Archives
(1978)
n°
13 - avril 1978 - 49 fr
Alors,
on n'a pas école aujourd'hui?
Faire
bouger Goliath,
par
Henry Dougier
Ces pratiques
alternatives: un modèle?
Des
« lieux pour enfants » où s'inventent d'autres rapports,
par
Catherine Baker, Jules Chancel
Cinq expériences,
cinq itinéraires
-
La Barque, comme le nom l'indique
-
Le Toboggan, avant la chute ... ailleurs
-
Le Moulin des souvenirs
-
L'Ecole en Bateau à contre-courants
-
Le projet Jonas,
Jonas-en-Corrèze
: un réseau
D'autres lieux
Mais
qui, diable, va dans ces «écoles» et pourquoi ?
par
Catherine Baker
-
La Roulotte
-
L'Ecole et la Ville
-
Le groupe de Houilles-Argenteuil
-
Terrevigne en Beaujolais
-
Belbezet
-
Le Har
-
La Commune
-
L'A.C.C.E.N.
Critiques et
réponses
Attaques
... et hésitations ...
Parades
... et auto-critiques
Deux
bilans :
«
Attention Ecole », 73-74
«
La Mosaïque », 75-76
Une «
théorie»
par
Jules Chancel
Où
il n'est plus question de cheveux blonds ni de sourires panoramiques ...
mais de politique!
Face
à face, l'enfant et l'adulte
Confrontations
Plusieurs
silences bien gênants ! (Guy Avanzini)
Je
demande toujours : quoi de neuf ? (Fernand Oury)
Prendre
la tangente
(Fernand
Deligny)
Une
alternative? Non, une reproduction du système scolaire (Etienne
Verne)
La
longue marche des innovateurs (Louis Legrand)
Vitruve,
une école perpendiculaire ... (L'équipe de la rue
Vitruve)
Le
lieu central de lutte, c'est l'école publique !
(Jacques
Guyard)
Comment
enclencher sur le milieu populaire ? (Bernard Defrance, Louis Caul-Futy)
«
L'initiation » plutôt que la pédagogie (René
Schérer)
Ecoles
parallèles ... Lieux de vie ... Réseaux
(Liane Mazère)
BRITISH
WAY OF LIFE
Le "modèle"
anglo-saxon, libéral ... et blairo-socialiste...
ÉCOLES
ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit
compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre
par le gouvernement travailliste..
Royaume-Uni
: L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur
unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination
à l’encontre des élèves pauvres.
Directeur
d'école en Grande Bretagne :
« Le métier
a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable,
on a plus de pression,
on nous demande plus de résultats. »
Deux
fois plus d’enseignants sont partis en retraite
anticipée au cours des sept dernières années.
35%
des élèves de 11 ans ne savent pas lire.
Un
ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.
Ecoles
publiques fermées aux pauvres. Un rapport émis
par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants
du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité
des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions
de "sélection" d’élèves sont organisées, durant
lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".
Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants
dans l’école de leur choix. En écartant les élèves
issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent
rehausser leur taux de réussite aux examens.
Selon
l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs
résultats au monde :
FAUX !
...
& Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.
Les
écoles anglaises pourront être gérées par des
"trusts".
L’école
britannique livrée au patronat. En mars 2000, le Conseil
européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif
à la politique de l’Union en matière d’éducation de
produire un capital humain rentable au service de la compétitivité
économique.
Le
créationnisme aux examens.
"BAGUE
DE VIRGINITE" : Une
adolescente anglaise, fille d'un pasteur
évangélique, perd son procès en Haute Cour.
Grande-Bretagne
:
l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire
Grande-Bretagne
:Les
sponsors au secours de l'école
Empreintes
digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni
réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création
d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.
Naître
et grandir pauvre en Grande-Bretagne est encore plus pénalisant
que dans d’autres pays développés.
Un demi-million de «sans-logement». A
Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.
Un
demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".
«tolérance
zéro» et conditions de détention intolérables.
Plus
de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.
«Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est
l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»
Les
frais très élevés d’inscription universitaire dissuadent
les étudiants issus de familles modestes de s’inscrire en fac.
De
plus en plus d’étudiantes se prostituent ou travaillent dans l’industrie
du sexe pour payer les frais d’inscription de leur université.
Plus de 350 000 Britanniques ont quitté leur île en 2005 pour
jouir d'une vie meilleure
Les
jeunes Britanniques se voient vivre ailleurs. Difficulté d'
acquérir un logement, hausse de la fiscalité et indigence
des services publics, en particulier les transports et le système
de soins.
M.
Ernest-Antoine Sellière, alors président du patronat français
:«
Je suis un socialiste britannique »
Londres,
paradis des milliardaires.
Selon
des rapports de l’ONU et de la Banque mondiale : « Au Royaume-Uni,
les inégalités entre riches et pauvres sont les plus importantes
du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria,
et plus profondes que celles que l’on trouve, par exemple, à la
Jamaïque, au Sri Lanka ou en Ethiopie .»
Grande Bretagne : premier
pays où chaque déplacement de véhicule sera enregistré.
Les
Britanniques inventent l'ultrason antijeunes.
De
plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool.
Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop
bu a augmenté de 20% en un an.
Beuark.
Ségolène
Royal rend hommage à la politique de Tony Blair.
AMERICAN
WAY OF LIFE... |
Archives (1978)
Où il n'est plus question
de cheveux blonds
ni de sourires panoramiques
...
mais de politique.
Jules Chancel
On propose de passer maintenant
à une forme de théorisation. Bigre! Il va s'agir en fait,
non pas de donner une définition nouvelle de l'enfance ou de l'éducation,
mais plutôt de témoigner d'une problématique. Montrer
quels peuvent être les thèmes qui sous-tendent un essai de
pratique-critique de l'éducation dominante.
On va peut-être donner l'impression
de disserter tous azimuts, de mêler des notions par trop disparates,
politiques, pédagogiques, analytiques, sociales. En fait, on essaiera
crânement de reprendre tous les niveaux de critique, pour, en quelque
sorte, occuper le terrain.
Parler d'abord de la gauche «officielle»
(P.c., intellectuels reconnus etc.) et revoir son analyse de l'école.
Comprendre comment cette analyse parle d'autre chose que de l'enfant, et
exclut, de ce fait, tout projet qui se fonderait sur d'autres concepts
que ceux d'une logique globale, adulte. Comprendre comment une critique
de type pédagogique et de classe établit à la fois
des constats sélection, reproduction), qu'on ne nie certes pas,
et des stratégies que, par contre, on ne peut pas intégrer,
parce qu'elles ne représentent en fin de compte que des changements
à l'intérieur d'un système (l'école), et non
une rupture radicale avec celui-ci.
Poser ensuite comme politique une
pratique sociale, même très minoritaire, qui se déroule
sur ce qu'il est convenu d'appeler la «sphère du quotidien».
Suggérer de ne pas jeter «aux poubelles de l'histoire»
des tentatives de rupture avec l'institution.
Reprendre aussi cette question
très controversée de la base sociale des écoles parallèles:
petite bourgeoisie intellectuelle, et coupable, face à l'immense
majorité de la population ouvrière. Répondre à
cela en plusieurs moments. Ne pas se laisser sombrer dans une culpabilisation
ouvriériste, dont bien d'autres déjà ont été
victimes. Voir ce qu'on entend par petite bourgeoisie intellectuelle, montrer
que seule une pratique suffisamment radicale peut regrouper des personnes
issues de milieux différents et occupant des statuts (intellectuels,
notamment) non homogènes. Reconnaître qu'en France, et en
ce qui concerne les écoles parallèles, on n'en est pas encore
là. Raison de plus pour s'y mettre, petits bourgeois ou pas.
A cet endroit de notre réflexion,
on en arrivera à l'essentiel, à ce qu'on pense des rapports
qui lient l'adulte et l'enfant.
Il ne s'agit pas seulement de rapports
statutaires (prof-élève) plus ou moins permissifs, mais bien
de la mise en présence de deux êtres identiques et différents.
Confrontation, fusion. «Homme libre, toujours tu chériras
... l'enfant». Comme dans le poème, il y a aussi bien, là-dedans,
de l'amour, que de la lutte et de l'angoisse.
Parler à la fois d'une situation
existentielle, chargée de tant d'affects, et d'un fonctionnement
collectif, par lequel on espère, naïf, transformer les structures
fondamentales. Relier un niveau intime profondément subjectif et
une pratique qui se voudrait exemplaire.
Les thèmes principaux seront
de deux ordres: projet politique et projet d'éducation-critique;
rapport entre l'enfant et l'adulte.
On distinguera alors plusieurs
étapes dans notre docte propos:
- situer le mouvement de l'éducation-critique
dans la critique contemporaine de l'école;
- définir ce qu'il peut
y avoir de politique dans un projet d'éducation-critique;
- décrire, en termes sociaux,
ce que sont les personnes susceptibles de participer à de telles
tentatives;
- disserter autour du thème
de la famille;
Ces développements pourront
apparaître comme des digressions inutiles, un exercice de style gauchisant,
du pisse-copie à la mode. Il est sûr qu'une tentative de ce
genre n'est pas aisée et que, pour le moins, elle tranche avec la
production habituelle en la matière. Quand on traite d'école
parallèle, on adopte le plus souvent un style euphorique, des phrases
courtes, événementielles, beaucoup de prénoms, des
cheveux blonds, des sourires panoramiques ...On préférera
ici la forme un peu pesante de l'exercice théorique, et l'on ne
parviendra sans doute pas à se dégager des lourdeurs universitaires.
Allez! un peu de fraîcheur et disons-le tout net: si je est un autre,
ici, dans ces pages arides, on, c'est moi, paré du charme aigrelet
de la chaire et de la cérébralité.
On balisera tout de même
notre cheminement de quatre parcours:
1 - Critique de récole
de classe et critique de l'école en soi
2 - Politique et écoles
parallèles
3 - Ecole parallèles
et classes sociales
4 - L'enfant
et l'adulte
1 • Critique de l'école
de classe et critique de l'école en soi.
Où il ne s'agit pas seulement
de rejeter l'école de la bourgeoisie, mais de refuser toute bureaucratisation
de l'enfance
L'école, la bonne vieille
taule à Jules Ferry, ne fait plus guère illusion à
gauche. On la critique, on la fustige, on y voit la réalité
de la sélection sociale. On y voit beaucoup de choses bien critiquables,
en effet. Mais peut-être pas l'essentiel, c'est-à-dire LE
FAIT MÊME D'ÊTRE UNE ÉCOLE, un endroit spécialisé,
concentrationnaire, obligatoire, un endroit qui part d'une idée,
celle de former les enfants à devenir ce qu'il est prévu
qu'ils soient, des citoyens adultes.
La critique marxiste récente
reconnaît et fonde en théorie la primauté, idéologique,
de l'appareil scolaire, comme instrument privilégié de reproduction
des rapports sociaux de production. Louis Althusser, dans un article bien
connu (1), montre comment l'Etat moderne ne fonctionne pas seulement «à
la répression», mais largement aussi «à l'idéologie».
Depuis la Révolution française, l'Eglise a été
en quelque sorte détrônée comme «appareil idéologique
d'Etat dominant». L'école, couplée avec la famille,
oriente désormais, de façon déterminante, les futurs
citoyens.
A remarquer tout de suite que cette
analyse qui critique l'école capitaliste, et seulement eUe, utilise
des notions résolument extérieures à L'ÉCOLE,
QUI APPARAÎT ALORS, EN EFFET, COMME UN APPAREIL ET NON PAS COMME
UNE INSTITUTION. On veut dire par là que la littérature militante
présente avant tout l'école comme le lieu de reproduction
de la division de la société en classes. Ce qu'on ne conteste
pas. Mais elle se refuse à l'envisager comme un lieu d'oppression
spécifique de l'enfance, en tant qu'enfance.
Pour le P. C., les choses sont
nettes (2) : la crise de l'école doit être rattachée
à la crise générale du capitalisme monopoliste
d'Etat (C.M.E.). Il ne saurait être question de fonder une analyse
sur autre chose que la base «objective» des contradictions
du C.M.E. Même si le système actuel est «subjectivement»
ressenti comme un réseau d'institutions pesantes et oppressives,
les critiques qui visent «les machines et les appareils» ne
sont que des moyens de cacher «la réalité profonde
du processus d'exploitation». L'école demeure une institution
utile, utile en soi, utile dans un processus d'unification politique des
différentes «couches» sociales contre le système
dominant. En conséquence, même si l'on critique un appareil
pesant et sélectionniste, il faut défendre l'école
et lutter pour sa démocratisation.
Du côté des Maos
Du côté de l'extrême-gauche,
l'accent est mis sur la reproduction de la division de la société
en classes (reproduction des rapports sociaux de production). Il ne peut
pas y avoir de lutte pour l'amélioration de l'école, mais
une critique radicale de sa fonction idéologique.
Baudelot et Establet (3), par exemple,
veulent montrer que l'école en France est caractérisée
par l'existence de deux réseaux distincts et ségrégatifs:
le réseau PP - primaire/professionnel et le réseau S.S. -
secondaire/supérieur. Ils estiment que leur ouvrage n'est qu'une
introduction, qu'il faudra compléter, afin de comprendre tous les
effets d'une telle organisation ségrégative. Il s'agit pour
eux de fournir une arme, aussi précise que possible, pour le combat
politique. Or, ce combat, c'est la lutte des classes, c'est-à-dire,
pour Baudelot et Establet, auteurs et militants, la lutte contre le dictature
bourgeoise et pour la dictature du prolétariat (4).
Tout ce qu'on peut dire ici, c'est
que ce combat, dont l'école n'est qu'un élément, est
formulé selon une logique dont les deux faces sont dans le même
registre: global, adulte, à l'exclusion de ce qui pourrait être
autre chose, une analyse décentrée, contradictoire (Qu'est-ce
que l'enfant? Qu'est-ce que l'adulte? Qu'est-ce qu'un statut ?).
Même s'ils n'entendent pas
se limiter à la description des «inégalités»
devant l'école, pour mieux analyser les contradictions dans l'école,
Baudelot et Establet ne s'intéressent pas à ceux qui sont
dans l'école, (enfants, enseignants) ni, a fortiori, à ceux
qui ne peuvent pas y être (parents, adultes sans statut reconnu).
L'objet de leur recherche, c'est l'école en tant qu'instrument de
pouvoir, c'est l'école conçue par ceux qui n'y sont pas,
et non l'école vécue par ceux qui y sont.
Cette position de recherche est
cohérente avec l'engagement des auteurs. Ce sont des léninistes.
Ils raisonnent donc en des termes propres, qui ne sont pas les termes de
l'enfance. Baudelot et Establet se défendent de définir a
priori ce que doit être l'école révolutionnaire, ce
que doit être le rapport des masses à
l'Etat/parti. Mais en attendant,
les «seules questions à poser» (à l'exclusion
de toute autre, donc!) concernent l'hégémonie dans l'appareil
scolaire de l'idéologie bourgeoise. C'est bien clair, là
aussi: ce qu'il importe de dénoncer dans l'école, ce n'est
pas l'école, institution d'oppression de l'enfance, mais l'école,
instrument de domination de la bourgeoisie (5).
D'une façon significative,
les passages du livre directement relatifs à l'enfant, au non-adulte,
sont rares et brefs. Et encore ces quelques pages font-elles tout de suite
référence à autre chose qu'à l'enfant; ainsi,
par exemple, lorsqu'est évoqué, en un court paragraphe, le
mythe de l'enfant à l'école (non productif, a-politique,
a-sexué, ir-responsable), l'analyse raccroche tout de suite cette
infantilisation à la question de la production. Les auteurs s'attachent
alors à demander que le travail scolaire soit considéré
comme une activité productive. Ils déplorent, non pas les
conditions de ce travail scolaire, imposé, répétitif,
ennuyeux, mais que «l'école n'entretienne pas de lien organique
avec la production ».
S'il est intéressant de
poser la possibilité d'une production reconnue, éventuellement
rémunérée, de l'enfant, il ne semble pas que toute
la question de l'enfance puisse se résumer à une insertion
directe de celle-ci dans le marché (il y aurait beaucoup à
dire sur ce mythe, ce «miroir» de la production, considérée
dans ce cas comme une promotion pour l'enfance). A droite, le gosse publicitaire
est élevé consommateur de base; à gauche, producteur
précoce, Stakhanov en herbe.
Là encore, on voit bien
comment une position idéologique escamote, par ses présupposés
productivistes et ouvriéristes, un questionnement sur le noyau central,
en l'occurence, sur la définition de l'enfance, et sur l'oppression
spécifique exercée sur elle par une institution qui la pose,
comme ce qu'elle n'est pas.
S'il n'est pas question de contester
Baudelot et Establet, quand ils décrivent le fonctionnement de l'appareil
scolaire comme appareil de sélection, on ne peut que vouloir aller
plus loin, pour définir et vivre, sans attendre indéfiniment
une Révolution à venir, un autre rapport à l'enfant
et à son propre statut d'éducateur, de parent, d'adulte.
Du côté des Trotskystes
EN MATIÈRE D'ÉDUCATION,
LA POSITION MILITANTE L'EST DOUBLEMENT. Militante d'abord, parce que l'appareil
d'Etat n'est pas remis en cause en tant qu'appareil d'Etat, mais seulement
en tant qu'appareil d'Etat bourgeois. Militante ensuite, parce qu'il s'agit
de plaquer des valeurs qui ne sont pas celles de l'enfance - même
si elles la traversent effectivement. Il y a bien une enfance ouvrière
et une enfance bourgeoise, une école de la rue et une école
privée.
Mais, il y a aussi un statut (capitaliste)
de l'enfance, considéré comme un tout et une institutionnalisation
capitaliste des rapports sociaux, et notamment des rapports avec l'enfance.
A cet égard, la position des trotskystes de la L.C.R. est éclairante
(6). Ils critiquent certains développements de Baudelot et Establet,
notamment ceux qui ont trait au primat de la lutte idéologique dans
l'appareil scolaire (contradiction entre idéologies prolétarienne
et bourgeoise). Ils leur reprochent de privilégier une position
de classe - dogmatique - par rapport à toute espèce de processus
d'acquisition de connaissances. Ils estiment que ce raisonnement en «images
d'Epinal» est non seulement irréaliste, mais qu'aussi, il
ne permet pas de fonder une stratégie politique en matière
d'éducation.
Pour leur part, les gens de la
C.L.R. proposent, à l'intérieur même de l'appareil,
une scolarisation différente. Cette scolarisation différente
n'est pas définie ni théorisée, sinon comme une «recomposition»
de l'enseignement, qui varie selon les disciplines enseignées. A
plus long terme (quel terme ?), ils évoquent une école «fondamentale
et unique», qui sera celle des «producteurs» (gérée
par les comités de quartier et les comités d'entreprise avec
«participation» (sic) du personnel et, last but nos least,
des élèves).
Ce qu'on retient de cette description,
très sommaire, c'est que de toute façon, l'école sera
obligatoire pour tous jusqu'à 18 ans. Même si les uns reprochent
aux autres leur ouvriérisme mou, ou leur entrisme trotskyste, on
observera leur accord fondamental sur le principe d'une école, instrument
privilégié de la formation politique et technique des enfants.
Pour les uns comme pour les autres, la lutte ne vise pas le principe de
l'école, mais la forme de celle-ci. Les auteurs de la L.C.R. indiquent
d'ailleurs très clairement que l'objectif ne peut pas être
une illusoire déscolarisation, mais dans l'immédiat - (toujours
cette périodisation par calendes ... grecques) - une scolarisation
«différente» ...
La question qu'on peut alors se
poser est de savoir si la volonté d'une éducation différente
de l'éducation scolaire est une volonté politique, et dans
l'affirmative, on doit se demander sur quelles bases théoriques
et pratiques se fonde une telle affirmation .
2 • Politique et écoles
parallèles. Si le vécu est politique, l'enfance en est le
noyau dur.
Les non-militants, on le sait, n'ont
pas de la politique une idée sérieuse. Potentiellement, ils
ont toutes les vertus, mais à condition de ne pas se mêler
d'avoir des opinions sur ce que peut être la politique. Ils révéleront
leur essence profonde à l'occasion de ce moment idéal qu'est
«la lutte» - cette parenthèse dans la débilité
habituelle. Au moment de la lutte, dont par avance on spécule l'héritage
(la tradition de luttes ... ), les non-militants offriront aux militants,
pour qu'ils la façonnent, la matière pure et première
de leur spontanéité.
Outre ce fait que les non-militants
n'ont pas le discours qui convient, ils omettent ainsi, quand ils se mêlent
de politique, de poser la question du pouvoir.
Sans entrer, bien sûr, dans
le débat sur l'aspectnécessairement «de masse»
- de l'action politique, on peut rappeler qu'il y a de la politique plusieurs
définitions. Il y a celle qui lie politique et pouvoir; il y a celle
aussi qui associe politique et vécu. C'est la tarte à la
crème, le gadget soixantehuitard. Militantisme ranci ou spontanéisme
exubérant ... bof ! ... le vécu est politique! Le quotidien
est à reconstruire ! Oui, oui, oui! on n'ose plus, déjà,
réfléchir sur ces choses-là, tant elles sont galvaudées,
homogénéisées par un système qui affadit tout
ce qu'if touche. Mitterrand, Marchais et même Krivine posent la question
du pouvoir. Chirac est là pour dire que ce n'est pas bien. Les marginaux
et les anars de tout poil se réclament encore d'un vécu qu'ils
posent comme politique.
La grande presse, Antenne 2, E
1 sont d'accord, et traitent, longuement, de ces expériences - communautaires
- qui fleurent si bon l'écologie et la vie en Lévis. Par
exemple, La Barque, petit groupe d'une vingtaine d'enfants, a déjà
fait l'objet d'une dizaine d'articles, du chapitre d'un livre, d'une
bonne trentaine de mémoires d'étudiants, d'un courrier innombrable
et la télé avait envisagé d'y consacrer une émission.
Quelle distorsion entre la rumeur et le fait réel! C'est de la récupération,
bien entendu, mais qu'est-ce que cela veut dire?
Les écoles parallèles
ne constituent pas objectivement, en France, un danger quelconque pour
le pouvoir. Ce n'est pas l'existence de quelques dizaines d'enfants «déscolarisés»
qui, tendanciellement, vont remettre en cause le système de l'Education
nationale. Et pourtant, quel battage! Les écoles parallèles
et, plus largement, l'enfance, constituent un thème qui, non seulement,
émerge, mais qui est suceptible de fournir la matière d'un
événement spectaculaire, c'est-à-dire un faux événement
qui a pour objet de déconnecter le vécu du réel («
La Charte des enfants») d'E 1 est très certainement un de
ces événements spectaculaires, et l'on sait le succès
et les commentaires qu'a rencontrés et suscités cette émission
et le livre qui en est sorti (7).
Tout se passe, sans doute, au niveau
idéologique. Il y a une lutte qui n'en est pas vraiment une à
propos de faits qui ne sont pas complètement vrais. Si, en substance,
le spectacle est un rapport social, médiatisé par des images
(cf. Guy Debord), on peut penser que les notions de récupération
et de spectacle sont très proches. La grande presse récupère,
par nature. Plus elle ouvre ses colonnes, plus la vie s'en va. Comme l'oiseau
de Minerve, la presse ne constate pas seulement ce qui n'est plus, elle
anémie ce qui est. La question qui se pose, en l'occurrence, est
de savoir pourquoi le lierre spectaculaire s'accroche désormais
sur l'enfance et les expériences parallèles.
La société du spectacle
Pourquoi parle-t-on aujourd'hui,
et d'abondance, de ces questions - compte tenu que les faits réels
sont minces - ? La réponse gauchiste militante consiste à
dire qu'il vaut mieux parler de ce qui n'est pas dangereux que de relater
ce qui l'est (à savoir, les défunts mouvements lycéens,
les profs constestataires ... et les campings annuels de l'Ecole Emancipée
(8). Inutile d'insister là-dessus, passons à autre chose.
Plus intéressant, sans doute,
est de s'interroger encore sur la notion de politique, puisqu'il s'agit
justement, pour les media, de la débusquer et de la nier partout
où elle pourrait être.
L'idée centrale est que
dans les sociétés néo-capitalistes, le tissu social
est tellement complexe qu'il est de plus en plus difficile d'énoncer
un projet subversif. Les compromis historiques et successifs des diverses
tendances du mouvement ouvrier, comme les immenses facultés d'adaptation
du système, rendent souvent dérisoires, par avance, toutes
les velléités de critiques et toutes les utopies. Les notions
mêmes d'opposition extraparlementaire ou de gauchisme ne font
plus frisonner grand monde, et l'on se prend à regretter parfois
le règne panoraïaque du ministre Marcellin.
Sur la touche de l'Histoire?
Pourtant, on ne peut pas se satisfaire
d'être historiquement sur la touche, d'être politiquement désabusé
et démobilisé. Il y a encore de la vie - et c'est justement
là-dessus qu'on va investir. Puisque la politique est partout, il
va s'agir de la trouver là où elle est - et aussi dans ce
qui n'est pas un champ spécifique (monde du travail; lieux gouvernementaux,
appareils syndicaux, institutions etc.) - c'est-à-dire dans la vie
quotidienne.
Mais, quand on a dit cela, on n'a
pas tout dit. L'important n'est pas uniquement de comprendre le mécanisme
de l'aliénation moderne, c'est aussi d'en vivre une possibilité
d'action, d'action sociale, même si le «Social» qu'on
envisage est numériquement et qualitativement restreint. Que cherche-t-on
alors, quand on veut donner une dimension politique à la vie «immédiate»
? On bute de nouveau sur le problème d'une définition du
politique.
Si l'on met en parallèle
pouvoir et vécu, en quoi le vécu est-il politique? Le grand
truc, c'est de faire référence à l'idéologique.
Tout est idéologique, puisque le politique est partout, et, précisément,
par le biais d'un système immatériel et universel de valeurs
imposées. Soit; mais comment cela fonctionne-til? Le conditionnement
est-il si généralisé qu'il implique pour seule critique
une attitude contemplative? Il faut faire un choix - un choix intellectuel
d'abord - mais qui peut ne pas être sans conséquence.
Est politique ce qui ...
Sautons le pas et fendons-nous d'une
définition: est politique ce qui découle de la division de
la Société en classes. Bigre! Ce n'est pas là le nec
plus ultra de l'avant-garde ... Cela fleure la pousssière délicate
des classiques du marxisme aux Editions sociales. Qu'importe, on peut continuer
sur ces bases en béton. La division en classes implique une institutionnalisation
des rapports sociaux, en fonction des schémas du Capital: séparation,
hiérarchie, autorité (directe ou diffuse). Pour parler moderne,
on est encore dans la béance des portes ouvertes. Une dernière
précision toutefois: qu'est-ce que la séparation? C'est déjà
plus actuel - on plisse les yeux aux couleurs chatoyantes des Editions
Champs libres.
La séparation exprime d'abord
(Marx) l'éloignement entre le producteur salarié et son produit.
Elle exprime aussi, et par voie de conséquence (?), le fait pour
une personne d'être dépossédée de son existence.
Le travailleur ne sait plus «ce qu'il fabrique» ; le consommateur
ne sait plus pourquoi il s'échine à acheter, et pourquoi,
ce faisant, il est seul. La séparation, en somme c'est une axiologie
de la misère (morale), une dépossession généralisée
du sens. Une activité séparée peut se comprendre comme
une activité dont le sens ne lui vient pas de son créateur,
mais d'ailleurs, d'une norme, le capital, qui impose à tout et à
tous une signification sociale/marchande à l'opposé d'une
signification existentielle.
Le micro-politique, au quotidien
Ouf! Reprenons à l'envers:
pour être chouette, politique, et tout, il faudrait d'abord refuser
la division de la société en classes (pas d'objection !),
la refuser dans sa vie, en rejetant de celle-ci tous les blocages et toutes
les fixations institutionnels. Alors, pour continuer le mode d'emploi,
il faudrait prendre sa vie quotidienne pour ce qu'elle est - non pas un
misérable petit tas de secrets (de polichinelle) -, mais la rencontre
entre une solitude et une socialisation accrues. Poser comme politique
sa propre vie consiste, dans ces conditions, à agir sur tous les
aspects de cette vie, dont on a compris qu'ils sont socialisés,
d'une façon directe ou insidieuse, par un système qui n'est
pas
seulement idéologique - abstrait - mais lieu présent et concret.
On pense à la description
théorique d'Althusser (9) à propos des appareils idéologiques
d'Etat - et notamment sur la primauté du «couple idéologique»
Ecole/Famille. Mais on en tire des conséquences différentes,
et qui ne sont pas celles de Baudelot et Establet, par exemple.
Au contraire, on va en quelque
sorte spécifier (pour mieux en reconnaître le caractère
irréductible et relatif tout à la fois; voir plus loin) la
notion d'enfance, et en même temps on va globaliser la notion de
vie quotidienne. C'est-à-dire qu'on va leur attribuer un statut
délibérément politique. Politique, d'abord, en tant
qu'espace/temps privilégié du néo-capitalisme, politique,
ensuite, comme terrain d'action pour ce qui n'est pas encore une stratégie
révolutionnaire. La pratique des adultes et notamment des
parents - à l'égard d'une éducation critique des enfants
s'inscrit dans un cadre, celui de la vie quotidienne, qu'on pourrait appeler
aussi, «le micro-politique ».
Mais alors, rien de nouveau sous
le soleil? Micropolitique, est-ce là rien d'autre qu'un habillage
terminologique au goût du jour pour les vieilles traditions doctrinaires
utopistes, que l'on retrouve, pour partie, dans l'anarcho-syndicalisme.
Ne serait-ce que le rejet de l'action politique de type parlementaire ou
de parti? Marx disait de ces traditions qu'elles étaient un mouvement
auquel le prolétariat se laisse aller, quand «il renonce à
transformer le vieux monde à l'aide des grands moyens qui lui sont
propres, mais cherche tout au contraire à réaliser son
affranchisssement, pour ainsi dire, derrière le dos de la société,
de façon privée, dans les limites restreintes de ses conditions
d'existence et, par conséquent, échoue nécessairement
(10)» .
C'est bien dit - et sans appel.
Pourtant, depuis longtemps on essaie de concilier les grands mots d'ordre
«changer la vie» et «transformer le vieux monde ».
Tous sont d'accord pour agir tous azimuts - mais les divergences se manifestent,
bien sûr, à propos des moyens. On peut observer que la discussion
sur les moyens (les grands et les petits - réforme ou révolution)
demeure codée par le discours traditionnel et ne tient pas compte
des données nouvelles. De quoi s'agit-il ?
Changer la vie, selon Marx
On remarque d'abord que, quand Marx
écrit les lignes précitées, il fait allusion
aux «banques d'échange et associations ouvrières»,
c'est-à-dire à des expériences alternatives se situant
dans le monde du travail, dans la production. Pour Marx, en ce qui concerne
le prolétariat industriel tout au moins, il n'y a pas de différencë
entre la sphère de la production et celle de la consommation - entre
les conditions juridiquement socialisées du travail et les conditions
juridiquement privatisées de l'existence quotidienne.
Marx écrit à l'époque
de la phase décisive de l'accumulation du capital en Europe occidentale.
L'objectif principal - pour l'obtention du profit - est de rechercher les
reproductions des moyens de production. La technique, les conditions sociales
générales ne permettent pas encore une reproduction illimitée
de l'énergie et des biens produits. La politique est à la
fois lutte et répression: lutte des classes, bien sûr. Et
c'est alors la répression féroce qui s'exerce contre le prolétariat
industriel, mais aussi, et c'est le niveau du pouvoir, lutte entre fractions
de la classe dominante.
Il n'est pas question pour le prolétariat
de penser à autre chose qu'à l'élimination de la dictature
bourgeoise et, pour ce qui est du «vécu», à la
lutte sur le lieu de travail, étant donné que le travail
épuise réellement toute l'existence. La consommation n'est
alors pas autre chose que la simple survie ou, plus exactement, la stricte
reproduction de la force de travail.
Les coopératives ouvrières
dont parle Marx se situent forcément sur le terrain de la production,
dont les termes sont tout entiers sous le contrôle du capital. Ces
coopératives sont en effet condamnées à «échouer
nécessairement», dans la mesure où elles ont une finalité
contradictoire - à la fois, vivre et survivre: vivre. des rapports
différents, non hiérarchiques, égalitaires dans le
travail; et survivre, en tant qu'entreprise sur un marché dont on
est bien obligé d'accepter la loi.
La coopérative, isolée,
ne peut pas être un instrument de lutte, puisqu'elle accepte par
avance une logique dont elle voudrait se débarrasser à l'intérieur
d'elle-même (11). Pourtant les coopératives du XIXe ont eu
leur grandeur - que Marx luimême salue - et que l'on peut trouver
dans ce fait qu'elles posaient des questions extérieures à
leur objet, la sphère de la production (12). Ces questions, bien
sûr, avaient trait aux rapports humains qui peuvent se nouer dans
un espace de liberté relative. On ne peut pas ramener ces rapports
aux seules traditions de la solidarité des travailleurs. Ou, plus
exactement, cette solidarité, quand elle était pratiquée
systématiquement, constituait le référent de la théorie
utopiste.
L'utopie n'est-elle pas aussi le
débordement sur l'ensemble de la vie quotidienne d'un fonctionnement
coopératif, circonscrit d'abord à la sphère du travail
et de la production? On a dit - et ils l'ont dit eux-mêmes - que
Marx et Engels avaient donné aux théories utopistes une base
scientifique, c'est-à-dire qu'ils avaient relié les intuitions
pré-capitalistes de Fourier et d'Owen aux réalités
industrielles.
Tout ce qu'on peut dire ici, c'est
que Marx a ramené les intuitions utopistes dans une logique de la
production et dans une logique globale. Il a actualisé, de son point
de vue, les raisonnements des utopistes, contemporains d'une économie
encore largement agraire et pré-capitaliste. Il a également
«globalisé» les descriptions des utopistes en démontrant
la nécessité, pour parvenir à la Société
communiste (utopiste) de passer par des moments politiques généraux,
et notamment par la dictature du prolétariat. Bref, pour Marx, les
idées utopistes sont intéressantes, mais seulement en tant
qu'idées, que seule une révolution sociale pourra concrétiser;
en tant qu'expériences concrètes, elles sont vouées
à «l'échec nécessaire».
Il y a pourtant un autre mode de
réactualisation des idées utopistes, et qui consiste à
partir des fondements mêmes de la société actuelle.
L'objet principal du capital n'est plus la seule reproduction des moyens
de production; accumulation technique et organisation sont toujours là,
mais l'objet principal du capital, est aussi, la reproduction des rapports
sociaux de production, en d'autres termes, la perpétuation d'une
société de classes, d'une société d'abondance
relative, qui impose à la majorité un surtravail, pour que
continue à se dégager un profit capitaliste.
Le maintien d'un profit capitaliste
suppose non plus seulement l'exploitation des travailleurs, mais une
organisation minutieuse de l'existence de ceux-ci, en tant que consommateurs.
Les conditions du capitalisme moderne impliquent une pratique et une théorie
fondées non pas uniquement sur le PROCÉS de production, mais
aussi sur celui de la consommation. Il s'est passé, en quelque sorte,
une autonomisation croissante de la sphère de la consommation, étant
bien entendu que la consommation est un processus complexe qui ne saurait
se limiter à une pure description économique. Il faut y intégrer
les dimensions sociale, politique et idéologique: c'est ce qu'on
appelle la reproduction des rapports sociaux de production, ou bien aussi
la vie quotidienne, privée ou non: enfance, logement, sexualité,
famille, loisirs, culture etc.
Louis Althusser, pour sa part,
estime que cette reproduction est assurée largement par des
appareils qui fonctionnent «à l'idéologie», qui
inculquent, d'une façon permanente et quotidienne, les valeurs et
les normes du système dominant, ce sont les appareils idéologiques
d'Etat (Eglise, Ecole, famille, Droit, Media, Culture, Sport etc.) (13).
Critique de la vie quotidienne
= critique de l'éducation
Quand Marx fait allusion aux «conditions
restreintes», peut-être décrit-il une période
qui ne correspond plus à l'époque actuelle. Ce sont sur ces
conditions restreintes que convergent désormais, non plus seulement
une vaste stratégie idéologique mais, plus concrètement,
des politiques grandioses d'aménagement de l'espace et du temps.
Tout cela contribue à insérer la vie de chacun dans un maillage
de plus en plus étroit. Le quotidien, la vie quotidienne sont devenus
le point crucial pour la perpétuation du système capitaliste.
Il en découle qu'un projet politique doit intégrer cette
dimension nouvelle qui est la reproduction des rapports sociaux de production
- processus qui, lui-même, a pour pièce maîtresse, pour
rouage essentiel, l'appareil scolaire.
De cela, il ressort également
une première «certitude» : la critique de l'éducation
est une critique politique. La question qui demeure alors est de savoir
quelle pratique découle de cette critique. Pour simplifier, on peut
dire que deux options - absolument différentes - sont possibles:
ou bien, une action à l'intérieur de l'institution scolaire
- et qui tendrait à sa destruction et à sa reconstruction
- l'école du Peuple, l'école de la Révolution, bref,
l'école toujours; ou bien une action à l'extérieur
de l'institution, en refus même de la forme institutionnelle
(école parallèle), et qui, éventuellement aurait pour
sujet de lier ce refus de l'école à une pratique plus large
sur le quotidien (collectif de vie).
On voit bien là que la notion
d'école parallèle - qui est une notion générique,
populaire - ne fait référence qu'à un moment provisoire
de la critique de l'appareil scolaire; c'est une notion partielle. L'école
parallèle, en tant que telle, doit être dépassée,
sauf à devenir ce qui la menace au fond: n'être qu'une école
privée.
On touche là à ce
que beaucoup considèrent comme la contradiction principale et indépassable
de l'école parallèle: n'être réservée
qu'à une élite, qu'à un petit nombre. Il est important
de répondre à cette objection, non pas pour justifier un
mouvement effectivement complètement minoritaire, mais pour la raccrocher
à une analyse de la société actuelle et à la
structure de classe qui en procède.
3 • Ecoles parallèles
et classes sociales.
Le rôle des petits bourgeois
parallèles.
C'est un fait - en France tout au
moins - que la plupart des rares écoles parallèles existantes
ne recrutent que dans ce qu'on peut appeler la petite bourgeoisie intellectuelle
: enseignants, animateurs «psy» et «parapsy», littérateurs,
etc.
Petite bourgeoisie intellectuelle:
ce n'est pas très précis.
Qui sont les petits bourgeois d'aujourd'hui?
La majorité de la population? Qu'y a-t-il de commun entre un épicier
et un psycho-sociologue? La proximité du statut social compte peutêtre
moins que le statut intellectuel, attribué au second seulement.
Si, en dehors d'une impression immédiate, on ne peut donner une
définition rigoureuse de la petite bourgeoisie contemporaine, il
faut insister sur la notion d'intellectuel.
Les intellectuels, les travailleurs
intellectuels, seraient-ils seulement ceux dont la capacité technique
réside dans le cerveau et non plus dans les mains (14)? C'est une
définition qui fait plaisir à tout le monde. Elle rapproche
ces catégories du statut mythique de l'ouvrier, du travail noble,
et tangible (de même que les écrivains aiment souvent se comparer
à des artisans: leur bureau est comme un établi, travailleurs
indépendants, poujadistes pensants, ils présentent toutes
les garanties de popularité).
Le parti communiste semble favorable
à une telle définition du travailleur intellectuel, mais
il fait rentrer beaucoup de monde dans ces catégories : aussi bien
les techniciens et cadres moyens, que les profs animateurs et littérateurs
en tous genres. Cela n'est pas très homogène: aussi bien
quant aux conditions matérielles du travail (horaires, rémunération,
socialisation ...) qu'en ce qui concerne l'appréciation subjective
de l'activité (matière ou social - technique ou relationnel).
Pour schématiser, on peut
dire - on peut redire - qu'il y a les travailleurs intellectuels de la
production (techniciens, employés qualifiés, cadres moyens
à 40 heures par semaine) et les travailleurs intellectuels de l'idéologie
(les «sous-contrat»
de la culture). Les séparations
- matérielles et subjectives ne sont pas absolues, mais elles
existent et sous-tendent bon nombre de comportements sociaux et de positions
politiques.
Travailleurs intellectuels de la
production et de l'idéologie ont ceci de commun que la possession
d'un savoir ne leur permet pas d'accéder à un véritable
pouvoir. C'est un fait fondamental. Mais le premier groupe reste à
tous égards lié à la sphère de la production,
ce qui peut impliquer un engagement politique spécifique (à
gauche: engagement syndical revendicatit), tandis que le second groupe
est dégagé, constitutivement, de ce support matériel.
Le règne des «frustrés»
Le travailleur de l'idéologie
est en plein dans le processus social du néo-capitalisme - l'organisation,
la manipulation systématique - dont il subit lui-même les
effets. Il est donc davantage susceptible d'être disponible pour
une remise en cause du système, non plus seulement sous son aspect
matériel, mais aussi sous ses aspects idéologiques et culturels.
Il faut bien remarquer que ces travailleurs de l'idéologie ne sont
pas ceux que Gramsci appelle les «intellectuels organiques»,
c'est-à-dire les intellectuels qui sont chargés par leur
classe de lui définir «son homogénéité
et la conscience de sa propre fonction». Nos travailleurs dé
l'idéologie ne sont que des salariés, des spécialistes
de l'intellect qui travaillent à la perpétuation d'une idéologie
qui n'est pas la leur - mais celle de la classe dominante.
On l'a compris - ce sont des travailleurs
intellectuels spécialement ceux «de l'idéologie»,
qui seront le plus susceptibles de s'intéresser à une critique
de l'éducation (15). Disposant de facultés d'analyse et,
souvent, de temps libre, ils sont disponibles pour une action politique
quelconque (le truc idéologique consistera alors justement à
coder complètement ce langage de l'analyse et de la contestation.
Les dessinateurs Lauzier et Brétécher comprennent et racontent,
chaque semaine, avec bonheur ce phénomène. Pitoyable distorsion
entre un discours gauchiste et désabusé, et un vécu
anxieux et égoïste).
On pense - on l'a dit plus haut
- qu'il y a de la politique plusieurs définitions. Le mouvement
pour une critique de l'éducation procède de la politique.
La boucle est bouclée : le capital se maintient par une division
de la société en classes. L'organisation idéologique
de la société suppose l'existence d'une catégorie
assez nombreuse de travailleurs intellectuels spécifiques. Ces derniers
sont en position de comprendre ce que peut signifier réellement
la reproduction des rapports sociaux de production. Ils vont alors investir
sur leur vie quotidienne, et commencer par ce qui en constitue le fondement
humain: les enfants.
S'il n'y a pas d'enfants d'ouvriers
dans les quelques écoles parallèles existantes, ce n'est
pas par hasard ou par ségrégation (on serait tellement heureux
d'y être plus «social»!). C'est bien parce que seuls,
ou presque, les travailleurs idéologiques sont en position matérielle
et subjective de se poser la question et d'avoir la pratique d'une «alternative»
à ce qu'on pourrait appeler la vie quotidienne d'Etat, puisqu'elle
est organisée par les appareils idéologiques d'Etat.
... et des privilégiés
Par là, on voit encore les
limites de ce qu'est une école parallèle, qui se satisfait
de la prise en charge des enfants pendant la période «normale»
de l'activité scolaire (la journée, la semaine, en dehors
des vacances). L'école parallèle est rendue possible par
le statut des parents. Elle en procède doublement: socialement,
car elle est une école de petits bourgeois; dans son fonctionnement,
car l'école a pour limite l'existence des familles. Ah! ce n'est
pas bien drôle ... L'école parallèle est, en tendance,
asymptotique de l'école ordinaire. Et pourtant, cela existe, cela
en vaut la peine, autant pour ce qui y est que pour ce qui n'y est pas.
On ne peut pas nier (encore que
beaucoup le fassent) que les enfants des écoles parallèles
jouissent d'un espace de liberté qu'ils ne trouveraient pas ailleurs.
Ce sont des privilégiés certainement - et ils le sont
d'autant plus qu'ils payent cette parenthèse de liberté par
le doute, voire l'angoisse, qui sourd parfois chez leurs parents et dans
leur tête d'enfants «pas comme les autres». L'école
parallèle existe aussi par ce qui n'y est pas - ou seulement partiellement
ou d'une façon contestée: un fonctionnement véritablement
collectif, qui déborderait le cadre scolaire ou anti-scolaire, pour
prendre réellement en compte la critique de la famille, du couple,
du salariat.
L'école parallèle
n'est qu'une potentialité, limitée dans son fonctionnement
par son recrutement social. Seul un collectif portant sur l'ensemble de
la vie quotidienne peut constituer, sinon un projet, du moins une démarche
politique cohérente, dans laquelle pourraient s'intégrer
des personnes provenant d'autres classes que de la petite bourgeoisie intellectuelle,
même si celle-ci doit rester - et sans doute pour une longue période
- dominante dans de telles pratiques (16).
On ne prétend certainement
pas - comment le pourraiton ? - épuiser là l'interrogation.
Qu'est-ce qui est politique? Où est la politique? A l'usine, à
la maison, au Parlement, dans les appareils, dans les Institutions? on
a beaucoup insisté sur le balancement usine/maison. On a beaucoup
idéalisé la notion de quotidien. On a nettement privilégié
la notion d'éducation-critique.
Dans ces conditions, toute la réflexion
semble se dérouler dans un espace donné - l'espace du quotidien
- et pour une classe donnée - les intellos (petits profs, marginaux,
mais pas «lumpen», etc.). On a bien conscience des limites
d'une telle analyse. L'espace/temps dont il est question ici, c'est finalement
celui des privilégiés de la culture, et l'on ne peut, à
ce niveau, parler d'une conquête politique du temps libre, d'un «droit
à la paresse». Cette relative disponibilité des intellectuels
(au sens large), c'est un fait acquis, un semi-privilège de classe,
rien de plus (ce n'est pas «mal», mais ce n'est pas d'emblée
«politique»).
Questions aussi à la famille,
au travail
Une tentative de prise en charge
collective du quotidien, en dehors de l'institution, en dehors du cadre
étatique, a certainement une signification politique. Mais, au fond,
ce n'est pas «en soi» qu'une telle démarche critique
est politique. Elle ne l'est que si elle n'esquive pas tous les problèmes
qui se posent concrètement. Si l'on prend l'exemple de ce qu'il
est convenu d'appeler une école parallèle, on s'aperçoit
qu'il ne se pose pas seulement la question d'une éducation plus
libre des enfants, mais qu'au contraire, toute une remise en cause de la
famille, du travail, du statut de classe est, pour le moins, sous-jacente.
Cela ne veut pas dire que tout sera résolu, dans un sens politique,
mais les conditions mêmes d'une approche critique sont réunies.
On l'a vu et répété,
les lieux différents pour enfants (écoles parallèles,
collectifs, écoles nouvelles etc.) ont le plus souvent un recrutement
social bien déterminé. Cela entraîne-t-il des conséquences?
Certainement, et qui vaut dans le sens d'une limitation du projet.
On a déjà parlé
de la séparation entre l'école et la famille.
Il y a aussi la séparation
entre le projet collectif «spécialisé» en l'occurrence,
un projet de lieu pour enfants - et l'expérience sociale globale
des adultes qui y participent (travail, pratique politique, syndicale etc.).
Une séparation de ce type ne peut qu'œuvrer dans le sens d'un appauvrissement
des buts initiaux, quels qu'ils soient.
Brûle-t-on déjà
ce qu'on veut, laborieusement, dans ces pages, défendre et illustrer?
.. Assurément pas. On tient trop à l'existence d'un lieu
de liberté relative pour quelques enfants. On tient trop aussi à
l'existence d'une pratique minimale, à condition de déterminer
le seuil à partir duquel le minimum devient franchement nul. On
indique seulement qu'il existe un certain nombre de problèmes, de
contradictions, dont il faut tenir compte, sauf à faire de la pédagogie
de luxe, c'est-à-dire quelque chose d'inintéressant, aussi
bien pour le luxe que pour la pédagogie.
Quelques pratiques «exemplaires»
Il n'existe pas de recette, pas
de solution, mais on peut penser à quelques pratiques «exemplaires»,
à quelques groupes qui, deci, de-là, s'accrochent à
la réalité et y impriment leur marque. On parlera plus loin
des Berlinois dans la Kommune 2 ; on parlera aussi, plus près dans
l'espace et le temps, des gens, des femmes d'Aix.
Aix-en-Provence? Oui, dans la banlieue
d'Aix, dans une belle maison isolée, il se passe des choses singulières
: une communauté, une école, et bien d'autres choses encore.
Ce qui frappe, justement, dans l'expérience de ce groupe communautaire,
c'est la globalité de sa pratique. Ces filles (il y a aussi des
garçons, mais les filles, majoritaires, donnent le la, ne serait-ce
que parce que le groupe milite aussi autour du mouvement des femmes, pour
l'avortement, la contraception et le reste), ces filles parviennent à
tenir le rythme épuisant de journées, de semaines, où
sont associés un travail ouvrier (30 à 40 heures) une pratique
syndicale active (déléguées du personnel et déléguées
syndicales, une pratique militante de femmes (avortements, accouchements
etc.), l'animation de groupes d'enfants (garderie du mercredi, plus une
école pour une vingtaine d'enfants de 0 à 16 ans), la vie
du groupe communautaire proprement dit et, peut-être aussi ... des
vies personnelles, intenses et secrètes.
Il y a, à Aix, un souci
permanent de relier la pratique du groupe communautaire à une réalité
plus vaste, au monde du travail, à la lutte des classes. Il n'y
aurait plus, par conséquent, cette coupure dont parle Marx entre
«les limites restreintes de l'existence personnelle» et la
société dans son ensemble; au contraire, l'existence personnelle
serait la condition même d'une pratique globale.
C'est un fait que l'école
parallèle d'Aix procède directement de l'engagement militant
des filles et des garçons du groupe (plusieurs des membres du groupe
ont un «passé politique» marqué, aussi bien au
P.S.U. que dans des organisations «marxistes-léninistes»).
Elle s'est créée à partir d'une garderie du mercredi
née à l'initiative de la communauté, subventionnée
par le Comité d'entreprise de la boîte où sont employées
plusieurs des femmes du groupe. Plus tard, il fut décidé
(1976) d'aller plus loin, et l'école, c'est-à-dire un lieu
permanent, fut ouverte, également dans la maison du groupe, pour
une vingtaine d'enfants de 0 à 16 ans. (il n'y a pas de locaux ni
d'âge séparés - puisque l'école doit prolonger
le reste de la vie).
A Aix, en dehors de la marge
...
A cette école vont donc les
enfants du groupe communautaire et - c'est-à-dire les 2/3 de «l'effectif»
- les enfants des ouvrières qui travaillent avec les filles du groupe.
Ces dernières se sont aperçues, en discutant avec leurs collègues,
leurs camarades ouvrières, que pour celles-ci, l'école représentait,
le souci dominant - non pas, bien sûr, en tant que lieu d'oppression
(critique intellectuelle) - mais en tant que lieu de sélection dont
étaient éliminés, à terme, leurs enfants (17).
Le recrutement est très
largement ouvrier. C'est un fait assez rare pour qu'on puisse le noter.
On l'a vu, les écoles parallèles se développent d'ordinaire
dans des milieux plus favorisés. Il n'en est pas ainsi à
Aix, parce que la pratique «pédagogique» du groupe est
reliée à d'autres pratiques: vie communautaire, militantisme,
travail en usine. Il est sûr, à cet égard, que seul
un contact direct entre les ouvrières «d'origine» et
les ouvrières «intellectuelles» a pu pousser celles-là
à mettre leurs enfants dans l'école créée par
celles-ci. L'existence officielle de la garderie a servi en quelque so'rte
de caution à l'existence marginale de l'école. Celle-ci est
prise en charge par un permanent (du groupe communautaire), plusieurs intervenants
«extérieurs», bénévoles, dont pas exemple,
pour l'enseignement de la langue étrangère, une ouvrière
portugaise, et un instituteur payé par la communauté.
Cette «école»
d'Aix doit faire face à des contradictions.
Mais on voulait ici donner un exemple,
illustration d'une pratique «parallèle», qui peut se
dérouler sur une autre scène qu'au théâtre un
peu étroit de ce qu'il est convenu d'appeler la contre-culture,
la marginalité.
Il s'agit maintenant de retrouver
plus directement ces enfants qui nous enchantent - sans perdre de vue pour
autant, ces adultes qui nous glacent.
(1) La pensée, juin 1970.
(2) C. Vasquez : «L'école et le P.
C.», Mémoire de Droit, Paris l, 1972; La nouvelle-critique
n° 49 et n° 53, janvier et mai 1972.
(3) L'école capitaliste en France, Maspero.
(4) Il s'agit en fait de stratégie politique:
l'école est un lieu d'alliance entre bourgeoisie et petite bourgeoisie,
contre le prolétariat. C'est à l'école que la petite
bourgeoisie institue dès l'origine sa «différence»,
d'où la nécessité de faire éclater la contradiction
et de montrer par là la prolétarisation de fait de cette
petite bourgeoisie irrécupérable, pour la Révolution,
en tant que telle.
(5) La différence d'analyse sur l'école
entre le P.c. et des auteurs comme Baudelot et Establet procède
d'une analyse différente sur les alliances de classes. Pour le P.c.,
l'alliance entre petite bourgeoisie et prolétariat est possible
et nécessaire (front anti-monopoliste). Pour les maos, c'est exclu,
et il faut, au contraire, tout axer sur la prolétarisation de la
petite bourgeoisie. Pour le P.c., défendre l'école et sa
démocratisation, c'est réaliser l'alliance nécessaire;
pour les maos, au contraire, rejeter l'école (capitaliste) s'impose
pour détruire l'obstacle idéologique à la prise de
conscience par la petite bourgeoisie de sa prolétarisation.
(6) L'école de Jules Ferry est morte, Poche
rouge, Maspero - L.C.R.
(7) Dans cette charte, il va s'agir, non pas d'une
analyse politique de l'école et de la famille, mais d'un catalogue
de revendications, légitimes, mais sans lien, sans cohérence.
En fait, il y a bien une cohérence: c'est une «Socialisation»
toujours plus poussée du citoyen-enfant. «Désormais
les enfants fugueurs n'auront plus affaire ni à la police; ni à
la justice. Ils auront affaire à des «commissions d'arbitrage
mixte», c'est-à-dire à des psychiatres .... Sous surveillance
psychiatrique, avec le droit de vote à 12 ans (encore mieux que
Giscard), l'enfant n'est plus seulement un consommateur à part entière,
c'est un citoyen. Quelle promotion! Et Europe N°1 peut se payer le
luxe d'être «de gauche» en la matière, puisque
certains députés (R.I.), particulièrement conservateurs,
ont protesté contre cette émission, qui remettait en cause
les grandes valeurs de l'autorité et de la famille. Mais la
structure familiale, l'Œdipe normalisateur, n'est plus seulement à
la maison. Œdipe s'est maintenu, en se socialisant dans les institutions,
qui, elles, socialisent l'enfant dès son plus jeune âge: crèches,
maternelles, colonies de vacances, télé, etc.
(8) L'école émancipée est
une des tendances - d'extrême gauche - de la F.E.N., la Fédération
de l'Education nationale.
(9) L. Althusser: «La pensée»,
op. cit.
(10) Le 18 Brumaire, de L. N. Bonaparte, Editions
sociales, 1969, p. 24.
(11) D'ailleurs, il faut bien remarquer que les
travailleurs susceptibles de participer à ces coopératives
étaient le plus souvent des ouvriers de «métier»,
des artisans, par opposition au prolétariat non qualifié
de la grande industrie.
(12) Même si Proud'hon, par exemple, l'un
des théoriciens de la eoopération, rejette farouchement l'idée
d'un épanouissement de l'homme en dehors du travail.
(13) L. Althusser, op. cit. A remarquer que, lorsqu'Althusser
parle d'idéologie, il évoque aussi bien des idées
que des pratiques concrètes: «Nous parlons d'actes insérés
dans des pratiques ... nous dirons donc, à ne considérer
qu'un sujet (tel individu), que l'existence des idées de sa croyance
est matérielle, en ce sens que ses idées sont ses actes matériels
insérés dans des pratiques matérielles, réglées
par des rituels matériels, eux-mêmes définis par l'appareil
idéologique dont relèvent les idées de ce sujet.»
(14) Statistique LN.S.E.E. 1974. Tableau par catégorie
d'emplois sur la population active dans le secreur privé.
D'une façon très approximative,
on peut regrouper, à l'exclusion des cadres supérieurs, sous
le vocable travailleurs intellectuels (c'est-à-dire disposant d'un
certain savoir et n'assurant pas un travail directement manuel), les techniciens,
les cadres, les personnels des services ayant une qualification, soit 33,1
% du total de la population active privée.
On ne veut pas dire que plus du tiers de la population
active a un statut intellectuel au sens restreint. On veut seulement indiquer
par là que ce que nous appelons la petite bourgeoisie intellectuelle
se fonde sur cette base de masse.
Par ailleurs, les chiffres précités
sont amplifiés par les statistiques de la Fonction publique (11
% de la population active - soit environ 2 350 000 personnes), qui emploie
largement un personnel de classe moyenne intellectualisée. Par exemple,
le ministère de l'Education nationale regroupait en 1974, 880 000
fonctionnaires, dont 500 000 enseignants.
(15) Ne serait-ce que parce que c'est justement
à l'école que la petite bourgeoisie - dans son ensemble -
préserve, dès l'origine, sa spécificité au
moins idéologique, par rapport au prolétariat.
(16) A noter, enfin, que la tendance générale
au raccourcissement du temps de travail (projet de plus en plus précis
de la semaine de 35 heures), consécutive aussi bien à la
crise qu'au progrès technique, doit permettre, à terme, à
davantage de travailleurs de s'intéresser, par exemple, à
une critique de l'éducation de leurs enfants.
(17) La question qu'on peut se poser à
propos de ces ouvrières sous-payées, souvent seules avec
leurs enfants, c'est de savoir si elles sont représentatives de
l'ensemble du monde ouvrier français ou de sa marge - de sa marge
«inférieure» - immigrés, jeunes, femmes, doublement
exploitée. L'opinion que se fait l'ouvrier français, «intégré»,
de l'école est peut-être différente ...
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