alternatives éducatives : des écoles, collèges et lycées différents
| Présentation | SOMMAIRE |

I Obligation scolaire et liberté I Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop ! Appel pour des éts innovants et coopératifs |
| Une école différente ? Pour une société différente ? Qui n'en veut ?! I L'heure de la... It's time for ... Re-creation |

2018
école autrement, école alternative, école différente ...
Une autre école est-elle possible ?

Quelques autres "rubriques", parmi beaucoup d'autres, toujours d'actualité :
les rapports parents-profs, la maternelle à 2 ans, l'ennui à l'école les punitions collectives,  le téléphone portable  , l'état des toilettes, le créationnisme...
 

Archives (1978)
n° 13 - avril 1978
Alors, on n'a pas école aujourd'hui ? 
 
 
Le droit d'apprendre
Ivan Illich dans
Une société sans école
proposait, 
dès les années 70,
une réflexion radicale 
sur l'échec de l'enseignement à l'école.
Cette dernière, 
outil d'un Etat,
peut-elle être pensée aujourd'hui autrement
comme il le suggérait 
il y a trente ans ?


Vote de la loi de prévention de la délinquance :
l'Assemblée renforce la lutte contre l'absentéisme à l'école
et étend le contrôle de "l'obligation scolaire" aux élèves inscrits à des cours à distance,
y compris ceux agréés par l'Education nationale (CNED et cours privés)
(homeschooling, instruction en famille, école à la maison, éducation à domicile, etc...)


Même le C.N.I.R.S. n'y avait pas pensé !
i n n o v a t i o n  : le pedibus
"Mais jusqu'où s'arrêteront-ils ?!"
(Professeur Coluche, penseur, 20° siècle après J.C.)


  L'absentéisme scolaire : les mesures déjà prises

   On dirait qu'ils s'ennuient.

   École : le coût de l'ennui

   Absentéisme à l'école :
100 000 collégiens fantômes

   France : l'absentéisme touche 5% en moyenne des collégiens et lycéens
L'absentéisme scolaire touche d'abord les quartiers défavorisés
Enseignants et proviseurs ont également relevé une "forte augmentation depuis 5 ou 6 ans"
d'adolescents exerçant un petit boulot le soir et renonçant à se lever le matin pour aller en cours.
Loin du baby-sitting ou de l'encadrement de centres aérés le mercredi,
c'est "un vrai travail qui est pris en charge par les jeunes",
tel que le service dans des fast-food ou la livraison de pizzas...

   L'absentéisme scolaire touche 5  % des élèves
... mais atteint 10  % en lycée professionnel.
8,5 % des enseignements ne sont pas assurés



Une étude officielle montre l'inutilité du redoublement brut
Le redoublement frappe par son "caractère massif".
Il touche "tous les milieux sociaux" à l'exception notable des enfants d'enseignants qui présentent un risque deux fois moins élevé que les enfants d'employés de service ou d'ouvriers non qualifiés de redoubler.

 La France détient le record mondial des redoublements
alors qu'elle dépense davantage pour ses collèges et lycées que la moyenne des pays de l'OCDE

Elèves absents, décrocheurs, décrochés...
1% des 3,25 millions de collégiens que compte la France seraient déscolarisés.
Ce phénomène s'opère le plus souvent entre 14 et 16 ans.
Les filles sont presque autant concernées que les garçons.
5% des élèves du second degré sont absents plus de quatre demi-journées par mois.
La moitié des collèges et lycées ayant participé à l'enquête «la Déscolarisation» comptabilisent 2 % d'élèves absentéistes, mais un sur dix en enregistre 15 %.
Le décrochage scolaire, qui désigne les jeunes en voie de déscolarisation, touche 8% d'une classe d'âge, soit 60 000 jeunes par an en France,
selon une étude de l'Education nationale en 2001.

   France :  Nouvelle "Innovation" innovante  (Académie de Créteil - Rentrée 2008-2009)
Pour les décrocheurs- ou déjà "décrochés" - de plus de 16 ans : une annexe (3 classes d'une douzaine d'élèves)

Les 16-18 ans en France et en Europe
Entre 16 et 18 ans, les jeunes dépourvus de diplôme et qui ne sont plus en formation voient leur insertion immédiate et future durablement compromise.

Le fond de la classe au premier rang
Ils ne sont pas là tout à fait par hasard. Leur scolarité a été une longue suite d’échecs, souvent dès le CP.
Habitués des fonds de classe, la plupart ont acquis la conviction qu’ils étaient nuls, tout juste bons à faire le pitre ou à tenir tête au principal pour exister.



BRITISH WAY OF LIFE

Le "modèle" anglo-saxon,  libéral  ... et blairo-socialiste...
 

  École buissonnière en Angleterre : 
En 2008, comme aux U.S.A., malgré amendes et prison (pour les parents), 
les chiffres de l'absentéisme scolaire augmentent toujours.

  "Les enfants que nous abandonnons à nos risques et périls"
Alors que commence la nouvelle années scolaire, des enfants sont totalement livrés à eux-mêmes et à la délinquance.

  ÉCOLES ANGLAISES :
Discipline, rigueur et esprit compétitif sont les maîtres mots de la mutation mise en œuvre par le gouvernement travailliste..

   Royaume-Uni : L’uniforme discriminatoire
En imposant un fournisseur unique pour l’achat de l’uniforme, les écoles pratiquent une discrimination à l’encontre des élèves pauvres. 

  Directeur d'école en Grande Bretagne :
« Le métier a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on est beaucoup plus responsable, on a plus de pression, on nous demande plus de résultats. »

  Deux fois plus d’enseignants sont partis en retraite anticipée au cours des sept dernières années. 

  35% des élèves de 11 ans ne savent pas lire.

  Un ado sur cinq ne peut situer son pays sur une carte.

  Ecoles publiques fermées aux pauvres.  Un rapport émis par ConfEd, (une association qui représente les dirigeants du secteur de l’éducation locale) dénonce le manque d’intégrité des processus d’admission dans certaines écoles publiques. Des réunions de "sélection" d’élèves sont organisées, durant lesquelles ne sont admis que les enfants "gentils, brillants et riches".  Ainsi, 70 000 parents n’ont pas pu inscrire cette année leurs enfants dans l’école de leur choix. En écartant les élèves issus de milieux pauvres, ces établissements "hors la loi" espèrent rehausser leur taux de réussite aux examens. 

   Selon l'OCDE, les écoles privées britanniques ont les meilleurs résultats au monde : FAUX !

  ... & Moins de pauvres dans les écoles primaires catholiques.

  Les écoles anglaises pourront être gérées par des "trusts".

  L’école britannique livrée au patronat.  En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonne avait fixé comme principal objectif à la politique de l’Union en matière d’éducation de produire un capital humain rentable au service de la compétitivité économique. 

  Le créationnisme aux examens.

   "BAGUE DE VIRGINITE" : Une adolescente anglaise, fille d'un pasteur évangélique, perd son procès en Haute Cour.

  Grande-Bretagne : l'athéisme (bientôt ?) au programme scolaire

  Grande-Bretagne :Les sponsors au secours de l'école

  Empreintes digitales pour les enfants d'une école de Londres. Le Royaume-Uni réfléchit à la mise en place d’une loi pour la création d’un fichier national des enfants de moins de douze ans.

Naître et grandir pauvre en Grande-Bretagne  est encore plus pénalisant que dans d’autres pays développés.

  Un demi-million de «sans-logement». A Londres, un enfant sur deux sous le seuil de pauvreté.

  Un demi-million d'enfants britanniques travaillent "illégalement".

«tolérance zéro» et conditions de détention intolérables. Plus de dix milles jeunes délinquants britanniques sont emprisonnés.  «Le bilan du Royaume-Uni en terme d'emprisonnement des enfants est l'un des pires qui se puisse trouver en Europe.»

   De plus en plus de mineurs hospitalisés pour des problèmes d'alcool. Le nombre de mineurs hospitalisés en Angleterre pour avoir trop bu a augmenté de 20% en un an.



AMERICAN WAY OF LIFE...

   Lycées, collèges de Californie :
Près d'un élève sur 4 "décroche" entre 15 et 18 ans

(rapport du State Department of Education - 7 juillet 2008)
Décrochage scolaire
«Un élève qui ne comprend pas ce qu'il fait là»
Libération - 19/07/2009

 
 

EDUCATION - On les appelle les «décrocheurs», ceux qui quittent le système scolaire sans qualification. Ils seraient 10.000 dans l'académie de Lille. La Région a signé une convention avec Martin Hirsch pour tenter de faire baisser leur nombre. Qui sont les décrocheurs? Comment sortir de l'échec? Avec Maryse Esterle-Hédibel, sociologue et maître de conférence à l'IUFM de Lille, interview.

Qu'est-ce que le décrochage?

Un processus progressif. L'élève sort du système, quelquefois sans être repéré dans la masse des élèves. Ca peut avoir lieu sur des années : il est de moins en moins considéré comme élève, par les enseignants, ses camarades, lui-même. Il ne comprend pas ce qu'il fait là.

Est-ce que ça s'aggrave?

Non. Ils étaient 30% d'élèves en France dans les années 70 à sortir du système sans aucune qualification, 18% au début des années 80, et 6% aujourd'hui.

Mais maintenant, on ne peut plus trouver du travail sans être qualifié.

Oui. Les enseignants les plus âgés me disent : «Il y a 30 ans, mes élèves étaient enfants d'ouvriers du textile, maintenant, ils sont enfants de Rmistes». Il y a aussi l'idée qu'un élève sans école est un enfant dangereux. Or le décrochage ne conduit pas systématiquement à la délinquance, loin de là. Ce qui est fréquent, c'est la dépression à bas bruit. On s'isole, on reste devant la télé. Dans le Nord, aussi, un gros risque de grossesses adolescentes. Plusieurs fois j'ai croisé une mère de 30 ans, avec sa fille de 15 ans, laquelle ne trouvait pas extravagant d'avoir un enfant. Pour l'insertion professionnelle, les indicateurs sont au rouge.

Comment ça arrive, le décrochage?

C'est bien sûr multifactoriel, et différent selon les enfants. Des problèmes d'apprentissage, qui traînent de classe en classe. En sixième, cinquième, c'est l'effondrement. Dès le départ, c'est une prise en charge pas adaptée. Tous les enseignants ne savent pas traiter tous les problèmes, c'est normal, question de formation. Là, les Rased on un rôle à jouer, en tant que spécialistes. Ils ont une autre approche face à des enfants qui ne comprennent pas, par exemple, à quoi ça sert d'apprendre à lire, le sens de l'école.

Ce sont parfois des élèves perturbateurs.

Il peut y avoir des problèmes de souffrance à l'école, parfois des problèmes avec l'autorité, avec les règles. L'enfant qui va essayer de se faire reconnaître autrement que par les performances scolaires va s'opposer, et c'est difficile à gérer dans une classe. Les enseignants ont peu d'outils face à ça. Ils considèrent que le rôle de l'élève, c'est de savoir se tenir en classe, se comporter. L'enseignant dit : «si tu te comportes bien, les conditions sont réunies pour que tu apprennes». Or ce qui se passe en classe, c'est du javanais pour cet élève. Il y a là un malentendu. On arrive en sixième avec des élèves couverts de sanctions sans effet, et sans que leur niveau scolaire soit pris en charge. On leur parle javanais, et on leur demande de se tenir tranquille six à sept heures par jour. Face à ça, les Rased sont indispensables. Ils ne peuvent pas être remplacés par l'aide personnalisée, deux heures par semaine, par des enseignants pas formés. Les Rased c'est une bonne prévention, et si le problème est pris à temps, l'aide apportée peut être de courte durée.

Les Rased sont menacés, et l'Education nationale supprime des postes.

C'est contradictoire. On agit d'un côté, et de l'autre, on détricote. Les moyens ne sont pas tout, mais ça compte. Si les Rased ont moins d'effectifs, on aura beau faire toutes les réunions, on tournera en rond. Quand les postes d'enseignants et de personnel para-scolaire disparaissent, c'est moins de temps, moins d'écoute, et du coup la tentation d'exclure, ou de laisser partir ceux qui dérangent. Ceci dit, on ne peut que saluer cette idée nouvelle : on nous dit que la lutte contre le décrochage est l'affaire de tous.

En plus des problèmes scolaires et disciplinaires, les problèmes familiaux?

Il y a des ados qui décrochent parce qu'ils sont mobilisés ailleurs. Certains sont soutiens de famille. Ils s'absentent pour protéger leur mère frappée par leur père par exemple, ou pour jouer un rôle de co-éducation des petits. Les services sociaux s'occupent du plus urgent. On va s'occuper de protéger un enfant maltraité. Mais une mère dépressive, alcoolique, pas en mesure de suivre une scolarité, avec un enfant qui commence à s'absenter, c'est peu repéré. Il n'y a pas forcément d'assistante sociale dans tous les collèges, et si elle est là, l'élève ne demandera pas forcément de l'aide. On va s'occuper des ingérables, ou de ceux qui savent se faire aimer. Je me souviens d'un élève qui avait repéré que c'était au collège qu'il pourrait trouver une issue. Il faut dire aussi qu'il y avait dans l'établissement un enseignant connu des élèves comme "celui à qui on peut parler". Il a tout de suite orienté vers une assistante sociale efficace.

Qu'est-ce qui marche?

Il n'y a pas de solution miracle. Ne pas se jeter sur la sanction. Il faut du monde, il faut des heures, il faut des gens formés. Des gens qui croient les gamins, qui n'ont pas un regard stigmatisant. Pour ces élèves, la relation avec leurs profs est déterminante. La logique empathique et le tutorat, ça marche mieux que les conseils de discipline à répétition. Le travail en réseau. Sinon, le meilleur système restera lettre morte.

Recueilli par Haydée Sabéran
Lire aussi :

Le fond de la classe au premier rang

"L'école et moi c'était pas top"

LE CONTEXTE  - Le Nord-Pas-de-Calais et Centre vont expérimenter des projets pour s'attaquer au décrochage scolaire et à favoriser l'insertion professionnelle des jeunes, avec le Haut commissariat à la Jeunesse. Ces thèmes figurent parmi les thèmes dominants du Livre vert sur la jeunesse, rendu public par le Haut commissaire Martin Hirsch.

Quelque 120.000 jeunes, selon le gouvernement, sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. Dans le Nord-Pas-de-Calais, 10.000 interrompent leurs études en cours de scolarité. Concernant cette région, une convention d'objectifs pour la continuité du parcours des jeunes a été signée le 8 juillet par l'Etat et la région. Le montant du financement n'a pas été précisé.On sait que des territoires, le Versant Nord-est de la métropole lilloise, le bassin de la Sambre, l'ancien bassin minier, le littoral, devraient être prioritaires.

La convention vise notamment à expérimenter des projets pour mieux orienter et repérer des élèves qui risquent de décrocher. Il s'agit par exemple de développer des écoles de la deuxième chance, pour permettre de "réduire le nombre de jeunes sans solution de formation ou d'emploi".

Pour la région Centre, le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse doit débloquer 961.000 euros sur 3 ans pour des projets expérimentaux concernant le développement des dispositifs d'alternance, le renforcement et la coordination des dispositifs d'orientation et le repérage précoce des élèves en décrochage.

(Avec AFP)



A Vitry-sur-Seine, des classes spécialisées proposent aux jeunes qui ont décroché de renouer avec les études.
 
Par Véronique Soulé - Photos Jean-Michel Sicot - Libération - 24 12 09
«Pour vous expliquer comment faire un brouillon de dissertation, nous allons prendre un sujet : y a-t-il une servitude volontaire ?» commence le professeur de philo Jean Mouchard. Les huit lycéens de terminale STG (sciences et technologies de la gestion) assis en face de lui ont l’air assez découragé. Le cours est consacré aujourd’hui à la méthodologie. Le sujet est austère et les dissertations de philo font toujours un peu peur, particulièrement à ces élèves du microlycée de Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, une structure qui accueille des jeunes décrocheurs.

Cet établissement entame sa deuxième année de fonctionnement. Il est l’une des rares structures alternatives de l’enseignement public, et aussi l’une des rares accueillant des jeunes déscolarisés qui veulent reprendre des études et passer le bac. Ils sont 80 cette année, âgés de 16 à 25 ans - mais il n’y a guère plus d’une dizaine de mineurs -, répartis dans sept classes, une seconde, trois premières et trois terminales : L (littéraire), ES (économique et social) et STG option mercatique (commerce).

Echange

Dans quelques jours, les élèves ont un bac blanc et Jean Mouchard les y prépare. «Vous allez voir, ce n’est pas si compliqué. Il faut commencer par analyser les notions. Pour cela, nous allons chercher des synonymes et des antonymes. Pour servitude, que proposez-vous ?» Des bras se lèvent : «esclavage», «soumission»… «Des antonymes maintenant», enchaîne le prof.«Liberté», «indépendance»…Les élèves se sont pris au jeu. Jean Mouchard fait cours au gré d’un échange permanent. «Connaissez-vous des situations de servitude dans la vie ? demande-t-il. On entend dire parfois que l’amour-passion en est une, ou la drogue, ou la croyance. Qu’en pensez-vous ?» Une élève intervient sur l’amour fou «que l’on ne choisit pas». Un autre sur la croyance, «une servitude, mais volontaire».

Un cours d’histoire-géographie se déroule dans la salle voisine. Deux classes de terminale sont réunies, une vingtaine d’élèves au total. Dans certaines disciplines - comme les langues ou l’éducation physique et sportive -, les enseignants du microlycée font cours par niveau. Cela leur permet de dégager des heures pour suivre individuellement les élèves : chaque professeur est ainsi «tuteur» de huit lycéens. Sujet du cours : «le retour à la tension américano-soviétique : la "guerre fraîche" (1979-1985)», avec l’élection de Ronald Reagan, le boycott des Jeux olympiques de Moscou, etc. L’atmosphère est plutôt bon enfant. Des élèves ont apporté leur gobelet de café ou leur bouteille d’eau. En début de cours, le professeur, Eric de Saint-Denis, l’un des deux coordonnateurs du microlycée - avec Marie-Laure Gache, une autre enseignante d’histoire-géo -, demande «qui est le preneur de notes aujourd’hui» pour tenir à jour le cahier de textes de la classe. Mina lève la main.

«Nous prenons des jeunes au parcours scolaire atypique, explique Eric de Saint-Denis, un des fondateurs du premier microlycée, à Sénart (Seine-et-Marne), où il est resté huit ans avant de venir ouvrir le second à Vitry. Certains ont été déscolarisés pendant plusieurs années. Ils ont connu des situations de traverse à la suite d’accidents familiaux, de déménagements mal acceptés, d’allers-retours entre des pays ou encore de la naissance d’un enfant. Ce sont des jeunes qui ne trouvent pas leur place. Le défi, pour nous, est de leur redonner confiance, en eux et dans l’avenir, et de les aider à construire un projet de formation.»

Pause

Le microlycée, soutenu par le recteur de Créteil - qui a décidé d’en ouvrir un dans chaque département (Val-de-Marne, Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis) de l’académie -, est installé au sein du lycée Jean-Macé. 200 mètres carrés, au premier étage d’un bâtiment : six salles refaites à neuf le long d’un couloir et, au milieu, la salle commune. C’est ici que se retrouvent élèves et enseignants pour discuter, manger, regarder le courrier dans leurs casiers, consulter les emplois du temps, etc. «C’est le cœur, le poumon de l’établissement», précise Eric de Saint-Denis.

Pour s’inscrire, il faut avoir un niveau de fin de troisième et de sérieuses motivations. Beaucoup reprennent en effet après un, deux, voire trois ans de «pause» où ils ont fait des petits boulots, déprimé ou se sont simplement amusés. Dans l’idéal, l’objectif est de leur faire décrocher le bac, même si l’équipe refuse d’en faire une obsession.

Certains jeunes, malgré une bonne volonté initiale, se remettent vite à sécher. Marion, 21 ans, en terminale STG, une grande fille un peu timide, croyait ne plus jamais retourner en classe. «J’ai raté deux fois le bac, j’avais des problèmes personnels et autres, explique-t-elle. Ça m’aurait pris la tête de recommencer dans un établissement scolaire classique. Je pensais le repasser en candidate libre.» Mais durant un an, Marion s’occupe de ses grands-parents et ne peut plus étudier. Coup de chance : un jour, sa mère tombe sur un article sur le microlycée. Il y est précisé que les candidats doivent téléphoner eux-mêmes. Marion appelle, puis se rend à l’entretien individuel. Le contact lui plaît, plus humain, plus chaleureux que dans une école «normale». «J’ai toujours eu des problèmes scolaires, dit-elle. J’étais tout le temps sur le carreau, de la part des élèves comme des profs. J’étais comme transparente.» Dans cette petite structure un peu familiale, elle se sent exister. «Maintenant, j’espère avoir le bac, dit-elle. Je voudrais être assistante sociale ou psychologue, j’y pense depuis des années. Je me vois travailler d’abord à l’hôpital, puis dans un centre gériatrique car j’ai un bon contact avec les personnes âgées. Mais avant, quand j’en parlais, les profs me disaient : tu n’y arriveras jamais, au mieux tu seras aide-soignante. A force de dire que vous êtes nulle, on finit par le croire.»

Injustice

A ses côtés, habillée tout en noir et l’air décidé, Bernadette, 20 ans, en terminale ES. Elle est encore révoltée par l’injustice qu’elle a subie. En juin 2008, elle rate son bac au lycée Jean-Jaurès de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Elle veut redoubler mais se voit répondre qu’il n’y a plus de place. «J’étais vraiment outrée, explique-t-elle. J’avais des amis qui avaient redoublé, pourquoi pas moi ?» Elle fait le tour des lycées de la région, est reçue dans les couloirs, insiste… En vain. «J’ai eu alors de gros problèmes familiaux et mon rôle à la maison s’est intensifié», dit-elle. Bernadette a perdu sa mère, guadeloupéenne, lorsqu’elle avait 8 ans. Son père, haïtien, s’est retrouvé seul avec quatre enfants. Il prend une retraite anticipée et ne touche que 400 euros par mois. Bernadette s’occupe de la maison, où l’on ne chauffe plus. Majeure, elle doit aussi se faire faire des papiers français. «Au moins, tout ça m’a renforcée», dit-elle. Aujourd’hui régularisée, elle envisage de travailler à temps partiel chez McDo pour aider son père. «J’arriverai à faire les deux, je suis une fille organisée.» Elle voudrait aussi s’occuper de son petit frère qui a décroché et se retrouve en quatrième Segpa (classe pour les élèves en très grosse difficulté) : «Ça m’attriste, dit-elle. J’ai parlé avec ses profs pour voir comment le raccrocher.»

Présence

Beaucoup, au microlycée, ont été victimes d’une mauvaise orientation, comme Nasser, 18 ans, en première ES. Il a redoublé sa troisième et a été dirigé vers un BEP électronique. Mais il a vite lâché et a pris «une année sabbatique pour faire la fête…» Aujourd’hui, Nasser, qui se présente comme «le cancre de sa famille», veut devenir architecte.

Johana, 18 ans, en première L, a redoublé sa seconde. «J’avais des problèmes de comportement, je n’ai jamais aimé l’autorité.» Elle a alors été orientée en première bac pro pour faire de la comptabilité, de la vente, etc. «Je dormais en cours, j’ai fini par me barrer. Ma mère me disait : "Tu es tellement nulle que même en pro, ça ne marche pas."» Or, Johana rêve d’être interprète. Elle parle anglais, néerlandais et se débrouille en espagnol et en italien. «Depuis toute petite, ma mère m’envoie dans une famille d’accueil aux Pays-Bas pour passer mes vacances d’été et d’hiver. J’ai beaucoup voyagé avec cette famille, appris des langues.» Mais «pessimiste de nature», Johana doute encore d’elle-même : «L’autre jour, j’ai demandé à mon prof s’il notait normalement, il m’a dit que oui.»

Pour les enseignants, travailler dans cette structure est un véritable engagement. Tous - huit temps plein, quatre mi-temps, la plupart venant de Jean-Macé - sont volontaires. Certifiés ou agrégés, ils sont payés comme dans le public «classique». Mais au microlycée, on ne parle pas de «temps de service» - dix-huit heures d’enseignement par semaine pour les certifiés, quinze pour les agrégés. Ici, les enseignants font trente heures de présence, du lundi au vendredi, dont quatorze heures de cours. Le reste du temps, ils ne chôment pas. Ils assurent la permanence téléphonique - il n’y a pas de personnel administratif ni de surveillant -, font à tour de rôle le ménage de la salle commune avec les élèves, participent aux réunions du mardi après-midi, assurent du tutorat, animent avec un intervenant l’un des cinq «ateliers de pratiques culturelles» - slam, yoga, presse, théâtre en espagnol et découverte des arts -, etc. «Il faut avoir le goût du travail en équipe, souligne l’un d’eux. Les élèves sont intéressants et les classes peu chargées, mais c’est très prenant.»

Ce mardi, la réunion commence par le cas d’un lycéen absentéiste. Comment le remotiver ? Suit la demande d’une élève qui voudrait passer de STG à ES pour faire une école de marketing. «Ne vaut-il pas mieux un bon bac STG qu’un bac ES trop juste ?» se demande un prof. La nuit tombe. La réunion continue. Les élèves sont presque tous repartis chez eux. Les profs veillent encore.


A R C H I V E S
Education
Ecole sans issue pour élèves hors-circuit
lundi 04 octobre 2004 - Liberation

 

C'est une histoire de révolte, de découragement et d'impuissance combinés. Elle toucherait 1 % de la population du collège, soit 32 500 élèves qui, pour diverses raisons, sont déscolarisés. Au total, 160 000 élèves sortiraient chaque année du système éducatif sans aucune qualification, selon les plus récentes évaluations de l'Education nationale. Là commence le trompe-l'oeil. Car cette histoire se raconte sous le titre générique de «déscolarisation» alors qu'à écouter les acteurs de terrain comme à lire les chercheurs, le mot ne souffre que le pluriel.

C'est ce que nous voyons à Montreuil (lire page 6), dans ce département de Seine-Saint-Denis où se joue en cette rentrée un des ratés les plus ahurissants de l'Education nationale: 2000 élèves, sortant de collège, se sont retrouvés sans affectation. Comme un bras d'honneur que l'institution aurait autoadministré à tous ses discours sur l'équité du système, des élèves le plus souvent issus de catégories défavorisées et qui s'étaient vu reconnaître le niveau pour entrer au lycée ont été contraints au redoublement, faute de places, essentiellement en lycée professionnel. Faute aussi de prévisions assez fines des chefs d'établissement. C'est le cas à Grigny (lire page 5), où les professionnels de la jeunesse héritent d'autant de cas particuliers qu'il y a de jeunes déscolarisés. 

Rupture. C'est ce que décrit cette vaste enquête sociologique commandée il y a cinq ans, enfouie dans les tiroirs ministériels, qui sort enfin en librairie (lire page 5), et qui souligne l'hétérogénéité des processus qui mènent à la déscolarisation ­ «Avant tout un symptôme qui ne parle pas seulement de l'école, mais surtout des familles et des trajectoires des individus», disait déjà le sociologue Hugues Lagrange en 2001, suite à une étude sur la déscolarisation dans le Mantois (Libération du 30 janvier 2001). L'enquête souligne également qu'aucun milieu n'est protégé. Aux côtés des enfants du voyage, des primo-arrivants ou des gamins confrontés à des contextes familiaux en miettes, des enfants issus de milieux favorisés sortent aussi du système ­ un livre paru l'an passé décrivait avec finesse ces processus de rupture affectant des fils et filles d'enseignants, d'artistes ou de cadres supérieurs (1).

Sanctions. Dès son arrivée, le gouvernement Raffarin avait empoigné le sujet. Les parents d'enfants déscolarisés seraient exposés à une sanction pénale et à une contravention pouvant aller jusqu'à 750 euros. Il avait également enrichi les dispositifs de raccrochage existants, créant aux côtés des «classes-relais» des «ateliers-relais» dont le bilan reste mitigé. François Fillon a repris le flambeau, indiquant vendredi à Poitiers que «l'horizon» qu'il souhaite fixer à l'école est «celui de 100 % d'élèves obtenant une qualification», comme la loi d'orientation Jospin de 1989, mais en renonçant au besoin à l'objectif «80 % d'une classe d'âge au niveau bac».

Ça tombe bien. Les sondages réalisés par les syndicats enseignants montrent que les professeurs n'y croient plus ; d'ailleurs la machine a calé voici dix ans à 65 %. Reste à savoir comment une institution habituée à gérer des flux normalisés saura résoudre un phénomène qui appelle à l'évidence des réponses en dentelle, adaptées au cas de chaque enfant ou adolescent, prenant en compte les implications respectives des familles, de l'école et de l'environnement social. Seule certitude : persister à ne répondre à la question de l'échec scolaire que par l'orientation en lycée professionnel, comme le fait depuis deux ans et demi le gouvernement Raffarin, ne marchera pas mieux demain qu'hier. 

(1) Décrocheurs d'école, Gilbert Longhi et Nathalie Guibert, éditions La Martinière.



Education. Editorial
Décrochages
lundi 04 octobre 2004 - Liberation

 

Naguère, on voulait amener 80% d'une classe d'âge au baccalauréat, voilà que le ministre de l'Education reprend l'objectif de 100% d'élèves obtenant une qualification. Pourtant, l'échec ­ relatif ­ de la précédente ambition aurait dû conduire à modérer cette exaltation statistique. La progression inquiétante des «déscolarisations», un mot qui, dans le contexte, suggère la délocalisation d'un enfant hors de l'école, devrait inciter à se fixer une autre contrainte, qui serait: 100% d'imagination pour résoudre 1% de cas apparemment désespérés de jeunes que le système exclut et qui s'en excluent en retour. Avec un tel slogan, on ne bat pas la campagne électorale. Mieux vaut faire de l'absentéisme scolaire une grande cause sécuritaire en rendant les parents responsables pénalement de cette « école de la rue» comme on disait avant, où se formeraient les «sauvageons» comme on dit maintenant. 

Evidemment, quand on y regarde plus près, quand on rentre dans le détail des décrochages de ces jeunes, ce n'est pas l'affaire des institutions répressives, mais en premier lieu celle de l'institution scolaire elle-même. Non qu'il s'agisse de lui reprocher de ne pas garantir la réussite de tous, ni encore de sanctionner les comportements insupportables, mais elle est rarement capable d'assumer le suivi des échecs qu'elle sécrète. Il n'est pas surprenant que les services sociaux communaux se retrouvent alors avec ces enfants largués sur les bras et que des enseignants soient les premiers indignés du manquement de leur administration à ses missions. Des solutions existent pourtant, depuis les classes et collèges relais jusqu'aux centres de formations des chambres de commerce et d'industrie, en passant par des évaluations individuelles qui n'écrabouillent pas les «projets» personnels dans des logiques de flux ou de relégations. Bref, il faut mettre l'innovation au pouvoir: ce n'est pas l'air du temps à l'Education nationale.



Education
SOS Rentrée repêche les déscolarisés
lundi 04 octobre 2004 - Liberation
«Je suis fatigué d'aller mendier pour que les gamins puissent aller à l'école; je suis fatigué que l'on mente au gosse en lui disant: "Quand tu auras ton BEP, tu iras plus loin."» Il y a des jours comme ça où Amar Henni (1) a besoin de pousser des coups de gueule. Surtout aux alentours de septembre. Tous les ans, c'est un peu la même histoire qui se joue dans le bureau du directeur du service jeunesse de la ville de Grigny, où se trouve la plus grande cité de l'Essonne, la Grande Borne. Dans les jours qui suivent la rentrée scolaire, il voit débarquer «les gamins sans école». Aujourd'hui, il y a Karim (2), 14 ans, exclu de son collège après une bagarre ; Gelloul, titulaire d'un BEP ventes à la recherche d'un bac pro ; Mamadou en liste d'attente pour un bac électrotechnique après un BEP ; Pierre, 22 ans, qui recherche désespérément une entreprise pour préparer une licence en alternance après un BTS d'informatique industrielle. Il y a aussi Eric, qui dit en riant : «Maintenant que j'ai fait le tour de tout, je voudrais réapprendre.»

Forcing de l'académie. «Entre le cas quasi pathologique, le moyen et le bon élève, nous sommes confrontés à un très large panel de situations», explique Laurence Legagneux, éducatrice. SOS Rentrée est né, il y a cinq ans, quand cinq gamins ont sollicité l'aide d'Amar Henni et de son équipe. «On a placé tous les gosses dans des établissements», se souvient-il. Depuis, SOS Rentrée s'inscrit dans un dispositif plus officiel de veille éducative mis en place par la ville de Grigny. En 2000, 40 jeunes sont venus frapper à la porte de SOS Rentrée. Ils étaient 64 en 2001 ; 65 en 2002, 59 en 2003. «Cette année, on va exploser les chiffres, pronostique un éducateur. Et il y a tous ceux qu'on ne voit pas car ils ne viennent pas à nous.» L'efficacité de SOS Rentrée tient à cette subtile alchimie relationnelle qui mêle la confiance des familles des cités, les liens informels tissés avec les chefs d'établissement, les enseignants et «la bonne volonté» des institutions. «Il faut le souligner: l'académie fait aussi le forcing pour nous aider à trouver une solution pour les gosses», explique Laurence Legagneux.

Ce matin, Karim roule gentiment les mécaniques dans son blouson tout neuf. «Il vient nous voir tous les jours, raconte Marcel, un éducateur. Au début, il demandait s'il pouvait rester près de nous.» Karim dit : «Venir ici, ça comble un vide.» «C'est un gamin indiscipliné, mais il a de bonnes notes», affirme Amar Henni. Karim a attendu tout l'été pour passer devant le conseil de discipline de son collège à la fin du mois d'août. «Je pensais qu'ils allaient me garder», murmure-t-il. «Toi, tu ne comprends rien à la vie», souffle un jeune. Depuis trois semaines, Karim attend de connaître le nom de son nouveau collège. «Il nous tanne tous les jours pour qu'on appelle l'inspection académique, dit un éducateur. Pour ces jeunes, être exclu de l'école c'est être considéré comme une victime. C'est être quelqu'un de faible que tout le monde peut humilier. Les gamins ne veulent pas être jugés comme des victimes.» Selon Laurence Legagneux, les jeunes ont une double perception de l'école: «Ils éprouvent du dégoût quand elle les exclut, mais, en même temps, ils reconnaissent que c'est leur planche de salut.»

Liste d'attente. Il n'y a pas pire réputation, explique un adolescent, que d'être dans la rue quand les autres sont à école. Farid, 18 ans, a décroché en juin un diplôme d'électricien, mais il a toujours voulu apprendre la mécanique auto. Il est sur liste d'attente et part tous les jours de chez lui comme s'il allait en cours. «Il m'a dit : "Si mon père sait que je n'ai plus d'école, il va me foutre dehors"», explique un éducateur. «L'école, c'est l'éducation. L'éducation, c'est le modèle. Si tu n'as pas le bon modèle, tu prends le mauvais exemple», affirme Eric. Il a connu lui aussi l'exclusion disciplinaire, le changement d'établissement et, à la clé, de nouveaux ennuis. «Je me suis retrouvé tout seul dans un collège où des mecs avaient des embrouilles avec ma cité. J'ai "pris" pour les autres.» Eric ajoute en regardant Karim : «Ce petit, il faut qu'il aille à l'école dans sa ville.» Il n'est cependant pas toujours facile de trouver un établissement pour un élève exclu dans le cadre d'une procédure disciplinaire. Amar Henni le reconnaît : «On me dit : "Pourquoi je prendrais un gamin qui fout le bordel alors que j'ai un candidat qui a 14/20 de moyenne ?"» Karim devra s'engager «en donnant sa parole» dans le cadre d'un «contrat de confiance» avec le principal de son nouveau collège.

Le piston qui manque. Pierre, 22 ans, n'avait pas connu de difficultés scolaires avant d'être bloqué à l'entrée de sa licence, faute d'employeur pour sa formation en alternance. Il a démarché «une centaine d'entreprises dans le 91, le 92 et le 77» : «Soit, elles n'ont pas de besoin, soit je ne corresponds pas à leur attente, soit elles ont déjà un stagiaire. Je crois que c'est le piston qui me manque.» Pierre joint les deux bouts en faisant le manutentionnaire et tient «ses connaissances à jour avec l'Internet et des revues». Il dit : «Au point où j'en suis, je serais prêt à aller travailler.» Le découragement pointe aussi chez Gelloul, 17 ans. Avec son BEP ventes ­ «14,5 de moyenne» ­, il était admis en première d'adaptation STT commerce en Seine-Saint-Denis. «Mais ma famille a dû déménager en Essonne, où je me suis retrouvé en première de gestion. On m'a dit: "C'est ça ou rien." Mais la gestion, c'est du chinois pour moi.» Après un mois de cours, Gelloul «ne sait plus où il en est et voudrait faire un bac pro vente».

Pour Laurence Legagneux, les obstacles rencontrés par les aînés ne facilitent pas la scolarisation des plus jeunes : «Comment leur dire que c'est indispensable d'aller à l'école quand ils voient que les plus grands à BAC + 5 ne disposent pas du bon réseau pour trouver du boulot ou un stage ?» Quelques heures plus tard, l'éducatrice a retrouvé le sourire: elle vient d'apprendre que Karim irait au collège ce lundi et, surtout, elle a déniché une place en mécanique auto pour Farid : «Je suis contente, j'ai fait un heureux.» 

(1) Amar Henni est l'auteur avec Gilles Marinet des Cités hors la loi, Editions Ramsay, 2002.
(2) Les prénoms ont été modifiés à la demande des jeunes.



Education. 
Dominique Glassman, l'un des directeurs de la longue étude commencée en 1999:
«Perçu comme un chômeur juvénile»
lundi 04 octobre 2004 - Liberation

 

Les situations de décrochage ont fait l'objet d'une longue étude, engagée en 1999, à laquelle une vingtaine de sociologues ont participé. Estimant que la déscolarisation est un processus social, ils se sont concentrés sur les jeunes des quartiers populaires, scolarisés en ZEP. 
Cette somme de recherches, menées au sein d'un programme interministériel, vient d'être publiée sous le titre la Déscolarisation (1).

Entretien avec Dominique Glasman, l'un des directeurs de l'étude.

Comment expliquer que des élèves ne trouvent pas leur place à l'école?

Les processus de déscolarisation sont complexes. Ce qui se passe dans la famille, à l'école ou dans le quartier, est profondément imbriqué. On constate que des élèves de milieux populaires sont progressivement satellisés de l'école ou du collège, puis évacués. Ils n'ont pas disposé du soutien nécessaire pour mener à bien leur scolarité, ni dans leur entourage familial, ni dans l'école. On parle trop facilement de «démission des parents»; il s'agit plus sûrement de désarroi. Un jeune sorti de l'école avant 16 ans interroge tout autant l'institution scolaire. Parfois, le jeune n'y a tout simplement pas de place: pas d'établissement où s'inscrire, ou bien on l'oriente dans une filière qu'il refuse. Il arrive aussi que le jeune ne trouve pas sa place à l'école, qui reste à ses yeux un lieu étrange, illisible, où il ne se sent pas bien, dont il ne saisit pas le sens. 

Reste qu'être élève confère un statut social. Sans l'école, peut-on vraiment s'intégrer ? 
Il est vrai qu'aujourd'hui, l'enfant ou l'adolescent qui ne bénéficie pas du statut d'écolier, de collégien ou de lycéen, est hors norme, marginalisé. Cela inquiète d'autant plus que l'instance de socialisation qu'a été le monde du travail ne joue plus ce rôle pour eux. L'école est devenue l'instance majeure de socialisation des jeunes. Mais quand on se sent disqualifié par l'institution scolaire, on a tendance à la disqualifier à son tour, pour surmonter l'épreuve et retrouver une confiance en soi. C'est le comportement d'élèves qui, ne voulant pas passer pour des nuls, refusent tout nettement de travailler quand ils commencent à perdre pied. En refusant l'école, en la tenant à l'écart, peut-être juste un temps, ces élèves retrouvent une forme de confiance en eux. 
 

Ces situations sont-elles irréversibles?

Des dispositifs de rescolarisation existent, dans l'école ou sa périphérie. Notre société est certes marquée par l'hégémonie de l'école et du diplôme, mais les jeunes doivent pouvoir y accéder, même s'ils ont un temps rompu les amarres. On peut également admettre que certains jeunes trouvent leur place en dehors de l'école. C'est le cas pour ceux qui peuvent travailler dans le commerce familial; trouver une identité au sein de leur groupe social ou culturel comme chez les gitans; se resocialiser dans leur quartier. Mais la déscolarisation inquiète: un jeune qui n'est pas à l'école est perçu comme un chômeur juvénile par les élus, un sauvageon prêt à se livrer à des actes de délinquance. En réalité, les décrocheurs devenus délinquants n'avaient pas forcément attendu d'être hors de l'école pour commettre des délits. Il n'empêche, la déscolarisation révèle une émotion autour des classes sociales «dangereuses». Ce n'est pas par hasard que Nicolas Sarkozy a pris en main la question de l'absentéisme. Un jeune qui a abandonné l'école, ou que l'école a abandonné, est considéré comme désocialisé et donc «à risque». Voilà pourquoi ce problème est devenu une question publique, qu'il y a mobilisation pour rescolariser ces élèves ou éviter que s'enclenche le processus.

(1) Aux éditions La Dispute, août 2004.



Education
L'exclusion scolaire, une punition aussi pour les profs
lundi 04 octobre 2004 - Liberation

 

« Ce sont des élèves qui se retrouvent «sur le carreau», sans établissement pour les accueillir, et des professeurs furieux. «A la fin de la 3e, les élèves font un choix. L'institution ne peut répondre à leur choix. Toute l'année, on les aide, on bâtit un projet avec eux, on fait un travail d'accompagnement. Tout ça pour ce résultat: on se fiche aussi de nous.» Marie Karaquillo est enseignante de sciences et vie de la terre au collège Fabien à Montreuil (Seine-Saint-Denis). A la rentrée, vingt élèves (soit deux élèves par classe) n'avaient pas trouvé d'établissement. «Cette année, c'est la première fois qu'on en a autant», reconnaît une cadre du collège qui tient à rester anonyme. Aujourd'hui, elle assure que des solutions ont été trouvées, sauf pour trois d'entre eux.

Bidouillage. Mais quelles solutions? Six se sont vu proposer un redoublement. Pour certains, les résultats ne le justifiaient pas. «Les autres ont été recasés par l'équipe de direction, mais dans des voeux qui ne correspondent pas toujours à ce qu'ils avaient demandé en priorité», explique un prof d'EPS. Les professeurs parlent de «bidouillage», racontent que des coups de fil ont été passés dans les centres de formation d'apprentis pour voir s'il y avait de la place. 

Notre cadre anonyme tient un discours plus nuancé: «On n'a pas eu d'élèves parachutés sur ce qu'ils n'avaient pas demandé. Il y a aussi des dénouements heureux», affirme-t-elle, optimiste, avant, toutefois, de reconnaître : «Il y a un réel problème par rapport à l'affectation. On ne peut pas se satisfaire de cela et bien le vivre. On est vraiment dans un paradoxe. L'élève demande une formation et ne l'obtient pas. Ce n'est pas facile de l'expliquer aux élèves.» Avant de conclure: «Le problème global, c'est qu'il y a de plus en plus d'avis d'orientation pour le lycée professionnel et qu'il n'y a pas de places pour le lycée professionnel.» 
Sale boulot. Plus loin, cette cadre parle du manque de maturité des élèves. Ils ne sont pas toujours sûrs de ces choix faits à 15 ans. Ils s'avouent parfois déçus après quelques semaines de leurs propres orientations. «Ce n'est pas parce qu'un élève aura obtenu ce qu'il souhaite qu'il sera satisfait de ce qu'il a.» Même si certains choisissent «au hasard» telle spécialité parce que c'est l'établissement le plus proche de chez eux qui la propose. Pourtant, des professeurs ont quand même le sentiment de faire le «sale boulot», comme dit Antoine, prof d'EPS. On leur laisse le soin d'annoncer qu'ils n'ont pas vraiment le choix, en fait. 

«Au moment de l'orientation, on leur dit de ne pas mettre qu'un voeu. On suggère de mettre secrétariat à celles qui veulent faire sanitaire et social.» Parce que cette filière est trop demandée. Le sale boulot, c'est aussi de ne pas masquer aux élèves leurs incapacités, sans pour autant se tromper sur leurs aptitudes à progresser. «Ceux qui veulent être vétérinaires, on ne va pas les décourager tout de suite, alors on envisage quelque chose "autour" du cabinet de vétérinaire.» 

Les enseignants trouvent que ces difficultés à trouver un établissement adéquat accroissent le malentendu vis-à-vis des familles, qui ont l'impression de subir le système scolaire. N'empêche, d'autres le vivent plus mal encore. Sans le dire. «Cet échec, on le prend pour nous», dit une prof qui raconte comment une de ses collègues lui a lâché, comme pour se protéger: «Mes élèves? Je ne veux pas entendre parler de ce qu'ils sont devenus.» 



Education
A savoir
lundi 04 octobre 2004 - Liberation

 

1% des 3,25 millions de collégiens que compte la France seraient déscolarisés. Ce phénomène s'opère le plus souvent entre 14 et 16 ans. Les filles sont presque autant concernées que les garçons. 

« S'il m'était permis de fixer un autre horizon, je fixerais un objectif plus large, pas moins réaliste ni moins ambitieux, celui des 100% d'élèves obtenant une qualification.» François Fillon, ministre de l'Education nationale, le 1er octobre à Poitiers

16 ans
En France, l'école est obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans. Depuis 1989, une circulaire du ministère de l'Education nationale précise que «nul ne doit sortir de l'école sans qualification».

Absences
5% des élèves du second degré sont absents plus de quatre demi-journées par mois. La moitié des collèges et lycées ayant participé à l'enquête «la Déscolarisation» comptabilisent 2 % d'élèves absentéistes, mais un sur dix en enregistre 15 %. 
Le décrochage scolaire, qui désigne les jeunes en voie de déscolarisation, touche 8% d'une classe d'âge, soit 60 000 jeunes par an en France, selon une étude de l'Education nationale en 2001.

LE GUIDE ANNUAIRE DES ECOLES DIFFERENTES
| Présentation | SOMMAIRE |
| Le nouveau sirop-typhon : déplacements de populations ? chèque-éducation ? ou non-scolarisation ? |
| Pluralisme scolaire et "éducation alternative" | Jaune devant, marron derrière : du PQ pour le Q.I. |
| Le lycée "expérimental" de Saint-Nazaire | Le collège-lycée "expérimental" de Caen-Hérouville|
| L'heure de la... It's time for ... Re-creation | Freinet dans (?) le système "éducatif" (?) |
| Changer l'école | Des écoles différentes ? Oui, mais ... pas trop !| L'école Vitruve |
| Colloque Freinet à ... Londres | Des écoles publiques "expérimentales" |
| 68 - 98 : les 30 P-l-eureuses | Et l'horreur éducative ? |