiplication des radios libres ne rendra un visage à
des voix s'adressant à des vis-à-vis, la multiplication des
écoles parallèles ne libérera la capacité autonome
d'apprendre des individus.
En limitant la critique des écoles
parallèles aux conditions pédagogiques, familiales et sociales
qui les caractérisent, on continue à ne critiquer de l'école
que son fonctionnement et ses fonctions, et on fait croire en même
remps à la nécessité de la scolarisation pour que
les gens apprennent. On assure ainsi l'idée d'une école évidente,
nécessaire, et inévitable. Les écoles parallèles
ne sont en rien une alternative au système scolaire, un modèle
alternatif, mais une reproduction du système.
L'infantilisation de l'enfance,
encore
Je me contenterai de citer un élément
de ce programme latent que les écoles parallèles perpétuent,
et peut-être renforcent. Elles continuent à s'adresser et
à regrouper un âge spécifique pour s'inscrire dans
le mouvement d'infantilisation, de l'enfance qui caractérise les
sociétés industrielles. Réservées à
un âge spécifique, elles s'inscrivent dans la continuité
de l'enfance comme institution, avec son statut et son absence de droit.
L'enfance reste condamnée aux jeux, aux apprentissages non significatifs
et sans valeur d'usage dans des lieux séparés sous l'œil
ou la conduite, en tout cas l'intervention, de spécialistes, dans
un mIlieu qui leur est largement hostile.
Ces enfants seraient-ils là
si on ne les y avait pas emmenés? Peut-on encore parler d'exister
comme enfant, si l'enfance est d'abord dans le désir fondateur des
adultes, dans les mœurs culturelles, et dans le type de ségrégation
des âges qu'a instaurée la division industrielle du travail?
Les enfants sont aussi enfermés dans une école parallèle
que dans une école publique. Destinés à ce lieu spécialisé
qui restreint leur espace et prend leur temps, il n'y ont pas plus accès
aux choses, aux outils, aux espaces, à l'environnement, aux groupes
humains ... que les autres.
Les écoles parallèles
continuent à s'inscrire dans le cadre d'une politique scolaire de
formation. Elles vivent de l'idée d'une école réformable,
et non pas de celle d'alternative. Elles ne font en rien avancer la question
centrale à une société conviviale: quelles sont les
possibilités qu'ont tous ceux qui sont concernés par des
apprentissages de déterminer eux-mêmes ce qu'ils veulent apprendre
et comment ils veulent l'apprendre.
Ceci appelle à une autre
stratégie qui ne prendrait plus l'école pour cible d'un changement
de politique éducative. Pour une autre politique éducative,
il vaudra mieux jouer sur les caractéristiques de l'environnement
technologique, sur le niveau de la consommation d'énergie, sur la
division du travail, sur le paradigme d'usine, et sur le statut et les
droits de l'enfance, à commencer par le droit au travail.
(1) Sur les contours de cette figure, cf.
Illich : Une société sans école, Seuil 1971.
(2) Cf. Dauber (H.) et Verne (E.) L'école
à perpétuité. Seuil 1977.
(3) Rien, presque rien, n'a eté fait en
France pour faire une histoire de l'école autrement que sous la
forme d'une histoire sainte toute ordonnée à la glorification
de cett conquête.
(4) Cf. Verne (E.) : L'école de la
déscolarisation, in L'Arc, n° spécial sur Ivan Illich,
62.
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